La Forêt

 

CERCLE DE DOCUMENTATION ET D’INFORMATION

Thèmes: Economie, Géopolitique, Société

Conférence du mardi 18 décembre 1984

La Forêt

Monsieur VILAREM, ancien dirigeant de l’Industrie Papetière, nous a parlé de la Forêt. »Je voudrais vous faire une confidence. Je suis Catalan, d’un village qui a les pieds dans l’eau, mais dont la seule richesse vient des pieds de vigne qui, entre les cailloux, s’accrochent désespérément à la montagne.

Alors je n’ai guère connu chez moi que le platane, l’olivier, et le chêne liège. Et puis j’ai passé ma jeunesse en Afrique du Nord, alors, mes connaissances en arbres se sont enrichies un peu. Je connais le faux poivrier, l’eucalyptus.

Et puis j’ai passé huit ans dans la marine.

Là, j’ai appris à connaître le baobab, le cocotier et le palétuvier. C’est dire, avec ce bien mince porte‑feuille, combien, il y a une dizaine d’années, lorsque je me suis retrouvé à la tête des opérations d’un grand groupe papetier, j’étais peu préparé aux tâches qui étaient les miennes, en particulier d’approvisionner en bois un groupe qui avait un nombre important d’usines.

Bien sûr, comme vous, j’aimais beaucoup me promener en forêt, y chercher des champignons et des myrtilles, mais je n’avais pas la moindre idée de ce que cette forêt pouvait représenter dans notre économie nationale. Depuis j’ai appris à regarder. En fait, il y a deux façons de parler de la forêt. La première, en poète, la forêt est une source inépuisable de sensations et d’inspirations et les poètes pensent que les industriels pillent la forêt française et que le territoire de cette forêt est chaque année grignoté davantage. Et puis, il y a les industriels, les économistes, les ingénieurs qui estiment que la forêt est un important patrimoine qui est extrêmement mal exploité et que, contrairement à l’opinion souvent répandue, au lieu de décroître, le patrimoine forestier s’accroît d’année en année et que des régions entières passent de la culture à la forêt … »

Le territoire forestier français couvre actuellement environ 15 millions d’hectares, c’est‑à‑dire 1/4 du territoire national.

15 millions d’hectares (1/4 territoire)

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40% de forêt bien ou assez‑bien entretenue

30 % de forêt dégradée

30 % de taillis

Sur les 40% de forêt assez bien ou bien gérée, nous pouvons être fiers de 15% (forêt des Vosges, Jura, Centre de la France …).

La forêt produit 39 millions (M) de m3 de bois par an.

39 M m3

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19 M de bois d’œuvre (bois de construction, meubles …)

9 M de bois de trituration (bois pour pâte à papier ou agglomérés)

9 M de bois de feu

2 M de bois industriel (poteaux, traverses de chemin de fer …)

La forêt française produit à peu près 2,6 m3 de bois par an et par hectare.

Au début du siècle dernier la France, qui était un des gros producteurs de blé d’Europe, produisait environ 7 à 10 quintaux de blé à l’hectare. Elle était capable avec cette production d’alimenter une population de 20 millions d’habitants.

Aujourd’hui, le minimum de production des terres françaises de blé ou de maïs est de 60, 70 quintaux à l’hectare. La production a donc été multipliée par 7. Pendant ce temps la forêt n’a pas changé.

Au début du siècle dernier on produisait à peu près 2, 3 m3 / hectare. Ce chiffre a peu varié.

Si la génétique agricole a fait des pas considérables en avant depuis le début de ce siècle, la génétique forestière n’a commencé à avancer que depuis 2 ou 3 décades.

La balance commerciale de la France, cette année, sera déficitaire d’à peu près 30 milliards de francs. Sur ces 30 milliards, la filière bois en représente 15 milliards.

La forêt a donc une place importante dans l’économie nationale.

La consommation de pâte à papier est de 3 millions de tonnes par an.

La production française n’est que de 1,9 million de tonnes par an.

Pour fabriquer 1 tonne de pâte (kraft blanchie de fibre longue), il faut environ 4 tonnes de bois. Ceci nous permet de déterminer le coût de bois à la tonne de pâte.

Suède

U.S.A.

Brésil

France

:

:

:

:

1000 F bois/T pâte

700 F bois/T pâte

500 F bois/T pâte

1250 F bois/T pâte

━⠀Nous avons la plus importante forêt du marché commun.

━⠀Nous sommes fiers de nos belles forêts de sapins des Vosges, d’épicéas du Jura, des pins des Landes, des chênes de la Loire.

Comment se fait‑il donc :

━⠀que nous achetions tant de pâte, tant de bois, tant de meubles à l’étranger ?

À cette question, les pouvoirs publics ont essayé de répondre bien sûr et depuis des années, des missions spéciales ont été confiées à d’excellents spécialistes ou à des hommes politiques sérieux. Des rapports ont été produits mais rien n’a pour autant changé.

PRINCIPAUX PROBLÈMES.‑

━⠀La forêt française est entre les mains d’une myriade de propriétaires, 3 millions et demi estime‑t‑on. Si l’on sait que l’O.N.F. contrôle 4 millions d’hectares, qu’il y a quand même de belles exploitations forestières, on peut estimer que 2 millions de propriétaires possèdent moins d’1 hectare de forêt et que 1 million a moins de 2 hectares, on réalise l’éparpillement de notre capital forestier. Il n’est pas rare de trouver des propriétaires qui ne savent même pas où est leur forêt.

━⠀L’extraordinaire importance des taillis qui, à une époque, ont représenté pour le monde agricole et l’industrie naissante le combustible dont ils avaient besoin et qui n’ont presque plus de valeur.

━⠀L’état d’entretien très médiocre d’une grande partie de notre patrimoine.

━⠀Une localisation dans des régions souvent montagneuses, difficiles d’accès, donc inexploitables économiquement.

━⠀Une très basse productivité de notre terre forestière.

Pour une grande partie, on peut, sur le plan du rendement, pour la production à l’hectare, faire le même parallèle que pour le blé ou le maïs.

Le chêne représente 1/3 de notre terre forestière et 1 M d’hectares de chênes produit la même chose que 100 000 hectares de peupliers :

━⠀Une qualité de bois souvent médiocre

Le pin des Landes se vend difficilement en dehors de son marché local (résine et nœuds trop importants).

━⠀Une industrie de sciage encore archaïque, mal organisée sur le plan de la production et encore moins sur le plan commercial.

RÉSULTATS.‑

━⠀Des prix de bois trop élevés pour les industriels.

━⠀Des importations beaucoup trop lourdes.

━⠀« Une économie de la forêt » à repenser complètement en sachant qu’il faut agir longtemps à l’avance même si « l’unité de pensée prospective » est passée de 100 ans à 50 ans et moins.

ALORS QUEL AVENIR ?, QUELLE RÉPONSE ?

Quelle est notre richesse ?

━⠀Une terre forestière importante,

━⠀Un climat favorable,

━⠀Un niveau de recherche de très grande qualité.

Ce dernier point va entraîner une véritable révolution dans l’économie future de la forêt.

Des organismes comme l’I.N.R.A. ou l’A.F.0.C.E.L. ont permis dans les 20 dernières années une amélioration considérable du matériel végétal forestier.

.⠀Alors que depuis toujours on a produit des plants à partir des graines, on est en train de généraliserla pratique du bouturage. Même avec des graines sélectionnées on court de grands risques de planter des arbres médiocres, sans avenir.

Avec des boutures, on reproduit exactement les caractéristiques de l’arbre originel, choisi pour sa beauté et les caractéristiques que l’on recherche (rectitude, croissance rapide, résistance au froid, peu de branches basses, etc …)

On cultive in⠀vitro sur des gels convenablement enrichis en hormones et substances de croissance des méristèmes (les quelques cellules à la pointe du bourgeon) prélevées sur la repousse de l’arbre choisi (un peu rajeuni par taille).

La rhizogenèse (c’est‑à‑dire l’apparition des racines) se passe alors bien et l’on obtient des plants qui donneront des arbres identiques à l’arbre choisi. La création d’hybrides (croisement de 2 espèces sexuellement compatibles) permet d’accroître les caractéristiques recherchées.

Cette technique dans laquelle la France est incontestablement bien placée dans la course mondiale entraîne déjà des améliorations remarquables.

Là où pour une essence donnée on obtient 5 à 10 m3/ha/an, il est désormais concevable de prévoir 25 à 30 m3 de bois de meilleure qualité.

. Depuis toujours on procède à la sylviculture par éclaircie. Par cette méthode, de 2500 arbres on passait, après 30 ans, à 200 arbres.

Ce procédé est très coûteux car ce travail est très difficile.

Maintenant, par un travail de sélection approprié, il est possible de créer des arbres avec peu de branches basses. Dans quelques années il sera possible de planter dès le départ le nombre d’arbres à l’hectare que l’on atteint maintenant après un certain nombre de travaux forestiers très coûteux.

Partant de ces nouvelles techniques on est arrivé, dans le domaine de la papeterie, pour des usines ayant des grosses difficultés d’approvisionnement en bois, à remplacer dans leur zone d’approvisionnement un certain nombre d’hectares de vieux taillis par des plantations modernes à haut rendement. C’est ainsi que dans le Sud‑Ouest on à entrepris la plantation de 15⠀000 ha d’eucalyptus pour l’approvisionnement de l’usine de pâte de St Gaudens. Cette expérience, en bonne voie de réussite (arbres de 2 ans de plus de 3m. de haut) ouvre un débat fondamental.

« Doit‑elle conserver un caractère local, ou peut‑elle être généralisée ? Autrement dit dans le but d’approvisionner les usines à bas prix, est‑il raisonnable que la communauté nationale finance la création de cultures forestières à haute productivité produisant exclusivement du bois de trituration à proximité de ces usines ».

Point de vue des responsables de la forêt française :

Si les usines ne prennent pas le mauvais bois, les déchets, qui les prendra ? Qui fera les éclaircies nécessaires à ces plantations d’après guerre qui vont amener sur le marché d’énormes volumes de bois ? Le risque est d’assister à un étouffement de massifs forestiers entiers faute des éclaircies nécessaires.

Point de vue des écologistes :

« C’est scandaleux, vous allez remplacer nos bonnes et belles forêts à myrtilles et champignons par des cultures forestières sans caractère et dépeuplées ».

Point de vue des industriels :

« La forêt que nous créons est belle. Elle sent bon, elle reste verte l’hiver, alors que les vieux taillis sont, pour la plupart du temps impénétrables. Les forêts nouvelles sont bien tenues et agréables à l’œil ».

CONCLUSION. ‑

1.━⠀Nous avons un capital important qui produit peu. Nous importons beaucoup.

2.━⠀Cela ne peut plus durer.

3.━⠀Des décisions importantes devront être prises sur le plan fiscal en particulier pour que les français ne négligent pas leurs forêts et soient incités au regroupement.

4.━⠀Il convient d’introduire dans le débat forestier les notions essentielles de coût et de productivité.

5.━⠀La génétique forestière va bouleverser la façon d’appréhender l’avenir.

6.━⠀La sylviculture devra évoluer.

⠀Eclaircies

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plantations définitives.

7.━⠀Contrairement à des idées longues à ébranler, les bois poussant vite ne sont pas forcément de mauvais bois d’œuvre.

8.━⠀Notre pays a de très belles possibilités.

Alors forêt des poètes⠀? Forêt industrielle ou même cultures forestières ?

Il faudra savoir conserver ces deux types de forêt ; les premières près des villes ; mais elles coûteront cher, les autres en veillant à un haut rendement.

Mais il ne faudra pas négliger les forêts de montagne indispensables à la conservation des sols.

À la fin de son exposé, Monsieur Vilarem nous a montré quelques diapositives.

Photo 1.Plantation 1 mois (clones) en Haute‑Garonne

Photo 2.Plantation 1 an dans le Gers >

Photo 3.Plantation 2 ans dans les Pyrénées Atlantiques.

Photo 4.- Plantation 3 ans dans le Gers.

Photo 5.- Plantation 4 ans (clones) au Congo

FILM.- LA REVERDIE.‑

Ce film, plein de charme, montre l’agriculteur face au remembrement et la façon dont la plantation de la forêt a été élaborée dans la région du Tarn.

Quelques questions.‑

Avez‑vous des projets pour la forêt méditerranéenne ?

Cette région est très préoccupante. Les scieries ont disparu car le bois y est médiocre.

Un programme de séquoias a débuté il y a 2 ans.

 Que se passe-t‑il dans la forêt des Vosges ?

En Allemagne a été lancée, au printemps 1983, l’alerte sur cette grave atteinte encore mal connue : en effet, par la conjonction du retour au charbon qui donne des fumées chargées de soufre et du dépoussiérage, des fumées sont lâchées de plus en plus haut dans l’atmosphère où interviennent de nouvelles réactions chimiques encore controversées. Les polluants ainsi élaborés sont véhiculés par les précipitations et s’accumulent dans certaines régions de l’Europe Centrale.

Heureusement la situation de la France est plutôt favorable puisque les vents dominants tendent à éloigner les pollutions du territoire national.

L’Institut National de la Recherche Agronomique, qui a mis en place un réseau de surveillance et qui a alerté toutes les directions régionales des forêts, ne signale pour l’heure aucune évolution anormale de l’état sanitaire des peuplements.

D’après vous les chênes doivent disparaître. Qu’adviendra‑t‑il des meubles en chêne … ? N’est‑ce pas aussi un inconvénient du point de vue écologique ?

Nous consommons 3 M de tonnes de bois pour la pâte à papier.

Il faut en moyenne 3 m3 de bois pour 1 tonne de pâte. Il faudrait à la production française environ 10 M de tonnes de bois. Si on les produit avec du « bois moderne » il faudra à peu près 500 000 hectares sur la totalité des 15 M d’hectares français. Il reste donc beaucoup d’hectares pour les chênes ou pour se promener.

Quelles décisions prend l’État pour promouvoir la forêt française ?

Des esprits très brillants ont fait de nombreuses études et écrit de nombreux rapports sur la forêt française.

Aucune décision de fond n’a été prise pour des raisons politiques.

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