MADAME LAVOISIER : LES VICISSITUDES D’UNE FEMME DU SIECLE DES LUMIERES

Thèmes: Sciences, Société                                                                                                                       Conférence du mardi 24 janvier 2023

MADAME LAVOISIER : LES VICISSITUDES D’UNE FEMME DU SIECLE DES LUMIERES

Par Monsieur Alain QUERUEL, ancien chargé de cours à l’université de Paris VII et à l’UTL d’Orléans, spécialiste de l’histoire des sciences, auteur.

INTRODUCTION

Le siècle des Lumières est riche en changements aussi bien politiques que sociaux ou intellectuels. Dans le domaine scientifique des découvertes importantes ont lieu et de nombreux savants font évoluer radicalement leur discipline. Antoine Lavoisier fait partie de ces hommes et sera considéré comme étant le père de la chimie moderne.

Son épouse Marie-Anne Paulze, fille d’un Fermier général, le soutiendra tout au long de sa vie en traduisant certains ouvrages anglais, en l’assistant dans ses expériences et en réalisant de nombreux dessins. C’est également elle qui écrit et publie les mémoires de son mari. A la mort de Lavoisier, le 8 mai 1794, Marie-Anne continue de côtoyer le milieu scientifique en accueillant dans ses soirées des scientifiques. Elle épouse en secondes noces le scientifique américano-anglais Benjamin Thompson, comte de Rumford.

I – Le couple Lavoisier.

Marie-Anne Pierrette Paulze est née à Montbrison (Loire) le 20 janvier 1758. Son père est le Fermier général Jacques-Alexis Paulze d’Yvoy qui dirige le secteur des tabacs. Elle reçoit l’éducation classique d’une jeune fille de la haute bourgeoisie. Elle apprend notamment le dessin et l’anglais ce qui lui sera très utile dans sa vie d’adulte.

A treize ans, son grand-oncle, l’abbé Terray, Contrôleur général des finances, veut la marier au Comte d’Amerval, âgé de cinquante ans. Jacques Paulze, ne craint pas, au risque de compromettre sa fortune, de résister aux volontés de l’abbé dont il dépend en tant que F ermier général. Comme l’abbé persiste dans ses projets de mariage, Paulze décide de marier rapidement sa fille à Antoine Lavoisier afin de la soustraire à ce mariage non désiré. Le mariage a lieu le 16 décembre 1771 à Paris dans la chapelle de l’Hôtel des Finances.

Le marié Antoine Laurent Lavoisier est né le 26 août 1743 à Paris dans une famille aisée et cultivée. Il suit des études de droit mais continue en parallèle à étudier les sciences. En 1764, licencié en droit, Lavoisier est reçu avocat au Parlement de Paris. Resté scientifique dans l’âme, Lavoisier se présente à l’Académie royale des sciences. Parmi les autres scientifiques, son adversaire le plus sérieux est Gabriel Jars, chimiste métallurgique. En mai 1768, ce dernier est élu et Lavoisier est nommé « adjoint-chimiste » en attendant une vacance de poste. Un an après, Jars décède laissant son poste à Lavoisier. L’entrée à l’Académie royale marque pour Lavoisier le début de sa carrière de chimiste à l’âge de 28 ans.

II – La chimie avant Lavoisier.

A la fin du XVIIe siècle apparaît la théorie du phlogistique qui est une sorte d’avatar de l’alchimie qui explique la calcination des métaux par un principe proche de la métaphysique.

On a longtemps cru que la chaleur était constituée d’un fluide que l’on avait nommé le phlogistique. On peut l’associer au feu. La perte de masse résultant d’une combustion était attribuée au départ du phlogistique, la masse qui partait étant de la chaleur.

Les bases du phlogistique avaient été jetées par Jean Rey (1583-1645) puis soutenue par l’Allemand Georg Ernst Stahl mais l’ensemble restait bancal laissant de nombreux éléments inexpliqués.

Vers le milieu du XVIIIe siècle de nombreuses expériences se trouvent en contradiction avec la théorie du phlogistique. On essaye alors de la sauver en introduisant un phlogistique impondérable ou même à poids négatif mais ce sont les travaux de Lavoisier et son mémoire « Réflexions sur le phlogistique, pour servir de suite à la théorie de la combustion et de la calcination  » qui remettent en cause le phlogistique. Cependant cette théorie ne sera définitivement abandonnée que 25 ans plus tard. En effet, en 1784, Richard Kirwan (1733-1812) publie une violente attaque contre les travaux de Lavoisier. C’est Madame Lavoisier qui traduira cet ouvrage dont le titre français est « Essai sur le phlogistique » et dont elle écrira une longue préface. Par ailleurs, la conversion des contemporains de Lavoisier sera progressive ; les premiers seront les mathématiciens, suivis par les chimistes.

III – L’œuvre scientifique de Lavoisier.

Les expériences de Lavoisier sont parmi les premières expériences chimiques véritablement quantitatives jamais exécutées. On passe ainsi de l’alchimie à la chimie. Ces expériences ont été des preuves à la base de la loi de la conservation de la matière. On attribue d’ailleurs à Lavoisier la célèbre maxime « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».

En 1770 Lavoisier travaille sur l’eau. Dans le cadre de recherches sur la production d’hydrogène, élément découvert par Cavendish, il réussira la synthèse de l’eau à partir d’hydrogène et d’oxygène.

Lavoisier travaille aussi sur l’air, et alors que Priestley découvre l’oxygène, le Français détermine la composition exacte de l’air atmosphérique en 1777.

Au début des années 1780, il définit avec Pierre-Simon de Laplace (1749-1827) un troisième état de la matière : l’état gazeux.

En 1786, sous l’impulsion de Guyton de Morveau (1737-1816) qui veut doter la chimie d’un langage rationnel, Lavoisier, Berthollet et Fourcroy participent à la mise en place d’une nomenclature chimique qui sert de base au système moderne.

IV – Lavoisier et son temps.  

Si Antoine Lavoisier est passé à l’histoire comme le père de la chimie moderne, c’est un savant de son temps qui s’intéresse à de nombreux domaines : biologie, agronomie, économie etc., et il assure plusieurs fonctions.

Entre 1775 et 1788, Antoine Lavoisier est régisseur des Poudres. Lors du conflit entre la France et l’Autriche, la France avait manqué cruellement de poudre pour ses armes et une réforme s’imposait. Le ministre Turgot approuve le projet de Le Faucheux, soutenu par Lavoisier. Ce dernier participe ainsi à la création en 1775 de la Régie royale des poudres et salpêtres. Lavoisier en tant que régisseur est logé dans un hôtel du Grand Arsenal où il aménage un laboratoire. Jouissant d’un grand confort et de bons revenus, il investit de grandes sommes dans l’achat d’instruments très fiables : gazomètres, balances de précision, séries de poids. Ces instruments vont lui permettre de faire des mesures très fines et ainsi de confirmer sa loi de la conservation de la matière.

Ses travaux permettent l’amélioration de la qualité de la poudre et il crée un nouveau procédé de production de salpêtre. Grâce à la mise en place de sa politique globale, les volumes de salpêtre produits doublent en dix ans et la poudre française devient la meilleure d’Europe. En 1788, le chimiste Claude Berthollet démontre que le chlorate de potassium a des propriétés oxydantes et Lavoisier songe à l’utiliser à la place du salpêtre pour augmenter la puissance de la poudre. Malheureusement lors de la fabrication expérimentale de cette nouvelle poudre une explosion se produit tuant notamment le directeur de la poudrerie. D’autres explosions auront lieu, notamment en 1794 celle de la poudrerie Grenelle qui utilisait de grandes quantités de nitrate.

En 1778 Lavoisier décide de se lancer dans une expérience d’agronomie scientifique, notamment en matière de fertilisation, pour tester ses thèses en économie agraire. Il applique ses thèses dans son domaine de Freschines près de Blois. Il détermine aussi le revenu net de l’agriculteur.

Lavoisier côtoie Pierre Samuel Du Pont (1739-1817) appelé auprès de Turgot afin de mettre en place des réformes économiques et structurelles. Pierre Samuel Du Pont est le fils d’un artisan horloger qui refuse de suivre les traces de son père. Il se passionne pour l’économie et adhère au courant physiocrate. Il fait partie du cercle des amis de Lavoisier et tombe amoureux de Madame Lavoisier. Bien qu’ils aient eu une longue relation épistolaire et qu’ils se soient fréquentés régulièrement, il n’est pas prouvé qu’ils aient été amants. Ayant rédigé un important traité avec l’Angleterre, Pierre Samuel Du Pont est anobli par Louis XVI et il devient Du Pont de Nemours. A la veille de la Révolution il est député du Tiers-État et grâce à un prêt de Lavoisier il ouvre une imprimerie. Il participe avec son fils Eleuthère Irénée à la défense du Roi lors de la journée du 6 août 1792. Persécuté durant la Terreur, il se cache mais las, il finit par rentrer chez lui et se fait arrêter. Il échappe à la guillotine grâce à une erreur de la Poste. Sous le Directoire il se rebelle à nouveau et évite le pire grâce à Mme de Staël. En 1799 il émigre aux Etats-Unis où un de ses fils est consul. Il crée diverses sociétés mais ce sera un fiasco excepté l’usine qu’il fonde avec son fils cadet, Eleuthère Irénée, élève chimiste de Lavoisier. Cette fabrique de poudre sera à l’origine de l’entreprise E.I du Pont de Nemours and Company, devenue de nos jours DuPont, un des plus grands groupes de chimie du monde. Pierre Samuel Du Pont rentre en France et devient secrétaire général du gouvernement de Louis XVIII. Au Cent Jours, il s’installe définitivement aux Etats-Unis.

Lavoisier est aussi très actif dans l’unification des unités de poids et de mesures au sein de la Commission des poids et mesures. Cette Commission formée de Lavoisier, Condorcet, Borda, Lagrange, Tillet, Laplace et Monge a un triple objectif : utiliser un phénomène physique universel pour définir l’unité de base, adopter la division décimale et réunir toutes les unités de mesure dans un système cohérent.

Quand le Roi convoque les Etats Généraux en novembre 1788, Lavoisier déjà célèbre, est chargé par la noblesse de l’Orléanais de rédiger leur cahier de doléances.

En 1791 alors qu’il s’était prudemment retiré de la politique, Lavoisier participe à l’établissement d’une nouvelle fiscalité. Depuis la Révolution l’état des finances de la France s’aggrave de mois en mois et des assignats sont mis en circulation, dont la valeur est basée sur les biens confisqués. Bien que Lavoisier mette en garde contre l’émission massive de ces bons, les assignats sont émis massivement et ils ne vaudront rapidement plus rien. Lavoisier en préconisait un seuil de 900 millions, il en fut émis …45 milliards.

En 1793, alors qu’il est toujours administrateur à la Ferme générale, Lavoisier est pris dans la tourmente de la Terreur et il est arrêté. Tous les Fermiers généraux sont emprisonnés, non seulement Lavoisier, mais aussi son beau-père Paulze. Le 8 mai 1794, après un procès expéditif, il est guillotiné avec trente autres Fermiers généraux. Madame Lavoisier perd le même jour son mari et son père. On peut expliquer cette exécution par plusieurs éléments : la Ferme générale symbolisait la royauté et l’oppression du peuple ; l’Académie royale des sciences rappelle la monarchie ;  la haine de Murat pour Lavoisier et dans une moindre mesure la maladresse de Mme Lavoisier.

V – Madame Lavoisier devient Madame de Rumford.

Pendant les années qui suivirent l’exécution des fermiers généraux, Madame Lavoisier s’employa surtout à poursuivre l’œuvre entreprise par son mari et à publier les mémoires de ce dernier.

Après avoir récupéré ses biens sous la Convention, Anne-Marie Lavoisier reçoit dans son hôtel particulier de grands hommes de science dont le Comte de Rumford. Benjamin Thompson est né en Amérique en 1753 et se bat du côté anglais lors de la guerre d’indépendance américaine. Il rentre en Angleterre et devient membre de la Royal Society. Rumford crée un thermoscope et un photomètre. En plus de ses travaux en physique, il apporte de nombreuses réformes sociales notamment en développant le concept de soupe populaire.  Il s’était employé à perfectionner les foyers et les cheminées afin de réduire les coûts de cuisson et cherchait à réaliser des soupes gustatives, salubres et nutritives avec de la pomme de terre dont il avait fait la promotion. Ces soupes caritatives sont très populaires, ainsi celle située rue du Mail à Paris servait environ 800 soupes par jour. Le financement de ces soupes dites « soupes Rumford » était assuré grâce le mécénat ou par le gouvernement.

Madame Lavoisier épouse le Comte de Rumford le 22 novembre 1805 mais leur couple est instable ils se séparent quatre ans plus tard, sans enfants.

Madame Lavoisier continue de tenir son salon où des personnalités de son temps se rencontrent. Elle meurt subitement le 10 février 1836 à l’âge de 78 ans.

Le couple Lavoisier n’avait pas de descendance. L’exécutrice testamentaire de Mme Lavoisier est Mme de Chazelles ; lors de l’ouverture du testament on trouvera trois tabliers maçonniques dont on ne sait toujours pas à qui ils appartenaient.

CONCLUSION

Anne-Marie Paulze en devenant l’épouse d’Antoine Lavoisier partage l’intérêt de son mari pour la science. Sa maîtrise de l’anglais lui permet de traduire plusieurs ouvrages scientifiques. Élève du peintre David, elle réalise de nombreuses planches et dessins pour les ouvrages de son mari. Elle prend aussi des notes et collabore activement aux publications de Lavoisier. Passionnée de science, elle tiendra un salon jusqu’à sa mort.

Bibliographie :

  • Antoine Laurent de Lavoisier (1743-1794). Un chimiste dans son siècle par Alain QUERUEL, Editions Anovi, collection « Vitae »
  • Du bas de soie au bas nylon. Les du Pont de Nemours par Alain QUERUEL, Edition La Bisquine

 

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