LA CONSCIENCE EST-ELLE L’APANAGE DE L’HOMME ?

Thème : SCIENCES NATURELLES ET SOCIETE                                                                                                                        Mardi 2 décembre 2003 

LA CONSCIENCE EST-ELLE L’APANAGE DE L’HOMME ? ou « à quoi pensent les animaux ? »

Par Jean-Claude NETTER – Docteur en Médecine

et Pierre RECULARD –  Docteur Vétérinaire et Biologiste

Après avoir ensemble reconnu que, si on excepte la pensée métaphysique, la conscience est un phénomène très répandu dans le règne animal, les orateurs se sont efforcés d’en saisir les mécanismes et les manifestations. Mais d’abord, qu’est-ce que la conscience ?

D’une façon générale, c’est l’ensemble des relations qui s’établissent entre un être vivant et le milieu environnant. S’agissant de l’homme, on dit  » je sais que je pense, donc je suis « . Mais ce raccourci très restrictif ne tient pas compte du très large éventail des comportements chez les animaux, depuis les animaux invertébrés, jusqu’aux mammifères supérieurs. Pour en rendre compte, il nous faut nous baser sur les acquis de la neuro­biologie. Ainsi, pour les neurobiologistes, la conscience est une fonction biologique complexe dont on distingue deux niveaux

Premièrement :

La conscience dite primaire, très répandue, des invertébrés jusqu’à l’homme, que l’on peut comparer à une horloge qui régule les grandes fonctions vitales : la respiration, le rythme cardiaque, l’appétit, etc. Chez les vertébrés, elle siège au niveau du cerveau inférieur et elle est à l’origine de comportements dont nous ne sommes pas vraiment conscients au sens habituel du terme : c’est le cerveau olfactif et le cerveau émotionnel. D’autre part, la conscience primaire induit une mémoire à court terme immédiate, et elle permet une catégorisation perceptive du monde.

Deuxièmement :

La conscience dite supérieure qui n’existe que chez les vertébrés ; elle a pour substrat le cortex cérébral. Elle interagit avec la conscience primaire, et, grâce à un réseau extrêmement complexe de fibres nerveuses, elle induit une mémoire à long terme et une catégorisation des évènements qui n’est plus seulement perceptive mais conceptuelle. Ce sont ces concepts qui sont à la base du développement de l’intelligence et de la vie en société chez les animaux.

Ces étapes du développement de la conscience au cours des âges expliquent bien la grande diversité des comportements animaux. Cependant l’interprétation de ces comportements est toujours difficile et sujette à l’erreur car il manque, entre les animaux et nous les hommes, le support linguistique sans lequel on ne peut pas accéder aux états subjectifs de la pensée animale. D’où la nécessité de recourir à des observations et à des expérimentations selon une méthodologie rigoureuse en évitant de verser dans l’anthropomorphisme.

Parmi les questions posées :

1° les animaux sont-ils soumis à des instincts ? Eprouvent-ils des émotions ? Eh oui ! Comme nous les êtres humains, et tous ces comportements qui procèdent de la conscience primaire sont donc des comportements irréfléchis. Chez les animaux invertébrés comme chez les vertébrés, nous avons la même vision perceptive du monde. Quant aux émotions, elles ont pour objet d’engendrer des réactions utiles.

2° peut-on dire qu’il y a des animaux plus ou moins intelligents et comment apprécier leurs facultés mentales ? Les formes et les degrés de l’intelligence varient selon les espèces, de même que pour nous, les hommes, le degré d’intelligence varie aussi entre les individus d’une même espèce.

Alors différents critères peuvent être choisis pour apprécier les facultés mentales. En voici quelques-uns :

Les objets :

La catégorisation perspective du monde qui nous environne permet à un grand nombre d’animaux de reconnaître et de mémoriser les objets, qu’ils peuvent également garder présents à l’esprit lorsque ceux-ci se déplacent et sont hors de leur vue. En revanche, seuls les animaux supérieurs capables de concepts utilisent les objets comme outils. De nombreuses espèces d’oiseaux et de mammifères ont cette faculté. Ainsi les chimpanzés, qui utilisent une grosse pierre plate comme enclume et une petite pierre comme un marteau pour casser les noix. Les outils servent souvent à des fins alimentaires. Mais il y en a d’autres qui servent au toilettage et au grattage mutuel, chez les singes par exemple. Cela étant, il n’est pas prouvé du tout que les animaux, même les singes supérieurs, peuvent perfectionner un outil, encore moins en créer. Ils sont comme les bébés humains âgés d’environ deux ans.

Autre critère : les nombres.

On ne peut pas dire que les animaux savent compter en faisant de l’arithmétique. Cependant, on sait qu’ils ont une perception approximative des nombres, en distinguant entre un, deux ou plusieurs, et cela par différence avec rien. Cela a été très bien observé dans la nature, s’agissant de la défense ou de l’attaque chez les animaux qui vivent en groupe, ce que l’on appelle les phénomènes de coalition, et c’est uniquement au contact de l’homme et par dressage que des oiseaux ou des mammifères ont appris à compter. Jusqu’à une dizaine d’objets. Un chimpanzé a même compté jusqu’à douze objets, en utilisant des chiffres arabes comme symboles. Ce fait est très exceptionnel car les animaux ont une difficulté extrême à intégrer les symboles. En cela ils sont aussi comparables à des enfants âgés de deux à trois ans.

Troisième critère : l’orientation.

Dans ce domaine, beaucoup d’animaux surpassent l’homme. On sait en effet qu’ils sont dotés d’une faculté mentale leur permettant une représentation spatiale extrêmement précise et adaptée à chaque espèce. Le siège en est l’hippocampe situé dans le rhinencéphale, partie de la conscience primaire. Cette faculté d’orientation est très développée chez les oiseaux migrateurs, mais aussi chez beaucoup d’autres espèces d’oiseaux, et chez de nombreux mammifères, les poissons, et même les insectes. Non seulement la vue participe à l’orientation, mais aussi, bien d’autres sens : l’odorat, le toucher, l’ouïe, le goût, etc.

Quatrième critère : La reconnaissance de soi et des autres.

S’il est certain que tous les animaux vertébrés ayant une reproduction sexuée peuvent se reconnaître entre eux, par des liens de familiarité et par attirance qui obéit à des lois de la génétique, il n’en est pas de même pour la reconnaissance de soi. De nombreuses expériences ont été pratiquées sur des singes au moyen du miroir. Elles montrent en effet que seuls les singes anthropoïdes ont une connaissance précise de leur enveloppe corporelle sans que l’on puisse affirmer pour autant qu’ils comprennent le sens profond du  » moi je « . Il faudrait pour cela qu’ils aient une réflexion sur eux-mêmes.

Comment la vie sociale des animaux est-elle organisée ? Les poissons, les oiseaux, les mammifères qui ont une vie sociale se rassemblent par groupes, clans et familles. Ces sociétés sont hiérarchisées. La hiérarchie est très importante chez les singes, par exemple. On distingue les individus dominants, de ceux qui sont dominés. Les lions se regroupent en fratries, avec un mâle dominant. Les loups en meutes avec un couple dominant. Chez les dauphins ou les éléphants, ce sont les femelles qui sont généralement dominantes. Mais quelle que soit l’espèce, tous les comportements ont pour objet de favoriser la survie du groupe. D’où une coexistence pacifique qui s’exerce par des phénomènes de réconciliation après un conflit éclatant entre dominants et dominés. D’où également une solide entraide entre les membres d’un même clan.

La nourriture et la reproduction occupent l’essentiel de la vie sociale. Certains animaux sont monogames, d’autres polygames. Le plus souvent, ce sont les femelles qui prennent soin de leurs petits. Il existe aussi d’autres formes d’élevage : des nurseries par exemple chez les éléphants, les hippopotames, ou les singes. Les jeunes quittent leurs parents dès qu’ils peuvent survivre sans leur aide, et ils vont ailleurs. Ce qui explique que l’inceste est très rare dans la nature. Remarquons aussi que, chez les animaux qui vivent dans leur milieu naturel, l’homosexualité n’existe pas en tant que déviation mentale.

Toute cette vie sociale s’est développée grâce aux moyens de communication. On remarque que tous les animaux communiquent entre eux, depuis les insectes jusqu’aux mammifères supérieurs. Selon quatre modes : gestuel, sonore, chimique, et physique. Dans le domaine sonore, les chants des oiseaux sont très remarquables. Ils peuvent composer une multitude d’arrangements avec une quarantaine de signaux sonores. Cependant ce langage, qui ne comporte ni grammaire ni syntaxe, est fondamentalement différent du langage humain. Au contact de l’homme, certains animaux peuvent comprendre des mots, voire des phrases, mais jamais dans leur milieu naturel. Les animaux, même les singes anthropoïdes, n’utilisent pas de symboles pour s’exprimer. Cependant dans leur milieu naturel, et cela sans intervention de l’homme, les animaux sont capables d’apprentissage. Apprentissage soit par tâtonnement ou déduction, soit par imitation ou enseignement au contact de leurs proches. Si l’imitation est la méthode la plus répandue, l’enseignement, plus rare, est la méthode la plus complète. Elle est prodiguée par la mère à ses petits, tel par exemple, chez les fauves, l’apprentissage de la chasse.

Quatrièmement :

Mais les animaux qui ont une intelligence conceptuelle, ont-ils des comportements conformes à une morale ?

Les comportements des animaux obéissent à des règles ayant pour seule finalité d’assurer au mieux leur survie et leur reproduction, sans que l’on puisse leur reconnaître ce que nous considérons comme la conscience du bien ou du mal. Et c’est pour leur survie que beaucoup d’espèces pratiquent l’altruisme entre eux. Pourtant ils sont comme nous, sensibles à l’amour ; ils éprouvent du chagrin, de la colère, de la joie, etc. Beaucoup ont conscience de la mort. Certains même, comme les éléphants ou les singes supérieurs, pratiquent des rites mortuaires.

Mais que ressentent-ils au plus profond d’eux-mêmes ? Nous n’avons pas la réponse, car faute d’un dialogue entre eux et nous, comment savoir ce que l’animal pense en regard de son moi ? Ce que l’on sait en tout cas, c’est que la conscience biologique s’est développée chez les animaux au cours de l’évolution des espèces. Depuis les espèces les plus primitives jusqu’aux chimpanzés, dont les adultes atteignent les facultés mentales d’un enfant de deux à trois ans. Ainsi l’animal d’aujourd’hui, pourrait-on dire, est peut-être l’homme d’hier, et l’on peut aussi conclure par ces mots : pour l’homme,  » je pense donc je suis  » et pour l’animal : « je suis donc je pense ».

En savoir plus …

Coté Livres :

Les émotions primordiales et l’éveil de la conscience

Auteur : Derek Denton

Editeur : Flammarion

ISBN: 2082102920

http://www.amazon.fr/%C3%A9motions-primordiales-l%C3%A9veil-conscience/dp/2082102920

L’émergence De La Conscience – De L’animal À L’homme

Auteur : Derek Denton

Editeur : Flammarion

http://www.priceminister.com/offer/buy/263646/Denton-La-Conscience-Des-Hommes-Et-Des-Animaux-Livre.html

La Plus Belle Histoire des animaux

Auteur : Pascal Picq

Editeur : Seuil

http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/france_829/label-france_5343/les-numeros-label-france_5570/lf41-les-ntic_11507/lettres_11542/actualite-livres_11546/un-nouveau-regard-sur-les-animaux_22475.html

Coté Web :

http://bibliodroitsanimaux.site.voila.fr/thomasregan26.html

http://www.cahiers-antispecistes.org/spip.php?article156

http://www.philagora.net/dissert2/aniconsc.htm

http://sergecar.club.fr/forum/forum44.htm

http://www.droitsdesanimaux.net/tribune/david_dda_1.html

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