LA SCIENCE FRANÇAISE AU XIX° SIECLE – DAVAINE et CIVIALE

Thème : MEDECINE ET SCIENCES NATURELLES                                                                                                                          Mardi 21 février 2006

La Science Française au XIX° Siècle – DAVAINE et CIVIALE

Par Claude DARRAS – Président honoraire de la Société Française d’Optique Physiologique

Avant-propos

La commission permanente du CDI m’a demandé de raconter la vie de deux garchois, célèbres au XIX° Siècle, Casimir DAVAINE et Jean CIVIALE. Célébrité qui aujourd’hui ne dépasse pas les limites de notre commune!

Ils ont vécu dans un siècle qui fut prodigieux par l’essor extraordinaire des sciences et des techniques. Un aspect historique que nous avons en partie oublié parce que le XXème siècle a connu tellement d’applications industrielles que les découvertes du siècle précédent ont été oblitérées. Alors qu’elles furent essentielles pour tout ce qui arriva par la suite.

C’est pourquoi pour mieux comprendre dans quel environnement vivaient ces deux médecins, je vais d’abord dresser un tableau des sciences et techniques au début du XIX° siècle. Vous ne m’en voudrez pas d’insister un peu sur ma spécialité, l’optique, mais les progrès de la médecine sont étroitement liés à l’invention et l’amélioration des microscopes. Ces instruments furent à la biologie ce que les télescopes furent à l’astronomie. Par exemple, sans eux comment aurait-on pu découvrir les microbes? Nous allons en parler, évidemment.

Vous remarquerez que si l’évolution des techniques a été très rapide, celles des sciences fut plus difficile parce qu’elles imposaient souvent des idées nouvelles que l’on n’acceptait pas. C’est ainsi que Casimir DAVAINE a galéré alors Jean CIVIALE a connu le succès très tôt car il ne mettait pas en cause des dogmes erronés mais parfois millénaires!

Mais d’abord transportons-nous au début du XIX° siècle…

DAVAINE et CIVIALE

En cherchant quelques documentations sur le sujet d’aujourd’hui j’ai trouvé cette phrase, extraite d’une « Histoire du Monde » éditée par Larousse:

« Après la chute d’un empire, qui semblait tout puissant, après l’exil de son maître sur une île perdue dans l’Atlantique, paradoxalement nous assistons à un triomphe, celui de la science ».

On pourrait en déduire que les quinze premières années du siècle n’ont rien apporté au monde scientifique!

Au contraire, il faut reconnaître à Napoléon le mérite de n’avoir jamais négligé le rôle des savants dans la société. Lui-même se considérait comme un excellent mathématicien et physicien; il fut d’ailleurs, en 1897, nommé « membre de l’Institut » à la place de Lazare CARNOT, dans la section mécanique de 1ère classe. Il n’avait que 28 ans. Pour la campagne d’Égypte il s’est entouré de tout ce que la France possédait de chercheurs dans les domaines les plus variés. Tels qu’un mathématicien, MONGE, un chimiste, BERTHOLET, un naturaliste, GEOFFROY SAINT-HILAIRE, un architecte, LEPERE, etc. … qui l’ont accompagné dans cette expédition. Au total cent soixante-sept savants, ingénieurs, imprimeurs et artistes furent du déplacement. Ensuite, pendant tout son règne, Napoléon n’a jamais cessé d’avoir des contacts personnels avec les savants pour les encourager et faciliter leurs recherches. On garde en mémoire les discussions cosmologiques qu’il a eues avec LAPLACE qu’il invitait souvent à déjeuner avec MONGE ou d’autres savants. Il appréciait tellement ce mathématicien et astronome qu’il le nomma Ministre de l’Intérieur au lendemain du 18 Brumaire alors que MONGE était placé au poste de Ministre de la Marine. On se souvient qu’avec MONGE en 1794, LAPLACE avait fondé l’École Polytechnique.

Napoléon s’intéressa beaucoup à cette école et l’organisa de façon militaire. Il lui donna un drapeau sur lequel était inscrit:  » Pour la Patrie, les Sciences et les Arts ». Polytechnique devint immédiatement célèbre pour l’excellence de son enseignement.

Un autre événement nous montre grand intérêt de Napoléon pour les sciences. Alexandre VOLTA, en décembre 1799, avait obtenu du courant électrique avec une pile de son invention. Il vint à Paris, le 7 novembre 1801, exposer sa théorie à l’Académie des Sciences, que l’on appelait alors la  »première classe de l’Institut ». Bonaparte, premier Consul, assiste à la séance. Il est tellement convaincu de l’importance de la découverte qu’il fait décerner à VOLTA une médaille d’or, le reçoit aux Tuileries et lui commande une énorme pile formée d’un grand nombre d’éléments donnant 500 volts. Nos physiciens, comme Charles de COULOMB, François ARAGO puis André Marie AMPERE pouvaient enfin disposer d’une bonne source d’énergie électrique.

Une histoire plus extraordinaire nous montre l’intérêt de l’empereur pour les sciences. Nous sommes en 1807, avec anglais les relations sont très tendues; pourtant Napoléon fait venir à Paris Humphrey DAVY qui venait d’isoler le potassium par électrolyse. Il envoya un vaisseau chercher l’illustre savant et le reçut avec des honneurs presque royaux. L’Institut de France décerna à DAVY le grand Prix des sciences physiques. Napoléon lui demanda de refaire devant lui ses expériences et le renvoya outre-Manche avec plein de cadeaux, malgré le blocus.

Par ailleurs ce blocus a obligé les Français, pour concurrencer l’Angleterre, faire preuve d’imagination afin d’explorer au mieux les découvertes de nos savants et de nos techniciens. Par exemple, comme à partir de 1806 on ne pouvait plus recevoir du sucre de canne, Benjamin DELESSERT lance la fabrication du sucre avec des betteraves, ce qui lui vaut le titre de Baron d’Empire. Une anecdote qui n’est pas très connue: Napoléon s’adressant à Christophe OBERKAMPF, le fondateur de manufacture de Jouy-en-Josas, lui dit un jour: « Vous et moi faisons bonne guerre aux Anglais, vous par votre industrie, moi par mes armes. C’est encore vous qui faite la meilleure ». Pour donner raison à I’Empereur, OBERKAMPF installa à Essonnes la première filature de coton française.

   Napoléon s’est trompé quand même quelques fois en sous-estimant certaines inventions. C’est ainsi qu’apprenant à Sainte Hélène que les anglais et les américains faisaient marcher des bateaux à la vapeur, il regretta amèrement d’avoir un jour éconduit un mécanicien américain qui vivait en France, Robert FULTON. Celui-ci, en 1803, avait construit un bateau à vapeur qui avait remonté la Seine pendant une heure et demie. Mais le gouvernement français n’y porta aucun intérêt et le Premier Consul déclara que FULTON était  »un charlatan et un aventurier ». Celui-ci,   découragé, alla avec succès faire profiter les américains de ses services. Quand il mourut en 1815, plus de cent navires à vapeur sillonnaient les fleuves et les grands lacs des Etats-Unis. Rappelons que FULTON avait auparavant, en 1801, fait naviguer à Brest un véritable sous-marin qu’il avait baptisé  »Nautilus ».

A part quelques lacunes il n’empêche que, dès le Directoire, les progrès s’enchaînent, dans un climat très favorable. Depuis les encyclopédistes on prônait  »une instruction publique de toutes les sciences » au dépend de l’enseignement des lettres  »qui n’ouvrent sur rien », disait-on. Les découvertes du XVIIIème siècle dont certaines étaient très théoriques et souvent contestées, sont pour la plupart dorénavant confirmées et surtout exploitées… et cela est nouveau. Beaucoup mieux qu’aux siècles précédents, connaissances acquises permettent à l’industrie naissante de développer des techniques nouvelles qui elles mêmes sont sources de progrès scientifiques. C’est l’immense avantage de la réciprocité sciences – techniques. Les savants commencent à ne plus pouvoir se passer des ingénieurs, collaboration qui ne fera que se confirmer jusqu’à nos jours. Un exemple: c’est parce que nos métallurgistes fabriquaient des aciers de plus en fins et résistants que les chirurgiens pouvaient disposer d’instruments de meilleure qualité, autorisant des interventions plus précises. C’est l’origine de la  »pince de Civiale » comme nous verrons tout à l’heure. C’est parce que les verriers fabriquaient des matériaux plus précis que les sciences de l’optique faisaient d’énormes progrès. Autre exemple, l’amélioration de la connaissance du vide a permis à Lucien VIDIE de réaliser le premier baromètre anéroïde, en 1843, analogue aux baromètres que désormais nous avons tous chez nous.

C’est également à la fin du XVIIIème et au début du XIXème que     l’électricité devient un élément incontournable des expériences scientifiques et va bouleverser le travail des laboratoires.  Il a suffit de trente ans, de GALVANI à AMPERE, pour que les lois de l’électricité soient définies. Alors que cette électricité n’était souvent, au siècle précédent qu’un amusement de salon aux mains de ceux qu’on appela plus tard les « électriciens bricoleurs », elle va devenir omniprésente dans les méthodes de recherches dans le monde de l’industrie et de l’éclairage. En 1844, Léon FOUCAULT améliorant électrique inventé par Humphrey DAVY fait une première tentative d’éclairage de la place de la Concorde qui était éclairée depuis quelques années par le gaz de LEBON. Nous devons à un jeune physicien français, Gaston PLANTE, oublié aujourd’hui, une invention remarquable : à 25 ans, en 1859, il fabriqua la première pile réversible à qui on donna le nom d’accumulateur. Quelques années plus tard, un belge qui fit toute sa carrière en France, Zénobe GRAMME, associé à un ingénieur, Hippolyte FONTAINE, inventa la dynamo… En 1869, Marcel BOURBOUZE construit un remarquable moteur électrique pour la faculté des sciences de la Sorbonne. Cette même année Jules VERNE imagine de faire naviguer le Nautilus par des moteurs électriques d’une puissance qui ne fut obtenue que plus tard. On peut dire que bien avant la fin du siècle, nous étions prêts à rentrer dans le monde du « tout électrique »…

 Autre invention qui apporter aux savants un outil extraordinaire: la photographie. En 1827, Nicéphore NIEPCE réalise sur une plaque d’étain la première photo. Puis Jacques DAGUERRE perfectionne la chambre noire. En 1839 le Ministre de l’Intérieur déclare:  » C’est découverte aussi utile qu’inespérée et il importe, dans l’intérêt des sciences et des arts, de pouvoir la livrer à la publicité ».

A cette date on avait déjà adapté une chambre noire à un microscope. En 1843, on parvient à photographier un insecte agrandi cent fois. En 1873, Jules LUYS publie 70 planches photographiques de coupes de cerveau. Voici un chiffre qui certainement va beaucoup vous surprendre: en 1860, l’industrie de la photographie fait vivre plus de 30.000 personnes dans la seule ville de Paris! L’astronomie va bénéficier également de cette nouvelle technique d’observation, d’autant que la lenteur des émulsions de l’époque n’était pas un obstacle pour les objets célestes. On avait le temps de pause nécessaire si l’on prenait la précaution de compenser la rotation de la terre par un système d’horlogerie. De cette manière, dès 1850, en Europe et en Amérique, on obtient de bonnes photos de lune, puis des éclipses, de la couronne solaire… Comme l’a dit l’astronome Jules JANSSEN, la photographie est devenue la véritable « rétine du savant ».

D’autres disciplines scientifiques sont aussi en pleine évolution, la chimie par exemple. Après LAVOISIER, Louis Joseph GAY-LUSSAC, Claude BERTHOLLET, Nicolas VAUQUELIN et autres chimistes qui vont donner à cette spécialité l’élan qui lui permettra de ne pas rester en arrière des progrès des autres sciences et d’avoir des applications pratiques. Par exemple le gaz d’éclairage que Philippe LEBON a fait breveter en 1799. Ce pauvre LEBON n’eut pas de chance: pour le remercier de son invention et de ses premières réalisations d’éclairage public, Napoléon l’avait invité aux cérémonies du sacre, le 2 décembre 1804; sur le chemin qui l’amenait à la cathédrale des rôdeurs l’assassinèrent, il n’avait que 35 ans. On n’a jamais élucidé les circonstances de l’attentat. Un autre chimiste fut très célèbre pendant tout le siècle, Eugène CHEVREUL qui vécu 103 ans et dont les travaux sur les corps gras débouchèrent sur la fabrication des savons et l’invention des bougies stéariques, en 1823.

Je n’oublierai pas les instruments d’optique qui vont connaître au XIXème siècle des progrès remarquables. Deux noms émergent dans ce domaine: Gustave FROMENT un des plus habiles constructeurs d’instruments de précision et la famille NACHET dont nous reparlerons.

Tous ces progrès dans le domaine des sciences ne pouvaient aboutir sans une évolution parallèle et explosive des mathématiques avec LAGRANGE, LAPLACE, MONGE, FOURIER, GALOIS, POISSON, etc. … pour nous limiter aux premières années du siècle.

Très important également, la circulation des informations, en Europe puis en Amérique, qui va permettre l’échange des communications scientifiques. Par exemple dans les trente premières années du siècle il se crée plus de revues spécialisées que dans tout le XVIIIème siècle. Ces publications sont favorisées par les progrès de l’imprimerie: en 1800, grâce à la presse STANHOPE on imprime à une cadence de 250 feuilles à l’heure. En 1810 on en  obtient 400, puis plus de 1000 en 1812. Deux ans après invente une machine qui imprime en une seule fois le recto et le verso d’une feuille. En moins de vingt ans les possibilités de publications étaient décuplées. Or vous connaissez le dicton:  »Un savant qui ne publie pas est un savant qui ne sert à rien! ».

Ensuite le chemin de fer va jouer un rôle très important par la facilité de déplacement des personnes et des marchandises. Pensez qu’en 1800, pour aller vite on ne disposait que des chevaux et qu’avant la fin du siècle une locomotive dépassait les 100 kilomètres à l’heure! Un autre exemple de développement des communications: en 1850 il y avait 2000 kilomètres de ligne télégraphiques;   vingt ans plus tard on en comptait 50000! A la même époque on avait mouillé des câbles sous-marins traversant la Manche et l’Atlantique.

     Autre élément qui dynamise les travaux des savants, que leurs réussites stimulent non seulement l’économie du pays, comme nous venons de l’expliquer, mais permettent des applications pratiques hors des frontières ce qui va donner un essor considérable à l’industrie Après la chute de Napoléon, français et anglais vont cesser de se faire la guerre et mieux collaborer. Cependant les industriels britanniques ont de l’avance sur nous car le système anglais, déjà capitaliste, favorise davantage l’innovation technique grâce aux banques et aux investisseurs privés. La maîtrise de la vapeur puis des machines électriques, négligée au départ par les français, permet aux anglais des fulgurants progrès, plus que chez nous ; mais cette évolution industrielle sera à l’origine d’un nouveau groupe social: la classe ouvrière.

Les sciences de la vie ne sont pas les dernières à bénéficier de cet essor scientifique. Et c’est bien la France qui va jouer un rôle primordia1 dans ce qu’on peut appeler la naissance de la  »santé publique », cela dès le début du siècle. Deux hommes vont donner l’élan à une nouvelle conception de la médecine. Georges CABANIS, médecin et philosophe, publie en 1804 «Coup d’oei1 sur les réformes de la médecine». Puis c’est le rôle du Baron Jean CORVISART, médecin de 1’Empereur qui avait chaque semaine un entretien privé avec lui. NAPOLEON disait: «Je ne crois guère à 1a médecine, mais je crois à CORVISART». Celui-ci va poser les bases scientifiques de la médecine clinique. A partir de ce moment, un grand nombre de talents médicaux vont organiser un système de santé qui sera baptisé « École de santé de Paris ». Citons:

– BICHAT, fondateur de l’anatomie générale,

– LARREY, chirurgien en chef des armées de l’Empereur,

– PINEL, fondateur de la psychiatrie moderne qui humanisa des asiles d’a1iénés,

– LAENNEC, l’inventeur du stéthoscope qui fut le fondateur de la médecine anatomo-clinique, c’est-à-dire la comparaison entre les symptômes des maladies et les lésions qu’elles provoquent,

– VELPEAU, connu à notre époque par les fameuses bandes qui portent encore son nom. Il fut un chirurgien habile et polyvalent, on lui doit un traité sur les maladies des seins,

– MAGENDIE, le père de la neurophysiologie moderne,

– DUPUYTREN, dont on connait aujourd’hui surtout la maladie qui porte son nom, mais c’était un chirurgien spécialisé dans les interventions difficiles, comme celle la cataracte. Le tableau que je vous présente se trouve au musée Carnavalet, il montre DUPUYTREN qui vient d’opérer une femme de la cataracte devant le roi Charles X. … et bien d’autres, tous des praticiens contemporains de Napoléon, qui ont une grande place dans l’histoire de la médecine.

La notion de l’hygiène commençait à se répandre mais la mortalité après interventions chirurgicales est encore considérable. Cependant les hôpitaux évoluaient: on ne mettait plus deux malades dans un même lit; on tentait de rassembler dans une salle ceux qui souffraient de la même maladie. Mieux en l802, on a construit un hôpital spécialisé, dit «des enfants malades ». Et surtout les services hospitaliers n’étaient plus réservés aux indigents.

Mais les chirurgiens opéraient encore en vêtements de ville: l’usage des blouses blanches ne se généralisa qu’à la fin du siècle. On commençait, timidement, à se laver les mains, parce que le savon devenu un produit industriel, en 1820, était plus disponible et devinait beaucoup moins cher.

Certains utilisaient l’eau de Javel fabriquée par BERTHOLLET en 1785. L’eau oxygénée avait été inventée par THENARD, en l8l8, mais son action décolorante était plus appréciée que ses capacités antiseptiques. Ce mot, «antiseptiques»  n’est pas anachronique, il existait; je l’ai trouvé dans un dictionnaire de 1852, avec pour seule définition: «bon pour la gangrène». Le formol, qui rendit tant de services, ne fut découvert par HOFMANN qu’en 1854.

Il faut attendre la moitié de ce XIXème siècle, pour que l’on comprenne l’existence puis le rôle des germes microbiens dans les infections et les épidémies. C’est pourquoi les autorités médicales ont été impuissantes face à la dernière grande épidémie européenne, celle du choléra entre 1830 et 1834. Dans ce domaine un homme domine la seconde moitié du siècle, Louis PASTEUR… Nous en reparlerons. N’oublions pas également François RASPAIL qui, à la suite des travaux de PASTEUR, lança une grande campagne de propreté dans le milieu médical. Dans son  «Manuel de santé» il proposait d’utiliser le camphre pour assainir les locaux hospitaliers. C’est  surtout Joseph LISTER qui introduisit l’asepsie en chirurgie, avec l’usage du phénol, mais en 1867 seulement et il fallut dix années pour qu’il puisse imposer le bien-fondé de sa méthode à ses confrères britanniques et européens.

Depuis les expériences de GALVANI et VOLTA sur l’effet des courants électriques sur les grenouilles, ont savait que ceux-ci avaient une action sur le système nerveux. Un grand nombre de physiciens et de médecins ont étudié les possibilités d’utiliser l’électricité pour guérir certaines maladies. Ce qui devint vite une mode et on se faisait électriser pour toutes sortes d’affections. On se mit à porter des objets magnétisés, bracelets, colliers, bijoux, etc. …au fluide hypothétique! Antoine BECQUEREL introduisit l’usage des bains électriques à l’Hôpital de la Pitié pour les maladies du système nerveux et certaines paralysies.

Comme le dit un ouvrage de 1874 traitant de l’électricité thérapeutique: « I1 arrive que le malade guérisse au bout de quelques électrisations successives ». Par contre PAQUELIN va imaginer un instrument électrique qui sera d’une grande utilité, le bistouri électrique, appelé ensuite thermocautère.

Ce XIXème siècle a donc été une période déterminante pour l’évolution des idées et des réalisations qui seront au XXème siècle développées pour devenir ce que nous connaissons aujourd’hui. Nous évoquons l’évolution des idées parce que celle-ci est indissociable de celle des connaissances. Si le XIXème siècle a hérité de beaucoup de découvertes des siècles passés, ceux-ci lui ont transmis aussi ce qu’on pourrait appeler des «idées reçues», sortes de préjugés dogmatiques dont les bases étaient souvent des traditions philosophiques sans les moindre références scientifiques.

Comme le dit CANGUILHEM: « Sans déchirure de la tradition, une histoire de la science ne peut commencer ».

Ce conservatisme, qu’aujourd’hui on serait tenté d’appeler obscurantisme, a freiné les activités de certains chercheurs qui se heurtaient à des interdits de la part d’autres savants qui pourtant n’étaient pas dénués d’intelligence! Ainsi la croyance en la possibilité de la «génération spontanée» était encore très répandue dans la première moitié du siècle. Nous raconterons combien ses partisans ont contrarié les publications de DAVAINE et PASTEUR.

Autre exemple, très typique, de la difficulté à faire admettre des théories nouvelles quand elles se heurtent avec des traditions anciennes. Isaac NEWTON, vers la fin du XVIIème siècle, avait donné une bonne explication de la composition de la lumière et des couleurs. En France les expériences de NEWTON ont été largement diffusées par VOLTAIRE. Puis les oeuvres de NEWTON furent traduites en français, en 1780, par un médecin, Jean-Paul CARAT, le futur révolutionnaire, qui à cette date vivait en Angleterre. Or, au début du XIXème siècle, cette théorie était encore critiquée violemment, notamment par GOETHE, un poète qui se croyait grand scientifique et qui avait un laboratoire personnel. Il publia, de 1790 à 1820, plusieurs traités sur ce qu’il appelait «l’erreur de NEWTON». Il était tellement persuadé que ses explications étaient les bonnes qu’il écrivit un jour à ECKERMANN, son secrétaire: « J’attribue à ma théorie plus de valeur qu’à toute mon oeuvre poétique ! ». Un de ses disciples, SCHOPENHAUER, continua à publier jusqu’au 1860, et avec succès encore, des ouvrages développant les idées de son maître. Et cela malgré les travaux de Thomas YOUNG, en 1801, sur les interférences lumineuses et ceux d’Augustin FRESNEL, en 1815, sur la polarisation de la lumière. Normalement ces expériences devaient ridiculiser les opposants aux théories de NEWTON. Pourtant il a fallu attendre James MAXWELL pour qu’en 1870 on enterre définitivement les hypothèses de GOETHE quant à la nature de la lumière et l’origine des couleurs.

Dans cette première partie de ma conférence, j’ai exposé brièvement l’évolution scientifique en France au cours du XIXème siècle, surtout pour ce qui concernait la première moitié du siècle. J’ai cité plus d’une cinquantaine de savants plus ou moins illustres, mais il y en eut beaucoup d’autres. C’est Charles FABRY qui a dit que le début du XIXème siècle marquait » l’époque plus brillante de la physique française ».

Cette période est tellement riche en découvertes et en inventions que les sciences et l’industrie ont plus évolué de 1800 à 1850, que pendant les dix-huit siècles précédents. Et cette évolution ne cessera plus d’accélérer!

Pour illustrer l’aventure médicale et scientifique de ce siècle, nous allons prendre deux exemples d’hommes qui reflètent bien, chacun à leur manière, l’histoire d’une discipline en plein développement: Casimir DAVAINE et Jean CIVIALE que nous connaissons à Garches par les rues qui portent leur nom mais qui sont inconnus de nos concitoyens hors des limites de notre ville. Interrogez votre entourage, fort peu sont ceux qui connaissent ces deux médecins.

La vie de ces hommes nous donnera l’occasion d’évoquer plus particulièrement deux aspects de la médecine: la notion d’infection microbienne avec DAVAINE, et l’histoire de la maladie de la pierre avec CIVIALE.

Casimir Joseph DAVAINE

Joseph Davaine est né le 19 mars 1812 dans le Nord, à Saint Amand Les Eaux. Les DAVAINE étaient une ancienne famille de la ville. Il un frère cadet, Napoléon Emmanuel, né en 1814, qui fit une brillante carrière d’ingénieur dans les Ponts et Chaussées, mais mourut jeune en 1864. Ce frère eut un fils qui fut médecin et devint plus tard l’assistant de son oncle.

Leur père, Benjamin Davaine, était distillateur, ce qui n’empêcha pas son fils Casimir d’être rigoureusement anti-alcool. Celui-ci alla à l’école d’abord à St Amand et à Tournai puis à Lille. Ensuite il vint à Paris faire ses études médicales. Il devint l’élève puis le collaborateur d’un médecin très célèbre à l’époque, le Docteur Pierre RAYER (1773-1867) qui fut vers la fin de sa vie le médecin de Napoléon III. RAYER orienta la carrière de DAVAINE vers les études d’anatomie et de physiologie comparée. Il était externe à l’Hôpital de la Charité qui avait la réputation d’être le mieux tenu de la ville. Un siècle plus tard, en 1935, ce bâtiment, devenu vétuste, a été démoli pour être remplacé par la nouvelle Faculté de Médecine de Paris, rue des Saints-Pères.

C’est dans cet hôpital qu’il fit connaissance d’un physiologiste de son âge, Claude BERNARD, dont il devint non seulement l’ami et mais aussi le médecin. On sait quelle fut l’importance de l’influence de Claude BERNARD sur la médecine du XIXème siècle.   En matière de recherches, BERNARD estimait que le « comment » des choses est seul à notre portée et que le « pourquoi », dépasse notre entendement. C’était un des principes du positivisme d’Auguste COMTE. Nul doute que ce courant d’idées orienta les méthodes de travail de DAVAINE et de RAYER.

Comme nous l’avons dit en préambule, dans cette première partie du XIXème siècle, la communauté scientifique est en pleine mutation. Pierre GAXOTTE a écrit que « La science médicale et chirurgicale est une création du XIXème siècle ». La biologie en général est désormais comprise dans sa globalité, l’homme vivant forme un tout, ce que BICHAT résume par cette formule étonnante: « La vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort ». La recherche change de nature et d’échelle: chercheurs ne sont plus des amateurs éclairés, mais de réels professionnels. Les sciences et particulièrement la biologie ont besoin, pour avancer dans les connaissances, de matériels d’investigation de plus en plus perfectionnés: or nous avons dit combien les techniques font d’énormes progrès et principalement en Optique.

 C’est ainsi qu’en 1850, RAYER et son collaborateur, DAVAINE, utilisent un nouveau microscope d’un opticien français, Nachet (un ami de mon arrière-grand-père)

Jusqu’à cette époque le grossissement de ces instruments était limité par les aberrations chromatiques. Un opticien français, vivant à Londres, Jean DOLLOND avait trouvé, en 1750, le moyen de réduire ces aberrations, mais les verriers de l’époque avaient de grosses difficultés à fournir des verres avec la précision nécessaire. En plus DOLLOND connut d’énormes difficultés pour imposer ses lentilles car était en contradiction avec les théories d’un grand savant suisse, Léonhard EULER, dont l’autorité était immense. En France un autre opticien, qui était également horloger, Claude PASSEMANT, réalisa aussi des objectifs et des oculaires achromatiques, qu’il présenta au roi Louis XV, le 4 mai 1761. PASSEMANT n’était pas un inconnu pour le roi, il avait déjà proposé à celui-ci, en 1749, une horloge astronomique qui eut beaucoup de succès. Fort de cette expérience il pensait que le roi, cette fois encore, l’aiderait à réaliser ses projets. Mais celui-ci ne s’intéressait pas beaucoup aux sciences et PASSEMANT n’obtint pas d’aide royale. Faute de moyens, il abandonna ses recherches optiques. Une parenthèse: un graveur Jacques LEBLON, connut la même aventure en 1741. Il présenta à Louis XV un procédé d’imprimerie totalement inédit permettant de reproduire des images en couleurs sur le principe de l’actuelle trichromie. Le roi l’envoya promener, ce que LEBLOND ne se fit pas dire deux fois! Il alla en Angleterre exploiter son invention… Revenons à notre sujet. C’est finalement en 1830 qu’un opticien anglais, Joseph Jackson LISTER, arrive à fabriquer en série ces lentilles achromatiques, grâce aux progrès des industriels du verre. C’est une avancée considérable qui a permis d’avoir ces excellents microscopes que les établissements NACHET ont fournit à toute l’Europe pendant plus d’un siècle. C’est donc grâce à cet instrument que RAYER découvre des petits bâtonnets dans le sang d’animaux morts du charbon. Il ne savait pas encore si ceux-ci étaient provoqués par la maladie bien s’ils étaient la cause, c’est à dire l’agent de cette maladie.

Occupé à d’autres activités, RAYER confia à DAVAINE le soin de poursuivre cette étude.

Celui-ci y consacra beaucoup de temps. A la même époque, un jeune chercheur biologiste travaillait sur les ferments lactiques et butyriques, c’était Louis PASTEUR. Ce dernier montra que chaque fermentation était provoquée par des micro-organismes particuliers. DAVAINE se persuada que la maladie charbonneuse était elle aussi entraînée par ces sortes d’animalcules (le mot est de lui), les curieux bâtonnets que Rayer avait observés. Il se livra de nombreuses expériences d’inoculation, ce qui était très dangereux tant cette maladie est contagieuse, se transmettant par voie cutanée. Il finit par démontrer que ces bâtonnets étaient bien les responsables de la maladie.

Il leur donna le nom de « bactéridies ». Nous les appelons aujourd’hui « bacillus anthracis ». Bacillus en latin veut dire « petit bâton ».

Cependant, Davaine ne réussit pas pour autant à persuader ses confrères et encore moins les vétérinaires qui étaient partisans de l’origine spontanée de cette maladie comme de beaucoup d’autres, le choléra par exemple fit tant de morts à Paris en 1832. Les médecins étaient   convaincus que cette épidémie était due uniquement au manque d’hygiène et à l’absorption d’aliments avariés. La notion de microbe était très vague, le terme n’existait pas encore. On parlait de « miasmes », mot d’origine grecque qui signifiait « souillure ». Les romains l’évoquaient à propos des marécages, comme les Marais Pontins, où l’on attrapait des fièvres; mais ils n’avaient aucune idée de la nature de ces miasmes. Le mot microbe a été seulement créé en 1878 par un professeur du Val de Grâce, Charles SEDILLOT avec l’accord de LITTRE qui était médecin lui aussi. Je n’ai d’ailleurs pas trouvé le mot « microbe » dans un dictionnaire médical paru cette même année. Une remarque amusante à propos de l’étymologie du mot microbe: le grand lexicographe que fut LITTRE n’a pas été très heureux dans son choix, car microbe, en grec, ne veut dire que: « qui a la vie courte »… mais personne ne fait attention aujourd’hui à ce qui est un contresens!

   C’est alors qu’en 1862, PASTEUR, par des méthodes expérimentales qui nous semblent actuellement irréfutables, démontra que la  génération spontanée était une chimère donc que DAVAINE avait parfaitement raison. Mieux encore, plus tard il confirma que ces bâtonnets étaient bien responsables du développement de cette maladie et, qu’en plus, ces organismes avaient une forme de comportement vivant. C’était une information stupéfiante pour l’époque!

Et pourtant malgré le sérieux de leurs travaux, PASTEUR, pas plus que DAVAINE, n’avaient réussi à convaincre tout le monde scientifique. L’idée de l’hétérogénie, ou génération spontanée, avait la vie dure! Il faut dire que c’était une très ancienne croyance: du temps des Grecs, ARISTOTE était, par exemple, persuadé que les anguilles se formaient d’elles mêmes dans le limon des eaux; évidemment il ne pouvait pas connaître l’existence de Mer des Sargasses! Dans la première moitié du XIXème siècle on y croyait encore, en particulier les savants du Muséum.

Crée en 1635 sous le nom de « jardins du roi », cet établissement avait une grande autorité grâce aux travaux de BUFFON, au XVIIIème siècle, puis de LACEPEDE, JUSSIEU, DAUBENTON, CUVIER et autres. Nos deux   jeunes chercheurs, PASTEUR et DAVAINE avaient contre eux plusieurs des professeurs du Muséum, surtout les deux POUCHET, le père et le fils. Ces naturalistes, des grandes sommités, restaient fidèles à la théorie de l’hétérogènie chez certaines espèces, comme par exemple les infusoires sur lesquels PASTEUR justement travaillait. Félix Archimède FOUCHET affirmait qu’il pouvait faire naître des êtres vivants dans des récipients privés d’air ou dans de l’eau bouillie.

                                                                                                                                                                                                                                   Et voilà qu’en plus, l’équipe du Muséum reçoit un appui dont DAVAINE et PASTEUR se seraient bien passés, celui d’Ernest RENAN, dont on se demande ce qu’il venait faire dans ce débat, débat qui dépassait les frontières de la France ! Ainsi un ethnologue allemand, Adolphe BASTIAN, publia une série d’articles favorables aux idées de POUCHET. Il y avait bien un autre membre éminent du Muséum qui aurait pu contredire les idées de ses collègues, Jean Baptiste de MONET, plus connu sous le nom de Chevalier de LAMARCK, le père du « transformisme ». Mais, en 1829, aveugle, mourut trop pour prendre parti dans ces discutions qui n’en finissaient pas. En 1878, par exemple, un dictionnaire scientifique, déjà cité, affirmait encore que « les expériences biologiques ne prouvaient rien », ni pour, ni contre la génération spontanée.

En plus des pseudo preuves scientifiques, d’autres adversaires de DAVAINE et PASTEUR avaient des arguments d’ordre métaphysique. Les partisans du « fixisme », selon les opinions de CUVIER et d’ORBIGNY, affirmaient que les espèces animales et végétales seraient apparues sur terre brusquement sans avoir d’ancêtres. Ce n’est rien d’autres que le « créationnisme » de certains chrétiens fondamentalistes d’aujourd’hui.

En 1858, Charles DARWIN publie sa doctrine sur l’évolution des espèces. Il s’opposait, lui aussi, au fixisme, mais peu connu en France il avait fait peu d’adeptes. Aujourd’hui encore certains considèrent le   darwinisme   comme une hérésie!

Cela fait comprendre pourquoi, au milieu du XIXème siècle, il n’était pas facile de faire admettre l’existence de germes, ces petites masses vivantes quoique peu organisées, qui pouvaient croître et devenir pathogènes. Il fallait arriver à faire comprendre que cette bactéridie charbonneuse, quoique immobile, avait la particularité de sporuler, c’est à dire de générer des spores dans le sol après ensevelissement des cadavres d’animaux. Ce processus particulier explique la longue persistance du germe. C’est pourquoi les paysans appelaient « champs   maudits » les terrains contaminés par cette bactéridie. Aujourd’hui cette maladie est devenue rare. Elle est classée comme contagieuse et professionnelle; elle est soumise à une déclaration obligatoire. Chez l’homme elle se traite maintenant avec des antibiotiques mais les animaux contaminés doivent être abattus.

Enfin, malgré l’opposition des gens du Muséum et d’une partie du clergé qui y voyait un risque de mettre en doute le récit de la Genèse, la qualité des travaux de DAVAINE étaient peu à peu reconnue: ses expériences, plusieurs fois renouvelées, avaient enfin reçu l’acquiescement de ses collègues. C’est ainsi, qu’en 1864, il reçoit le Prix de l’Académie de Médecine et, en 1865, le Prix Bréam de l’Institut. En 1868 il est admis comme membre de l’Académie de Médecine mais il échoua cependant à une élection de l’Académie des Sciences à laquelle pourtant PASTEUR avait été reçu en 1862 parce que POUCHET avait enfin retiré son opposition!

Il ne faut pas croire que DAVAINE limita ses études à la seule maladie charbonneuse: il s’intéressa aussi à l’anatomie et la biologie de nombreuses espèces animales, dont les poissons et les huîtres, continuant les travaux de Lacépède, dont l’Histoire Naturelle, consacrée aux poissons, parut en 1847 dans une très belle édition illustrée magnifiquement et dont j’ai la chance d’avoir un exemplaire.

Il s’occupa également de « tératologie », plus connue comme la science des monstres, spécialité qui était à la mode avec les travaux récents de deux naturalistes français, GEOFFROY SAINT-HILAIRE, père et fils. Ainsi grâce aux diverses disciplines qu’il exerçait, DAVAINE était connu de tous et sa réputation désormais bien établie. De plus il passait pour avoir un heureux caractère, de sorte  qu’il devint un médecin à la mode.

Quoique cela ne soit pas sa priorité, il essaya de guérir la tuberculose, terrible maladie que LAENNEC avait décrite en 1819 et qui en mourut. En 1865, un médecin militaire, Jean Antoine VILLEMIN, inspiré par les travaux de DAVAINE, avait démontré la contagiosité de cette maladie, sans avoir pu cependant en trouver le bacille responsable. A cette date le mot tuberculose n’était pas encore d’usage, on disait « phtisie pulmonaire », on parlait aussi de « consomption ». Rappelons que Robert KOCH ne découvrit le bacille qui porte son nom, qu’en 1882, hélas date  de la mort de DAVAINE. Pour mémoire, c’est aussi KOCH qui trouva le vibrion responsable du choléra.

           Quand on lit des ouvrages, du XIXème siècle, qui traitent de la tuberculose, on est frappé par leur catastrophisme. Par exemple: « C’est le fléau de notre époque » ou bien « c’est la plus terrible maladie qui affecte l’espèce humaine ». On estimait que la tuberculose entrait pour un quart dans la mortalité de Paris! Les médecins désespéraient de trouver un traitement efficace. Néanmoins DAVAINE, comme quelques uns de ses confrères, tenta de soigner les malades phtisiques. En tant que médecin réputé, il fut amené à traiter des personnages célèbres. C’est ainsi qu’il prodigua ses soins à Marie DUPLESSIS, celle qui inspira Alexandre DUMAS fils pour créer le personnage de Marguerite Gautier, la « Dame aux camélias ».

       Alors qu’il était encore à l’hôpital de la Charité, DAVAINE s’était lié avec une jeune anglaise, Maria Georgine FARBES. De cette union libre naquit un fils, le 12 juin 1845. Casimir le reconnut et le déclara à l’état civil du ler arrondissement de Paris, en lui donnant le prénom de Jules Casimir. Cette union ne fut régularisée que le 23 janvier 1869, 24 ans plus tard!

Jules Casimir ne suivit pas les traces de son père: il passa une licence de droit et devint avocat. Mais il était de santé fragile et décéda à 45 ans, en 1890. Heureusement, comme je l’ai dit, DAVAINE avait un neveu, Alphonse, le fils de son frère, l’ingénieur. A l’exemple de son oncle, il devint médecin et fut l’assistant de Casimir jusqu’à la fin de sa vie.

Vers les années 1865 ou 1866, DAVAINE acheta un terrain à Garches. Est-ce une prémonition? Prévoyait-il que l’Institut Pasteur viendrait s’installer vingt ans plus tard au domaine de Villeneuve l’Étang? Certainement pas puisque cet Institut n’existait pas encore. Mais cette coïncidence permet notre ville de matérialiser, par des noms de rues voisines, la mémoire de deux savants qui se doivent tant l’un à l’autre.

         En 1870, les allemands installèrent une batterie dans le terrain de DAVAINE et pillèrent la petite maison qui s’y trouvait. La situation du jardin était stratégiquement idéale car elle permettait de dominer ce qu’on appelait le chemin de Normandie. Si vous allez vous promener dans cette propriété, libre d’accès, Avenue de Brétigny, vous pourrez constater qu’il suffisait de deux ou trois canons bien placés pour interdire toute circulation sur cette route qui menait à Paris.

La guerre terminée, la famille DAVAINE qui avait désormais une structure légale, fit construire dans le haut du jardin un beau pavillon. Casimir y vécut jusqu’à sa mort, survenue le 14 octobre 1882. Son décès fut attribué aux suites d’un néoplasie abdominal, sans doute la conséquence d’un cancer. Sa tombe est au Père Lachaise.

Pour la suite de ce récit je cite textuellement Louis NICOL. Extrait de son livre sur Garches. Davaine avait un neveu, Alphonse DAVAINE, qui assura sa succession au cabinet médical. Il mourut jeune, à 41 ans, en 1893. Madame DAVAINE resta seule. N’ayant plus d’héritiers naturels, elle légua le pavillon et la propriété à l’Assistance Publique afin que celle-ci y crée un « asile Casimir DAVAINE » destiné à recevoir des filles convalescentes ou faibles de constitution, de toutes religions et d’âges compris entre cinq et treize ans. Cette institution fut confiée aux « Soeurs de Saint Vincent de Paul».

A l’origine le legs était assorti d’une dotation confortable qui, malheureusement, après des dizaines d’années fut fortement dévaluée. La propriété fut abandonnée et resta en mauvais état. Elle fut sauvée de la ruine par l’Assistance Publique qui en reprit la gestion, en 1964. Actuellement elle sert de crèche pour les enfants du personnel de l’Hôpital Raymond Poincaré. Une plaque sur le perron de la maison présente le portrait et rappelle brièvement la vie du médecin. Le jardin, appelé Parc Davaine, est un lieu de promenade. De cette manière Casimir DAVAINE ne risque pas d’être oublié des Garchois.

Jean CIVIALE.

Il est né, en 1792, à Salhiles, dans le Cantal. Un hameau comprenant quelques fermes et une petite chapelle, situé à l’époque sur un méchant chemin de terre. C’est aujourd’hui une très modeste départementale, la 359, route qui ne mène nulle part et se perd dans la montagne. Le hameau dépend de la commune de Thiézac, gros village au bord de la Cère, à 26 kilomètres d’Aurillac. Si DAVAINE était né dans une famille aisée, CIVIALE a vu le jour dans une petite ferme, à plus de 900 m d’altitude, au fond de l’Auvergne. On y fabriquait un fromage, le cabécous, qu’on vendait au marché de la ville.

Le petit Jean alla à l’école de Thiézac. Comme tous les gamins des fermes, sa fréquentation de l’école dépendait beaucoup des circonstances agricoles et météorologiques, d’autant que l’école était à plus de 5 kilomètres de chez lui, ce qui ne facilitait pas une grande assiduité scolaire.

Il continua quand même ses études à Vic puis à Aurillac, études dont ses adversaires dirent plus tard qu’elles ne furent pas brillantes, mais c’est sans doute pure méchanceté! D’ailleurs n’a t’on pas dit la même chose des études de PASTEUR. De cette époque on a retenu son adresse manuelle qui lui fut fort utile par la suite. Ce n’était certainement pas un cancre puisque après avoir fréquenté l’Hôpital d’Aurillac, il monta à Paris pour se perfectionner dans la médecine. Il avait 25 ans.

En plus d’un certain bagage médical, ce jeune homme devait avoir quelques solides recommandations car il eut la chance de trouver une place d’externe bénévole dans le service d’un chirurgien célèbre, le baron Guillaume DUPUYTREN, à l’Hôtel-Dieu. C’était un très ancien hôpital, fondé au VII° siècle et reconstruit plusieurs fois: au VIIème siècle. en même temps que Notre-Dame, en 1656, en 1749, et finalement en 1864 pour lui donner l’aspect qu’il a aujourd’hui. Cet hôpital était très populaire et avait d’excellents médecins.

DUPUYTREN non seulement était un grand chirurgien, mais il avait ses entrées à la cour du roi Louis XVIII, puis de Charles X dont il était le médecin. Une petite parenthèse dans le cadre des chroniques garchoises de l’époque: si ces deux rois avaient DUPUYTREN comme médecin, ils avaient comme pharmacien un garchois, Clarion de BEAUVAL, que nous connaissons par l’avenue qui porte son nom. C’est dire que pour CIVIALE c’était une position qui n’avait que des avantages: il était dans le service d’un maître émérite qui, de plus, était « politiquement correct » comme on dit aujourd’hui! Bonne place pour un jeune médecin ambitieux…

D’autant que rapidement il se signala par une très grande dextérité dans le maniement des outils chirurgicaux. On le plaça dans un service où ses qualités étaient utiles: l’on y soignait la maladie de la  » gravelle » ou de la « pierre », ancien nom de la lithiase urinaire. C’était un poste important où l’on pouvait se faire un nom, à condition de ne pas être maladroit et d’avoir l’art de se mettre valeur… et celà, Civiale il savait!

Cette maladie de la pierre était connue depuis très longtemps: voilà plus de 2.500 ans elle avait déjà la réputation d’être très fréquente aux Indes. Dans des tablettes trouvées à Akkad, près de Babylone, on a relevé ce texte:  » S’il y a un calcul vésical, cet homme boira de la bière; ainsi le calcul se dissoudra. Si cet homme boit beaucoup d’eau …il est voué à son destin ». Ce qui laisse supposer que l’eau d’Akkad était très calcaire! Au Moyen-âge on recommandait le jus de citron. La présence de calculs dans la vessie s’oppose à l’écoulement de l’urine, créant une infection généralisée; cette maladie extrêmement douloureuse était presque toujours mortelle …sauf si son opération réussissait.

Or justement cette intervention, appelée « opération de la taille », est très ancienne, puisque dans un ouvrage indien datant de la première moitié du ler millénaire avant J.-C., le Susruta-Samhita, on en trouve une description détaillée.

Quelques siècles plus tard, les Grecs considéraient que c’étaient une opération difficile mais possible et, 400 ans avant J.-C., HIPPOCRATE lui-même écrivait: «Je ne taillerai pas les calculeux et je laisserai cette pratique à des professionnels ». A Rome, au temps d’Auguste, le médecin Cornélius CELSUS, auteur d’un « de arte medica », parle de l’opération de la pierre « au moyen d’un scalpel » à travers le périnée. C’était considéré comme une intervention à haut risque dont un médecin grec, installé à Rome, nommé RUFUS d’ÉPHÈSE, nous a laissé une méthode bien documentée, ce qui prouve qu’on la pratiquait couramment.. .quand même!

Sur cette opération nous avons effectivement de nombreux textes: d’un espagnol, ABULCASIS, en l’an 1000; de ROGER de SALERNE et de ROLAND de PARME en 1200; de ARNAUD de VILLENEUVE qui opéra avec succès le pape Boniface VIII en 1300.

Au Moyen Age des chirurgiens spécialisés dans ce genre d’intervention, qu’on appelait des « inciseurs », allaient de ville en ville pratiquer leur art. Deux noms sont restés dans l’histoire: Giovanni de ROMANIS et Mario SANTOS, au XIVème siècle. Les hémorragies post-opératoires et les infections étaient fréquentes. Nombre de patients en mourraient, mais l’inciseur, ambulant par nécessité pour sa propre sécurité, était déjà loin sur la route…

C’est un français, Pierre FRANCO, au XVIème siècle, qui pratiqua la première lithotritie intracorporelle par voie transurètrale, complétée par une incision large du col de la vessie. A cette époque on pratiquait aussi la « lithotritie », en allant écraser les calculs dans la vessie en des morceaux assez petits pour qu’ils puissent s’évacuer par les voies naturelles. Quelques soient les méthodes, pratiquées sans anesthésie ni antiseptiques efficaces, avec un instrument rustique, le cystotome, cette opération était fort douloureuse et laissait souvent de graves séquelles à ceux qui survivaient. J’ai lu une statistique disant que huit fois sur dix, le patient succombait à une infection. Pourcentage qui, hélas, n’était pas uniquement celui de l’opération de la taille.

On ne peut parler de cette intervention sans évoquer le nom de la famille COLOT. Pendant deux siècles, de 1500 à 1700, en chiffres ronds, de père en fils, huit générations de chirurgiens vont se succéder d’abord à l’Hôtel-Dieu, puis a l’Hôpital Saint-Antoine. Une anecdote est intéressante: c’est en regardant Laurent COLLOT pratiquer une lithotomie, en 1525, qu’un jeune médecin, Ambroise PARE, émerveillé, décida de devenir chirurgien. Mais, prudent, il laissa cette opération aux seuls spécialistes.

DUPUYTREN avait imagine un cystotome double, plus sophistiqué que les précédents, mais qui était encore assez barbare dans son application, d’autant que l’intervention se faisait en aveugle puisque la radio n’étant pas encore inventée. La mise en évidence des calculs se faisait par un toucher rectal. Pour aller au plus court et ne pas abimer le circuit urinaire on pénétrait plus ou moins directement dans la vessie avec une canule, le « gorgeret », qui permettait une ouverture à travers le périnée.

Ce procédé peut paraître audacieux pour l’époque, mais il faut rappeler que l’on commençait à avoir l’habitude de ces techniques invasives. Deux médecins tourangeaux, BRETONNEAU et TROUSSEAU, pratiquaient couramment des trachéotomies pour éviter l’étouffement des malades atteints de diphtérie. Le gorgeret relevait de la même technique.

Jean CIVIALE, confronté aux difficultés de l’opération, mit à profit son intelligence et son habileté pour inventer un instrument fabriqué avec de nouveaux aciers. A cette époque, depuis une trentaine d’années, trois villes de Haute-Marne, Biesles, Odival et surtout Nogent, se spécialisèrent dans la coutellerie de haute qualité. Avec l’aide de techniciens nogentais, il mit au point ce qu’on appela la « pince de Civiale », bien mieux appropriée que les anciens instruments. Il l’essaya pour la première fois avec succès, le 13 janvier 1824, alors qu’il était encore dans le service de DUPUYTREN. C’était une belle réussite pour un jeune chirurgien puisqu’il n’avait que 31 ans.

Malgré les progrès apportés au cystotome, la réussite de l’opération dépendait encore beaucoup de l’habileté du chirurgien et de son équipe d’assistants.

Voilà comment la méthode est décrite dans le Dictionnaire de Médecine, de LITTRE et ROBIN, publié en 1878, époque où l’on utilisait encore régulièrement la pince de Civiale, plus de cinquante ans après son invention:

« Pince à gaine comportant un stylet qu’on introduit montée et huilée jusqu’au calcul, derrière lequel les doigts d’un aide se trouvent appliqués sur l’urètre. On desserre la vis de pression; on fait ouvrir la pince et l’on retire le stylet; la main gauche du chirurgien remplace celle de l’assistant. Pendant qu’on cherche à faire glisser le mors de la pince entre le corps étranger et les parois de l’urètre, il est indispensable que le canal soit allongé autant que possible, afin d’éviter les plis de la membrane muqueuse et d’effacer l’espèce de bourrelet qu’on rencontre presque toujours au devant de la pierre. Quand celle-ci est saisie on la fixe en poussant la gaine sur la pince et l’on serre la vis de pression …qui écrase le calcul. »

Ce texte ne fait pas allusion à d’éventuelles méthodes analgésiques pour éviter au patient de trop souffrir. On connaissait l’opium depuis longtemps et en 1827 on avait isolé un alcaloïde de l’opium, la morphine. Quant à l’éther et le chloroforme ils ne furent utilisés qu’en 1846 et 1847. C’est à cette date que la première anesthésie générale a été pratiquée par un américain, Horace WELLS, qui était dentiste. Quoique ne bénéficiant pas de ces inventions, on peut quand même imaginer que CIVIALE administrait au malade une dose suffisante de sédatif pour que l’intervention soit tolérable.

Il n’empêche que le doigté et l’expérience du chirurgien avait un rôle déterminant. C’est ce qui fit la fortune de CIVIALE. En 1826 et en 1827 l’Académie de Médecine lui décerna deux prix. C’était quand même un fabuleux destin, car à moins de quarante ans, le petit paysan auvergnat du hameau de Salhiles avait fait la conquête de Paris et était reconnu par le monde médical comme un grand spécialiste.

A ce propos une remarque s’impose: au contraire de DAVAINE qui avait étudié de nombreux aspects de la biologie et de la médecine, CIVIALE fut le prototype du spécialiste, suivant peut-être les conseils d’HIPPOCRATE ou la tradition des médecins égyptiens dont HERODOTE disait que chacun ne soignait qu’une seule maladie, CIVIALE a bâti toute sa carrière sur la lithotritie.

La comparaison entre les deux hommes ne s’arrête pas là: si DAVAINE était un savant désintéressé et curieux de toute chose, CIVIALE a su gérer sa situation et construire une fortune que l’on disait considérable sur une seule intervention chirurgicale, où il était passé maître. Sur la dizaine d’ouvrages qu’il publia à partir de 1827 jusqu’à sa mort, tous n’ont qu’un seul sujet, la maladie de la pierre et son opération. Même après son décès on continua d’éditer ses ouvrages.

Il quitte alors l’Hôtel-Dieu et il est nommé professeur à l’hôpital Necker. C’était un ancien bâtiment hospitalier, créé en 1664, réaménagé par Madame Necker en 1778 et qui venait d’être en grande partie reconstruit. Donc CIVIALE s’installe, en 1824, et crée un service d’urologie hospitalière dans des locaux flambants neufs. CIVIALE était nommé chef de service alors qu’il n’avait passé aucun concours! Ce n’était pas pour améliorer ses relations avec ses collègues!

C’est à cette époque qu’il eut de violentes discussions avec son ancien patron, DUPUYTREN, puis un peu plus tard avec JOBERT et VELPEAU. Ces deux chirurgiens, très célèbres en ce temps là, avaient eux aussi inventé des instruments de chirurgie pour l’extraction de corps étrangers. Sans doute voulurent-ils concurrencer CIVIALE, ce qui était pour lui une attitude inconcevable. Si JOBERT est maintenant oublié, il n’en est pas de même de VELPEAU, comme je l’ai déjà dit: il a laissé son nom aux bandes de contention encore commercialisées, plus de 130 ans après sa mort.

CIVIALE n’était pas le seul chirurgien à traiter ce qu’on appelait « la pierre vésicale ». Citons Frédéric CHARRIERE, Jean-François REYBARD, Pierre Salomon SEGALAS, le père du premier cystoscope (1826), Jean DESORMEAUX, et Auguste MERCIER dont la sonde coudée qu’il inventa en 1836 est toujours utilisée. Les urologues français passaient pour les meilleurs d’Europe.

CIVIALE était sans doute leur chef de file mais il est certain qu’il n’avait pas un caractère facile. Plus que sa réussite, son comportement le rendait antipathique auprès de ses collègues. Il avait la réputation d’être chicaneur et n’admettait pas la contradiction. Ce n’était pas d’ailleurs un bon professeur car il eut peu d’élèves. Entièrement occupé par sa spécialité, ce n’était pas lui qui se serait risqué à soigner la tuberculose! Il n’y avait pas grand chose à gagner dans une telle bataille perdue d’avance…

Nous n’avons également aucun écho de son activité au cours de l’épidémie de choléra qui, à partir de mars 1832, fit 18.500 morts à Paris. Sans doute, comme beaucoup, quitta t’il la capitale pour se réfugier à quelques distances… à Garches, peut-être, car l’eau de ses sources avait la réputation de soigner les lithiases.

Par contre cet habile chirurgien avait, plus que tout autre, l’extrême souci de ne pas faire souffrir les malades qu’il opérait. S’il était dur avec ses collègues et ses assistants, il était d’une grande douceur avec ses patients, qui en avaient beaucoup de reconnaissance. Ceux-ci lui faisaient une bonne publicité et c’est pourquoi son service à Necker ne désemplissait pas. D’autant plus que la gestion et l’hygiène de cet hôpital étaient exemplaires …Civiale se lavait les mains ce qui n’était pas si fréquent! On venait de toute l’Europe s’y faire opérer.

Ce qui lui valut de nombreuses décorations de plusieurs ordres étrangers. En France il fut officier de la Légion d’Honneur, membre de l’Institut, de l’Académie des Sciences et de l’Académie de Médecine. Il ne pouvait espérer plus! Il avait les honneurs et la fortune.

Dans la salle des Pas Perdus de l’Académie de Médecine on peut voir son buste qui, comme par hasard, est à côté de celui de Davaine.

Pour placer son argent CIVIALE acheta à Garches un immense terrain que plus tard on appela « le Parc Civiale ». Une quinzaine d’hectares limités au nord par la rue de l’Abreuvoir et la rue Claude Liard (anciennement rue de la Tuilerie), à l’ouest à peu près par l’actuelle avenue Joffre, qui n’existait pas, et au sud par ce qui est aujourd’hui le boulevard du Général de Gaulle. Dans ce parc était construite un belle demeure devenue notre mairie. On pouvait y voir un petit ruisseau et plusieurs pièces d’eau.

Jean CIVIALE vécut les dernières années de sa vie à Garches et y mourut le 18 juin 1867. Curieusement JOBERT et VELPEAU avec lesquels il s’était tant disputé, sont décédés la même année.

A sa mort il n’eut droit à aucun éloge officiel, ce qui est assez étonnant quand on sait que, de son vivant, il a eu droit à tous les honneurs! Le seul document porté à notre connaissance, à l’occasion de son enterrement, est dû à un de ses confrères, le Docteur PAJOT, médecin accoucheur, qui écrivit ce quatrain ironique:

 » De Civiale au cimetière,

Où la mort vient de l’envoyer,

La tombe n’aura pas de pierre,

Il sortirait pour la broyer. »

Ce n’était pas méchant. Il fut enterré dans l’ancien cimetière de Garches, près de l’église. Après la guerre de 1870, son fils fit construire une petite chapelle dans le cimetière actuel, mais ses cendres n’y reposent pas.

Puisqu’on parle de la maladie de la pierre c’est l’occasion de rappeler que l’empereur Napoléon III souffrait de cette maladie. Il attendit d’être exilé en Grande Bretagne pour se faire opérer par un chirurgien anglais. Il avait pris cette décision parce qu’il espérait rentrer clandestinement en France afin d’organiser un soulèvement. C’est pour pouvoir monter à cheval qu’il voulut se débarrasser de ses calculs. L’histoire présente parfois des coïncidences amusantes: le médecin français qui l’avait accompagné dans son exil s’appelait Lucien CORVISART, c’était l’arrière petit-neveu du médecin de Napoléon Ier! Ce n’est pas lui qui pratiqua l’opération. Hélas celle-ci tourna mal et Napoléon III mourut, le 9 janvier 1873, des suites de l’intervention. Peut-être que s’il avait accepté de se faire opérer par un des élèves de Civiale dès les premiers symptômes, cinq ou six ans plus tôt, son histoire et celle de la France n’aurait pas été la même? Allez savoir…

A propos d’anecdotes, en rapport avec la maladie qui nous occupe, en voici une autre. Vous connaissez l’expression populaire du « grain de sable » qui, au sens propre, peut enrayer une mécanique ou qui, au sens figuré, peut faire capoter une action importante, synonyme de « A petite cause, grands effets ». Quelle est l’origine de cette expression, le grain de sable? Cela vient de Oliver Cromwell qui mourut d’un calcul urinaire et c’est Pascal qui a écrit la phrase, devenue célèbre:  » Sans un petit grain de sable qui se mit dans son urètre… » la République anglaise n’aurait pas disparue. C’est ainsi qu’il a suffit d’un grain de sable, mal placé, pour que soit rétablie la royauté britannique!

Revenons à notre histoire locale.

En 1894, le Parc Civiale a été divisé en un premier lotissement de 8 hectares. On y perça des rues (avenues Frédéric Clément, d’Alsace, de Lorraine) et surtout la disposition des lots permettait de ménager une voie qui reliait la nouvelle gare à l’église, par ce qu’on appelait le Boulevard de la Station. Le château Civiale n’en faisait pas partie. Ce n’est que plus tard que la commune se l’appropria pour en faire son hôtel de ville. Nous avons un document familial qui signale qu’un fils de Jean CIVIALE, Pierre Joseph, marié en 1854 à une demoiselle Camille TOUCHARD, se chargea de vendre des parcelles du « Parc Civiale » en 1893 à des banquiers de Toul. Ce n’était qu’une opération financière, car ils firent construire des maisons par les architectes Rajecki et Carlat. Beaucoup de ces maisons furent revendues dès 1900. On en voit un peu partout dans Garches.

De cet habile homme qui finit sa vie dans une certaine indifférence, il reste quand même un souvenir à Garches puisque son nom a été donné à une de nos rues. Mais, comble de l’ironie, comme pour rappeler ce qui n’était pas le meilleur aspect du caractère ce celui dont elle veut évoquer la mémoire, cette rue comporte beaucoup de chicanes!

Voilà la vie de deux hommes, bien différents par leur personnalité et leur approche de la médecine, qui sont cependant de bons exemples de ce que fut la pratique médicale en France au XIX° siècle. L’un était davantage un chercheur opiniâtre, l’autre un très habile praticien. Finalement ils n’ont eu qu’un seul point commun: ils ont vécu les dernières années de leur vie dans notre ville, et c’est pourquoi je vous en ai parlé.

Concluons

Un tel récit appelle quelques réflexions épistémologiques. Nous avons fait un survol du XIXème siècle qui donna aux Sciences un essor formidable dans toutes les disciplines. Dorénavant il s’est établi un lien unique entre la recherche fondamentale, la recherche appliquée et les développements industriels.

Il faut comprendre qu’on ne peut arrêter ni même freiner raisonnablement le processus de cette évolution. L’adage « le progrès appelle le progrès » date de plus de 150 ans, de même que l’expression « on n’arrête pas le progrès ». Chaque découverte en fait deviner une autre. Comme le dit le grand philosophe des sciences, Gaston BACHELARD: « L’homme animé par l’esprit scientifique désire sans doute SAVOIR, mais c’est aussitôt pour mieux interroger ».

Autre sujet de réflexion: quand on examine le comportement de tous ces savants, du plus humble au plus illustre, on observe un sentiment qui les a tous fait avancer dans leur travaux, c’est une foi et un optimisme inébranlable dans l’avenir d’une future civilisation guidée par les sciences. Je la résumerai en quatre citations dont la dernière, peu banale, je la garde pour la fin. La première, je l’ai trouvée sous la plume d’un ingénieur électricien, Jean BAILLE, qui écrivait à la dernière ligne d’un de ses livres, en 1874:  » Ce qui n’est pas fait se fera ». L’autre, sur le même thème, on la doit à Jules VERNE qui cite son ami le grand photographe NADAR qui disait en parlant de l’avenir: « Tout ce qui est possible se fera » …Dans le meilleur des mondes, évidemment!

Au début du XX° siècle, Gaston BACHELARD que nous citions tout à l’heure, disait encore: « Le temps se charge de réaliser le probable ». Avec le du recul du temps que pouvons nous penser de ce « meilleur des mondes »? Les philosophes du siècle des Lumières l’ont rêvé. Les savants du XIXème siècle l’ont espéré. Nous savons maintenant qu’à chaque progrès positif indiscutable est associé un inévitable effet secondaire négatif. Par exemple le développement de l’industrie a causé le dépeuplement des campagnes entassant les familles dans les cités autour des usines. Et plus encore la pollution, sous toutes ses formes, qui est aussi une conséquence nuisible de l’expansion industrielle.

L’opinion que chacun d’entre nous avons de la science n’est plus celle du XIXème siècle. Aujourd’hui la science fait peur. Est-ce de la science-fiction? Certains ont la crainte qu’un jour les peuples de la terre soient victimes des « savants fous ».

Cependant, qu’on le veuille ou non, nous sommes entraînés dans une dynamique que nous ne pouvons pas refuser, sauf à disparaître. Le progrès véritable, qui produit plus de positif que de négatif, consiste désormais à trouver des remèdes aux effets néfastes, et cela est aussi du domaine de la recherche. Nous commençons à en prendre conscience et si l’on garde l’optimisme du XIXème siècle, nous pouvons continuer à espérer pour nos descendants un monde meilleur. . .mais peut-être, selon Voltaire, suis-je trop candide? Je pense quand même que le bilan des deux siècles précédents est positif.

Enfin, si je suis candide, je le suis beaucoup moins qu’un certain individu, assez célèbre. N’a t’il pas déclaré un jour, propos rappelés par André CASTELOT et Alain DECAUX, et qui me serviront de conclusion…utopique:  » Dans des milliers d’années, l’homme sera bien différent de ce qu’il est à présent. Les sciences seront alors si avancées que peut-être trouvera-t-on le moyen de vivre toujours ». Et c’est signé: NAPOLEON ler !!

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages de ma bibliothèque consultés pour écrire cette conférence, dans l’ordre chronologique de parution.

– Abrégé des Sciences. G. Hesse. Lib. Corbet. 1836.

– Histoire naturelle. Lacépède. Ed. Furne. 1847

– Nouveau Vocabulaire de la Langue Française. Lib. Martial Ardant. 1852.

– L’électricité. Jean Baille. Ed. Hachette. 1874.

– Dictionnaire de Médecine. Littré et Robin. Librairie Baillière. 1878.

– La France Illustrée. Malte-Brun. Ed. Jules Rouff. 1881.

– Encyclopédie Universelle du XX° siècle (12 volumes). Lib. Nationale. 1902.

– Instruments d’Optique. Jules Raibaud. Lib. Doin. 1910.

– Mon Médecin. Encyclopédie pratique. Ouv. collectif. Lib. Quillet. 1914.

– L’industrie de nos jours. P.Jacquemart. Lib. Delagrave. 1919.

– Lunettes et télescopes. Danjon et Couder. Ed. Revue d’Optique. 1935.

– Introduction à la médecine expérimentale (texte de 1865). Claude Bernard. Lib. Delagrave. 1937.

– Histoire des Français. P.Gaxotte. Ed. Flammarion. 1957.

– Histoire de la Médecine dans l’Antiquité. Jurgen Thorwald. Ed. Hachette. 1962.

– Grande Encyclopédie Larousse (23 vol.). 1971.

– Histoire de la France et des Français (8 vol.). A.Castelot et A.Decaux. Lib Perrin et Larousse. 1979.

– Victoire sur l’énergie. A.Ducrocq. Ed. Flammarion. 1980.

– Institut de France. Lib. de l’Institut. 1980.

– Garches et son Histoire. Louis Nicol. Ed. Graphédis. 1981.

– Les inventions qui ont changé le Monde. Ouv. collectif. Ed. Sélection du R.D. 1983.

– L’aventure de l’électricité. Leprince-Ringuet. Ed. Flammarion. 1983.

– La formation de l’esprit scientifique. Gaston Bachelard. Lib. J.Vrin. 1986.

– Texte sur la vue et les couleurs. A.Schopenhauer. Lib. J.Vrin. 1986.

– Histoire du Monde. Ouvrage collectif (19 volumes). Ed. Larousse et Sélection. 1993.

– Les savants de Bonaparte. Robert Solé. Ed. du Seuil. 1998.

– Garches, Arrêt sur images. Catherine Sart. Imp. Maury. 1999.

– Histoire de la médecine. Roger Dachez. Ed. Tallandier. 2004.

…et évidemment les rubriques « Casimir Davaine » et « Histoire de l’urologie » sur INTERNET, en 2005.

En savoir plus …

Coté Web :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Casimir_Davaine

http://www.didier-pol.net/1MICROB.html

http://www.astrotheme.fr/portraits/RB58WDRLz55u.htm

http://www.ville-garches.fr/index.php?option=com_content&task=view&id=58&Itemid=88

http://ije.oxfordjournals.org/cgi/content/full/30/6/1249

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