HISTOIRE DE LA THERAPEUTIQUE ET DES MEDICAMENTS

Thèmes: Civilisation, Médecine, Sciences                                                                                    Conférence du mardi 3 mai 1983

CERCLE DE DOCUMENTATION ET D’INFORMATION
« CLUB DU TEMPS LIBRE »

HISTOIRE DE LA THERAPEUTIQUE ET DES MEDICAMENTS

Le mardi 3 mai, le professeur Jean BERNARD, membre de l’Académie des sciences, de l’Académie nationale de médecine, et de l’Académie française, hématologiste réputé, a eu l’extrême gentillesse de venir à Garches nous entretenir de l' »Histoire de la thérapeutique et des médicaments ».
Sa présence à été, pour le cercle de documentation et d’information, un grand honneur dont nous le remercions vivement.
Le présent compte rendu a été rédigé par le Professeur Jean BERNARD ; nous le remercions vivement de l’aide qu’il nous a ainsi apportée.

I –

Un petit garçon de sept ans, atteint de méningite pneumococcique, s’enfonce dans le coma. Il va mourir. Les sulfamides sont donnés. Il retrouve en quelques jours la santé.
Une jeune femme, depuis plusieurs mois, languit, maigrit, se consume. La tuberculose qui allait l’emporter est reconnue. Les antibiotiques obtiennent aisément la guérison.
Un homme d’âge mûr pâlit, s’affaiblit, ne mange plus. Le diagnostic d’anémie pernicieuse est porté. La vitamine B12 corrige aisément l’anémie qui, désormais, n’est plus pernicieuse.

Il ne s’agit là que d’exemples. De tels succès sont communs aujourd’hui. Ils étaient jadis exceptionnels. L’histoire de la thérapeutique et des médicaments se divise tout naturellement en deux parties :
1.- L’histoire des échecs,
2.- L’histoire des succès.

On peut en effet distinguer quatre périodes dans l’histoire de la médecine.

1.- La première période est une interminable enfance qui s’étend sur plusieurs millénaires et se termine au milieu du XIXème siècle.
La durée moyenne de la vie est à la fin du XVIIIème siècle de 25 à 32 ans, à peine supérieure aux 20, 25 ans de vie accordés à la préhistoire.

2.- La deuxième période est celle des 6 glorieuses. 1859, Darwin et l’origine des espèces, 1859-1865, les fameuses expériences de Pasteur réfutant la génération spontanée ; 1865, Mendel fonde la génétique ; 1865 aussi, Claude Bernard publie l’Introduction à l’Etude de la Médecine expérimentale.
Ces remarquables découvertes ont permis la naissance de l’hygiène, de la chirurgie, de l’obstétrique ; mais, par un paradoxe singulier, elles n’ont pas eu d’influence immédiate sur la thérapeutique. Ainsi, en 1930, la médecine ne modifiait guère le cours des maladies qui, bénignes, guérissaient seules, graves étaient fatales.

3.- La troisième période, celle que nous venons de vivre, est la période de la révolution thérapeutique. Elle s’ouvre avec les sulfamides (1937-1938). Il est à peine besoin de souligner la transformation de la médecine qui change plus en 40 ans que pendant les 40 siècles précédents. Mais cette révolution si heureuse reste empirique. L’histoire de la péniciline (Fleming), de l’heureuse alliance du hasard et du génie, illustre cet empirisme.

4.- La révolution biologique définit la quatrième période, celle que nous vivons. La logique du vivant est reconnue, définie. Les données fondamentales, 1e code génétique, la pathologie moléculaire commencent d’avoir des applications pratiques. Les relations entre le génie génétique et la préparation des médicaments en sont le premier exemple.

II –

En 1958, avec quelques amis de sa Faculté, le professeur Bernard eut la chance d’être reçu,à Pékin, par l’Académie des Sciences, dans la salle des médicaments. Ses hôtes leur expliquent d’a- bord longuement les principes métaphysiques, cosmiques, sociologiques qui gouvernaient la médecine chinoise traditionnelle. Puis ils leur montrent une collection d’admirables pots de porcelaine contenant les médicaments.

Préparations pour la plupart désuètes, fragments de végétaux, d’insectes ou de reptiles. Sur une porcelaine, la mention « Podophyllum » (1a Chine de Mao avait gardé le latin des Jésuites) et il apprend que l’antique thérapeutique chinoise utilisait la podophylle dans le traitement des tumeurs. Certains extraits de podophylle sont, depuis vingt ans, employés pour traiter les lymphomes (cancer). Ainsi étaient montrés les trois grands caractères de la médecine, de la thérapeutique du passé :
a) – le lien étroit avec la métaphysique, la cosmologie, la sociologie,
b) – l’inefficacité de la quasi totalité des médicaments,
c) – l’efficacité exceptionnelle de quelques-uns. Ainsi deux méthodes peuvent être appliquées à l’étude de la médecine du passé, la méthode du philosophe, la méthode du médecin.

De Claude Lévi-Strauss à Michel Foucault et à Jacques Attali, d’illustres anthropologues, moralistes, sociologues ont analysé les relations de l’homme, des sociétés humaines avec la médecine. Du Cru et du Cuit à l’Histoire de la Clinique, à l’Ordre Cannibale, ils ont enrichi notre connaissance de l’homme, ils ont donné un sens plus pur aux mots de la tribu.

Mais cet abord ne nous concerne pas ici. Seul nous retient l’abord médical. Le rôle du médecin est d’apaiser la peine et de retar- der la mort.
Pendant plusieurs millénaires il n’a pas assumé ces fonctions que lui confiait la société. Pourauoi ? on peut classer sous trois chefs les thérapeutiques appliquées pendant ces longues périodes où, pour re- prendre l’expression d’Etienne May, l’histoire de la médecine est tra- versée d’échecs et d’erreurs.

Dans une première classe, se trouvent les exceptions, à savoir les thérapeutiques anciennes et néanmoins efficaces, chirurgie élémentaire (extraction d’un corps étranger, destruction de tissus malades au ferrouge, immobilisation d’os brisés, trépanation au silex), action sur la température (immersion dans l’eau froids des rivières ou des étangs), sur l’alimentation.

Les deux autres classes assemblent les échecs. Mais tantôt l’échec est dû à la nature même, absurde, de la thérapeutique, poil de bouc, chair de lézard, peau de caméléon, infusion de scorpion, fiel de poisson, queue de truite, graisse de vipère, fiente de mouche, urine de quadrupède, farine pourrie, vulve de chienne, utérus de chatte, pénis d’âne et cette liste est très partielle. Tantôt cet échec est dû à l’emploi absurde, aux indications déraisonnables de médicaments raisonnables (ail, camomille, colchique, crataegus, myrrhe, pavot, ricin, rose, etc …).
La médecine a été, depuis les temps les plus reculés, et est encore aujourd’hui, pour une part logique et, pour une part, empirique. Mais pendant plusieurs milliers d’années, une logique, des logiques rigides, des empirismes fallacieux, ont entravé le développement de la médecine, ont gouverné l’inefficacité de la médecine.

Cette logique est d’abord celle de la religion. Elle est forte : « Le dieu est le maître véritable de l’homme. Il frappe de maladie ceux qu’il lui plaît de frapper. Le seul recours contre toute affection c’est d’apaiser le dieu. Le fléchir est l’affaire de ses ministres » (Contenau).

Les méthodes thérapeutiques sont alors :
1) – les incantations,
2) – les exorcismes,
3) – l’appel à des dieux médecins.

Un certain spiritualisme va longtemps persister, même pour Descartes « les esprits sont les parties les plus vives et les plus subtiles
du sang que la chaleur a raréfiées dans le coeur ».

Très vite à la logique pure de la religion se substitue la logique impure de la magie.
“Au commencement était la Magie qui maquille l’impuissance des gestes sous le pouvoir des mots » écrivent Bariéty et Coury. « A l’échelle
de l’être primitif puis à celle des civilisations les plus reculées, elle s’est longtemps dressée face à la maladie, considérée comme un fait divin.
Cette viciation matérialiste et humaine de la foi inprescriptible en une puissance suprême, s’est éteinte avec le temps mais on en voit encore rôder le fantôme sinon dans l’esprit des médecins, du moins dans le comportement de ceux qui se griment à leur image et l’homme n’a jamais cessé complètement d’y croire”.

L’astrologie triomphante de notre temps est le dernier avatar de ce courant magique sans cesse renouvelé.
La logique de la philosophie a, elle aussi, été très nocive et a entravé les progrès de la médecine et de la thérapeutique. La raison crée des systèmes qui expliquent le monde et l’homme. La médecineest commandée, obéissante, stérile. De l’antiquité grecque à l’époque contemporaine, les exemples sont nombreux de ces constructions favorables aux rhéteurs, inutiles ou nuisibles aux malades.

Il y a empirisme et empirisme. L’empirisme efficace suppose deux conditions :
1) – L’observation correcte des faits,
2) – La vérification, le contrôle.

Pendant plusieurs millénaires, ces deux conditions ne sont pas remplies. L’observation des faits demeure longtemps irrégulière, approximative. Avec Laennec seulement, 1e recueil des données devient rigoureux. Encore Laennec, s’il apporte une méthode neuve, néglige d’autres méthodes pourtant déjà anciennes et, par exemple, n’utilise pas le microscope de Leeuwenhoek et de Hewson jugé longtemps tout juste bon à amuser les marquises.

Nous savons aujourd’hui que l’efficacité d’un médicament n’est assurée que lorsqu’elle a été à maintes reprises confirmée. Cette rêgle qui nous paraît si simple, si claire, a pourtant été très longtemps méconnue. « Le vrai est ce qui est vérifiable » ont dit, presque dans les mêmes termes, tour à tour, Descartes, Claude Bernard, Valéry. Les médecins, pendant plusieurs milliers d’années, ont bien peu vérifié ni les faits (on se rappelle le Traité des Monstres d’Ambroise Paré) ni les effets de leurs thérapeutiques.

Pendant des millénaires, les mathématiques, la physique, l’astronomie progressaient admirablement. Enchaînées tout à tour ou simultanément par la religion, la magie, la philosophie, un déplo- rable empirisme, la médecine et surtout la thérapeutique restaient stagnantes. Peut-être parce qu’il s’agissait de l’homme, créature trop singulière pensa-t-on longtemps pour que la science et ses méthodes puis- sent lui être appliquées.

III –

La médecine, tout bien pesé, assume quatre fonctions. Elle détruit. Elle remplace. Elle corrige. Elle agit sur la cause. En fait, elle n’a longtemps assumé (et imparfaitement) que les deux premières, les plus grossières. Les deux dernières fonctions, soit les traitements physio-pathologiques et étiologiques, ont longtemps été objet des seu- les spéculations et ne sont réellement assumées qu’à l’époque contempo- raine.

Pendant longtemps, les seules thérapeutiques efficaces ont été les thérapeutiques destructrices et les seules thérapeutiques destructrices efficaces étaient chirurgicales.

Cette chirurgie destructrice a d’abord été externe, périphérique, limitée à l’amputation ou à la résection des membres ou fragments de membres malades ou plus souvent blessés. Elle est devenue interne, viscérale dans la seconde moitié du XIXème siècle, grâce aux progrès
de l’anesthésie, de l’antisepsie, de l’asepsie. Elle a longtemps représenté le seul traitement, elle demeure encore le principal traitement de nombreux cancers viscéraux.

– La destruction par les agents physiques commence avec le feu et les cautères mais reste balbutiante jusqu’à la découverte des radiations ionisantes, c’est-à-dire jusqu’aux dernières années du XIXème siècle, aux premières années du XXème siècle. L’histoire de ces radiothérapies destructrices est l’histoire des efforts de spécificité, de sélectivité avec tour à tour les rayons de Roentgen, altérant avec les tissus malades de nombreux tissus sains, les radiations de haute énergie atteignant électivement ou presque électivement leurs cibles (cobalt …), les radiothérapies internes visant électivement tels tissus, telles cellules.
– L’espoir de détruire par les médicaments les tissus malades est très ancien. L’aventure de la podophylline en témoigne. Mais l’histoire des chimiothérapies anti-cancéreuses efficaces est récente. Elle s’ouvre, au laboratoire, avec les travaux à Bruxelles de Dustin vers 1930 sur les premiers produits cytotoxiques, colchicine (venant du colchique), acridine, et, en clinique, (après les essais fragmentaires de Lissauer avec l’arsenic, de Von Koranyi avec le benzène) avec l’emploi des moutardes azotées, conséquences de l’accident d’un vaisseau
américain, à la fin de la seconde guerre mondiale.

Cette histoire, depuis plus de 40 ans est faite d’alternance, de progrès et de stagnation, d’association de hasard et de raison, de progrès suscités tantôt par la chimie de synthèse, tantôt le plus souvent (il faut le souligner) par l’extraction de substances naturelles.

Le hasard :
. pendant la campagne du Pacifique un incendie se déclare sur un bateau américain transportant du gaz de combat. Un certain nombre de marins sont brûlés par les gaz.
On examine leur sang et l’on constate avec stupeur qu’un bon nombre d’entre eux voient leur taux de globules blancs baisser considérablement. On avait fortuitement découvert un des premiers médicaments des leucémies.
. les paysannes de la campagne du Québec ävaient indiqué que la tisane de pervenche guérissait le diabète. Une enquête et des expériences
sont faites. Les extraits de pervenche ne guérissaient pas le diabète mais par contre, le nombre des globules blancs des animaux qui recevaient ces extraits diminuait. On avait découvert fortuitement un autre médicament contre la leucémie.

La raison :
Les antibiotiques agissent sur les microbes en troublant leur croissance. Des chercheurs français se sont demandés si d’autres antibiotiques ne pourraient agir sur les cellules cancéreuses et leucémiques en troublant leur croissance et leur développement. Ceci s’est avéré exact et toute une famille chimique, les anthracyclines,est née.

Alliance du hasard et de la raison :
Un savant italien découvre que le sérum de cobaye guérit certains cancers de la souris. Pendant longtemps on a cru à une immunothérapie. Plus tard, des contrôles plus rigoureux sont effectués et l’on s’aperçoit que le pouvoir du sérum de cobaye est dû à la présence d’un enzyme spécial : l’asparaginas
La prochaine étape espérée, non encore atteinte, sera la découverte de chimiothérapies vraiment différentielles, détruisant les cellules cancéreuses, épargnant les cellules saines.

IV –

THERAPEUTIQUES DE REMPLACEMENT .-

Les thérapeutiques de remplacement sont très anciennes. Les rites de substitution sont accomplis par presque toutes les médecines primitives. La victime est censée remplacer l’individu souffrant ou expier à sa place. Puis vient le temps des remplaçants inertes. Jambe de bois, dent d’or, nez de cuir ; les exemples familiers ou mythiques ne manquent pas de ces substituts inertes dont le seul rôle est de remplacer dans sa fonction statique, le membre ou le segment de membre manquant. Les progrès survenus dans la fabrication des plastiques permettent d’utiliser actuellement au lieu de ce matériel naturel, minéral, végétal ou animal, un matériel artificiel synthétisé. Une remarquable illustration des possibilités offertes par les nouveaux matériels est fournie par la chirurgie des anévrismes de l’aorte abdominale.
La connaissance améliorée des grands mécanismes de régulation nerveuse ou humorale et de leurs désordres, l’amélioration consé-
cutive des méthodes de correction de ces désordres devaient, semblet-il, reléguer à un rang modeste les procédés apparemment moins raffinés de remplacement. Mais au contraire, un grand courant de recherches suivi d’applications efficaces a transformé et élargi cette médecine de substitution, de suppléance. C’est 1à une étape importante, et pas tout-ä-fait attendue, de l’histoire des thérapeutiques. Ce n’est plus seulement un fragment anatomique que l’on remplace, c’est à un organe entier dans toute sa complexité physiologique qu’une mécanique vient se substituer.

L’histoire de ces organes artificiels distingue trois classes.

Tantôt avec une surprenante rapidité, la méthode est en quelques années passée des laboratoires de physiologie à la thérapeutique
médicale courante. Tel est le cas du rein artificiel, filtre souvent raccordé à la circulation du malade qui reçoit un sang chargé de substances
nocives, dangereusement déséquilibré et rend Un sang normal. Tel est le cas aussi des stimulateurs cardiaques.

Tantôt la méthode de remplacement, après un début brillant, reste limitée dans le temps, ne pouvant être que temporaire, et dans
l’espace, réservée aux centres chirurgicaux : tel est le cas du coeurpoumon artificiel, assurant hors du corps humain, une fonction fondamentale, l’oxygénation du sang.

Tantôt enfin, comme c’est le cas pour le vrai coeur artificiel, la méthode ne quitte pas encore les laboratoires de physiologie, soit que la technique ne soit pas encore assurée, soit qu’une technique efficace pose des problèmes financiers tels que les responsables hésitent.
Ce ne sont plus seulement des prothèses artificielles, ce sont des greffes de tissus, des transplantations d’organes que l’on commence à réaliser.

Cette histoire est toute récente. Elle commence avec le XXème siècle. Elle connaît depuis quelques années une remarquable accélération. Elle illustre le double courant qui parcourt et définit la recherche biologique et médicale :
1) – Le courant qui part du fondamental et aboutit à l’application thérapeutique. Ainsi la découverte par Karl Landsteïner, à Vienne en
1900, du premier système de groupes sanguins, dit AB0O, permet la transfusion sanguine, son essor, les millions de vies sauvées.
2) – Le courant qui remonte des constatations cliniques vers le fondamental.
Ainsi l’observation par Jean Dausset, en 1952, d’accidents de transfusions non expliqués par les groupes de globules rouges le conduit à supposer, puis à confirmer, l’existence des groupes leucocytaires puis tissulaires, le système HLA, à remonter à la petite fraction du VIème chromosome qui les gouverne, à parvenir à la définition biologique de l’homme, à redescendre ensuite vers la thérapeutique et aux greffes d’organes.

L’histoire de la transfusion sanguine permet de séparer plusieurs périodes, la découverte du premier système de groupe AB0O en 1900, la longue attente ultérieure, les transfusions n’entrant en thérapeutique qu’à la fin de la première guerre mondiale, l’explosion ultérieure, l’extension des indications, l’aventure Rhésus, le recours fréquent aux fractions de sang.

L’histoire des greffes, des transplantations, reconnaît trois évolutions différentes :
1) – celle du succès reconnu, le succès de la greffe de rein, largement répandue dans le monde,
2) – celles des applications en cours très prometteuses non encore tout-à-fait assurées, telle la greffe de moelle osseuse,
3) – celles des domaines incertains où se sont succédés quelques succés, de nombreux échecs, telle la greffe du coeur.

THERAPEUTIQUES CORRECTIVES.-

Claude Bernard n’a pas seulement, tout au long de sa vie de physiologiste, affirmé l’unité de 1a nature, montré que les lois de la matière étaient les lois de la vie, que la même physique, la même chimiegouvernaient les pierres, les plantes, les animaux, les hommes, rejeté les idées de caprice vital, de spontanéité de la matière vivante, com- battu la force vitale et ses tenants. I1 à aussi créé la physiologie pathologique, la physiopathologie qui, pour reprendre les termes d’un des successeurs de Claude Bernard au Collège de France, est un des avatars du vieux déterminisme. Mais un déterminisme original, fondé sur les faits, un déterminisme pragmatique qui inspire, depuis Claude Bernard, la thérapeutique. En aval et en amont. En aval, la notion de milieu intérieur, de cette grande mer d’eau salée sur les bords de laquelle vivent toutes nos cellules, a suscité la réanimation. La mort souvent n’est pas expliquée par des lésions anatomiques souvent modestes, mais par la perte d’un ou plusieurs des équilibres chimiques néces- saires à la vie cellulaire. Ainsi est né l’espoir d’empêcher la mort en rétablissant les équilibres physiques et chimiques intérieurs. La réanimation médicale a sauvé plus de vies que tous les antibiotiques réunis. En amont, la physiopathologie permet une véritable dissection des facteurs responsables, enrichit notre connaissance de la physiologie normale, connaissance qui, par un heureux retour, inspirera un traitement précis, spécifique de chaque maladie.

Inspirera. Le futur est ici nécessaire. De longs intervalles, une longue latence séparent les admirables concepts de Claude Bernard de leurs applications thérapeutiques. Pendant un siècle après Claude Bernard, les médecins traitent les anémies par des médicaments symptomatiques. Depuis 20 ans seulement le traitement est fondé par la physiopathologie, différent selon qu’il s’agit de déperdition sanguine, de des- truction globulaire, d’insuffisance de production. Une double discordance historique doit être ici notée. Le concept de Claude Bernard, le déterminisme physiopathologique est venu très tard dans l’histoire de la médecine. IT est venu trop tôt en un temps où le recueil des données était insuf- fisant. I1 deviendra efficace avec les progrès des méthodes enzymatiques, isotopiques, etc …

VI –

Le concept d’un traitement correcteur, d’un traitement fondé sur la physiopathologie est donc tout récent. L’espoir d’une thérapeu- tique étiologique, fondée sur la connaissance des causes est très ancien. Dans l’histoire des thérapeutiques étiologiques, trois périodes peuvent être distinguées. La première période, très longue est Île temps de la confusion. Certes Tes hommes connaissent très vite le rôle des traumatismes, des venins de serpents, et de quelques autres causes, mais pour le reste, c’est tantôt l’affirmation péremptoire : ainsi en 1345, la médecine chinoise attribue 1a tuberculose et son évolution à la prépondérance de l’élément Feu sur l’élément Métal, et tantôt l’ignorance : au temps de Laennec, du grand Laennec, la cause de la tuberculose est inconnue. Il faudra attendre Villemain et Koch.

Les découvertes de Pasteur qui définissent la deuxième période n’ont pas seulement créé la bactériologie, permis à l’hygiène, à la chirurgie, à l’obstétrique d’exister. Elles donnent à la médecine, à la thérapeutique, une nouvelle méthode, un nouvel esprit. À la confusion des siècles passés se substitue un concept rigoureux, celui de l’unité de la cause. Un seul bacille est la cause de 1a tuberculose un seul bacille est la cause de la diphtérie. Unité et spécificité sont liées. Le bacille,unique responsable d’une maladie, est différent des bacilles responsables des autres maladies. Les progrès de la médecine, pendant cent ans, ont les conséquences directes de ces concepts, de leurs applications.

En pratique d’abord, avec la définition par sa cause, par le microbe responsable de chaque maladie infectieuse, avec sa prévention par les vaccinations spécifiques avec plus tard son traitement par les antibiotiques spécifiques.

En théorie aussi, avec l’extension de la rigueur pasteurienne à toute la biologie, à la biologie, à la génétique. De grands domaines de la médecine sont heureusement bouleversés. Les maladies infectieuses ne répandent plus la terreur. Elles ne sont plus mortelles. Leur fréquence diminue..

Ces admirables succès ne doivent pas faire oublier les échecs ou les demi-échecs. Pour les cancers, l’artériosclérose, les maladies du coeur et des vaisseaux, les psychoses, les maladies de l’esprit, des progrès ont été accomplis. Mais ils sont lents, partiels, Souvent nous piétinons. De nouveaux concepts étaient nécessaires. Ils viennent d’être développés.

La tumeur de Burkitt observée en Afrique orientale, le cancer du rhino-pharynx observé dans la province de Canton ont ici valeur de modèles. Avec pour la première fois, le rôle reconnu d’un virus de type herpès, du parasite du paludisme, d’une anomalie chromosomique, d’un milieu socio-économique défavorisé. Pour le second, l’intervention du même virus de type herpès, de l’appartenance à un groupe tissulaire spécial, de la présence dans l’alimentation d’un poisson séché, salé, non vidé.

Ainsi est reconnue la pluralité des causes. Une nouvelle discipline en plein essor, l’anthropologie médicale s’inspire et de la pluralité des causes et de la diversité des populations. Les thérapeutiques curatives et plus encore préventives de l’avenir vont assurément être gouvernées par ces concepts neufs.

VII –

“Trois et deux font cinq et cinq et cinq font dix ».

Nous nous rappelons tous le fameux début du Malade Imaginaire et la comparaison que fait Argan des prix élevés de ses thérapeutiques
avec les résultats incertains des mêmes thérapeutiques.

L’histoire des découvertes thérapeutiques ne peut être séparée de deux autres histoires, l’histoire des méthodes employées pour apprécier l’efficacité des thérapeutiques, l’histoire des relations entre la thérapeutique et l’argent, entre la thérapeutique et l’économie. Dans la première de ces deux histoires complémentaires se succèdent quatre périodes, une première période de confiance absolue des médecins en desthérapeutiques fondées sur la religion,la magie ou la philosophie (cette période de confiance est aussi celle des échecs), une deuxième période d’étude de la toxicité des médicaments, une troisième période, celle que nous venons de vivre où tout à la fois la toxicité et l’efficacité sont examinées. C’est le temps des comparaisons des placebos, du double insu; une quatrième période enfin qui vient de commencer, à la fois scientifique et éthique, l’étude des essais médicamenteux, s’efforçant de concilier le respect du malade et sa
sécurité.

La deuxième histoire, l’histoire économique est,elle aussi,toute récente. Longtemps deux médecines ont co-existé, la médecine des riches qui inspirait les auteurs de comédies, la médecine des pauvres qui ne coûtait pas cher, les thérapeutiques (saignées, clystères) étant surtout soustractives. À cette période de faible coût et d’indifférence fait suite, avec les premières thérapeutiques efficaces, une période de coût plus élevé et d’indifférence persistante : les médecins longtemps refusant à prendre en considération les problèmes financiers (sauf quand leur propre revenu est concerné). Mais depuis quelques années à l’indifférence a succédé l’inquiétude avec le très rapide accroissement des dépenses de santé, pour une large part dues aux médicaments, avec la naissance de l’économie de la santé, avec l’étude des méthodes qui permettent de soigner les hommes sans ruiner les sociétés. Peut-être surtout en prévenant les maladies.

QUESTIONS. –

– Il y a un domaine que vous avez peu évoqué : la psychiatrie.

C’est le domaine le plus en retard où les psychiatres sont restés de grands orateurs. Quand 1a médecine est peu efficace et peu active, les médecins parlent ! Un progrès très remarquable se dessine : la neurobiologie est en plein essor. On commence à connaître la chimie des cellules du cerveau.

Monsieur Jean Bernard recommande à ce sujet un livre de Monsieur Changeux, professeur au Collège de France : « L’homme neuronal ».

– Quels sont les peuples les plus exposés au cancer ?

On ne peut parler de « cancer » en général. I1 y a différentes sortes de cancer. Pour certains nous connaissons des prédominances géographiques très précises. Il y a par exemple deux fois plus de leucémies en Suède qu’en Italie. Les leucémies sont plus fréquentes dans les pays où l’on se lave davantage.

Selon la variété de leucémie, on observe des géographies différentes. Certaines sont par exemple peu connues en Extrême Orient.

– Le cancer est-il héréditaire ?

A l’heure actuelle, il n’y a plus que deux façons de mourir : les maladies du coeur ou des vaisseaux et le cancer.

Donc lorsque l’on cherche de quoi sont morts nos proches on trouve ces deux maladies. Donc statistiquement, il est normal que l’on connaisse de nombreuses personnes atteintes par l’une de ces deux maladies.

Le seul héréditaire est le cancer de la rétine. Pour le cancer du sein,il y a une prédisposition familiale.

– Le cancer est-il contagieux ?

Non. Il y a cependant une exception pour le cancer du col de l’utérus. On a vu se développer le cancer de l’utérus chez les trois épouses successives d’un même homme, ce qui donne à penser que l’homme était porteur de germes.

– Le cancer peut-il être provoqué par la composition géologique des sols ?

Il semble qu’il faille une très grande différence de compositions entre des sols pour que le danger existe.

Les terrains dans lesquels il y a un excès de radiations sont en Inde et dans la forêt vierge brésilienne. Ce sont des régions où il est très difficile de mener des études.

– Recherche-t-on des médicaments contre le vieillissement du cerveau ?

Les travaux d’un très grand savant, le professeur E. Wolf, qui était professeur d’embryologie au Collège de France, ont porté sur le fait suivant. De tous les phénomènes de la biologie, celui qui paraît le plus extraordinaire est le suivant : nous venons tous d’une seule cellule, d’un seul oeuf fécondé. À partir de cet oeuf se sont développés notre coeur, notre foie … notre cerveau. E. Wolf a étudié ce phénomène
et a découvert qu’un certain nombre de substances qu’il appelle des « stimuli » favorisent l’orientation de ces cellules vers du tissu de foie
ou …

Il a reconnu une stimuline qui aide à fabriquer du système nerveux. Par conséquent, il a réussi à améliorer l’état du cerveau de Crevettes. Combien de temps faudra-t-il pour passer de la Crevette à l’Homme ?

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