CONSEQUENCES MORALES DES PROGRES DE LA BIOLOGIE ET DE LA MEDECINE

Thèmes: Médecine, Sciences, Société                                                                                                  Conférence du jeudi 22 novembre 1990

CONSEQUENCES MORALES DES PROGRES DE LA BIOLOGIE ET DE LA MEDECINE

 

 

 

Jeudi 22 novembre 1990

Le Professeur Jean Bernard, Directeur de l’institut de Recherche sur les leucémies et les maladies du sang, Professeur de l’Académie des Sciences, Membre de l’Académie française, Président du Comité Consultatif National d’Ethique des sciences de la vie et de la santé, a fait le grand honneur aux membres du CDI et aux Garchois, venus très nombreux l’écouter, de prononcer une conférence sur « les conséquences morales des progrès de la biologie et de la médecine ».

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Le Professeur Nenna a eu la gentillesse de le « présenter » « Vous me permettrez, chers adhérents du Cercle de Documentation et d’Information, de lui adresser une sorte de compliment comme font les anciens élèves quand ils rencontrent leur maître ».

« Mon cher maître, depuis presque 40 ans, vous n’avez cessé de me manifester une bienveillance active depuis le jour de notre première rencontre. Je revois cette rencontre. Le vent du Nord battait la cour de l’hôpital. Inclinant votre regard vers les parents éprouvés que vous étiez venus réconforter, vous leur avez parlé avec tant de douceur, avec une compréhension si profonde, que j’ai compris que vous n’étiez pas seulement un savant et un professeur, mais aussi un homme de cœur. J’ai emprunté ces lignes à Monsieur Jean Bernard, et quelques années plus tard après le moment où il les a prononcées, je trouve qu’elles conviennent exactement à ce que j’avais à lui dire.

Le savant que je connais est un jeune homme qui, dans les années 1930 d’une France victorieuse et exsangue, entreprend de réaliser des essais d’injection de substance cancérigène dans la moelle de rat. Il faut revoir ce qu’était à l’époque le laboratoire pour évoquer la ténacité, l’ardeur de recherche qu’il fallait à un jeune interne des hôpitaux de Paris pour se lancer dans ce travail, dans ce laboratoire de l’hôpital Claude Bernard qu’il a bien connu. Dès lors, avec opiniâtreté, le domaine des maladies du sang et des ganglions devient votre fief. L’étude des leucémies des rongeurs, leucémie induite par certains poisons ou irradiations vous conduit au travers des moutardes et des pervenches à obtenir les premières rémissions au cours d’une leucémie aigüe, mortelle en quelques mois.

Vous allez avec les équipes que vous animez, année après année, essai après essai, l’espoir de guérir cette maladie fatale, ce qui un jour se réalise.

Et comme la chaîne de maître à élève ne s’interrompt pas, je dois vous dire qu’un jeune étudiant, qui naguère serait mort après irradiation, greffe, immunosuppression, un témoin très fidèle de cet esprit de recherche qui vous habite toujours, que vous lui avez, par élève interposé, transmis.

Je suis heureux ce soir de vous rendre hommage. Vous allez nous parler des conséquences morales des progrès de la biologie et de la médecine avec la sagesse qui est votre apanage. En effet, comme Président du Conseil National d’Ethique, vous connaissez les difficultés que font naître les nouvelles acquisitions scientifiques et leurs applications à l’homme. Vous défendez ainsi les droits de l’homme et de l’espèce humaine en ouvrant les portes qui cloisonnent la connaissance des sciences et des lettres, des techniques et des sagesses. Vous défendez surtout cet homme moderne écartelé entre l’innovation et la tradition, entre le remous des médias et de l’actualité et le nécessaire renoncement intérieur, et là, comme ailleurs, vos disponibilités, la clarté de l’esprit qui vous habite, la suprême discrétion dont vous faites preuve, vous acquièrent une estime unanime.

Vous retrouvez ce soir Garches, vous avez écrit : « j’ai eu la chance, au meilleur âge, entre 20 et 25 ans, d’être introduit à l’étude de la médecine expérimentale par deux grands biologistes contemporains : James Reilly entreprenait de renouveler la physiologie du sympathique et de la pathologie, et Gaston Ramon, tout lumineux de la gloire jeune alors du vaccin antidiphtérique. Garches s’enorgueillit d’avoir été le lieu de travail de ce savant. Vous retrouvez aussi à Garches, le souvenir de nos maîtres. Vidal avait sa maison de campagne non loin d’ici, Netter est le nom d’un des pavillons de l’hôpital Raymond Poincaré, la crèche de l’hôpital rappelle le souvenir de Davaine. Nous sommes tout proche de la propriété de Civiale et Prosper Emile Weil a été l’un des premiers médecins de l’hôpital Raymond Poincaré en 1937. Albert Delaunay demeure fidèle ami de Garches et l’un de ses fleurons. Vous-même venez décerner parfois un prix littéraire avec quelques-uns de vos éminents collègues. Vous n’hésitez pas à venir par la route rustique qui joint nos collines au Pré Carré du Luxembourg. Je suis sûr que le Cercle de Documentation et d’Information et les habitants de Garches sont honorés de vous recevoir. Ainsi se tissent les toiles de la vie, ainsi les souvenirs, immobiles reflets tout le long de la mémoire, ombre des peupliers dans la plaine du Loir que vous chantez parfois, réchauffent la pensée et le cœur. Mais, comme il s’agit des hommes, vous l’avez écrit, Mathias Lubec avait raison, il ne faut pas faire d’exhibitionnisme avec son cœur ».

Jean Bernard prit alors la parole.

« Je remercie le professeur André Nenna de ses trop généreuses paroles. Vous aurez reconnu ce qu’il y avait d’indulgence et d’amitié dans son propos, mais il a compliqué ma tâche, car lorsqu’on est accueilli et présenté avec autant de chaleur, il faut ensuite, par la conférence, justifier le bien qu’on a dit de vous.

Je vais faire de mon mieux et je voudrais, pour commencer, vous proposer deux voyages inégalement lointains dans l’espace et dans le temps.

Pour le premier voyage, nous allons dans deux grandes îles de la Méditerranée, en Sardaigne et à Chypre. Là sévit une maladie héréditaire du sang, la thalassémie. La maladie est bénigne, si elle est héritée d’un seul des deux parents, mais elle est mortelle si elle est héritée des deux. Les enfants atteints de cette forme appelée majeure, vivent une existence misérable, pendant huit, dix, douze ans, allant d’hôpital en hôpital, de traitements médicaux en transfusions. Ils meurent le plus souvent avant la puberté, après avoir coûté très cher aux collectivités locales, tellement cher que l’on s’est aperçu dans ses îles, que si l’on soignait ces enfants, on n’avait plus d’argent pour soigner correctement les autres enfants atteints de maladie curable. On peut diagnostiquer la maladie au début de la grossesse. Les autorités médico-administratives de ces deux grandes ils ont donc recommandé l’interruption de la grossesse uniquement pour des raisons économiques. Décision dramatique, si l’on songe aux vies interrompues et si l’on rappelle qu’un traitement appliqué peu après la naissance, la greffe de moelle osseuse coûte 600 000 francs. Ainsi s’entrelacent, en un écheveau assez infernal, données biologiques, médicales, éthiques, religieuses et financières.

Second voyage, nous traversons l’Atlantique pour aller à New-York où un couple de milliardaires ne peut avoir d’enfant. La femme est stérile. Elle s’assure les services d’une pauvre femme qui recevra le sperme de son mari et, après l’accouchement, un nombre élevé de dollars. Un contrat est signé dont les clauses précisent les conditions du marché. L’insémination a lieu. Neuf mois plus tard, naît un enfant malformé. « Nous n’en voulons pas » disent les milliardaires. « Il y a eu un contrat. Donnez-moi mon argent » répond la jeune femme qui a conçu et porté l’enfant. Procès, expertise, étude des groupes sanguins. L’enfant malformé n’est pas le fils du milliardaire qui a donné son sperme. Il est le fils du mari de la jeune mère qui n’avait pas respecté la chasteté convenue pendant les jours précédant ou suivant l’insémination.

Ces deux histoires, très différentes, vous donnent une idée de la diversité des problèmes que nous posent les progrès de la médecine.

Nous avons assisté, en 50-60 ans, à deux révolutions successives qui ont changé le sort des hommes, beaucoup plus que les guerres, batailles, victoires de nos livres d’histoire.

La première révolution est thérapeutique et commence avec les sulfamides en 1937.

La seconde révolution est biologique. Elle est rationnelle. Elle inspire le concept de la pathologie moléculaire qui gouverne aujourd’hui toute la médecine. Elle a été illustrée par la découverte du code génétique, des lois simples qui président à la formation de la vie.

Ces deux révolutions qui ont changé le sort des hommes ont aussi pose des problèmes moraux inconnus.

La morale médicale s’est depuis Hippocrate limitée à quelques devoirs simples : compassion, désintéressement, dévouement.

En même temps que ces changements survenaient, le mot « morale » déplaisait, et on a vu curieusement ce mot remplacé par le mot « éthique « .

***

Je vous propose de partager cette conférence en trois parties :

I -Conséquences éthiques morales de la révolution thérapeutique.

Il -Conséquences éthiques morales de la révolution biologique.

III -Essais de solutions.

1 -CONSEQUENCES ETHIQUES MORALES DE LA REVOLUTION THERAPEUTIQUE

« C’est notre impatience qui gâte tout, et la plupart des hommes meurent de leurs remèdes et non de leurs maladies ». Assurément excessive au temps des modestes médicaments de Diafoirus, la critique de Molière ne peut être éludée actuellement.

Nous manions des médicaments extrêmement actifs, éventuellement agressifs, et nous avons besoin de les employer avec une grande prudence et après avoir pris de grandes précautions.

Ces précautions consistent en deux méthodes que l’on appelle essais thérapeutiques et qui sont les suivantes :

Le médicament doit d’abord être éprouvé sur des personnes saines après avoir subi toute une série d’épreuves en laboratoire. Il n’est pas possible de le donner à des malades sans être sûr qu’il est bien toléré. Des essais ont d’abord été pratiqués sur des médecins ou des techniciens de laboratoire, mais cela ne suffit pas et l’on a besoin de recourir à des volontaires. Dès que l’on s’adresse à cette notion de volontaires, des abus se profilent.

Il y a une vingtaine d’années, j’étais aux USA, je faisais une conférence sur les causes des leucémies. Après la conférence, le professeur américain, responsable de l’invitation, s’adresse aux étudiants : « Nous avons écouté avec grand intérêt notre collègue français. Quels sont parmi nous les volontaires qui accepteraient de se faire injecter dans les veines du sang leucémique ? Chacun gagnera 50 dollars et sera aisément reçu aux examens en fin d’année ».

Quelques mains se sont levées, mais je peux vous rassurer, jusqu’à maintenant, personne n’a encore réussi à transmettre la leucémie de cette façon.

Et sans aller jusqu’en Amérique, j’ai appris l’année dernière que trois firmes pharmaceutiques allemandes avaient fonctionnarisé des volontaires sains. Vous êtes au mois et lorsqu’ on a besoin de vous, vous êtes appelés pour une expérience.

Il est clair que cela n’est pas acceptable. Le Comité d’Ethique a précisé les règles du recours à des volontaires :

1 -Ils doivent être de vrais volontaires

2 -Ils doivent être instruits

3 -Le risque doit être petit

4 -Ils doivent être assurés

5 -Ils doivent être désintéressés. Ils peuvent toucher une indemnité de déplacement mais ne doivent être en aucun cas rétribués.

Le deuxième problème qui se pose au cours de ces essais est plus difficile. C’est celui de l’essai comparé. Voilà une anémie dans lequel le médicament A donne 50 % de guérison.

Arrive un médicament B. On ne sait pas s’il est inférieur, égal ou supérieur au A. La seule façon, en l’état actuel des connaissances, est la comparaison par tirage au sort partagé en deux groupes égaux ; le premier groupe reçoit le médicament A, le second groupe, le médicament B. Cette méthode est à la fois moralement nécessaire et nécessairement immorale.

Elle est moralement nécessaire, car vous n’avez pas le droit de lancer un médicament sans savoir ce qu’il vaut, mais elle est nécessairement immorale puisque les malades sont traités non pas seulement en fonction de leurs maladies, mais pour les informations utiles pour les malades du futur.

Lorsqu’au Comité d’Ethique où la moitié des membres est médecin et l’autre moitié est philosophe, théologien, juriste, les membres non médecins ont appris cette méthode, ils ont été scandalisés. Je les ai réconfortés par l’histoire que j’ai vécue de deux vaccinations :

  • La première vaccination est celle contre la tuberculose par le BCG. Je travaillais à l’Institut Pasteur avant la guerre lorsque l’illustre Professeur Calmette a découvert le BCG. Il avait 78 ans et l’idée de mourir sans savoir ce que valait le vaccin lui était insupportable et par conséquent ce vaccin a été lancé n’importe comment sans précaution, sans comparaison. Il y eut des scandales. Il fallut 20 ans pour que l’on sache que le BCG est un très bon vaccin (bacille Calmette-Guérin).
  • La deuxième vaccination est celle contre la poliomyélite. Deux chercheurs américains Sabin et Salle découvrent ce vaccin. Ils font deux lots de 200 000 enfants. Le premier reçoit le vaccin, le deuxième un placebo (injection d’eau salée sous le nom de vaccin). C’était une lourde responsabilité avec le risque de poliomyélite grave, éventuellement mortelle, qu’on aurait pu prévenir, parmi les enfants non vaccinés. Mais après deux ans, la haute valeur du vaccin, son efficacité, était démontrée de façon éclatante. Et la poliomyélite, comme naguère la diphtérie, va probablement disparaître.

Une deuxième série de questions liée aux transplantations et aux greffes d’organes. La médecine moderne utilise dans un grand nombre de comme traitements de maladies graves, des transplantations, greffes de moelle osseuse, de reins, de cœur, de foie. Les problèmes moraux posés par cette transplantation sont très nombreux. Je n’en citerai que deux :

1) – dans le traitement des leucémies de l’enfant, lorsque les médicaments sont inefficaces, un espoir de guérison dans la greffe de moelle osseuse. Le donneur compatible un frère, une sœur du malade, donc lui aussi, elle aussi un enfant.

Est-il permis, sans qu’il puisse vraiment donner son accord, de soumettre cet enfant au risque petit mais non nul de l’anesthésie générale ? oui en droit, si les parents, qui en ont le pouvoir, donnent leur accord. Moins surement du côté de la morale. Les spécialistes français de greffes de moelle, après les hésitations initiales, se sont contentés de l’autorisation des parents. L’enfant atteint de la maladie était de mourir si on ne lui faisait pas la greffe. Dans divers états USA, un « child advocate » indépendant, juriste ou philosophe, est nommé qui étudie diverses données et accorde ou non l’autorisation sollicitée.

2) – un remarquable chercheur de Lyon, le Professeur Touraine, avait à traiter une très grave maladie du nouveau-né qu’on appelle, le déficit immunitaire. Les enfants atteints de cette maladie, naissent sans aucune défense contre les infections et meurent en quelques mois s’il n’y a pas de traitements appliqués. Or le foie de fœtus contient des globules, des cellules qui fabriquent les substances immunitaires, Touraine a donc proposé de traiter ces enfants condamnés par la greffe de foie de fœtus mort. Il a été attaqué devant un tribunal de Lyon par un groupe « d’intégristes » qui pensaient que cette méthode allait donner bonne conscience aux personnes qui font des interruptions volontaires de grossesse. Après étude, le Comité Consultatif National d’Ethique, après rappelé que le fœtus devait être considéré comme une personne potentielle, a distingué trois cas :

a) – autorisation lorsque la greffe de foie fœtal permet de sauver la vie d’un enfant atteint d’une grave insuffisance de la moelle osseuse, d’un déficit immunitaire constitutionnel et qu’il n’existe pas de donneur fraternel HLA compatible.

b) – refus lorsqu’il s’agit à partir de tissus fœtaux, de la préparation de divers produits de beauté, cosmétiques…

c) – renvoi au Comité d’Ethique en cas de problèmes nouveaux (pancréas fœtal et diabète par exemple).

Le tribunal de Lyon nous a suivis et le Professeur Touraine a été relaxé.

Ethique et épidémiologie :

Les registres

Pendant longtemps, la cause des maladies était simple. Il y avait un microbe pour la tuberculose, un pour le tétanos.

Maintenant, nous savons que beaucoup de maladies, dont la cause a longtemps échappé, sont dues à une addition de causes. Par exemple, pour telle variété de cancers observée chez l’enfant africain : c’est un virus, plus le parasite du paludisme, plus une anomalie des chromosomes, plus la pauvreté. Alors on s’est dit que pour le cancer du sein qui reste un mystère si l’on interroge 10000 dames atteintes de ce cancer, si on demande tout ce qui s’est passé dans leur vie, leur naissance, leurs maladies, leurs habitudes… et que l’on confie ces dossiers à un ordinateur, il pourra trouver le facteur commun, à ces 10000 dames, et l’on aura ainsi fait un progrès certain. C’est le bon côté.

Mais dans une petite ville, le secret sera très difficile à garder. Très vite, tout le monde saura quelles ont été les aventures médicales, sentimentales de madame X.

Deux dangers :

a) le premier est celui de l’invasion étrangère. Nos amis hollandais qui comme nous ont connu les horreurs de l’occupation hitlérienne ont très peur de cela.

b) il y a aussi le problème personnel. Il faut que les spécialistes informatiques fassent des efforts pour trouver des moyens de garder le secret.

Il -CONSEQUENCES ETHIQUES MORALES DE LA REVOLUTION BIOLOGIQUE

Les problèmes posés par la révolution biologique sont beaucoup plus importants. Les premiers concernent surtout les médecins et les malades, les seconds concernent la société humaine tout entière.

En effet les progrès de la biologie sont en train de donner trois pouvoirs à J’homme :

  • la maîtrise de la reproduction
  • la maîtrise de l’hérédité
  • la maîtrise du système nerveux

1 – la maîtrise de la reproduction

Un médecin du temps de l’empereur Hadrien recommandait aux dames romaines d’éternuer au moment décisif pour éviter d’être fécondées. Depuis lors, les méthodes anticonceptionnelles ont été améliorées…

Je voudrais insister sur les problèmes moraux posés par deux découvertes récentes :

a) les molécules anti-progestérones et les vaccinations contre la grossesse.

La progestérone est une hormone indispensable à toutes les étapes de la grossesse. Etienne Baulieu et ses collaborateurs ont annoncé en 1982, par une note présentée par l’Académie des Sciences, la synthèse d’une substance, d’une molécule anti-progestérone, appelée RU 486.

La molécule RU 486 interrompt la grossesse une semaine après la conception. Elle n’est pas tout à fait au point, mais dans un an ou deux, elle le sera. Alors toutes les dispositions de Madame Simone Veil, sur l’interruption de grossesse vont s’écrouler, puisqu’elle prévoit un délai de quelques semaines …

Le vrai problème va être celui de mœurs de société. Comment vont se conduire les jeunes filles et jeunes femmes de l’avenir ? Vont-elles préférer les méthodes contraceptives actuelles ou accepter de prendre la molécule « du lendemain » sans savoir si elles sont enceintes, avec le risque de tuer leur enfant sans savoir s’il existe ?

Dans quelques années, nous allons disposer d’un vaccin contre la grossesse. Les premiers vaccins étudiés en Inde et qui devaient agir contre les antigènes du sperme, limitaient leurs actions aux antigènes du sperme du mari, donc tout enfant était obligatoirement adultérin. La méthode a été abandonnée. A l’heure actuelle les recherches sont différentes. On utilise une hormone de grossesse féminine et que l’on a couplé au vaccin du tétanos. On pourra ainsi disposer vers la fin du siècle d’un vaccin efficace avec de grands avantages quand on protégera pendant deux ou trois ans une jeune femme malade, tuberculeuse par exemple, qui, une fois guérie, pourra concevoir sans danger. Avec de grands soucis, lorsqu’une autorité politique, se fondant sur des données politiques erronées ou justes, prétendra interdire la grossesse à telle ou telle catégorie de jeunes femmes.

b) insémination artificielle

Jean Rostand, il y a plus de 50 ans, a montré que le sperme des mammifères pouvait être conservé à très basse température.

Le cas des maladies graves dont le traitement salvateur peut rendre stérile le malade qui le subit ne pose pas de problèmes moraux. Il dépose son sperme au centre de conservation. Deux ans plus tard guéri, mais stérile, il pourra, grâce à ce sperme conservé, concevoir ses propres enfants.

Une autre utilisation est celle d’un sperme offert par un donneur anonyme. Mais avec le temps, les choses se dégradent. En France, l’anonymat est rigoureusement appliqué. En Suède, des pédiatres, des généticiens… ont fait remarquer que si l’on voulait soigner correctement un enfant, il était très important de connaitre son père. Ils ont convaincu le Parlement qui a voté une loi interdisant l’anonymat en matière de don de sperme. Les donneurs ont disparu. En fait, c’est un faux problème. Dans les centres français, on interroge soigneusement les donneurs, on a un document concernant leurs maladies, leur groupe sanguin… et on transmet ces informations anonymement à la famille receveuse.

c) la procréation médicalement assistée.

Soit une femme stérile parce que ses trompes ont été bouchées par une infection. On prend le sperme de mari, on prélève chirurgicalement les ovules de l’épouse, et puis au laboratoire, on effectue une fécondation. Comme cela ne réussit pas la première fois, on prépare plusieurs embryons (10). On implante le premier, le deuxième, puis au troisième une grossesse se déclare. On a « sur les bras » 7 embryons dont on ne sait que faire.

Ces procréations posent deux problèmes :

– leurs justifications

– les embryons surnuméraires (2000 dans les réfrigérateurs dans les laboratoires français). Qu’en faire ?

– garder les embryons surnuméraire s pour une autre grossesse du même couple. Mais combien d’années ?

– faire don des embryons surnuméraires à d’autres couples ?

– faire des expériences ?

– les tuer ?

En réalité, c’est un problème temporaire car dans quelques années, on saura congeler les ovules. Donc il n’y aura plus d’embryons surnuméraires.

Un couple d’Américains très fortuné est stérile. Les trompes de l’épouse sont bouchées. Les biologistes, les médecins australiens ont acquis une très haute réputation dans le domaine de la fécondation in vitro. Nos milliardaires se rendent donc en Australie. Le sperme de l’époux, les ovocytes de l’épouse sont prélevés. Plusieurs spermatozoïdes, mis en présence de plusieurs ovocytes, fécondent ces ovocytes. Plusieurs embryons sont formés. Les médecins australiens sont prêts à introduire ces embryons dans l’utérus de la dame.

A ce moment, une obligation imprévue et forte contraint le couple à revenir en Amérique. « Nous serons de retour en Australie la semaine prochaine » assurent-ils. Mais leur avion tombe dans le Pacifique. Aucun survivant.

Le neveu des milliardaires, héritier de leur fortune, télégraphie au gouvernement australien et demande la destruction des embryons qui sont les vrais héritiers. Les médecins australiens refusent cette destruction. Une vigoureuse polémique oppose, des deux côtés du Pacifique, partisans et adversaires de la destruction.

Après quelques semaines de polémique, le journaliste qui avait le premier décrit cette aventure, annonce qu’elle est entièrement imaginaire. Point de milliardaire, point de stérilité, point d’Australie, point d’embryon. « J’ai souhaité, ajoute-t-il, connaître les réactions de l’opinion confrontée à un tel problème « .

La procréation médicalement assistée au mieux réussit dans 15 % des cas, ce qui veut dire que 5 sur 6 malheureuses femmes stériles seront encore stériles après avoir supporté toutes les interventions. Cela coûte à chaque fois environ 100 000 francs à la collectivité (remboursé par la sécurité sociale). Une greffe de moelle osseuse coûte 500 000 francs. Donc avec 5 interventions sur la stérilité, on peut sauver la vie d’un enfant. Cela mérite réflexion. On peut beaucoup limiter ce problème par les deux mesures suivantes :

– 45% de ces stérilités auraient pu être évitées si la jeune femme avait été instruite des conséquences des infections de ses trompes et avait appliqué le traitement convenable. Un vigoureux effort d’information est nécessaire dans ce sens.

– Avec la diminution du nombre des naissances, l’adoption est devenue difficile, lente. « Ce fut une grossesse de cinq ans », me disait l’an dernier une jeune femme qui en effet avait attendu cinq ans l’enfant adopté.

Mais dans Je monde, en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud, de nombreux enfants orphelins, abandonnés, sont dans le malheur. Ils sont parfois l’objet de manœuvres de certaines chaînes commerciales.

La question mériterait, semble-t-il, une étude sérieuse des grandes organisations internationales : Croix-Rouge Internationale, Organisation Mondiale de la Santé. De nouvelles méthodes, de nouvelles procédures devraient être mises au point. Ainsi pourraient être atténués deux malheurs, le malheur des femmes stériles, le malheur des enfants abandonnés du tiers-monde.

2)-Maîtrise de l’hérédité :

– le Comité National d’Ethique s’est penché récemment sur le problème posé par une très grave maladie du système nerveux qui appelle la « Chorée de Huntington ». Cette maladie peut être reconnue pendant la grossesse, mais elle ne se déclarera qu’à 40 ans et elle tuera en quelques mois. Si la personne atteinte a des enfants, elle transmettra la maladie à la moitié de sa descendance. Devant cette situation, certains membres du Comité ont dit que la seule solution était de faire le diagnostic pendant la vie utérine et l’avortement systématique. Si on fait cela, disent-ils, dans dix quinze ans, la maladie aura disparu. Ce n’est pas si simple. Laissons de côté les convictions religieuses qui sont très nobles et peuvent s’opposer complètement à cette méthode. Toutes les œuvres de Mozart ou de Pascal ont été accomplies avant 40 ans.

Un enfant qui naît aujourd’hui et qui tombe malade dans 40 ans pourra bénéficier des progrès de la médecine. Faut-il annoncer le diagnostic et le pronostic fatal aux parents, puis à l’enfant, puis à l’adolescent qu’il sera devenu ? Quels seront la conduite, l’accablement, les désordres de cet homme assuré de mourir à 40 ans ? Faut-il dissimuler, laisser l’homme se marier, avoir des enfants, puis mourir en laissant en situation parfois précaire, veuve, orphelins ? Voilà un problème difficile.

– un autre problème est posé non par la certitude, mais par la probabilité d’une maladie. « Et là ce sont les conséquences du travail de mon ami Jean Dausset ». Il a découvert un système de groupe sanguin nouveau, HLA.

L’appartenance à tel ou tel sous-groupe du système HLA définit avec précision, pour certaines maladies au moins, la prédisposition, le terrain, resté confus depuis Hippocrate.

Ainsi le diabète juvénile, le diabète insulino-dépendant de l’enfant, se rencontrer avec une fréquence toute particulière chez les individus qui appartiennent au groupe HLA DR3 et DR4. Il ne s’agit que d’une prédisposition. La maladie sera ensuite provoquée par un facteur de l’environnement. Les techniques actuelles permettent de reconnaître ce groupe sanguin à la naissance et même pendant la vie intra-utérine. Il sera ainsi possible d’informer les parents, de leur donner les conseils nécessaires, et très probablement de limiter ainsi la fréquence et la gravité de ces diabètes de l’enfant.

C’est l’amorce de tout ce qui va être la médecine du XXIème siècle qui sera une médecine de prédiction avec deux conséquences très heureuses :

  • diminuer le malheur,
  • coûter moins cher à la société.

Mais ces progrès posent aussi des questions éthiques. Plusieurs firmes étrangères ont demandé au moment de l’engagement d’un nouveau membre de leur personnel, à connaître son groupe HLA. Ceci pour refuser J’embauche s’il s’agit un groupe HLA comportant des risques. Le Comité Consultatif National français d’Ethique interrogé, a rendu après une étude attentive, un avis très formel. En aucun cas, un employeur public ou privé ne doit être autorisé, non seulement à demander, mais à posséder des informations sur le groupe HLA de la personne qui souhaite être engagée.

Cette interdiction moralement fondée, unanimement acceptée, a valeur générale. Quelques cas particuliers méritent pourtant d’être signalés. Ainsi, le benzène employé dans diverses industries peut provoquer des désordres sanguins graves chez certains ouvriers le maniant. Chez certains, pas chez tous. Ces désordres sanguins ne sont observés que pour 5% à 10% des ouvriers exposés. Tout permet à penser qu’il sera un jour découvert l’appartenance à tel groupe HLA, ou autre facteur de prédisposition. Supposons reconnue cette prédisposition. Elle devrait être signalée, ce qui conduirait à éviter à l’ouvrier fragile le risque d’une maladie professionnelle et par exemple à le placer dans un des ateliers de l’usine où le benzène n’est pas employé.

3) -Maîtrise de la génétique :

C’est dans le domaine de la maîtrise génétique qu’il faut placer un problème, peut-être le plus grave de tous ceux que j’ai exposés devant vous : la possibilité de modifier le patrimoine héréditaire d’un être vivant. On est en train de mettre au point des méthodes qui pourront modifier complètement le patrimoine héréditaire d’un individu. C’est un débat cruel. D’un côté on peut fabriquer de nouveaux Hitler … et d’un autre supprimer de nombreuses maladies héréditaires.

Fort heureusement, c’est un progrès de la connaissance qui est en train d’apporter une solution. On distingue à l’heure actuelle deux sortes de gênes. Ceux qui gouvernent tout l’individu et ceux qui gouvernent un organe. Il est interdit de toucher au patrimoine génétique global, mais il est permis de modifier un organe malade par son gène.

4) -Maîtrise du système nerveux :

a) Tout a commencé par les découvertes dues à Bernard Halpern, Jean Delay, qui ont conduit à la naissance d’une science nouvelle, la psychopharmacologie, c’est-à-dire la possibilité de traiter les maladies de l’esprit par des médicaments. La nouveauté réside en la spécificité. Telle molécule agit sur telle fonction de l’esprit. Les conséquences individuelles, moins graves pour l’avenir des sociétés, sont inquiétantes aussi. Les Alcestes, les Philintes … de l’avenir pourront-ils être changés par quelques gouttes ou quelques comprimés ? Quel dictateur du futur, l’Hitler du XXIème siècle souhaitera transformer pour les besoins de sa politique, ses sujets en tigres ou en moutons.

b) On est en train de réussir la greffe de cellules nerveuses dans le cas de graves maladies comme la maladie de Parkinson. Les espérances sont grandes.

Il y a deux problèmes moraux :

  • jusqu’à maintenant on a utilisé des cellules de fœtus.
  • il y a deux définitions biologiques de l’homme :

– la définition génétique par les groupes sanguins

– la définition par le cerveau.

A partir de combien de cellules greffées aura-t-on changé la personne ? Est-ce permis ?

III – ESSAIS DE SOLUTIONS

1) C’est aux médecins de trouver les remèdes. Pauvres médecins ! Tantôt on les accuse d’être insuffisants, ou bien on voit surgir un mot bizarre : « le pouvoir médical » alors que les médecins n’ont jamais que le pouvoir que leur donne la société.

2) C’est le malade qui doit donner son avis. On a vu surgir dans la bouche des philosophes, des juristes et maintenant dans la loi, le terme « consentement éclairé ».

Je pense à deux malades de 2D ans. Le premier est un jeune diabétique. Il sait tout de sa maladie. Il peut donner un consentement éclairé. Le second est atteint d’une variété de leucémie que l’on ne guérit pas encore. Il va mourir dans 4 mois. Qui aura la cruauté de lui dire « voilà un nouveau médicament qui peut être va abréger la maladie en 2 mois, peut-être vous donnera 6 mois de vie… » Quelle sera la valeur de ce consentement ?

Je pense que nos amis juristes n’ont pas mesuré ces difficultés. Et la famille ? Elle ne peut pas toujours donner son opinion.

Nous avions parmi nos malades à l’hôpital Saint-Louis un vieil homme de 85 ans, industriel très fortuné. Il était atteint d’une variété de leucémie mortelle en 7 ou 8 ans. Un jour, je vois arriver dans mon bureau deux jeunes hommes, les fils de Monsieur X. « Notre père vient d’avoir un ennui cardiaque. On veut poser un stimulateur cardiaque. On sait que vous êtes opposé à l’acharnement thérapeutique. Ne vaut-il pas mieux le laisser mourir maintenant sans effectuer cette opération ? ».

Je les ai laissés partir, et j’ai appelé le médecin de famille. Il m’a raconté l’histoire suivante : « ce vieillard avait 3 enfants, les 2 garçons et une fille, morte en laissant une petite fille de 15 ans. Le testament indique que si le vieillard meurt lorsque la jeune fille est encore mineure, les deux messieurs héritent.

Alors, nous avons posé le stimulateur. Le vieillard a vécu encore 5 ou 6 ans et la jeune fille a hérité seule.

3) Essayons de trouver des solutions internationales. Les dernières années sont marquées par le progrès des relations internationales, sous des formes variées, colloques internationaux, tels ceux tenus en 1987 au Japon et au Canada. Des recommandations ont été proposées. Elles ont 3 caractères :

  • elles sont généreuses
  • elles sont vagues
  • elles ne sont jamais appliquées.

C’est ainsi que peu à peu on en est venu aux Comités d’Ethique.

– II faut être vigilant et se méfier comités de complaisance qui ont vu le jour dans des firmes pharmaceutiques.

– Une deuxième sorte de Comité d’Ethique joue un rôle pédagogique.

– Le Comité consultatif National d’Ethique a été créé en 1983 par décret du Président de la République. C’est le premier au monde. Il comprend pour moitié médecins et biologistes, et pour moitié théologiens, juristes, philosophes, représentants du Parlement, des représentants d’associations familiales.

II y a dans titre même l’adjectif « consultatif ».

Il n’a aucun pouvoir.

Il a comme mission l’étude des problèmes moraux d’éthique, posés par la recherche médicale et non pas par J’exercice de la médecine.

Il a 4 principes :

1 – Respect de la personne. C’est difficile aux deux extrémités de la vie.

2 – Respect de la connaissance et de la science.

3 – Refus de l’argent. Le corps humain ne vend pas. Notre pays a été le premier à refuser la vente du sang. J’ai connu avant la guerre une grève de donneurs de sang qui voulaient que le prix du gramme de sang soit augmenté. En 1993, lorsque l’Europe va se rapprocher on aura des problèmes car en Allemagne le sang se vend.

4 – Responsabilité des chercheurs.

Les problèmes d’éthique sont très difficiles, conclut le Professeur Jean Bernard. C’est la modestie qui doit être la vertu essentielle de la personne qui s’occupe d’éthique.

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