PARENTS ET GRANDS PARENTS FACE A LA DROGUE

Thèmes: Médecine, Société                                                                                                        Conférence du mardi 27 mars 1990

PARENTS ET GRANDS PARENTS FACE A LA DROGUE

Le docteur Sainte-Fare-Garnot, responsable médical des centres départementaux d’aides aux toxicomanes des Yvelines, nous a parlé des enfants, des parents et des grands-parents face à la drogue.

« Je n’ai pas la prétention de venir ici vous apprendre des choses sur la drogue, mais je viens pour réfléchir avec vous sur les questions que vous vous posez qu’elles soient individuelles ou familiales ».

On oublie trop souvent en employant les mots toxicomane, drogue, drogué, que ces mots recouvrent une situation extrêmement large qui va bien au-delà de ce que bien souvent on imagine, à savoir le fait de quelques personnes isolées plus ou moins asociales ou marginales. Il est bon de rappeler que parmi les produits, en France, qui ont des conséquences graves sur la santé se trouve l’alcool, pour lequel les Français ont une palme mondiale de la consommation. La deuxième palme, nous l’avons ravie aux Américains, il y a maintenant quatre ans ; il s’agit de la consommation de tranquillisants et de somnifères.

Les adultes à partir de 18 ans consomment en moyenne 75 comprimés par an et par personne. Ce sont des produits licites. Un certain nombre de jeunes font leurs premières expériences à partir de ces produits, ou à partir de l’alcool. Ils le font d’autant plus facilement qu’ils ont le sentiment que c’est normal d’en consommer, puisqu’ils sont habitués à ce que leur entourage en consomme régulièrement pour se sentir « bien ».

« Je tiens à rappeler l’importance et la gravité de l’excès de ces produits licites avant de parler des produits illicites car le mot drogue pour nous médecins ou le mot toxicomanie ne se limite pas aux produits interdits ».

J’ai l’habitude de dire que la drogue n’existe pas. La drogue, cette chose mythique où tout est amalgamé est une notion extrêmement dangereuse lorsque l’on engage la discussion avec les adolescents. Dans les produits illicites, il y a des drogues. Ces drogues interdites rassemblent des produits très différents qui vont des héroïnes au hachisch en passant par la cocaïne, le crac, le pep… Certains apaisent, d’autres excitent, certains donnent un sentiment d’ébriété, d’autres enlèvent l’angoisse ; réactions très différentes, d’autant qu’elles s’accompagnent de dépendances très importantes ou parfois très légères quasiment infimes.

Monsieur Sainte-Fare-Garnot à ce stade de l’exposé nous présente un film intitulé : « Paroles d’adolescents« .

Des jeunes de milieux divers, âgés de 11 à 19 ans, témoignent des difficultés relationnelles qu’ils éprouvent avec leur entourage. De ces propos recueillis, ils disent leur rapport avec leurs drogues. Comment une jeune fille fume du hasch parce qu’elle « aime ça » mais « peut s’en passer ». Comment tel autre a « sniffé » du trichIo durant une période de chômage, comment un garçon de 14 ans fait deux arrêts cardiaques après avoir bu de l’alcool. Ces témoignages de jeunes sont ponctués par des interventions de parents qui expriment leur désarroi face à de tels comportements.

QUESTIONS

– Aucun enfant n’a parlé de son avenir. Cela vient-il d’une absence de contact avec les parents ou les enseignants ?

– Je suis maman d’un enfant de 9 ans. On parle beaucoup à la maison mais je suis bloquée pour parler de la drogue. Ne pourrait-on être aidés nous les parents ? J’ai peur de donner de mauvaises informations ou de ne pas utiliser les mots qui conviennent.

– On parle beaucoup aux jeunes de leurs droits. On ne leur dit jamais qu’avant d’avoir des droits, ils ont des devoirs. De nombreux parents démissionnent. De plus beaucoup de jeunes femmes travaillent et les enfants sont livrés à eux même en rentrant de l’école.

– Ne doit-on pas donner aux jeunes le goût de faire des choses ensemble, de s’occuper ?

REPONSES

Il semble que les adolescents qui consomment des produits sont aussi nombreux dans les familles où la mère travaille que dans celles où elle ne travaille pas. J’en ai la confirmation en consultation. Nous avons 2 consultations, l’une à St-Germain, l’autre à Mantes. Les populations y sont très différentes. Dans les milieux aisés où la femme a la possibilité de ne pas travailler, on s’aperçoit qu’un certain nombre d’adolescents fuient la maison s’il y a quelqu’un. Il faut retenir de cela que la solution est dans la qualité de la relation qui existe entre les parents et en particulier entre les mères et leur garçon.

Si des enfants sont inactifs, cela peut être pour des raisons financières ou parce qu’ils ont une incapacité à développer un projet.

Le développement des loisirs amène les parents de façon assez simpliste à croire qu’il suffit de permettre à des enfants d’être occupés dans des activités de loisir pour être heureux. En fait, leur occupation doit être le moyen de tirer des satisfactions qui ne sont pas uniquement celles du loisir mais aussi celles que le loisir apporte en relations humaines soit avec d’autres enfants, soit avec leurs parents. L’activité devient un moyen pour rétablir une communication. Lorsque des parents conçoivent le loisir comme un bouche trou, c’est un problème.

Les enfants en recherche d’ivresse régulière sont plus en danger et ont plus de risque de recourir à des produits interdits que des jeunes qui consomment de l’alcool occasionnellement sans rechercher l’ivresse.

Pour un bon nombre d’adolescents et d’adultes, l’ivresse est acceptée alors que l’idée simplement d’un joint ferait trembler toute la famille.

Les adolescents ont le sentiment de ne pas être compris. En région parisienne, à peu près 1/4 des filles de 16 à 18 ans consomment des tranquillisants et des somnifères, et entre 15% et 25% d’adolescents de 16 à 18 ans ont consommé ou ont fait l’essai de consommation de hachisch. 1% à 2% vont mal et seront des toxicomanes.

A une période où les adolescents passent au travers de périodes critiques et consomment occasionnellement, il faut chercher à comprendre avec eux ce qui se passe. Leur dire immédiatement que ce n’est pas bien, les isole encore plus. L’absence de communication qui a été un facteur décisif dans leur consommation de produit ne doit pas être encore renforcée et ne doit pas les pousser à consommer encore plus.

Avec la transmission d’un certain nombre de limites se pose le problème de la transmission des valeurs. On ne transmet pas les valeurs seulement en transmettant un interdit, mais en les faisant vivre. Il faut un maximum de cohérence entre ce que l’on dit et ce que l’on fait et l’on doit s’assurer que celui à qui l’on veut transmettre les valeurs est capable de les reconnaître comme siennes. Il faut accepter de débattre avec les adolescents et pas seulement leur demander d’écouter.

QUESTIONS

  • Trouve -t-on les mêmes problèmes à la campagne ?
  • L’ouverture des frontières au niveau européen ne va-t-il pas favoriser l’entrée des produits interdits en France ?

REPONSES

  • Les produits stupéfiants illicites sont plus présents en région parisienne, en Bouches-du-Rhône, sur la Côte d’Azur, mais on trouve des revendeurs dans les agglomérations de 15 000 à 20 000 habitants. Il faut considérer que la consommation des produits concerne tous les milieux sociaux et tous les départements français même s’il y a des lieux où la proportion est plus importante.

La prévention est axée sur la communication avec les adolescents, mais aussi sur la répression envers les revendeurs afin de réduire la disponibilité des produits sur le marché afin que le minimum de jeunes se trouvent en face de propositions qui tomberaient mal à propos.

Savoir et pouvoir dire non à certaines propositions est une chose délicate à transmettre aux adolescents. Il faut leur transmettre la confiance en soi, leur apprendre à se créer des amis, à affronter leur propre solitude… Si l’adolescent a le sentiment que s’il dit non il est plus malheureux, il retiendra qu’il faut mieux dire oui. Le message parental sera alors discrédité.

Je ne pense pas que la situation des toxicomanes s’aggrave en France. Je pense qu’on est sorti de la période d’aggravation qui tournait autour des années 75 à 83. Par contre ce qui est grave, c’est la banalisation de la consommation occasionnelle de certains produits lourds qui met les adolescents dans une situation de plus grande fragilisation psychique dans une période où ils sont toujours sensibles.

Les policiers disent que l’ouverture des frontières n’aura aucune conséquence sur l’entrée des produits en France, car de toute façon, les frontières sont très perméables à l’heure actuelle. Il faut peu de place dans un 35 tonnes pour cacher quelques kilos d’héroïne.

La situation des Pays-Bas est particulière. Il y a jusqu’à présent absence de répression vis à vis du hachisch. Le gouvernement commence à faire l’effort d’adapter leur niveau à celui de la moyenne européenne.

« Quand je vois la facilité avec laquelle les jeunes s’approvisionnent, je ne crois pas que l’ouverture des frontières va modifier particulièrement la disponibilité des produits ; par contre, le blanchiment de l’argent dans les banques est un problème très préoccupant ».

QUESTIONS

– N’a-t-on pas perdu l’habitude de lutter contre la douleur ? Ne prend-on pas trop rapidement un médicament ?

– Comment voit-on qu’un enfant se drogue ?

REPONSES

« Tout au début, les signes physiques sont imperceptibles : irritation des yeux, dilatation ou contraction de la pupille, pâleur du teint… Les modifications du comportement sont plus visibles : passage d’un état de concentration à un d’incapacité à se concentrer, décalage dans le sommeil, modification dans j’alimentation… Mais tout cela se voit aussi chez des adolescents qui dépriment et qui ne prennent pas de produits. Donc il faut être très prudent et ne pas mettre tout de suite l’étiquette drogue sur ce genre de comportement.

Cela ne veut pas dire que vous ne ferez rien, car de toute façon, c’est l’attitude d’un adolescent qui va mal. Vous lui direz que vous avez reconnu cet état, que vous avez vu qu’il n’est pas heureux. Vous essayerez d’engager la communication en évitant absolument au début toute question risquant d’être trop intrusive. Vous établirez la communication à propos de ce qu’il ressent plutôt que de chercher des indices. Vous l’amènerez à parler et vous verrez avec lui les moyens qu’il peut y avoir pour résoudre cet état et vous trouverez de l’aide autour de lui. Il y a un moment où vous serez ferme et sans compromis, mais auparavant, vous aurez su reconnaître que vous ne savez pas l’aider seul et vous l’accompagnerez pour trouver une solution auprès de quelqu’un.

 

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