TOPONYMIE ET ANTHROPONYMIE

Thèmes: Civilisation, Littérature, Société                      Conférence du mardi 10 février 1987

CERCLE DE DOCUMENTATION ET D’INFORMATION

TOPONYMIE ET ANTHROPONYMIE

 

 

Le mardi 10 février 1987, Monsieur TAMINE, chargé de cours à l’Université de Reims, chercheur en toponymie, est venu nous parler de sa passion : la toponymie.

La lointaine origine des noms de lieux et des noms de famille : Toponymie et Anthroponymie : des mots barbares pour un sujet passionnant

 

 

QUELQUES MOTS DE VOCABULAIRE .-

Anthroponymie : étude des noms de personne.
Toponymie     : étude des noms de lieux habités.
Onosmatie     : ensemble regroupant l'anthroponymie
                et la toponymie.
Oronymie      : étude des noms de montagnes. 
Hydronymie    : étude des noms de rivières.

La toponymie envisage aussi bien les noms des lieux habités, villes, villages, et lieux-dits, que ceux des montagnes et des rivières, et c’est l’étude de l’oronymie et de l’hydronymie qui amènera les chercheurs à découvrir les vestiges des populations les plus anciennes, les “fossiles » toponymiques, car c’est d’abord à la montagne et à la rivière, c’est-à-dire à l’essentiel de la survie des premiers habitants : la sécurité et la vie, le refuge et l’eau, qu’on a donné un nom qui, le plus souvent, a été adopté par les populations successives.

HISTOIRE DE LA TOPONYMIE.-

Déjà chez les grecs on s’intéressait a l’origine des noms de lieux, mais on ne distinguait pas l’onomastie de l’étymologie. Étymologie vient du grec etymos qui signifie vrai.

En perçant l’origine d’un nom, les grecs pensaient mieux connaître la nature de son référent. Les penseurs alexandrins ont détaché la recherche étymologique de la philosophie en lui donnant des aspects plus linguistiques. Jusqu’au XVIIIe siècle on a souvent pratiqué une étymologie très fantaisiste. Il a fallu attendre cette époque pour voir apparaître les premières lueurs scientifiques dans cette discipline.

Le Président de Brosses, ami de Buffon, philologue, grammairien, a vu le premier l’importance pour les recherches toponymiques d’éléments sur lesquels se basent encore de nos jours 1a recherche.

Il mit en évidence l’ importance des relevés exhaustifs de noms de lieux. Il insista sur l‘importance de la méthode comparative et l’évolution sémantique et phonétique. Enfin il déclara que les noms de lieux n’étaient pas une catégorie à part dans 1a langue, protégés par leur majuscule.

Au XIXe siècle ces idées portèrent leurs premiers fruits scientifiques.

VERS LA CONSTITUTION D’UNE MÉTHODE.

Les chercheurs ne peuvent expliquer les noms de lieux aujourd’hui, que s‘ils vont les chercher dans les anciens documents. C’est en reconstituant la chaîne des formes anciennes d’un nom de lieu qu’ils peuvent voir comment il a évolué et qu’ils remontent à l’éthymon.

Le XIXème siècle publie des masses de documents précieux pour le toponymiste et en particulier des cartulaires qui contiennent des chartes médiévales dans lesquelles on trouve des formes anciennes. À cette époque on entreprend la publication de dictionnaires topographiques financée par 1’éducation nationale. Ils rassemblent par département le plus de formes possibles sans interprétation./

Auguste Longnon a, le premier, détaché la toponymie de l’histoire en déclarant que si les résultats des recherches toponymiques pouvaient être donnés aux historiens, la recherche toponymique, elle-même, devait reposer sur des bases linguistiques.

D’Arbois de Jubainville développa une thèse capitale reprise par d’autres toponymistes. Il s’aperçut qu’un grand nombre de noms de lieux gallo-romains étaient des noms de personnes. Il en déduisit que lors de la conquête romaine, il y avait eu instauration par Auguste d’impôts fonciers et que l’on était passé d’une propriété collective qui caractérisait le monde Gaulois à une propriété individuelle caractérisant le monde Romain, d’où l’abondance de noms de personnes fixés comme toponymes.

Albert Dauzat a fait connaître au grand public la toponymie et publia de nombreux documents. Il créa une revue consacrée à la toponymie (onomastica, remplacée par la revue internationale d’onomastique). Il écrivit le premier dictionnaire des noms de lieux.

Monsieur Tamine a écarté de sa conférence la toponymie antérieure à la période gauloise.

TOPONYMIE GAULOISE.

Rappel historigue.

Les Celtes, dont l’habitat primitif parait avoir été le/pays rhénan, étaient installés en Gaule dès la fin du Ve siècle avant J.C. ; au cours du IVe siècle, ils se sont étendus jusqu’aux rives de la Méditerranée et aux Pyrénées qu’ils ont franchies. En même temps, une seconde vague d’envahisseurs celtiques, les Belges, pénétrait dans la Gaule du Nord et occupait toute la région au nord de la Seine, où on les trouve encore au temps de César. Celtes et Belges, qui n’ont pu assimiler complètement ni les Aquitains du sud-ouest ni les Ligures du sud-est parlaient la mème langue que l’on nomme gaulois.

On connaît cette langue grâce aux très rares inscriptions, au témoignage des grammairiens latins ou grecs, aux traces dans le vocabulaire, dans les toponymes et dans les langues du nord.

Les_toponymes composés.

La plupart des noms de lieux gaulois sont composés : déterminant – déterminé (Charleville)./

On retrouve souvent comme déterminé le type :

– « ialo » = endroit ; il a généralement évolué vers “euil ».

  Ex : Cassano = chêne  )
       Ialo    = endroit)
 
    Chasseneuil (clairière des chênes)

Argento = argent  )
Ialo    = endroit )
  
Argenteuil (clairière d'argent)    

Altus   =   haut  )
Ialo    = endroit )
  
Auteuil                 

Vernos  = aulne   )
Ialo    = endroit )
         
Vernoil Verneuil           
                  

– “ritum » = gué

Ex : Ritum = gué    )
     Cambo = courbe )
  
Chambord     

    – “briva »  = pont

Ex : Briva = pont )
     Caro  = cher )
  
Chabris    

    – « briga » = mont, puis chateau-fort

L’accent étant sur l’0 terminant le premier élément du mot, óbriga a donné généralenent – obre dans le midi et – œuvre dans le Nord : Deneuvre, Escaudœuvre, Vandœuvre ou Vendeuvre (vindobriga = la citadelle blanche).

– “dunum » = colline, forteresse, ville

Ex : Lugdunum   = Lyon  
     Virodunum  = Verdun    
  
    

– “magos » = champs, puis marché

Ex : Novio  = nouveau )  
       Magos            )    
  
   Noyon, Noyen ... 

Les toponymes dérivés.

On connaît assez mal la valeur des suffixes gaulois en dehors de – acus qui a servi essentiellement à former des noms de domaines. Il en est qu’on retrouve dans d’autres langues, en particulier – incos et – ate.

11 y a également – avus, – ava (Genava, Genéve)

                 -ausos : Nemausos (Nimes, Nemours)etc …

Les appellatifs.

Ils sont relativement rares :
Briva : pont —> Braves, Brive, Brives.
Dubron : ruisseau —> Douvres, Dévre.
Dunum : forteresse —> Dun, Châteaudun.
etc ../

TOPONYMIE ROMAINE. –

L’histoire nous enseigne que lorsque les Romains sont venus occuper 1a Gaule, ils se sont comportés en fins politiques et ont évité, chaque fois que cela a été possible, les conflits violents. Il y a plus eu assimilation que conquête belliqueuse.

En toponymie, on retrouve des traces de cette assimilation.

Il existe des hybrides gallo-romains. Le système toponymique gaulois n’a pas été brutalement éliminé mais a été récupéré et utilisé par les populations romaines.

Par exemple :

 Augustodunum

Empereur      Elément celtique

Auguste

/                  Castellodunum : Chateaudun

On arrive ainsi à la notion de stratigraphie toponymique. On peut reconstituer les couches linguistiques qui se sont superposées.

                   Par exemple :

Vernos -> Vernes

Vernos ialos —> Verneuil) stratigraphi

Vernia —» Vergne } toponymi que Vernetum —> Vernet )

———————————————————————————————-

* ou évolution linguistique différente du type “obre »<——>e »œuvre” qu’on retrouve dans 1’évolution des noms de personnes Fabre, Favre, Faure, Févre …

Cependant l’essentiel de la toponymie romaine repose sur la suffixation.

Les romains ont employé le suffixe gaulois “acos » qu’ils ont latinisé en acum ou iacum. Pendant plusieurs siècles, on ajoutait au nom du possesseur du domaine le suffixe “iacum ». Ces noms terminés par “iacum » ont généralement évolué vers y.

DOMAINES GALLO-ROMAINS EN -ACUM ~-IAcUM

ζ Limites du français.

♦♦♦♦♦♦ Zones aberrantes de Bretagne ot des Charentes.

••••• Limites des diférents résultats de -ocum, ∼-lacum

 

Par exemple :

Albinius ——+ Albiniacum ———~ Albigny, Arbigny, Aubigné,

Aubigny, Aubinhac

nom de personne

Florius —» Floriacun ——» Fleurey, Fleurieux, Fleury, Floviac,

Florac, Fleurac, Fleurat, Fleuré, Flirey.

On trouve également le suffixe anum.

                 Albinius —» Albinianus —= Aubignan.

Il arrivait également que des noms de personnes soient donnés directement aux lieux :

Par exemple :

Augusta —» Aoste, Aouste, Aoxte.

Dans le domaine des désignations d’ordre géographique, le terme « confluentes » qui n’a pas survécu s’est substitué au gaulois “condate » : Conflans, Confolans, Couffoulens, Coufoulense.

Le mot “lucus » qui signifiait en latin « bois sacré » a aussi le sens général de bois. Il est à l’origine des nombreux Luc ou Le Luc, Grandlup, Luc-carré, Orlu.

A partir du 3éme siècle, les noms de peuplades gauloises se sont cristallisés en nom de lieux :

Par exemple :

Bourges, (Bituriges), Cahors (Cadurques), Limoges, Périgeux (Pétrocorves), Rodez, Dreux, Angers (Andecaves), Nantes, Rennes (Redons), Chartres (Carnutes), Paris (Paristi) …

XXXXXX/

LA TOPONYMIE GERMANIQUE .-

A partir du Ve siècle, lors des Grandes Invasions, les Germains déferlent sur la Gaule et, si certaines tribus ne font que traverser son territoire, d’autres s’y installent et s’y étendent progressivement.

C’est la période des grands défrichements, et du développement du christianisme,

On trouve quelques types transitoires.XXXXX/

Les gallo-romains étaient des amateurs de bains. Ces bains vont disparaître. Lorsqu’une réalité est menacée, le nom qui la désigne se fixe souvent en toponymie :/

Balneum —-» Bains, les Bains, Bagnéres, Bagneux, Bagnoles.

C’est de cette époque que datent la plupart des Méziéres de France, qui représentent des ruines, des masures : Maiziéres, Maiziéres-les-Metz, Mazéres, Mazière, les Mazoires, Méziéres.

Le systéme germanique est un retour au système gaulois. On abandonne la dérivation, on retourne à la composition dans l’ordre déterminant – déterminé. On retrouve comme déterminé des types toponymiques trés connus : – ville et – court.

Ainsi apparaît le nom du propriétaire plus – ville ou – court.

Une autre caractéristique est la disparition rapide des noms latins et l’apparition des noms germaniques :

Par exemple : Aboncourt, Raucourt …

Le christianisme se développe à partir de 400 et il laisse des traces anciennes.

On trouve un type latin comme « cella » qui de « chambre à pro- vision » est passé au sens d' »ermitage » puis de « sanctuaire ». Il va donner “celle” : la Celle-St-Cloud.

« Basilica », de “édifice civil à usage de tribunal ou de marché » est passé en latin vulgaire au sens d' »église ». Ses représentants sont Bazoches, la Bazoge, Bazailles, etc …

« Monestarium » donne Moutier, Montreuil, etc …

L’usage de désigner un lieu par un nom de saint s’est introduit vers la fin du VIe siècle.

« Dominus », contracté en « Dom’nus » puis « don » ou « dan » a donné Danmartin, Dampierre, Dompierre, Dannemarie, etc …

On retrouve les grandes évolutions sociales avec 1a toponymie féodale. On construit des châteaux. La vie féodale est autarcique. Le seigneur attire les paysans par différents systèmes en les exemptant d’impôt par exemple. On trouve alors : Francheville (ville libre) ou Villefranche.

“Rocca » a désigné d’abord le « rocher » puis un « château sur un rocher », puis tout “chateau fort » : Rochefort, Roquefort, la Roche- Giron, etc …

“Castellum » se trouve seul : Castel, Cateau …XXXXX/

– avec une épithète : Chateaufort, Chateauneuf, etc …

– avec un nom de personne : Chateaubriant, Chateaurenard …

« Mansus » joue un grand rôle dans le vocabulaire de 1’exploitation agricole : il désigne le “domaine occupé par un tenancier » et comprenant des terres, des bois, des prés : le Mas-Roux, Mas-Thibert …

La « Maison isolée » portait le nom de « Mansio » : Maisons, Maisons-Alfort, Maisons-Laffitte, La Malmaison …

Faire de la toponymie consiste à se promener sur le terrain, à interroger les gens d’un village, à chercher dans les documents anciens de la commune, à consulter le cadastre et à reconstituer à partir de là l’histoire du mot. On devient vite passionné par ce type de recherche, conclut Monsieur Tamine.

ANNEXE 1

QUELQUES TOPONYMES LOCAUX

Clodald, fils du roi Clodomir a fondé un monastère autour duquel s’est constituée la ville de Saint-Cloud.

Saint-Cucufa perpétue le souvenir d’un vénérable martyr né en Afrique du Nord et décapité en 303.

Vaucresson vient de Vallis en composition avec des anthroponymes germaniques : la vallée de Crisso.

Boulogne (sur Seine) est un cas de transfert. Cette ville s’appelait Les Ménuls, avant que son église ne fût fondée par des pélerins revenant de Boulogne-sur-Mer.

Rueil vient du gaulois Ritoialo.

Un dérivé de Vicus, vicinum, qui a donné voisin, a pris le sens de hameau. On lui doit Le Vésinet.

ANNEXE 2

Nous retrouvons après la « remontée » d’une évolution différente l’origine commune souvent pré-celtique.

– dans Tes noms de rivières avec le suffixe « ona » ou “are”.XXXXXX/

Aisne – Seine – Essonne – Yonne

Rhdne – SadneXXXXXX/

Isére – Yser – Weser … et déformé Oise (isora)XXXXXX/

et tous les “Aar » : Aar, Arc, Arve, Yar, Drac, Loire … Sarre …XXXXXX/

– dans les noms de villes : Mediolanum : Milan, Melun, MeulanXXX/

Lugdunum : Lyon, Loudun, Leigden, Leignitz

La Villa d’Aurélien =: Orly, Orléans, AurillacXXXXXX/

La date d’installation. –XXXXXX/

D’abord les « … Y »

Puis les + … Court »

Puis Tes  » … Ville”XXXXXX/

Les frontières linguistigues.-

Elles se retrouvent assez clairement définies :

En Bretagne, l’expansion maximum du breton de Nantes à Saint-Malo par la ligne frontière entre les »… ac » et les »… ay » est très sensible sur une carte Michelin (Messac <-> Fougeray).

En Lorraine, les villes en … ville (francaise), Hange (germanique) et le tracé de la frontière Alsace-Lorraine de 1871 à 1918.

II.- L’IDEE DE DÉFENSE DANS QUELQUES TOPONYMES DE LA REGION. –

« Châtres » signifiait “fort avancé ». La géographie explique « Châtres » (ancien nom d’Arpajon) et « Châtres-en-Brie ».

XXXXXX/L’idée de “contréle des routes » se retrouve dans:XXXXXX/

Chatillon-sous-Bagneux (route de Chartres)

Chatillon-sur-Seine (route de la vallée)

Viry-Chatillon (route de Sens)

La même idée « muro cintus » (ceinture de murs) s’exprime dans Morsang …

IIl.- Les « y » du domaine Gallo-Romain « acus » : « y » Clichy—»de Clipi- acus, Croissy (Crusti), Passy (Passi), Neuilly (Novalis), Issy puis avec dvolution incompléte … Epinay, Viroflay …

IV.- Les bourgs témoignent de I’utilisation commerciale de nos petites rivieres.

Installation au point de remontée maximum des barques pour le transport des grains ou du vin à Bievres, Longjumeau, Étampes (Ne pas oublier que pendant des siècles, le « Commerce des vins de France » signifiait … « des vins de l’Ile-de-France ».

Répondre

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués *

You may use these HTML tags and attributes: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.