LA CRITIQUE LITTERAIRE

Thème : SOCIETE                                                                                                                                                                  Mardi 23 Novembre  2004

La critique littéraire

Par Françoise Xenakis – Écrivain et journaliste, présidente du jury Premier Roman, Membre du jury 30 Millions d’Amis et du jury Maurice Genevoix

La critique littéraire est un métier bâtard, exercé par des amateurs qui deviennent par la suite professionnels. Elle fut longtemps réservée aux professeurs, aux « honnêtes hommes », qui publiaient dans des revues très austères et qui jugeaient sur plusieurs pages comme s’il s’agissait d’une composition de français. Puis le talent est arrivé au XIXe siècle. Sainte-Beuve et Victor Hugo ont donné leurs lettres de noblesse à cet exercice.

Sainte-Beuve était un fabuleux critique mais un homme foncièrement malhonnête. Ses pulsions prenaient le dessus et, en fonction de l’humeur du moment, il pouvait démolir un chef d’oeuvre absolu.

Les professeurs agrégés ont longtemps considéré être les mieux placés pour critiquer la chose littéraire. Mais ce n’est pas parce qu’on a corrigé toute sa vie des dissertations qu’on est le plus apte à évaluer un roman. Ce n’est pas la même chose. Il n’y a aucune loi, aucune règle à respecter dans un roman. Si le romancier veut commencer par la fin, ne pas faire de plan, ne pas faire d’entrée en matière, il en a le droit si c’est fait avec talent. Un écrivain devant sa page est Dieu, il peut faire ce qu’il veut, à condition que cela se tienne.

Malhonnêtes, les critiques littéraires ?

Le métier de critique littéraire serait honnête s’il n’y avait pas le nom de l’auteur ni celui de l’éditeur sur la couverture. Françoise Verny et Yves Berger avaient une technique très au point pour mettre les journalistes dans leur poche. Le rêve de nombreux pigistes étant d’écrire un roman, ils avaient coutume de les flatter en leur proposant une avance substantielle sur l’écriture de leur premier ouvrage. Bien évidemment, ils espéraient ne jamais voir ce manuscrit atterrir sur leur bureau. Ils savaient que, d’emblée, le journaliste aurait envie d’être gentil avec le patron et épargnerait ses collections. Ce renvoi d’ascenseur n’avait même pas besoin d’être formulé. Grasset a obtenu tous les prix au monde grâce à ce genre de procédé : le paiement des préfaces, la publication du manuscrit de la petite amie…

Il y a de vraies accointances. Le grand rêve d’un critique est d’être repris sur les panneaux publicitaires de l’éditeur, il devient lui-même un nom, un must dans la profession. La rubrique littéraire du Nouvel Observateur a longtemps été copinage et compagnie. On savait à l’avance ce qu’ils allaient écrire sur tel ou tel livre. Mais maintenant que Jérôme Garcin en est le rédacteur en chef, les magouilles sont terminées et la critique est plus rigoureuse. Au Figaro, Angelo Rinaldi est un polémiste, il n’a de talent que quand il tue. Ce critique considère que neuf livres sur dix sont mauvais donc il donne comme consigne de démolir. En revanche, ce qu’écrit

François Nourrissier sur les livres est remarquable, d’une justesse extraordinaire. Malgré ses faiblesses, ses sentimentalités, c’est un homme que l’on peut croire.

Et vous-même, quel critique êtes-vous ?

Pour ma part, je ne pousse pas un livre que je n’aime pas mais je ne cherche pas à démolir. Il n’y a pas de chef d’oeuvre tous les quinze jours, loin s’en faut. Le niveau général baisse. Parfois il m’arrive d’appuyer les compliments de premiers romans que j’aime. Leurs auteurs espèrent énormément alors même que ce sont des livres qui ne se vendent pas et dont les éditeurs ne font pas la publicité. Un premier roman a souvent quelque chose à dire, c’est un cri qui vient du ventre. J’aime les aubes, la naissance d’un écrivain, avec ses qualités et ses défauts. C’est au deuxième que tout se gâte.

Il faut savoir qu’on est aussi soumis aux pressions du patron et du rédacteur en chef pour parler en bien du livre de tel ou tel ami. Quand j’étais critique au Matin, on s’était mis d’accord avec Claude Perdriel pour trois articles de complaisance par an, et pas davantage. C’est lui qui m’avait demandé d’écrire des critiques car il aimait la façon dont je lui racontais les livres que j’avais lus. Enfant, je dévorais les romans russes. En devenant critique, j’ai découvert la littérature d’Amérique du Sud, du Portugal, du Japon. II y a là de superbes romanciers. Je me précipite aussi sur les livres irlandais, où il existe un talent romanesque incroyable.

Comment abordez-vous un livre, le lisez-vous en entier ou en diagonale ?

Je reçois chaque matin entre dix-neuf et trente-huit livres. Je commence par ceux dont le nom de l’auteur me dit quelque chose. J’utilise la technique 10-10-10 : dix pages au début, dix pages au milieu, dix pages à la fin. C’est une bonne méthode pour se faire une idée sur le style, le sujet, les personnages… Si je n’accroche pas, je ne le lis pas. Quand le roman m’accroche, je le lis en diagonale quand l’auteur est connu et je le lis en entier quand c’est un écrivain inconnu. Pendant l’été, je relis. Tous ceux qui critiquent les premiers romans le font avec beaucoup de sérieux car il est très important d’être honnête et de dire ce qui va ou ne va pas. Je suis très malheureuse quand je laisse passer un livre qui a du succès.

Que pensez-vous de l’attribution du prix Goncourt aux éditions Acte-Sud ?

Il y avait une dette vis-à-vis d’Acte-Sud qui méritait le Goncourt l’année dernière avec le même auteur qui s’était fait voler de façon flagrante par la pieuvre Grasset-Gallimard-Seuil. Le Soleil des Scorta n’est pas le meilleur livre de Laurent Gaudé, c’est un roman plein de facilités, calqué sur les écrivains d’Amérique du Sud, Jorge Amado notamment. Mais il fallait rattraper l’erreur de l’année dernière. Près de 640 livres ont été publiés pour cette rentrée littéraire. C’est énorme. Ce n’est pas un hasard si les jurés des prix littéraires se sont tous intéressés aux mêmes, c’est parce que ces romans sont bons.

Comment font les éditeurs pour décider de publier un livre ?

Contrairement aux critiques, les éditeurs ne sont pas malhonnêtes sauf peut-être quand il s’agit d’obtenir un prix, mais c’est une question de survie. Un Goncourt garantit trois ans de rentrées financières à un éditeur, qui pourra ensuite investir sur de nouveaux talents. II faut savoir qu’il n’est pas nécessaire d’être pistonné pour être publié. Un vrai manuscrit envoyé par la Poste peut être édité après avoir passé l’épreuve du comité de lecture et les avis de l’éditeur principal et du patron.

Mais il y a une certaine opacité concernant les ventes. Françoise Sagan envoyait un huissier pour connaître le nombre exact d’exemplaires vendus, ce qu’elle n’a jamais réussi à obtenir. En général, l’éditeur empoche 50% des recettes, l’auteur touche de 4 à 12%, voire 14% si c’est un écrivain très célèbre. Mais en fait, les éditeurs paient ce qu’ils veulent. Certains auteurs comme Jean-Edern Hallier ont réussi à jouer avec le système en obtenant des avances pharaoniques. Maintenant qu’il y a moins d’argent dans l’édition, de telles largesses n’existent plus. Au contraire, on vit une telle crise que des auteurs doivent subventionner les maisons d’édition pour publier leurs livres, et ce n’est pas normal.

Très peu d’écrivains vivent de leur plume. On peut citer Le Clézio ou Nothomb, qui ont un vrai talent et qui vendent bien. Sagan ne vendait plus rien avant de mourir. Beaucoup de jeunes auteurs doivent faire le nègre — ce qui paie bien — pour les « faux livres », ces autobiographies de vedettes publiées notamment chez Michel Lafon. Les critiques littéraires n’en parlent pas mais ces ouvrages ont un vrai succès parce qu’ils passent à la télévision et qu’ils paient. Vous verrez qu’avec la loi autorisant la publicité sur les livres, une maison comme Gallimard sera obligée de placarder de la pub dans le métro pour survivre.

En savoir plus …

Coté Livres :

Moi, j’aime pas la mer

Françoise Xenakis

Editions Ramsay

ISBN : 2841148505

http://www4.fnac.com/Shelf/article.aspx?PRID=1915501&Mn=22&Ra=-1&To=0&Nu=12&Fr=3

Cote Web :

http://pagesperso-orange.fr/coyote.artemare/xenakis.htm

http://www.lisons.info/Xenakis-Francoise-auteur-271.php

http://www.critiqueslibres.com/i.php/vauteur/5846/

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