DE L’HISTOIRE A LA LEGENDE

Thèmes: Littérature                                                                                                       Conférence du mardi 9 octobre 1990

DE L’HISTOIRE A LA LEGENDE

 

 

Par Marc Blancpain, ancien président de l’Alliance Française, écrivain,.

Il a été accueilli par Jacques Gautier, Maire de Garches, qui a exprimé à tous sa satisfaction de constater le succès que remportait le C.D.I. Isabelle du Saillant, maire adjoint déléguée à la culture, ainsi que de Marc Prévot, premier adjoint, assistaient à la conférence.

 

« Les pays qui n’ont pas de légendes sont destinés à mourir de froid ».

Ma grand-mère nous débitait tous les soirs, l’hiver, au coin du poêle, des contes, qui étaient, je le sais aujourd’hui, des légendes de l’histoire.

Elle était née en 1830, dans notre Val de Sambre, contrée de vergers et de forêts adossée au sombre et haut pays de l’Ardenne. Le village est traversé par ce qu’on appelait « l’ancienne Sambre ». Derrière ma maison passait la nouvelle Sambre que grand-mère et tous nos anciens appelaient « le Ruisseau de France » ; il séparait autrefois le Royaume des successeurs d’Hugues Capet de l’Empire du Habsbourg espagnol puis autrichien.

Dans les contes de grand-mère quelle était la part de l’histoire et celle de la légende ? Et la légende n’était-elle pas une forme nouvelle de l’histoire, sa réalité transfigurée, embellie, agrandie jusqu’aux dimensions de l’épopée ?

L’histoire de la dernière marquise des forges de l’Ardenne (je tiens à son singulier), j’ai cru longtemps que c’était une légende qui, depuis des années, courait de village et village, de cheminée en cheminée, par-dessus les bois, les champs et les prés vêtus de neige, sur tous les plateaux, de l’Ardenne à Rocroi, de Bastogne à Maubert-Fontaine et de Charleville à Trelon, du Luxembourg au Hainaut et du Brabant à la Champagne.

Elle avait vécu, cette marquise prénommée Louise, au temps de l’avant-dernier Roi de France, Louis XV le Bien-Aimé. Elle passa tout son âge en même temps que lui et la mort les emporta tous deux quasiment la même année 1773 et 1774, comme si la Providence, par caprice, en eut ainsi décidé.

Ce n’est pas de l’histoire ancienne, remarquait alors grand-mère. Pensez donc ! Il me suffirait de remonter le cours de l’existence de quarante femmes de ma lignée pour me trouver au temps de Jésus-Christ

Aux alentours de 1840, Wocquier, professeur à Luxembourg, entreprit de recueillir toutes les légendes de l’Ardenne, des Romains à la Révolution Française. « Je serai, disait-il, le Walter Scott de mon pays », désireux de ressusciter d’abord un personnage connu de tous « la dernière marquise des forges du Pont d’Oye ». Cette histoire parut à Bruxelles en 1850.

Entre temps, de bien curieux évènements… La famille de la marquise – toujours bien vivante encore aujourd’hui – racheta ou fit racheter tous les exemplaires du de Wocquier, lui ajoutant aussi l’attrait du fruit défendu.

Ensuite, en 1907, Camille Joset qui présidait à Arlon aux destinées d’un journal qui battait de l’aile, eut l’idée, pour lui rendre une large audience, d’y publier en feuilleton la légende de Wocquier. Et le miracle « Le journal, dit Camille Joset, prospérait à vue d’œil, son cercle de lecteurs s’élargissait, les sympathies agissantes se multipliaient ». Mais se présente, un vendredi soir, « un huissier patenté et assermenté » qui vient lui faire sommation d’avoir à cesser immédiatement la publication du roman et à payer à un héritier Wocquier d’importants dommages-intérêts ‘

Que faire ? Que faire, face aux abonnés et, surtout aux milliers de nouveaux abonnés ? Notre homme est au désespoir quand un de ses amis, un ecclésiastique lui apporte la solution « Rédigez immédiatement un roman de la marquise du Pont d’Oye dont le premier chapitre paraîtra dans votre prochain numéro ».

Ce n’était pas tout pourtant… Plus tard encore, en 1923, Pierre Nothomb, devenu acquéreur du domaine du Pont d’Oye où la marquise avait vécu un siècle et demi plus tôt, écrivit « l’histoire de la Dame du Pont d’Oye ». Mais ce n’était pas tout encore puisque Pierre Nothomb écrit que « la vieille histoire qu’on contait devant maintes cheminées et que grand-mère nous contait, au cours du grand hiver 1918, cette vieille histoire « devint plus actuelle encore lorsque le Théâtre Scaramouche qui court à travers le pays, de foire en foire, eut inscrit à son répertoire une adaptation dramatique » des ouvrages de Wocquier et de Joset.

Commençons, si vous le voulez bien, par donner la légende telle que la contait grand-mère et tant et tant de ses contemporains. Nous dirons ensuite la vérité telle que Pierre Nothomb a réussi à la reconstituer… Et vous verrez alors que si la légende touche au sublime, elle met en œuvre toutes les ressources du roman populaire, fait pleurer Margot et la pousse à l’urgence, la vérité, la vérité elle-même n’est pas plate, elle non plus, et peut suffire à nous attendrir et à nous émerveiller.

La légende : la jeune Louise de Lambertye – la légende lui a laissé son nom parce que ce nom est beau – appartient à une grande famille de Lorraine ; elle a été élevée, comme le voulait l’usage des grands du Duché, par les chanoinesses de Remiremont.

A 17 ans, elle paraît pour la première fois à la cour du roi Stanislas, au palais de Lunéville. Ce roi de Pologne qui, deux fois, a perdu son trône, est devenu, par chance, le beau-père du roi Louis XV. Stanislas était pieux, bien sûr, mais terriblement gourmand, amoureux des plaisirs et du plaisir tout en aimant faire le bien ; royal dans son comportement et soucieux d’avoir autour de lui la Cour la plus brillante : Lunéville était devenu un Versailles de l’Est.

Louise de Lambertye paraît au bal de Lunéville. Dieu qu’elle est belle Une fée de légende ; blonde, d’une blondeur légère, vaporeuse, un teint de rose et de lai t, des yeux d’azur ; un port de reine et, dix-sept ans.

Devant le bon Roi, elle fait joliment sa révérence et Stanis las est ébloui ; Il la relève et tient à lui dire qu’il va tenir le carnet de son premier bal. Ce qu’il fait derechef puisque la légende et l’histoire se confondent mais la légende reprend ses droits quand elle dit que le Roi inscrivit d’abord sur ce carnet le nom d’un jeune mousquetaire du roi de France, porteur d’un des plus grands noms du royaume des Lys – un Rochechouart, affirmait grand-mère.

Louise, que les chanoinesses ont pourtant mise en garde contre les surprises du cœur, ressent dans les bras du jeune homme, un trouble amoureux éperdu : Stanislas avait voulu que l’on dansât ce soir-là la seule danse qui, depuis le Roi Henri Il, se dansait à deux en se tenant, et qu’on appelait « la royale ».

Le trouble du mousquetaire n’est pas moins profond que celui de l’oiselle blonde. Il est beau lui aussi, grand, la poitrine large, les bras puissants, la jambe bien faite. Il sera admis à venir présenter ses devoirs à Madame de Lambertye et à voir Louise en présence de sa mère. Un jour, ils se retrouvèrent seuls au fond d’un bois profond et se promirent un amour éternel. Quelques jours plus tard, hélas, la foudre s’abattait sur eux.

Le dernier jour de ce beau mois d’automne, sa mère, la douairière de Lambertye, lui dit, en souriant « Je recevrai la Cour et donnerai à danser puisque ce sera, Louise, la veille de vos dix-huit ans. Après la fête, quand tous les carrosses auront franchi le porche, nous retiendrons Madame du Bost-Moulin et son fils Christophe. Ils ont une solide fortune, et Monsieur de Raggi, le Marquis, sans doute le plus puissant des maîtres de forges de la Lorraine, du Hainaut, du Luxembourg et de l’évêché de Liège, sans postérité, a fait de Christophe, son filleul, son unique héritier. Tu es promise à Christophe. Votre mariage sera le plus beau qu’on ait peut-être célébré en Lorraine ».

En ce temps-là, disait grand-mère, les filles obéissaient encore sans révolte ni murmure aux décisions raisonnables de leurs parents.

Monsieur de Rochechouart était du bal de l’anniversaire. Il vit Louise troublée, tremblante et blême dans ses bras. Il n’osa point lui demander la cause de sa tristesse ; elle n’eut pas l’audace de la lui dire. Ils se répétèrent pourtant à voix basse que, quoi qu’il pût advenir, ils s’aimeraient toujours.

Quand on sut à Lunéville que le mariage de Louise et de Christophe aurait lieu en la Chapelle du Château, Rochechouart, fou de douleur et de colère, franchit au galop les portes de la ville, Nancy, d’où prit la route de Bruxelles pour aller se réfugier auprès de la gouvernante générale des provinces espagnoles des Pays-Bas.

Il était persuadé que Louise ne l’aimait plus, qu’elle avait failli à son serment, qu’elle avait préféré l’argent l’amour, et qu’entre deux amants, l’un beau et riche seulement de son nom et de son épée, et l’autre fortuné et heureux, elle avait choisi le second.

Dans les deux jours qui suivirent, Madame de Lambertye à qui Louise, dans un audacieux mouve ment de révolte, avait avoué son amour et les serments qu’elle avait échangés, consulta à mots couverts Madame de Bost-Moulin. Celle-ci était une femme redoutable qu’aucun scrupule n’embarrassait. Les deux femmes résolurent de la guérir de cet amour qui les irritait. Madame de Bost-Moulin lit courir le bruit que le beau Monsieur de Rochechouart qui à Nancy avait séduit bien des cœurs, poursuivait hardiment ses conquêtes à Bruxelles.

Mais Louise était de bonne race et le jour vint où elle prit une résolution : elle épouserait Christophe qui, après tout, ferait un fort élégant gentilhomme, profiterait de sa richesse en menant dans son château une existence de plaisirs luxueux et par le ruiner. Au demeurant, elle donnerait le change en ne se refusant point à ses devoirs d’épouse.

Grand-mère disait « Était-elle sotte de ne point voir que son mari l’entraînerait dans sa ruine.  » Toutefois, grand-mère prenait soin, – mais ce détail ne figurait peut-être pas dans les récits populaires – d’omettre que Louise remplit si bien ses devoirs d’épouse, qu’elle donna sept enfants à son mari.

Quoi qu’il en fût, voici, au lendemain des noces, Christophe et Louise en route pour le Pont d’Oye.

Le premier soin de Louise fut d’embellir ce sombre séjour ; elle y dépensa une fortune. On commençait à dire que la marquise possédait un charme, ou même qu’elle était sorcière, pour changer ainsi, en si peu de temps, la face Immémoriale de la terre des anciens.

C’est ainsi que commença, dans ce château et cette vallée oubliée, une existence de fêtes somptueuses, d’orgies délirantes, de désordres inouïs, de provocation envers la piété, marquée par une prodigalité et un luxe effrénés. On y vit – c’est toujours la légende qui le dit – toutes les galanterie s les plus osées, toutes les débauches et les vices de ce siècle si raffiné et si violent dans ses perversions. Quant à Christophe, il n’apparaissait jamais dans ces saturnales et si on le voyait quelquefois sur le seuil du château, c’était pour accueillir et saluer les hôtes que Louise avait conviés. Le Marquis payait, payait…

Elle eut l’idée de semer richesse et bonheur de manière fort originale en faisant mettre à tous ses chevaux des fers d’argent tenus seulement par deux clous. Ainsi les perdraient-ils et les malheureux n’auraient qu’à les ramasser. Ses brillants compagnons applaudirent bien fort cette belle et coûteuse idée.

Lesdits compagnons et leurs belles compagnes, tous marquis et marquises dans le langage du peuple comme dans celui de grand-mère, se livraient à des jeux si scandaleux que tout le monde se signait après les avoir observés du haut des arbres ou du creux des buissons,

Sur elle, on raconta bientôt plus scandaleux encore quand on vit qu’elle faisait bâtir, au pied de son temple de l’amour, une sorte de maison de pierres toute en longueur et qui ne comportait qu’une très grande salle et une vaste cuisine. On y apporta des tables de bois aux pieds joliment tournés, des sièges et des bergères, d’Immenses canapés. Ce sera, disait-elle, une « maison de plaisance », maison des orgies, auraient dit les gens des villages, s’ils avaient connu le mot, à coup sûr « maison du péché » ou « palais de Belzebuth ».

Elle avait gardé auprès d’elle, comme un colifichet qui faisait peur aux gens, un négrillon ramené de Versailles. Il mourut de froid dans d’atroces douleurs et elle le remplaça par un autre suppôt du diable, un nain qu’elle avait trouvé à Bruxelles et qui adressait aux filles et aux femmes des gestes obscènes. Enfin, elle se mit en tête d’avoir des pages. Deux garçonnets du village furent engagés au château, lavés, brossés et joliment vêtus. On leur apprit à faire la révérence. On les gava comme des oies pour leur donner belle mine. La marquise, disait-on, les faisait participer à certains de ses honteux plaisirs. Un de ses jeux préférés était de se promener sur les eaux en cortège. Elle s’asseyait dans sa gondole, un éventail à la main, vêtue d’une robe claire de soie légère, le nain à ses pieds. Un jour, sur l’eau, elle avait brisé, comme par négligence, le fil du beau collier de perles qui soulignait l’élégante minceur de son cou. Des perles, en rebondissant, étaient allées se perdre au fond du lac, et, sur un geste de son éventail, les deux pages avaient plongé pour tenter de les retrouver dans les profondeurs. Le plus jeune était mort noyé, surpris par le froid, et elle avait murmuré ravie, en regardant le cadavre : « Mon Dieu, comme c’est touchant, il est mort pour moi ! » On fit au malheureux enfant des obsèques auxquelles personne au château n’eut l’audace, ni peut-être la pensée d’assister. Des hommes et des femmes arrivés de tous les alentours furent sur le point, en quittant le cimetière, d’aller mettre le feu au château maudit et de rôtir la sorcière. Le curé prêcha le calme.

Quant à Christophe, on ne le voyait plus qu’assez rarement. On disait qu’il courait le pays pour « chercher des sous » afin de faire face à tout. On baissait la tête quand il apparaissait, pour éviter, disaient les vieux, de le rendre honteux.

Un beau soir, et la nouvelle se répandit si vite que le curé d’Aulier l’apprit le lendemain, à l’heure de sa messe, un carrosse que personne n’avait jamais aperçu, s’arrêta devant le grand degré. La marquise elle-même accourut pour être la première à la portière. En sortit d’abord un petit vieillard en bas blancs, perruque poudrée et long habit fort simple de couleur, qui s’appuyai t sur un bâton ; puis une dame, haute, majestueuse qui, de la tête semblait défier le monde entier.

Le curé d’Aulier, épouvanté – il s’était signé trois fois – apprit s’agissait de Monsieur de Voltaire et de sa maîtresse Madame du Châtelet. L’antéchrist lui-même ! Il passa deux jours au château. Deux jours à blasphémer sans doute. Tout le monde se pressait autour de lui pour l’entendre.

Ce fut quelques plus tard, marquis et marquises avaient regagné Versailles, Lunéville et Bruxelles, qu’on apprit qu’un trafiquant qui avait déjà acheté la plupart des biens de Christophe, venait de se rendre maître et possesseur des forges… et comme un coup de tonnerre, que Christophe avait disparu, On attendit.

*

Louise vivait encore au château. Elle n’avait gardé qu’un cheval et n’était plus servie que par sa femme de chambre. Les plus âgés des enfants de la marquise l’avaient quittée aussi pour aller tenter de faire carrière à Nancy où le grand nom de Lambertye pouvait leur ouvrir bien des portes. Louise restait seule avec la plus jeune de ses filles, une pâle jeune fille d’une dizaine d’années.

La marquise était devenue une vieille femme : elle vivait recluse dans sa chambre où son unique domestique lui portait à manger.

Comme le printemps s’annonçait, le trafiquant fit savoir qu’il s’était rendu propriétaire du château, qu’il ne l’habiterait pas parce qu’on y avait trop longtemps défié la religion et la morale et que ses murs, ajoutait l’hypocrite personnage, devaient sentir le soufre. Toutefois, en ferait enlever tous les meubles pour le vendre.

Quand la malheureuse Louise vit arriver les déménageurs, elle jeta une mante sur ses frêles épaules, prit sa fillette par la main et s’enfuit. Elles errèrent longtemps, effrayées, de couvent en couvent. Comme le soir tombait, elles prirent enfin le chemin de Habay, où Marthe, sa dernière femme de chambre, la fit entrer chez elle et la conduisit dans une petite chambre basse où, dit-elle « Madame la marquise serait chez elle ». Le mari, le palefrenier, était bien décidé à ne pas nourrir longtemps ces deux bouches inutiles.

Un miracle pourtant : un beau jeune homme, en costume de hussard, apparut un jour à Habay. Était-ce son aimé, le futur marquis ? Nul ne le sut jamais. On vit pourtant qu’il emportait, assise devant lui sur la selle de son étalon noir, la fillette qui paraissait terrorisée.

C’est alors que, l’hiver venu et la neige couvrant la contrée, serrée dans l’étau du gel, elle dut partir de chez Marthe, le soir de Noël. En titubant, elle marchait vers les degrés du château. Elle tomba de tout son long, redressant pourtant la tête pour voir le seuil qu’elle avait si souvent franchi, joyeuse et avide de plaisirs. Puis elle s’endormit. Elle dormait, épuisée, inconsciente et peu à peu, enraidie par le gel. Elle sentit pourtant, au seuil de la mort qu’elle venait d’atteindre, une présence. Elle ouvrit les yeux, essaya de se dresser sur son séant. L’homme se pencha pour l’aider ; c’était un moine d’une taille qui lui parut surhumaine. Rêvait-elle ? Elle crut reconnaître Rochechouart, Rochechouart qui l’avait abandonnée, Rochechouart dont elle avait voulu toute sa vie, venger l’amour perdu.

Il se pencha sur elle et dessina sur son front, d’un doigt ferme, les signes de l’extrême-onction, tomba à genoux auprès d’elle et se mit à dire tout bas la prière des agonisants. Elle reconnut sa voix, s’apaisa, fut envahie par un grand bonheur et s’endormit, reposée, dans la paix du Seigneur.

Tel fut le récit de grand-mère. Telle était la légende comme elle vivait encore chez nous il n’y a guère qu’un demi-siècle. D’autres, je le sais, la contaient quelque peu différente dans ses détails, plus riches ou plus brutaux, plus doux ou plus cruels, plus éloignés ou plus proches de la vérité vraie.

La vérité vraie ?

Elle n’est ni dans Wocquier, ni surtout dans Joset, et seul Pierre Nothomb l’a sans doute approchée en cherchant à la rétablir.

Chose étrange et qui donne du poids aux aspects les plus surprenants de cette légende, Pierre Nothomb, acquéreur du domaine du Pont d’Oye, plus d’un siècle et demi après la mort de Louise vint visiter le domaine en voiture et, en y entrant, s’aperçut qu’un clou s’était planté dans un des pneus de sa voiture. Ce clou tout noir, avait la forme ancienne d’un clou forgé à la main. Il le décrassa, le polit … c’était un clou de fer à cheval et il était en argent.

En quoi la légende diffère-t-elle de l’histoire ? Dans l’histoire, le personnage de Rochechouart n’existe pas. Louise sortie du couvent de Remiremont et belle comme le jour a aimé follement, dès son premier bal, le danseur inscrit sur son carnet. Et ce danseur était Christophe. Elle a aimé cet époux à qui elle a donné sept enfants.

Louise est partie avec son époux pour le Pont d’Oye qui fut leur résidence ordinaire. Elle y fit faire pour rendre ce séjour aimable, d’importants travaux. Elle donna des fêtes splendides. Elle reçut Monsieur de Voltaire. Il est vrai que sa folle prodigalité ruinait son mari et qu’elle vivait dans un rêve doré.

Aucune bassesse, aucune vilenie, aucune laideur, aucune ombre n’attenta jamais au bonheur émerveillé de Louise. Sur terre et dans les plaisirs, elle appartenait au ciel. Il est vrai que Christophe soit allé jusqu’au bout de la ruine pour lui éviter la plus légère des peines et qu’il est mort dans l’humble presbytère des bords de la Chiers. Mais pouvait-il survivre dès lors qu’il ne la voyait plus ? Le personnage de trafiquant a bel et bien existé. Et il était aussi féroce que le dit la légende. II est vrai aussi que Louise est morte terrassée par le froid, une nuit d’hiver, après que le rustre qui l’avait abritée lui eut donné l’ordre de décamper. Mais elle n’a pas vu Rochechouart pour la simple raison qu’il n’a pas existé.

Mais rien n’est plus beau, toutefois, que la légende contée par les grand-mères qui allaient songeuses, de veillée en veillée. Rien n’égale en couleurs, en ampleur, en beauté sans mesure ce qu’il faut appeler la vérité légendaire.

« Alors j’ai entrepris il y a deux ans d’écrire le roman de cette marquise, non pas que j’ai voulu écrire une nouvelle légende de cette femme, mais parce qu’il m’avait semblé que le roman et la légende sont frère et sœur, et que le roman n’est qu’une forme écrite et fixée de la légende, ce qui est une façon de reconnaître la supériorité de la légende qui, elle, ne cessera jamais d’être renouvelée enrichie par ceux qui la conteront. Le roman a pour départ une histoire dont on a fait une légende ; il arrête une légende, qui interdit de l’enrichir encore hélas comme font les conteuses qui, le soir au coin du feu, laissent aller leur imagination qui va bien loin car elle est nourrie par le cœur ».

***

Marc Blancpain ensuite répondit a de nombreuses questions. La France, nous dit-il, est « farcie de légendes ».

Il nous raconta la légende de Geneviève de Brabant (7ème siècle), la femme d’un seigneur nommé Sifroy dont le domaine se trouvait près de Nancy. Parti à la guerre, il confia sa femme à son intendant qui tenta d’abuser de Geneviève de Brabant. Elle refusa ses avances. Furieux, il la calomnia auprès de son mari qui donna ordre à ses soldats de la tuer. Elle était enceinte. Les soldats eurent pitié d’elle et l’abandonnèrent nue dans les bois. La légende dit qu’elle fut nourrie par une biche. L’enfant naquit. Elle le prénomma Benoni (fils de ma douleur en hébreu, le contraire de Benjamin, fils de ma joie). Sifroy, au cours d’une partie de chasse, la rencontra dans les bois, apprit la vérité, recueillit sa femme et son fils et fit tuer son intendant. Beaucoup d’enfants dans la région portent comme deuxième prénom Benoni. C’est mon cas, dit Marc Blancpain.

II nous raconta des souvenirs d’enfance. Il ne sait plus d’ailleurs où s’arrête la vérité et où commence l’imagination. Il nous explique comment à 5 ans il a rencontré la mort, nous rapporte les propos de son Instituteur : « la guerre est la règle et la paix n’est jamais que l’accident de la guerre ».

Une conférence passionnante et passionnée, Après son exposé, Marc Blancpain dédicaça des ouvrages.

L’après-midi se termina autour d’un buffet dans une atmosphère conviviale.

 

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