TALLEYRAND – L’homme qui servit l’Etat sans scrupules

Thème : HISTOIRE                                                                                                                                                                       Mardi 18 décembre 2012

TALLEYRAND – L’homme qui servit l’état sans scrupules

Par Élisabeth FRACHON-ARBEILLE – Conférencière agrée par le Ministère de la Culture et de la Communication

Charles-Maurice de Talleyrand- Périgord naît à Paris le 2 février 1754. Il est descendant d’une famille d’une très haute noblesse issue du Périgord . Ses parents sont sans grande fortune, son père poursuit une carrière militaire toute tracée et sa mère a une charge à  la Cour.

Charles Maurice naît avec un pied bot. Il est mis en nourrice jusqu’à l’âge de quatre ans puis envoyé tout enfant à Chalais en Charente chez son arrière grand-mère, la princesse de Chalais. Ses parents constatant que cet handicap physique lui fermerait la carrière des armes, l’orientent vers une carrière ecclésiastique qui peut être politiquement prometteuse si menée à bien. En 1762, Charles-Maurice entre au collège d’Harcourt à Paris. En 1769, alors qu’il n’a que quinze ans, il est envoyé chez son oncle Alexandre de Talleyrand-Périgord à Reims pour y revêtir la soutane, celui ci aura une grande influence sur l’orientation du jeune Charles-Maurice dans sa carrière ecclésiastique.

En juillet 1789, Talleyrand est nommé membre du Comité de Constitution de l’Assemblée Nationale. Quatre mois plus tard, il s’illustre en proposant la confiscation des biens du clergé pour améliorer l’état des finances de la nation. Devenu depuis peu Evêque d’Autun, il célèbre la messe sur le Champ de Mars à la Fête de la Fédération le 14 juillet 1790.  Il démissionne de son évêché en janvier 1790, laissant un goût amer auprès de sa communauté.

Talleyrand part ensuite en mission diplomatique à Londres dans le but de rassurer la monarchie anglaise sur la politique française et pour éviter la « Terreur ». En 1794, expulsé d’Angleterre, il part pour les Etats-Unis où, pour vivre, il se transforme en homme d’affaires et en spéculateur, parcourant l’intérieur du pays à la recherche d’éventuelles lucratives opérations immobilières.
Il revient à Paris le 20 septembre 1796, et en juillet 1797 il réussit à obtenir le portefeuille des Affaires étrangères en juillet 1797, grâce à l’intervention de Mme de Staël qui s’emploiera à cette démarche avec détermination.

Pendant le Directoire Talleyrand trouve son compte dans cette ambiance de facilité, voire de malversations et de corruption. Il mélange activité diplomatique et enrichissement personnel et fait rapidement fortune. Le 20 juillet 1799, accusé de malversations, Talleyrand démissionne de son ministère. Il a alors la prescience qu’un tel régime court rapidement à sa perte, il décide de précipiter l’événement. Il encourage activement un jeune général, Bonaparte, à prendre le pouvoir et contribue à la préparation du coup d’État du 18 Brumaire. Bonaparte lui en est reconnaissant et lui rend son poste de ministre des Relations extérieures.

En 1802, suite à une injonction du Pape, Talleyrand est autorisé à épouser sa maîtresse «La belle Madame Grant» et le 10 septembre, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord et Catherine-Noël Worlée signent leur contrat de mariage à Neuilly.

Talleyrand ne reniera jamais et à aucun moment son mariage complexe avec Catherine Grant. Il l’assumera totalement au point de donner officiellement son nom à la petite Charlotte qui en a été le fruit. Mais rapidement ils ne vivront plus ensemble.

En 1804, il est mêlé de près à l’assassinat du Duc d’Enghien. Nommé Grand chambellan en juillet, il assiste au sacre de Napoléon le 2 décembre 1804 à Notre Dame. Bien que servant l’Empereur avec dévouement Talleyrand demeure,  fidèle à ses convictions, partisan de la paix, des relations commerciales et de l’équilibre entre les nations européennes. Il est, au sein de l’entourage de l’Empereur, la seule personnalité qui ose lui faire connaître ses positions et qui tente à de nombreuses reprises de freiner ses ardeurs guerrières. Il se charge de négocier les traités de Presbourg (1805) et de Tilsit (1807) mais cautionne de moins en moins les actions de Bonaparte. Il critique sa politique conquérante et son ambition sans limite ; il commence à s’écarter de lui, convaincu que l’Empereur va à sa perte.

Napoléon fait de nouveau appel à lui en 1808. Il lui demande d’accueillir, dans sa propriété de Valençay, les princes Espagnols faits prisonniers. Talleyrand se rapproche de ses ennemis dont il est l’hôte et Napoléon, excédé le disgracie. Rappelé au Conseil de régence en 1814 après la chute de l’Empereur, Talleyrand contribue au retour des Bourbons. Il est élu président du gouvernement provisoire par le Sénat et met Louis XVIII sur le trône. Aussitôt, il est nommé ministre des Affaires Etrangères mais sous la pression des ultraroyalistes, Louis XVIII tient Talleyrand éloigné du pouvoir.

Dans le même temps, cherchant une riche héritière pour son neveu, Talleyrand avait demandé à Alexandre, tsar de Russie, d’intervenir auprès de la duchesse de Courlande pour favoriser un mariage entre les deux familles. Le mariage entre Edmond De Périgord et la plus jeune fille de la Duchesse, Dorothée de Courlande est célébré au printemps 1809. Âgée de 16 ans, Dorothée de Courlande vient habiter à Paris, chez son oncle, accompagnée de sa mère la duchesse Anna Dorothea de Courlande.  Talleyrand s’éprend rapidement de la Duchesse et celle ci devient une amante et une confidente de toute première qualité. Elle décide de rester en France mais en est chassée en 1812 par Napoléon qui ne l’apprécie guère.  Toute sa vie durant, elle ne cessera de correspondre avec son amant qui gardera une grande affection pour elle et ce, jusqu’à sa mort en 1821, le laissant inconsolable.

Dans le même temps, émerveillé par la jeunesse et la grâce de sa nièce et désireux d’utiliser ses qualités d’aristocrate cosmopolite, il emmène sa nièce par alliance avec lui au congrès de Vienne. A 21 ans, Dorothée, Comtesse de Talleyrand est une des reines du Congrès de Vienne; elle contribue par son esprit et sa personnalité au succès des réceptions de son oncle.

Après le Congrès, Talleyrand tombant sous le charme de sa nièce et espérant la retenir près de lui achète pour elle le château de Bouges à peu de distance de Valençay.

En juillet 1820, Talleyrand quitte Paris et Dorothée, alors enceinte de son troisième enfant (dont la paternité est parfois attribuée à Talleyrand) vient définitivement habiter avec lui à Valençay.  Dès lors, malgré les 39 ans qui les séparent Dorothée devient la compagne officieuse de son oncle et se comporte en maîtresse de la maison, recevant avec magnificence tous les personnages de son époque.

En  1830,  il est nommé  ambassadeur de France à Londres, elle le suit et prend son rôle très à cœur auprès de celui qui s’emploie à rapprocher la France et le Royaume Uni.

En 1828, devenue duchesse de Dino grâce à Talleyand, Dorothée continue à assister son oncle pour qui elle est aussi une confidente et une conseillère précieuse.

En 1834, Talleyrand se retire définitivement de la vie politique, et, sentant qu’il ne lui reste plus beaucoup de temps à vivre, il fait tout pour régler son contentieux avec l’Église. Il s’y emploie malicieusement et réussit en signant une rétractation de ses fautes. Il s’éteint le 17 mai 1838 et est enterré dans une chapelle à proximité du château de Valençay.

Prenant une part active et parfois décisive dans la vie politique de son temps, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord fut qualifié d’opportuniste, d’intrigant, de cynique, de girouette, voire de corrompu et même de traître à Napoléon. On doit cependant reconnaître que ce personnage illustre, passionné de liberté et de paix demeura fidèle toute sa vie à ses convictions et à la France, et ce de la Révolution à la Restauration.  Diplomate talentueux et intelligent, Talleyrand est considéré comme le père de la diplomatie moderne, il tient une place considérable dans l’histoire de la politique française et même européenne.