L’INCENDIE DU BAZAR DE LA CHARITE. LE 4 MAI 1897

Thèmes: Histoire – Société                                                                                                                                                        Mardi 23 Avril 2013

L’INCENDIE DU BAZAR DE LA CHARITE. Le 4 mai 1897

Par Renée BONNEAU, Agrégée de Lettres Classiques, professeur émérite.

         Le «Bazar de la Charité», fondé en 1885 par Henry Blount était présidé par le Baron de Mackau et regroupait, chaque année, des œuvres de bienfaisance. Il s’agissait d’une organisation caritative dont l’objet était d’assurer la vente d’objets, lingeries et colifichets divers, au profit des plus démunis.

Installé à Paris, il disparut après un incendie tristement célèbre le 4 mai 1897, lequel fit plus de 130 victimes, dont la plupart étaient des femmes issues de la haute société parisienne. On retrouvera parmi les victimes, entre autres, son Altesse Royale la duchesse d’Alençon, née Sophie-Charlotte en Bavière, sœur de Sissi, impératrice d’Autriche.

En 1897, il a lieu dans un bâtiment léger en bois bâti sur un terrain vague de la rue Jean-Goujon dans le 8ème arrondissement de Paris. Le décor, conçu par le décorateur de l’Opéra, reconstitue une rue du Moyen-Age, en carton pâte et bois blanc recouvert de peinture et agrémenté de tentures et rideaux. En prime le Bazar propose, sous un appentis, un spectacle de cinématographe où l’on peut voir les images animées des frères Lumière projetées par un appareil de 35 mm.

Le bâtiment comprend une porte à double battant ouvrant sur une vaste allée, bordée de 22 comptoirs en bois. L’arrière du hangar donne sur une cour intérieure, bordée par l’Hôtel du Palais. Adossé à la façade arrière du hangar se trouve un local abritant le fameux  cinématographe.

Monsieur Normandin, l’entrepreneur chargé des représentations cinématographiques n’est cependant pas très satisfait de ce local et s’en ouvre au baron de Mackau: « Je n’ai pas assez de place pour loger mes appareils, les tubes d’oxygène et les bidons d’éther de la lampe Molteni. Il faut aussi séparer le mécanicien du public. Les reflets de la lampe risquent de gêner les spectateurs.» « Nous ferons une cloison en toile goudronnée autour de votre appareil. Un rideau cachera la lampe. » « Et mes bouteilles et mes bidons ? » «Vous n’aurez qu’à les laisser sur le terrain vague, derrière votre local. »

Vers 16h30 l’accident fatal survient: la lampe de projection du cinématographe a épuisé sa réserve d’éther et il faut à nouveau la remplir. Monsieur Bellac le projectionniste, demande à son assistant d’allumer une allumette mais l’appareil est mal isolé et les vapeurs d’éther s’enflamment instantanément.

Quelques instants après, alors que les organisateurs ont été informés de l’accident et commencent déjà à faire évacuer, dans le calme, les centaines de personnes présentes dans le hangar, un rideau prend feu, enflamme les boiseries puis se propage au vélum goudronné qui sert de plafond au Bazar. Un témoin dira: «Comme une véritable traînée de poudre dans un rugissement affolant, le feu embrasait le décor, courait le long des boiseries, dévorant sur son passage ce fouillis gracieux et fragile de tentures, de rubans et de dentelles.»

Au grondement de l’incendie répondent les cris de panique des 1 200 invités qui tentent de s’enfuir en perdant leur sang-froid. Le velum s’effondre sur la tête des femmes  que leurs cols de dentelles et les robes légères transforment en torches vivantes. Certaines personnes tombent et ne peuvent se relever, piétinées par la foule prise de panique.Les deux portes à tambour se bloquent sous l’amas des corps .

Les secours viennent de tous les côtés : cochers des écuries du Baron de Rotschild, ouvreiers de presse du journal La Croix,  et sont suivis du renfort des pompiers qui ne peuvent qu’empêcher la propagation du feu aux habitations voisines.  Quelques-uns des visiteurs tentent de se sauver par la cour intérieure: ils sont évacués grâce à l’intervention des cuisiniers de l’hôtel du Palais qui aident les victimes à s’extirper de la fournaise en grimpant à la fenêtre de la cuisine, d’autres réussirent à contourner le bâtiment en résistant à une chaleur quasi insurmontable.

Un quart d’heure à peine après le début de l’incendie, tout est consumé: le hangar n’offre plus l’aspect que d’un amoncellement de poutres de bois calcinées, mêlées de cadavres atrocement mutilés et carbonisés. « On vit un spectacle inoubliable dans cet immense cadre de feu formé par l’ensemble du bazar, tout brûle à la fois, boutiques, cloisons, planchers et façades, des hommes, des femmes, des enfants se tordent, poussant des hurlements de damnés, essayant en vain de trouver une issue, puis flambent à leur tour et retombent au monceau toujours grossissant de cadavres calcinés »  Figaro du 5 mai 1897

On décompte 126 victimes et 250 blessés graves dont plusieurs ne survivront pas… Les corps meurtris et calcinés sont portés au palais de l’Industrie pour la reconnaissance par les proches.  Ce sont des scènes déchirantes : maris et pères cherchant, en redoutant de trouver, leurs mères ou filles…La Duchesse d’Alençon figure parmi ces victimes. Elle aurait pu être sauvée dès le début  mais a dit : « Je devais à mon nom d’entrer la première, je dois à mon nom de sortir la dernière ». Son corps, méconnaissable, est finalement authentifié par son dentiste qui, seul, arrive reconnaître sa dentition et son bridge en or. Les spécialistes de l’odontologie légale retiennent d’ailleurs la date du 4 mai 1897 comme celle de la naissance de cette spécialité.

Paris est en deuil. Le nombre de victimes, leur rang, plongent la capitale dans la consternation. La rubrique nécrologique du Figaro  publie jour après jour les annonces d’obsèques. Dès  le lendemain du drame, la presse se fait l’écho du désarroi général. Le 8 mai, le gouvernement fait célébrer une messe solennelle à Notre-Dame de Paris. Puis, sous la conduite de l’archevêque de Paris, une souscription est ouverte pour acheter le terrain ou a eu lieu l’incendie afin de bâtir une chapelle commémorative: Notre Dame de Consolation. Le restes des victimes non identifiées ont été enterrées au Père La Chaise

Un procès a lieu, où sont condamnés les organisateurs de la fête ainsi que les projectionnistes. Quant au Préfet Lépine, il se défend devant la Chambre des Députés d’avoir eu la moindre responsabilité dans le drame : c’était une fête privée !
Des plaintes sont envoyées au Procureur de la République pour que soient poursuivis les jeunes gens  ayant notoirement frappé et piétiné des femmes. Aucune suite ne  leur sera donnée mais les salons se fermeront à leur visite.

Ce terrible fait divers est révélateur du climat de la France de l’époque où droite et gauche s’affrontent violemment, libre-penseurs et catholiques également. On oppose le dévouement des gens du peuple qui ont risqué leur vie  en secourant les victimes, à la lâcheté criminelle des « Chevaliers du coup de  canne»  ou  des « Barons de l’Escampette ». On remarque que le nonce du Pape était venu bénir la fête…qui flambait le lendemain ! On s’indigne du prêche du prêtre de Notre-Dame qui au lieu de témoigner de la compassion pour les victimes, dénonce la futilité des fêtes de ces grandes dames  et s’en prend au cinéma, « invention du diable » En revanche les complaintes des rues célèbrent les  femmes victimes de leur charité..

En savoir plus….

Coté Livres :

Piège de feu à la Charité de Renée BONNEAU

Éditions Jacqueline Chambon / Actes Sud Mars 2008

Coté Web :

http://bazardelacharite.blog.free.fr/