Le rôle européen de la Bourgogne des grands ducs du XlVème siècle à l’Europe de l’an 2000.

Le rôle européen de la Bourgogne des grands ducs du XlVème siècle à l’Europe de l’an 2000.

Jeudi 25 janvier 1990, à 20h30 nous avons eu le grand plaisir de recevoir Jean-Philippe Lecat, ancien Ministre de la Culture et de la Communication, Conseiller d’Etat. Il nous a parlé du « rôle européen des grands ducs de Bourgogne du XlVème siècle à l’Europe de l’an 2000 ».

La Saône était une frontière séparant les deux constructions issues de l’Empire romain et du royaume des fils de Charlemagne, c’est à dire ce que l’on appelait l’Empire, devenu Saint-Empire romain germanique, et le Royaume de France. Cette frontière suivait la Saône puis la Meuse. Liège faisait partie de l’Empire, contrairement à la Flandre qui appartenait au Royaume de France.

La carte de l’Europe telle qu’elle a été tracée par l’histoire au cours d’un millénaire, divisait donc l’Europe en deux grands ensembles : l’Empire et le Royaume de France. Ces limites n’étaient pas linguistiques. L’Europe d’aujourd’hui est née avec les Pays Bas, la Belgique et le Luxembourg; c’est une Europe médiane qui n’est ni la France, ni les Allemagnes, qui a sa personnalité forte. Il est certain que c’est le XIV et le XVème siècle, l’époque des Ducs de Bourgogne qui ont donné cette figure à l’Europe.

L’histoire continue à se faire sous nos yeux. Nous redécouvrons que c’est l’histoire qui fait les frontières, les régimes politiques et qu’il n’y a pas de déterminisme, de sens de l’histoire.

L’Estonie est une république de l’Union Soviétique depuis 1940. Il existe un parti royaliste dont le programme est de fonder un royaume d’Estonie qui aurait le même roi que la Suède. Les Estoniens sont un peuple analogue aux Suédois, ce ne sont pas des Slaves. Ils ont été pendant un siècle (16ème) en union personnelle avec la Suède. Dans leur capitale vivait un lieutenant général du roi de Suède et à Dorpat, la Suède a crée une université suédoise. Tout à coup resurgit chez les Estoniens le souvenir du temps où ils étaient un peuple d’Europe avec une université de grande qualité. Ils ont d’ailleurs gardé la religion luthérienne.

La carte de l’Europe actuelle n’est pas le produit d’une nécessité. Elle est le produit de l’histoire, c’est à dire très largement le produit du hasard et de la volonté humaine. Cela nous choque puisque l’enseignement français depuis Michelet est parti de l’idée que la France dans son hexagone avait toujours existé. Or la France a été construite par des hasards et a été l’une des possibilités de l’histoire, mais pas la seule.

« En vous emmenant faire un petit tour en Bourgogne du XlVème siècle, nous ne faisons pas une action rétrospective. Je voudrai vous montrer ce qui s’est passé pour des raisons où les passions des hommes ont joué un rôle extraordinaire et où la carte de l’Europe actuelle est une carte où il y a beaucoup plus le produit de la passion que le produit du déterminisme.

Nous partons 5 siècles en arrière, mais retenons que nous ne partons pas vers quelque chose de mort, mais pour essayer de voir fonctionner l’histoire qui se crée. »

L’histoire commence par le 4ème fils de Jean le Bon, Philippe. Il reçoit un apanage, c’est à dire une portion de domaine, la Bourgogne (Dijon, Beaune, Autun, Châtillon …). La Bourgogne est petite mais reste un grand souvenir. Hugues Capet avait été élu roi de France car son frère était duc de Bourgogne.

Philippe le Hardi (1342-1404) se trouve être Duc de Bourgogne, premier pair de France. Le roi de France, Charles V le Sage, décide que son frère Philippe le Hardi épouserait Marguerite de Flandre. C’était une riche héritière. Elle possédait Lille, Bruges, Gand, Ypres, à l’époque les plus grandes villes de la chrétienté. Ce fut un bon mariage. Ils étaient tous les deux intelligents. II réunit à son Duché, les domaines de la maison de Flandre : Flandre et Artois mais aussi Franche Comté et Nevers.

Philippe le Hardi fait la paix avec l’Angleterre où régnait Richard II. A la mort de son frère, il gouverne la Bourgogne, la Flandre, et la France (à la place de Charles VI le roi Fou ). La paix régnait. Il marie tous ses enfants vers l’est pour assurer ses frontières orientales et ses petits enfants du côté de la Flandre.

A sa mort, son fils Jean sans Peur lui succède de 1404 à 1449. Il avait mauvaise réputation, mais c’était un excellent comte de Flandre. Il signe avec l’Angleterre « le traité de commune marchandise », développe les productions locales : draperies, bière… (Les moines avaient inventé deux sortes de bière : la bière forte pour les couvents d’hommes appelée la potio fortis, et la cervisia debilis pour les couvents de femmes. La cervisia debilis qui est moins chère, ne se conserve pas et n’est pas bonne. Jean sans Peur ordonna en Flandre que seule la potio fortis soit fabriquée).

C’est un homme déchiré. Comte de Flandre, frère du duc de Brabant, sa femme, Marguerite de Bavière, appartenait à une famille qui régnait en Hollande, en Zélande, dans le Hainaut et dont le propre cousin était l’évêque de Liège. Il est donc attiré par tout cela. Il parle flamand. En même temps, il est prince français et voit la France dans un état lamentable : le roi fou, la reine Isabeau de Bavière, peu intéressante… Alors Jean sans Peur veut concilier ces rôles impossibles : souverain d’un état de plus en plus nordique et prince français. Il essaye de rencontrer le dauphin qui commande à la place de son père fou. Une réunion est organisée à Montereau-sur-Yonne en 1419. Le dauphin (Charles VII) le fait assassiner.

Le nouveau Duc de Bourgogne, Philippe le Bon, jeune homme de 26 ans, unifie l’ensemble des pays du nord et s’arrange pour que ni les Français, ni les Anglais ne gagnent la guerre.

C’est alors la naissance d’un état. Philippe le Bon unifie tous les Pays-Bas (Hollande actuelle, Belgique, Luxembourg, nord de la France jusqu’à la Somme). Il prend pied dans le sud de l’Alsace. L’une de ses soeurs est duchesse de Savoie, une autre gouverne à Paris pour l’Angleterre. Il tient bien Dijon, Nevers. Il épouse la fille du roi du Portugal (Isabelle de Portugal). Arrière-petite-fille d’Edouard III, le vainqueur de Crécy, c’est la descendante des Ducs Capétiens de Bourgogne et la fille d’un roi des temps nouveaux : un bâtard placé par son peuple à la tête d’une nation qui découvrait sa vocation maritime.

Philippe le Bon, institue au cours des fêtes du mariage, l’ordre de la Toison d’Or. Pourquoi ce choix ? C’est un mythe antique, l’histoire de Jason et des Argonautes : Orphée, Castor et Pollux… partirent conquérir la toison d’or, dépouille d’un bélier accroché à un arbre en Crimée. Vingt trois chevaliers de nom, d’armes de bravoure sans reproche doivent le composer. Le Duc en est le maître et après lui ses successeurs.

Philippe le Bon voit le combat entre la France et l’Angleterre tourner à l’avantage des Français. Il choisit de se réconcilier avec la France. Entre temps, les troupes Bourguignonnes se sont emparé de Jeanne d’Arc à Compiègne. Philippe le Bon n’a pas compris le mystère de Jeanne. Mais après tout, le propre chancelier de Charles VII, l’archevêque du sacre, quand elle fut prise, proposa pour la remplacer un berger du Gévaudan dont il disait lui-même « qu’il n’en faisait ni plus ni moins que Jeanne La Pucelle. »

Le Duc de Bourgogne se réconcilie avec le roi de France. Il est dispensé d’hommage, ce qui signifie qu’il peut faire précéder son nom par « Nous Philippe, par la grâce de Dieu, duc de Bourgogne, de Lothier, de Brabant, de Limbourg et de Luxembourg, Comte de Flandre, d’Artois, de Bourgogne, palatin de Hainaut, de Hollande, de Zélande et de Namur, marquis du Saint Empire, seigneur de Frise, de Salins et de Malines. »

Il a 16 seigneureries. Il est le seul à lutter contre les Turcs (La France faisait un trafic d’armes avec les puissances musulmanes.) Il a un énorme prestige.

Il réside d’abord à Gand, puis à Bruxelles.

Thomas Basin, évêque de Lisieux, (conseiller de Charles VII dont il a écrit l’histoire) a fort peu prisé les ducs de Bourgogne et inventera pour Charles ce surnom de « Téméraire » qui le déguise en fou furieux comme son père l’avait été par son nom de « Le Bon » en affable dilettante. Il décrit cependant de façon fort élogieuse les terres de Bourgogne :

Inutile d’indiquer au voyageur la limite où l’on passe des terres de suzeraineté bourguignonne en terre de France. A peine avez-vous posé le pied dans le royaume que l’aspect de la contrée devient sordide et raboteux : champs incultes, ronces et buissons; de ares cultivateurs, haves et exsangsues, couverts de haillons; dans les villes et les villagesdes ruines nombreuses, de nombreuses demeures vides d’habitants, et dans celles qui sont occupées un mobilier vulgaire, insuffisant, tableau de misère, de la dépression et de la servitude; mais nous voici sous le gouvernement – bourguignon : tout fleurit, resplendit, s’élève; nombreux sont les villes et les lieux fortifiés; la population abonde, les maisons sont variées et de brillant aspect, remplies de beaux meubles, les champs sont cultivés, les clotures en bon état; les gens bien vêtus ont des figures riantes. »

Philippe le Bon, « invente » le vin de Bourgogne. Il reçoit beaucoup de vin de ses vignes et fait planter à Pommard, à Volnay, à Meursault, à Beaune, à Romanêe, à Nuits, à Gêvrey. Il possède des clos. Quand la Bourgogne s’éffondrera, le roi de France, mettra la main sur toutes ces vignes. Cela s’appellera les « clos du roy ».

Les cités marchandes du nord, n’acceptent pas ce pouvoir ducal un peu oppréssif qui dépense beaucoup. En effet, le duc de Bourgogne a bien réglé ses problèmes avec le roi de France, et le roi d’Angleterre, mais pas avec les grandes villes et notamment avec les villes Suisses qui se méfient de lui.

A la mort de Philippe le Bon, Charles dit « le Téméraire » lui succède. (Ce nom sera repris au 19ème siècle par Michelet). Il hérite d’une situation difficile. En 1477, il est tué à Nancy. La Bourgogne actuelle devient française; Franche Comté, Artois, Picardie, Hollande, Belgique, Luxembourg, restent Bourguignons sous l’autorité de Marie de Bourgogne. Elle épouse Maximilien de Habsbourg, fils héritier de l’empereur du Saint-Empire. C’est une petite famille pauvre. Les puissants des Empires des Allemagnes avaient décidé que les Habsbourg feraient de très bons empereurs car ils ne seraient jamais puissants. En épousant l’héritière unique la dynastie de Habsbourg-Bourgogne devient une des puissances de l’occident.

Marie meurt à 20 ans. Son fils Philippe le Beau épousera Jeanne fille d’Isabelle de Castille et de Ferdinand d’Aragon. De ce mariage naîtra Charles-Quint.

Charles-Quint est complètement bourguignon. Il est resté l’héritier du rêve bourguignon, de cette construction d’un état et d’une civilisation qu’il pensait réussir à faire revivre.

« La carte de l’Europe » telle que nous la voyons actuellement est le fruit de cette histoire que je vous ai racontée.

Il est resté du rêve bourguignon quelque chose de très fort : une civilisation naît de la rencontre d’un certain nombre de milieux humains…

Il faut accepter de rompre avec une certaine vision historique fausse que le 19ème siècle nous a fabriquée selon laquelle les destins collectifs s’accomplissent à un niveau centralisé. »

Accès au dossier complet sur ce lien:

19900125-Rôle européen de la Bourgogne des grands ducs

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