LE LAMAISME HISTOIRE DU BOUDDHISME TIBETAIN

Thèmes: Civilisation, Histoire, Société                                                                                            Conférence du mardi 10 janvier 1995

LE LAMAISME
HISTOIRE DU BOUDDHISME TIBETAIN

Par Gérard Joudet, conférencier, spécialiste du bouddhisme himalayen

Au cours du 8ème siècle, le bouddhisme indien fut introduit au Tibet par des maîtres et yogis indiens venant du Cachemire et du Bihar. Depuis des siècles, le continent indien vivait au rythme de la pensée bouddhique. Mais, peu à peu, l’enseignement bouddhique se rapproche de plus en plus de l’hindouisme, le bouddhisme perd de son influence pour disparaître définitivement au 12ème siècle du pays qui l’a vu naître.

Sous l’impulsion des grands yogis Marpa et Milarespa, grands maîtres du savoir, un bouddhisme tibétain va naître : le Lamaïsme. Il fallait un homme hors du commun pour implanter officiellement le bouddhisme au Tibet. Songtsen Gampo fut cet homme. A la foi roi et chef militaire, il est le premier au 7ème siècle à instaurer une unité politique dans le pays. Grand conquérant, son influence s’étend jusqu’ à la Chine et le Népal.

Dans la vie de Songtsen Gampo, deux femmes jouent un rôle capital. Ce sont ses épouses Brikuti Devi, la princesse népalaise et Wen Cheng, la princesse chinoise. L’histoire du Bouddhisme tibétain est liée au personnage de la princesse Wen Cheng. Son union marquait la destinée d’une nouvelle religion au Tibet et avec elle, la fin des barbaries et des guerres qui ensanglantaient la contrée.

Le Tibet allait devenir un des royaumes les plus puissants de l’Asie. La princesse Wen Cheng était issue de la dynastie Tang, qui régnait sur la Chine. Selon la légende, son aventure commence dans la province chinoise du Gansu. Ce jour-là, la princesse quittait son pays pour se marier au roi du Tibet, Songtsen Gampo.

La princesse amenait avec elle les présents les plus précieux. Les soieries recouvraient les essences rares, l’encens, les épices, les pierres et métaux précieux, tous étaient chargés d’une vertu symbolique et présages de bonheur futur. Mais le plus grand trésor de Wen Cheng était l’incarnation du Bouddha Dharma : la statue du Bouddha Sakyamuni.

Le roi fit élever, en l’honneur de ses deux épouses, le premier temple bouddhiste à Lhassa : le Jokhand. Ce temple tient une place à part dans le cœur des Tibétains. Véritable cathédrale dédiée au bouddhisme, il est à la fois le premier temple consacré à la nouvelle religion et un lieu de pèlerinage toujours vivant.

Le Jokhand abrite la statue la plus sacrée du Tibet, Jowo, la représentation du Bouddha historique. Selon la tradition, elle rut rapportée de Chine par la princesse Wen Cheng.

Autour du temple, les pèlerins déambulent dans un chemin circulaire que l’on nomme le Barkhor. C’est un lieu très animé à Lhassa, on y récite des mantras et on s’y prosterne en l’honneur de Bouddha. Le temple du Jokhand reste un témoin de la foi de Songsten Gampo, il marque le début d’une longue lutte avec la religion animiste des Bonpos, prêtres qui étaient considérés comme des oracles et des magiciens qui tiraient leurs pouvoirs des forces surnaturelles et maîtrisaient le monde des esprits, des dieux et même des démons.

Durant son règne, Songtsen Gampo se fit apporter de l’Inde un grand nombre de traités bouddhiques. Il demanda à l’érudit Sambhota de créer un alphabet permettant de traduire les textes sacrés. La langue tibétaine dérivée du sanskrit prenait naissance et donnait une dimension historique au pays.

Au 8ème siècle, sur les traces de son arrière-grand-père, le roi Trisong Detsen faisait du bouddhisme une religion d’état. A l’origine de cette décision, un homme joue un rôle capital, on le nomme Padmasambhava : le magicien. Venant du Cachemire, il développa au Tibet un bouddhisme original qui respectait les anciennes traditions religieuses, notamment ses éléments animistes.

La grande force de Padmasambhava est d’avoir créé un véritable bouddhisme tibétain en intégrant les vieilles divinités passées dans le Panthéon bouddhique.

Aujourd’hui le pays porte la trace de ces hommes qui ont fait l’histoire du bouddhisme tibétain. Leurs constructions sont nombreuses, elles témoignent de leur ardente foi. La forteresse de Yumbulakhang, la plus ancienne du Tibet est devenue aujourd’hui un lieu de culte hanté par les représentations de ces grandes figures qui ont fait l’histoire du Tibet.

Dominée par l’ancienne forteresse de Yumbulakhang, la vallée de Chongyé abrite les tumulus identifiés comme les tombes des premiers rois du Tibet.

Dans l’ancien Tibet, les funérailles en terre étaient réservées aux nobles et aux grands guerriers, les funérailles dans l’eau pour les gens simples.

A partir du 11ème siècle, on commence à pratiquer les « funérailles célestes », au cours desquelles le corps du défunt, découpé en morceaux, est donné en pâture aux oiseaux de proie. L’âme ou plutôt la conscience ne devient libre qu’à partir du moment où le corps a été totalement éliminé.

Cette pratique reste encore aujourd’hui très populaire. Néanmoins, elle est remplacée progressivement par le rite de l’incinération que les Tibétains appellent « funérailles de feu ».

Au début du 9ème siècle, Lang Darma, roi iconoclaste, partisan acharné de la religion des Bon, ordonne la destruction systématique des temples et des monastères bouddhiques. Les textes sacrés sont détruits. Il ordonne également la persécution des membres du clergé. Sa folie meurtrière prit fin en 842, un attentat ayant mis fin à sa vie.

Cette période noire de l’histoire tibétaine correspond à la fin de l’unité du pays. Le grand empire des dynasties royales disparaît. On se trouvait à l’aube d’une ère de conflits, de luttes de pouvoirs et de guerres intestines.

A l’aube du 11ème siècle, on voit apparaître la seconde diffusion du bouddhisme dans une région située à l’ouest du Tibet : l’ancien royaume de Gugué qui atteindra son apogée au cours de ce siècle. Les souverains protégeaient les centres bouddhiques et invitaient des maîtres de grand renom à venir s’y installer. Une centaine de monastères furent construits.

Le maître Atisba, réformateur du bouddhisme en ce 11ème siècle, sut donner un regain de vigueur à la discipline et à la tradition monastique. Durant cette période de renaissance de la pensée bouddhique, on vit progressivement l’éclosion de divers courants religieux, des écoles et des monastères affiliés. Tous ces courants font partie de l’histoire du bouddhisme tibétain, ils témoignent de son originalité et de sa diversité.

Parmi ces écoles, celle des Nyingmapas, est la plus ancienne. Elle regroupe des disciples d’une tradition religieuse, qui, depuis Padmasambhava, se transmet de façon orale.

Une autre école, celle des Kagyupas, se fonde aussi sur l’enseignement oral transmis du maître au disciple. Elle accorde une place capitale à la méditation et au yoga.

La troisième école est celle des Sakyapas où on accordait une place primordiale au savoir intellectuel et aux techniques de l’art sacré. Cette école joua un grand rôle dans l’histoire tibétaine. Son pouvoir politique s’explique par l’appui qu’elle recevait alors de la puissante dynastie des Khans.

Au 14ème siècle, le grand Sakya Pandita, celui que l’on surnomme « l’érudit », rencontre Gengis Khan et consolide les relations diplomatiques avec la puissance mongole. Grâce à lui, l’indépendance du Tibet est préservée et, avec elle, la reconnaissance du bouddhisme jusque sur les territoires de Mongolie.

A la cour mongole, Kubilaï Khan, petit-fils de Gengis Khan, proclame le bouddhisme lamaïque comme religion officielle de l’empire. Dès lors, le Tibet et la Mongolie vont entretenir des relations privilégiées durant près de quatre siècles.

C’est aux confins de la Chine et de la Mongolie, que naquit en 1357 le grand maître, Tsong Khapa. Avec lui, un nouvel ordre réformé vit le jour, l’école des Guélugpas « les adeptes de la vertu ». Cette école allait bientôt devenir la plus grande force politique et religieuse du Tibet. L’étude est fondée sur le savoir livresque. On y étudie la philosophie, la logique ainsi que les sciences, la médecine et l’astronomie. La méditation et le yoga n’étaient pas les véhicules d’un pouvoir surnaturel, le savoir du maître lui venait avant tout de l’étude des manuscrits.

En 1447, un disciple de Tsong Khpa édifia le monastère de Tashilumpo, à l’ouest de Lhassa, qui deviendra deux siècles plus tard la demeure des Panchen Lamas.

Le titre de Panchen Lama, qui signifie « le grand érudit », fut décerné par le cinquième Dalaï Lama. Celui-ci attribua des terres à son tuteur et maître spirituel et l’institua abbé supérieur du monastère de Tashilumpo. La lignée des Panchen Lamas était née.

Dans la hiérarchie des divinités du Panthéon bouddhique, la plus haute distinction revient au Panchen Lama, car celui-ci est reconnu pour être l’incarnation d’Amitabha « le Bouddha de la lumière infinie ». Néanmoins, il reste la deuxième personnalité religieuse après le Dalaï Lama.

La dixième incarnation du Pantchen Lama est décédée en février 1989 lors de sa visite au monastère de Tashilumpo.

Les monastères de l’école des Guelugpas restent les témoins vivants de la puissance de cette école. L’implication politique de ses chefs assura à l’ordre réformé une hégémonie sur tout le pays. L’école prenait le titre d’église officielle du Tibet. Elle le restera jusqu’en 1950, lors de l’occupation chinoise. Aujourd’hui la puissante école des Guelugpas vit encore dans la personne du Dalaï Lama.

La prestigieuse lignée des Dalaï Lamas est née de l’ordre des Guelugpas. Quand le disciple direct de Tsong Khapa fut nommé chef spirituel de l’ordre en 1439, celui-ci déclara l’ordre « église officielle du Tibet ». La voie était tracée, deux siècles plus tard, le Tibet allait devenir une théocratie. Le destin de l’école et sa place politique dans le pays sont intimement liés au pouvoir Mongol. Même à la fin du 14ème siècle, lorsque la dynastie Ming reprendra le contrôle de la Chine, les Mongols se rallièrent au lamaïsme des bonnets jaunes.

Sonam Gyamtso, le troisième chef spirituel de l’ordre, devient alors Dalaï Lama « Océan de sagesse » en mongol. Ce titre lui fut officiellement décerné, ainsi qu’à titre posthume à ses deux prédécesseurs, par le grand chef mongol Atlan Khan. Ce titre allait résonner pour longtemps dans l’histoire tibétaine.

En 1642, dans le conflit qui oppose les différentes écoles, l’armée du Khan, totalement vouée à l’ordre Guélugpa, ne laissa aucune chance à l’école des Karmpas. Lobsang Gyamtsa, le cinquième Dalaï Lama, devenait le maître religieux absolu.

A l’heure du conflit, celui-ci n’était encore qu’un adolescent, pourtant il devenait le souverain suprême du Tibet, le détenteur absolu des pouvoirs temporel et spirituel.

Dans les faits, l’empereur mongol prit soin de placer un tuteur auprès du jeune Lama. Ce dernier assurait l’exercice du pouvoir jusqu’ à sa majorité.

Après le décès d’un Dalaï Lama, on consultait les oracles, puis des missionnaires parcouraient le pays à la recherche d’un successeur. L’enfant devait être né un an à la suite du décès de leur maître et présenter des signes flagrants de sa parenté avec lui. La preuve était faite, lorsque l’enfant reconnaissait un objet du défunt parmi d’autres, ou encore lorsqu’il manifestait un comportement, des pouvoirs exceptionnels.

Lorsque l’on avait trouvé le Dalaï Lama réincarné, l’enfant dès l’âge de six ans suivait un long enseignement accompagné d’épreuves, et ce jusqu’à sa majorité, où le régent lui transmettait les rênes du pouvoir.

Dans les faits, il y eut souvent une usurpation du pouvoir au profit du régent. Les Dalaï Lamas atteignaient rarement l’âge de régner. Entre le 5ème et le 13ème Dalaï Lama, quatre seulement accédèrent au pouvoir.

Le treizième Dalaï Lama, mourut en 1933, il fut un réformateur avisé et un grand politique. Il est à l’origine des mesures visant à établir la discipline dans les monastères. Il s’attaqua aussi à la corruption qui régnait dans l’administration.

Le quatorzième Dalaï Lama, Sa Sainteté Tenzin Gyamtso, est né en 193S. Très tôt, dès l’âge de 16 ans, alors que la révolution faisait entendre sa loi, on confia au jeune homme les rênes du pouvoir. Il sut défendre l’identité du Tibet et devint le porte-drapeau de tout un peuple bafoué par l’hégémonie chinoise.

En 1959, il est à l’origine du soulèvement de Lhassa, contre l’envahisseur. Mais sous la pression de l’occupation chinoise, il choisit la voie de l’exil pour trouver refuge en Inde à Dharamsala. Il fit de l’endroit le siège du gouvernement tibétain en exil et le point de ralliement de plus de 100000 réfugiés.

L’écrasement du pays, l’hégémonie chinoise, la destruction d’une grande civilisation sont autant de réalités que rien ne peut effacer. Pourtant, il y a une flamme que 30 ans d’occupation chinoise et de communisme n’ont pu éteindre. Quelque chose de si profondément ancré dans le cœur des Tibétains, qu’aucune politique si meurtrière soit-elle ne peut ébranler. Cette flamme, c’est le bouddhisme. La ferveur religieuse est un monde de résistance, une façon d’affirmer une identité tibétaine.

« Le monde matériel est le monde de l’erreur et de l’illusion. Tout ce qui naît est amené à disparaitre pour ensuite renaître dans un monde meilleur. »

Tous les Tibétains vivent dans cette idée, ils attendent patiemment que la roue de la vie fasse basculer l’occupation chinoise.

 

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