LE HAUT CŒUR DE CATHERINE DE MEDICIS

Thème : HISTOIRE                                                                                                                                                            Mardi 30 Janvier 2007

Le haut cœur de Catherine de Médicis

Par Denis Crouzet – Professeur d’Histoire à l’université Paris-Sorbonne et auteur de l’ouvrage éponyme

L’humaniste Etienne Pasquier a écrit que Catherine de Médicis « était armée d’un haut cœur », un coeur supérieur, plein de force, de foi et d’intelligence qui la poussait à se dresser contre les passions qui ensanglantaient le royaume. Cette figure emblématique de la monarchie du XVIe siècle – elle devient reine de France après son mariage en 1533 avec Henri II et est la mère des rois François II, Charles IX et Henri III – reste tristement associée aux guerres de religions. Pourtant, sa légende est très éloignée de l’idéal pacifique pour lequel elle a œuvré toute sa vie. Accusée d’être la responsable de la Saint-Barthélemy en 1572, son règne demeure associé aux massacres. La « légende noire » de Catherine de Médicis tire son origine d’un texte rédigé en 1574 après le décès de Charles IX au moment alors qu’elle doit exercer la Régence. Des catholiques hostiles au futur Henri III et des protestants reprochent à Catherine de Médicis d’avoir apporté le malheur sur le royaume. En rendant sa régence illégitime, ses opposants pensent ainsi pouvoir faire accéder au trône son quatrième fils François, duc d’Alençon, qui travaille à une union des catholiques et des protestants.

La princesse humaniste

A l’opposé de l’image qu’on a le plus souvent d’elle, Catherine de Médicis est une femme éclairée, pétrie d’humanisme et de savoir. Elle maîtrise les langues antiques, l’histoire, l’astronomie, les sciences naturelles et collectionne des milliers de livres anciens et imprimés aux thèmes très éclectiques (textes prophétiques, la kabbale, les textes religieux, des poètes, des penseurs grecs, etc.). Elle a voulu s’identifier à une force lumineuse qui apporte la sérénité. Dès son arrivée en France, la reine s’est engagée contre la part ténébreuse qui régnait en France. En apportant un peu de cette culture de la cour d’Italie, elle pense bonifier le royaume de France et faire la chasse à l’ignorance. Son emblème, l’écharpe d’Isis déployée représentant la lumière du soleil sur le monde, et sa devise, « Elle porte l’espérance et la joie en elle », annoncent un âge d’or pour le royaume. Pierre de Ronsard compare Catherine de Médicis à la reine de l’Olympe. Grâce à elle, le monde chrétien pourra s’unir à nouveau. Catherine de Médicis pense d’ailleurs qu’en mariant ses enfants avec les monarchies voisines, cela aurait pour effet de créer une nouvelle dynastie qui amènerait la paix et un nouvel ordre sur le monde européen.

Outre les liens du sang, Catherine de Médicis croit aux vertus de la parole pour résoudre les conflits. Isis, son emblème, est la messagère de Dieu. Pour la reine,  la parole est une force de liaison entre le divin et l’humain. C’est en communiquant entre eux que les hommes peuvent apaiser les tensions. Catherine de Médicis évoque très souvent cette force de la parole. Sa propre chambre devient un lieu où l’on cause. Des gentilshommes s’y rendent pour discuter avec la reine et ses dames. Elle est également l’initiatrice de l’Heptaméron, une œuvre finalement rédigée par sa belle-sœur, Marguerite de Navarre, qui fait l’éloge de la parole comme moyen pour se rapprocher de Dieu.

Adepte du néoplatonisme, philosophie dominante en Italie, elle pense que le gouvernant, parce qu’il a acquis tous les savoirs, est en mesure d’accéder aux secrets de l’univers, aux secrets de Dieu et faire régner la paix.  Elle croit fermement que le langage peut mener à la paix. Il est frappant de voir que tout ce que Catherine de Médicis entreprend pour réconcilier les catholiques et les protestants repose sur les rencontres entre belligérants. En 1561, pendant sa Régence, elle organise un colloque à Poissy entre théologiens des deux bords pour qu’ils aboutissent à un point d’accord et évitent les déchirements. En janvier 1562, elle promulgue un édit qui accorde la liberté de conscience et de culte aux Huguenots. C’est une vraie révolution. Aucune puissance politique n’avait encore été aussi loin. Pour autant, les antagonismes sont trop forts entre les deux camps et la première guerre des religions se déclenche peu après. A l’issue de ce conflit, en 1563, la régente entraîne le roi et sa cour vers les villes de province afin qu’il aille à la rencontre des seigneurs locaux et qu’il leur fasse passer son message, à savoir qu’il veut la paix et que ceux qui s’y opposent s’opposent au royaume.

Le peintre Antoine Caron a représenté l’idéal humaniste de Catherine de Médicis dans plusieurs œuvres, La Remise du Livre et de l’Epée, Le Triomphe de l’Hiver ou encore Le Triomphe du Printemps.

Un idéal humaniste brisé par le massacre de la Saint-Barthélemy

Que s’est-il passé pour que cette femme humaniste soit considérée depuis près de cinq siècles comme la responsable de la Saint-Barthélemy ? Paradoxalement, l’origine du massacre découle de sa volonté farouche à préserver la paix du royaume. Une paix fragile qu’elle entreprend de concrétiser en mariant sa fille Marguerite de Valois au prince protestant Henri de Navarre, futur Henri IV. Mais ce mariage, qui a lieu le 18 août 1572,  n’est pas accepté par les catholiques intransigeants. Le 22 août, un attentat est perpétré contre l’amiral de Coligny. Les protestants réclament justice auprès du roi. Dans la nuit du 24 août, les portes de la capitale sont fermées et des groupes d’hommes se répandent en ville pour assassiner les chefs protestants. Très vite, les choses tournent mal. Les massacres se multiplient et durent plusieurs jours. Le roi et sa mère tentent de faire arrêter les meurtres mais il règne une telle atmosphère de sédition que personne n’obéit. Le 26 août, Charles IX endosse la responsabilité du massacre, qui s’arrête trois jours plus tard, faisant environ 2 000 morts à Paris.

Pendant la période 1574-1578, de nombreux textes font état du machiavélisme de la royauté. La Saint-Barthélemy serait l’aboutissement d’un long processus tyrannique de Catherine de Médicis depuis son arrivée en France. Elle aurait, patiemment, tendu un piège aux Huguenots et n’aurait pas hésité à utiliser le mariage de sa fille pour arriver à ses fins. Il s’agit là de l’hypothèse d’une préméditation longue.

Une autre logique serait celle d’une préméditation courte. Catherine de Médicis aurait fomenté l’attentat contre l’amiral de Coligny car ce dernier voulait entraîner la royauté dans une guerre contre les Pays-Bas afin de protéger les calvinistes hollandais. Sentant le pouvoir lui échapper, elle aurait fait massacrer les chefs huguenots.

Une autre thèse innocente Catherine de Médicis et le pouvoir royal du massacre. L’insurrection aurait été menée par l’Eglise, opposée à la politique de réconciliation prônée par la royauté. Les Guise auraient mobilisé des forces actives dans Paris et procédé au massacre. La monarchie aurait été impuissante à s’opposer au déchaînement de violence d’une population fanatisée par des prêtres.

Alors, Catherine de Médicis est-elle blanche, noire ou complètement noire ?

Pour se prononcer, il faut garder en mémoire son passé humaniste. L’attentat de Coligny sonne le glas de sa politique humaniste. Le pouvoir royal, confronté au désir de justice des Huguenots, se trouve en porte-à-faux. Si la monarchie s’en prend aux Guise, elle se coupe de l’ultra catholicisme. Ces catholiques qui n’ont pas accepté la paix avec les protestants, sont prêts à se mobiliser contre le roi si l’Eglise est mise en cause. Catherine de Médicis constate que si elle accède aux exigences des Huguenots, une guerre civile éclatera contre la monarchie. Si justice n’est pas rendue aux protestants, il y aura une nouvelle crise dans le royaume. Or, depuis plusieurs années, le pouvoir royal se méfie du potentiel séditieux de la pensée protestante.

Dans la nuit du 24 août, le roi et sa mère ont dû soupeser les différents risques. Eradiquer le protestantisme militaire, l’entourage de Henri de Navarre, a dû sembler la meilleure chose à faire pour préserver l’unité du royaume. Dans la grande tradition florentine, le plus grand rêve de paix justifiait un acte de violence. Ce qui ne devait être que le meurtre de quelques dizaines de chefs huguenots a finalement dégénéré et cette idée de préserver la paix civile en tuant les leaders protestants fut un échec cruel.

Il ressort de cet épisode un autre visage de Catherine de Médicis. On connaissait la princesse humaniste. Mais l’humanisme est ambivalent et pas exempt de tentations négatives. Après la Saint-Barthélemy, elle est devenue la reine de violence.

En savoir plus …

Coté livres :

Le haut coeur de Catherine de Médicis : Une raison politique aux temps de la Saint-Barthélemy

Auteur : Denis Crouzet Éditeur : Albin Michel

ISBN-10: 2226158820

http://www.amazon.fr/haut-coeur-Catherine-M%C3%A9dicis-Saint-Barth%C3%A9lemy/dp/2226158820

Coté Web :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Catherine_de_M%C3%A9dicis

http://www.histoire-en-ligne.com/spip.php?article242

http://www.memo.fr/article.asp?ID=PER_MOD_136

http://www.linternaute.com/biographie/catherine-de-medicis-1/

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