LA VIE DE SAINT-CUCUFA

Thèmes: Archives, Histoire                                                                                                                Conférence du mardi 21 novembre 1995

Les Archives du CDI de 1979 à 2003

LA VIE DE SAINT-CUCUFA

 par Bernard SOL

 

Monsieur Sol voyage beaucoup, a beaucoup d’activités et enregistre beaucoup. En plus, il sait nous faire partager ses passions. Voyez sa conférence et rappelez-vous celle de l’année dernière. Après « le cuir », c’est maintenant l’histoire de Saint-Cucufa ; et déjà il nous promet pour l’an prochain, un vaste choix qui va de la croisière sur le Nil à La Cappadoce, en passant par les trésors monumentaux de la Sicile.

Restons cette année dans notre « pré carré » et constatons d’abord que les Garchois sont nombreux et forts attentifs à s’intéresser à une histoire de 1 500 ans qui nous a menés du transfert des reliques d’un saint catalan aux travaux et projets de l’Office National des.Forêts en cette fin de siècle.

Nous suivrons fidèlement la chronologie.

Les traces de notre moine Cucufa ont donc été retrouvées en divers endroits d’Espagne, du Portugal ou même du sud de la France où des Cucuphat, Cueguat et d’autres graphies rappellent son souvenir comme nous le rappelleront les diapos de plusieurs églises espagnoles que nous montrera Monsieur Sol.

Cucufa, évêque de Barcelone, martyre au début du IVème siècle, fût donc vénéré dans une abbaye bénédictine jusqu’à ce que les moines de Saint-Benoît fuient devant les envahisseurs arabes et se réfugient – en emportant les reliques de leur saint évêque – dans l’abbaye-sœur de notre Saint-Denis. Nous sommes maintenant au IXème siècle.

Notre région était alors couverte par la vaste forêt de Rouvray partagée dans ce qui deviendra l’ouest et le sud-ouest parisien, entre les abbayes de Saint-Denis, de Saint-Germain et de Sainte-Geneviève. Ce qui sera notre forêt est du domaine de Saint-Denis et s’y installent des moines qui, pour le chauffage et la charpente, exploitent les taillis et les futaies.

Une première alerte ne permet pas une exploitation durable : les Normands. Basés sur l’île d’Oissel – en amont de Rouen – ils lancent leurs raids vers les villes et surtout les riches abbayes qui entourent le jeune Paris.

Les ravins qui coupent la forêt ont-ils servi aux Normands de raccourcis pour rouler leurs drakkars ? Monsieur Sol le croit. Des traces ont peut-être été retrouvées, mais le nom de « Rolleboise » (bois roulés) à la base d’une autre boucle de la Seine en aval de Mantes peut autant le confirmer.

Charles le Chauve établit alors un de ses officiers (peut-être un beau- frère) nommé Bozon, dans un vallon dominant la boucle. Ce sera Buzenval (le Val de Bozon). Plus sûrement l’abbé Suger de Saint-Denis installe des défricheurs civils, peu enclins à venir s’installer, mais heureusement exonérés de taxes et impôts divers, dans ce qui deviendra Vaucresson. On peut alors discuter s’il s’agit d’un val où pousse le cresson ou d’un val où s’installa un nommé Cressonus.

La recherche est encore ouverte, comme l’est également celle concernant la chapelle où étaient conservées les reliques de Cucufa. Elles seront longtemps honorées par les populations voisines notamment celles de Rueil, lors des pèlerinages annuels de septembre qui rivaliseront avec ceux organisés tout près en l’honneur des ermites du Mont-Valérien.

La chapelle tombe finalement en ruines et est rasée lors de la Révolution. Il n’en subsiste aucun vestige.

Cela n’avait pas empêché les moines défricheurs, installés au cours du XlVème siècle, de continuer leurs travaux installés dans une mauvaise grange qui deviendra au fil des ans la Male Maison puis Malmaison. Puis les cultures se sont étendues, d’abord les vignerons, puis les maraîchers et il fallut pendant de longs siècles remplir le « ventre de Paris ».

Ne pleurons pas trop sur notre première forêt : échafaudages ou charpentes, elles ont été retrouvées dans les cathédrales.

Saint-Cucufa entre alors dans la « Grande Histoire » tout au long du XVIIème siècle avec d’abord l’établissement de Richelieu et de son « Eminence grise » le Père Joseph à Rueil. Ensuite nous voyons passer les Suisses en garnison à Rueil ou à Courbevoie. Ceux de Rueil regagnaient pour leur service hebdomadaire les châteaux de Marly ou de Versailles. Il en reste le Sentier des Suisses à partir de l’étang, ceux de Courbevoie eux, passaient par ce qui sera à Garches, la rue des Suisses. Pauvres Suisses qui furent massacrés à la prise des Tuileries le 10 août 1792 et à ce point oubliés qu’il m’est arrivé de recevoir à Garches une lettre adressée : rue des 3 Suisses ! Notre époque est vraiment mercantile.

Consolons-les ! Nombre d’entre eux s’étaient bien – très bien même – intégrés. C’étaient de si beaux hommes !

Enfin, Louis XIV partagea les biens des moines de Saint-Denis en 1686 et attribua notre forêt aux Dames de la Maison Saint-Louis à Saint-Cyr dont bénéficièrent les . Nous sommes bien là dans la grande histoire.

Un petit sourire, hors conférence. Sait-on que lorsque ces Demoiselles accueillirent Louis XIV en leur maison, elles l’honorèrent d’un hymne nouvellement composé par le musicien de la cour, Lulli. En voici les paroles :

« Grand Dieu, sauvez le Roi

« Grand Dieu, vengez le Roi

« Vive le Roi »

… elles ne vous disent rien ! Alors essayez-les avec :

« God Save our noble King

« God save our gracious King

« God save the King »

… et vous comprenez tout.

Un musicien italien, composant pour le roi de France un hymne qui deviendra britannique, avouons qu’il n’était peut-être pas nécessaire d’attendre 300 ans pour parler d’Europe.

Revenons à la conférence après cette respiration comme Monsieur Sol reprenait ses propos après le passage des diapos.

C’est le temps des dames maintenant, des duchesses, des marquises et même d’une impératrice. C’est le temps des équipages, des chasses avec leurs « Fausses Reposes » si proches, des promenades. Madame de Pompadour va de Beauregard (La Celle-Saint-Cloud) à Montretout (Saint-Cloud) ou à Bellevue (Sèvres). Madame du Barry est à Louveciennes, l’impératrice Joséphine sera à la Malmaison et sa bergerie restera sur le plateau de Vaucresson. Leurs promenades à travers nos bois et nos étangs n’évoquent pas leurs destinées dramatiques. Madame du Barry ne pense pas à l’échafaud « Encore une minute, Monsieur le Bourreau ». Joséphine contracta-t-elle sur l’étang, en compagnie de l’empereur de Russie, la pneumonie qui devait l’emporter ?

L’histoire continue et se démocratise et une population laborieuse occupe de plus en plus de place. Paris devient tellement gourmand ! Les vignerons se maintiennent, les maraîchers s’étendent, les blanchisseuses s’installent de Sèvres à Bougival autour des sources, sur nos pentes gorgées d’eau qui procurent la matière première pendant que nos villages fournissent la main-d’œuvre.

Un nouveau drame cependant va se jouer à Saint-Cucufa, un double drame, au cours de la guerre 1870-1871.

Novembre 70 – Ce sont les combats de Bougival, de la Malmaison jusqu’à la Porte de Longboyau. C’est ce jardinier de la Celle Saint-Cloud – honoré d’un monument – fusillé par les Parisiens pour avoir à plusieurs reprises, à l’aide de son sécateur, coupé les lignes téléphoniques ennemies. Ce sont surtout les combats du 19 janvier 1871 de Montretout à Bougival, et les bois de Saint-Cucufa en porteront longtemps les traces, combats de la dernière chance pour tenter de briser le siège. Derniers efforts dans une dernière lutte.

La Belle époque verra le bois de Saint-Cucufa prendre un visage plus souriant qui garde encore une place dans nos souvenirs. C’est le souvenir du poumon pour les Parisiens, le souvenir des guinguettes , mais Saint-Cucufa n’est pas resté dans nos chansons populaires comme le Pont de Saint-Cloud, le Bois de Chaville ou les dimanches de Robinson. Le bol de lait à la ferme, lui, est bien resté dans nos cartes postales, comme certains souvenirs.

Maintenant, La Malmaison/Saint-Cucufa est une forêt domaniale des Hauts-de-Seine géré par l’Office National des Forêts et ouverte aux promenades comme à la méditation ou aux exercices physiques. Elle propose aux petits comme aux grands, ses parcelles rationnellement exploitées et aménagées, ses sentiers de randonnées et ses parcours sportifs, son sentier pédagogique…

On ne s’étonnera donc pas qu’après la remarquable conférence de Monsieur Sol, les conversations se soient poursuivies longuement et on excusera le rédacteur de ces lignes d’avoir un peu trop peut-être mêlé compte-rendu et rêveries de promenades.

Compte-rendu par Emile Brichard –

 

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