CAMILLE FLAMMARION OU LE PRESTIGE DE LA SCIENCE POPULAIRE.

Thèmes: Histoire, Sciences, Société                              Conférence du mardi 17 novembre 1992

CAMILLE FLAMMARION

OU

LE PRESTIGE DE LA SCIENCE POPULAIRE.

 

Mardi 17 novembre 1992, Bernadette Bensaude-Vincent, docteur d’État, chercheur à la Cité des Sciences et de l’Industrie, nous a parlé de « Camille Flammarion ou le prestige de la science populaire ».

 

 

 

 

Tandis qu’il était apprenti chez un graveur-ciseleur, à l’age de seize ans, Flammarion avait déjà produit un volumineux manuscrit intitulé « Cosmogonie Universelle« , auquel il doit son entrée à l’Observatoire

En 1862, Camille Flammarion publie son premier ouvrage « La Pluralité des Mondes Habités », une composition « enflammée d’une bouillante ardeur », inspirée par une vision presque religieuse de l’astronomie. Le jeune Flammarion l’a rédigée en contrepoint des calculs fastidieux que lui impose son emploi d’élève-astronome À l’Observatoire de Paris.

Peu après la sortie du livre, Le Verrier, patron de Flammarion et directeur de l’Observatoire, convoque son employé et le met à la porte : « Monsieur, vous n’êtes pas savant mais poète ».

À vingt ans, il écrit un « Voyage Extatique aux Régions Lunaires : Correspondance d’un Philosophe Adolescent ». La seconde édition de cet ouvrage est bientôt suivie d’un supplément « Les Mondes Imaginaires et les Mondes Réels ». En 1870, « La Pluralité » atteint sa quinzième édition et elle est traduite en quinze langues.

Quand Flammarion publie ses « Mémoires », en 1911, ce fut un succès commercial qui devint vite familial : Ernest Flammarion, frère cadet de Camille fonde les Éditions Flammarion en 1874.

Chassé de l’Observatoire, Flammarion vend de la science sous diverses formes : conférences mondaines au Boulevard des Capucines, cours du soir à l’Association Philotechnique ou à l’École Turgot, livres et journaux. Il fonde sa propre revue mensuelle, « L’Astronomie« , en 1882.

Assuré d’une large audience et d’appuis dans la presse, Flammarion décide de se venger de Le Verrier. A chaque occasion, il l’attaque. Dans ses « Mémoires », il affirme que cette campagne de presse a porté ses fruits puisqu’une Commission Impériale démit Le Verrier de ses fonctions de directeur en février 1870.

Après sa dispute avec Le Verrier, Flammarion semble tout désigné pour poursuivre la croisade contre la science académique. Il retourne travailler à l’Observatoire de Paris. Il proclame son mépris pour l’égoïsme et le carriérisme des savants en quête de « vaniteuses glorioles », mais l’Académie n’est pas contestée en tant qu’institution.

Au sinistre Le Verrier, Flammarion oppose Arago, astronome, paré de toutes les vertus scientifiques et politiques. Flammarion salue Arago comme son maître et son modèle et, en 1880, le nomme « Fondateur de l’Astronomie Populaire » en lui dédiant son « Astronomie Populaire ». Ainsi, Flammarion place-t-il son œuvre maîtresse sous le haut patronage d’une des plus grandes figures de l’Académie.

L' »Astronomie populaire » est un beau volume, haut en couleurs, richement décoré, illustré de gravures destinées à stimuler l’imagination ou le rêve, plus qu’à expliquer. Ces démonstrations, faisant feu de tout bois, juxtaposent pêle-mêle résultats d’observations et arguments de bon sens, considérations théoriques et pratiques.

La progression didactique n’est pas, comme chez Arago, un souci majeur. Pour frapper les esprits, produire des impressions de mobilité et d’immensité de l’univers, Flammarion use préférentiellement de deux ressources rhétoriques : la métaphore et l’hyperbole. La Terre est un navire qui vogue dans les espaces infinis ; le parcours de l’ouvrage est un voyage sidéral dans le système solaire puis dans l’univers des étoiles.

Loin de tendre vers un savoir toujours plus mathématisé, formalisé, Camille Flammarion tend vers la science populaire. La personnification des corps célestes donne une teinte parfois érotique à l’astronomie populaire. La nature s’offre comme une belle femme et la Terre en son mouvement, une femme volage, une Eve capricieuse « qui, loin de vouloir obéir à la seule attraction de son légitime soleil, fait tout ce qu’elle peut pour s’en affranchir et pour varier sa route ».

Le message astronomique est traduit en leçon de morale et de politique. Flammarion veut mobiliser ses lecteurs contre la guerre et la folie des chefs. Tout au long de l’ouvrage, la description des cieux est émaillée de remarques sur le caractère dérisoire des enjeux humains, comparés à l’échelle de l’univers. Ainsi, le premier chapitre vise à déstabiliser notre globe en décrivant ses mouvements dans l’espace et se termine sur une critique de l’organisation sociale et de la folie des gouvernements qui entraînent l’humanité dans la guerre.

Pratiquer et faire pratiquer l’astronomie est l’objectif, l’obsession de Flammarion. Dans le dernier chapitre de « L’Astronomie Populaire », il renonce aux lyriques évocations des merveilles du ciel pour adopter le ton du pamphlet.

La science ne sera plus réservée à quelques privilégiés arrivistes et intrigants. Pour répondre aux pressions de centaines de lecteurs, pour permettre à ceux qui aiment la science, qui la goûtent, de la pratiquer en toute liberté, bref, pour ouvrir un laboratoire aux amateurs, il faut de l’argent. Pas question de recourir à l’État-providence, Flammarion préfère une souscription et lance un appel de fonds à ses trente mille lecteurs. En suscitant ce geste d’adhésion, il fait accéder à l’existence et à la reconnaissance une population d’astronomes amateurs.

Grâce au don généreux d’une propriété sise à Juvisy-sur-Orge, Flammarion construit en 1882 l’observatoire de ses rêves, doté d’un équatorial de qualité professionnelle et d’un riche matériel photographique. En 1887, il parachève cette œuvre par la fondation de la Société Astronomique de France dont le Bulletin fusionne avec sa revue mensuelle « L’Astronomie et l’Annuaire Astronomique« 

Flammarion lui-même n’a jamais cessé de pratiquer l’astronomie en professionnel. Au plus fort de sa production livresque, il fait des observations, des calculs qu’il publie régulièrement dans « Les Comptes Rendus de l’Académie des Sciences« 

À côté d’observations héroïques dans un ballon dirigeable pour étudier la formation des nuages et les variations de température, il fait des travaux plus classiques : sur la rotation des taches solaires, sur la surface de la lune, la rotation de Vénus, les satellites de Jupiter.

Malgré son mépris affiché pour le calcul, Flammarion ne rechigne pas aux labeurs de la mesure. Il prévoit, en 1879, l’existence d’une planète transneptunienne à 48 fois la distance de la Terre au soleil, gravitant autour du soleil en une période de 330 ans environ. Or, cette suggestion est confirmée en 1893 par la découverte d’une comète par un collaborateur de Flammarion.

Ainsi, parti pour brandir l’étendard de la science populaire contre la science académique, comme beaucoup de ses collègues publicistes dans les années 1860, Flammarion a finalement opéré un revirement dans les années 1880 en formant un nouveau réseau de science Populaire, à distance de la vulgarisation et parallèle à la science officielle.

D’un côté, il respecte les savants académiciens et trouve parmi eux de solides alliés, de l’autre, il présuppose néanmoins, un partage entre une science fermée, égoïste, rigide et une science attrayante, sans frontière, ouverte à tous, dont il est le fervent serviteur.

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