LES ARMÉES OCCIDENTALES SONT-ELLES PRÉPARÉES À LA GUERRE DE L’INFORMATION ?

Thèmes: Histoire, Géopolitique, Société                                                                                                        Conférence du mardi 14 février 2023

LES ARMÉES OCCIDENTALES SONT-ELLES PRÉPARÉES À LA GUERRE DE L’INFORMATION ?

Par le Colonel Franck FAUBLADIER, Saint-Cyrien et breveté de l’Ecole de Guerre, diplômé du CELSA Paris Sorbonne.

INTRODUCTION

L’information c’est ce que l’on cherche à protéger mais aussi ce que l’on cherche à obtenir. L’information n’est plus uniquement le renseignement militaire classique mais de nos jours c’est essentiellement le domaine de l’influence. Ce domaine est un des sujets majeurs pour le commandement militaire qui cherche à en faire une arme. En France, au contraire de certains pays comme les Etats-Unis ou la Russie, le sujet n’est pas encore totalement ancré.

Qu’est-ce que la guerre de l’information ? C’est la combinaison d’actions humaines et technologiques destinées à l’approbation, la destruction ou la modification de l’information. C’est à la fois une guerre des contenants (réseaux, infrastructures, flux, sites web …) et des contenus (récits, guerre des connaissances, de la communication …). Les opérations militaires d’aujourd’hui se déroulent dans un contexte de guerre de l’information poussée à son paroxysme.

I – Deux exemples de guerre d’influence.

Depuis le 24 février 2022 la guerre en Ukraine est un sujet omniprésent dans les médias. La bataille n’est pas uniquement sur le terrain avec des armes conventionnelles mais aussi dans le domaine de l’influence. L’Ukraine joue beaucoup sur l’aspect émotionnel alors que la Russie centre sa communication sur Poutine et cherche à donner un ton manichéen à la guerre : opposition entre la Russie sauveuse du peuple ukrainien et l’armée ukrainienne dite nazie. Les deux camps utilisent massivement les plateformes internet comme Instagram ou Tiktok. On utilise le SMS bombing qui consiste à envoyer massivement des messages pour sensibiliser les populations sur la réalité du front. On fait appel à des influenceurs locaux et internationaux, et on utilise tous les supports médiatiques : radio, télévision, internet etc. La bataille informationnelle tient un rôle prépondérant aussi bien pour influencer l’opinion mondiale que pour entretenir le moral de ses propres troupes.

Autre exemple de guerre informationnelle : la guerre d’influence russe contre la France en Afrique francophone. L’opinion locale était déjà prête à croire la propagande russe basée sur le mensonge : attitude colonialiste et crime de guerre de la part de la France. Finalement ce qui importe ce n’est pas le fait que l’armée française n’ait jamais commis aucune exaction mais que la population africaine le croit.  La présence du groupe paramilitaire Wagner qui se présente comme sauveur et protecteur tout en corrompant les hauts représentants politiques africains est une arme très efficace dans cette guerre d’influence perdue par la France qui n’a pas su mettre en avant ses projets humanitaires et l’effort de ses militaires pour lutter contre le terrorisme et par conséquent protéger les populations locales.

II – Quelques repères historiques.

L’utilisation de l’information pour vaincre l’ennemi n’est pas quelque chose propre à notre époque bien que de nos jours on assiste à un changement d’échelle : technologique, sociologique et axiologique.

De tout temps la ruse, la connaissance précise de l’ennemi, le mensonge et la dissimulation ont été des armes régulièrement utilisées. Un bon exemple est le cheval de Troie. Parce que les Grecs connaissaient parfaitement le caractère et la manière de penser des Troyens ils ont pu les manipuler en jouant sur leurs faiblesses.

Carl von Clausewitz (1780-1831) est le premier grand théoricien de la guerre et reconnu comme grand stratège. Selon lui, l’objectif de l’information est la clé du succès. L’essentiel est la rupture psychologique de l’ennemi, la violence physique n’étant qu’un moyen secondaire.

Dans l’histoire contemporaine on va passer de la maîtrise de l’information au sens du renseignement à la maîtrise de l’environnement c’est-à-dire non seulement l’information militaire mais aussi les perceptions et présentations des acteurs.

Au XIXe et XXe siècles nous trouvons deux tendances : l’approche globale et la propagande à outrance. L’approche globale consiste à impliquer la totalité des acteurs concernés par une crise. Il n’y a pas de solution militaire exclusive.  Cette méthode a été appliquée notamment par les Etats-Unis lors des deux guerres mondiales ainsi que lors de la guerre en Irak ou en Afghanistan.

La propagande à outrance a commencé pendant la première guerre mondiale, en particulier aux Etats-Unis avec la création du Committee on Public Information qui était chargé de convaincre l’opinion publique américaine de soutenir l’effort de guerre. L’exemple le plus célèbre des créations de cet organisme est l’affiche de l’Oncle Sam accompagnée du slogan « I want you for US Army« . Les diverses divisions de ce comité produisent un bulletin quotidien, des longs métrages, des affiches et du matériel publicitaire divers. Cependant c’est pendant la seconde guerre mondiale que la guerre est vendue comme un produit quelconque. Hollywood et sa très puissante industrie du cinéma produira un grand nombre de films de propagande et les stars participeront largement à cette propagande.

En matière de duperie, l’opération Fortitude est un modèle inégalé. Cette opération double (en Norvège et dans le Pas-de-Calais) cherchait à tromper massivement les Allemands sur le lieu du débarquement. Pour cela on crée des unités fantômes sur le sol anglais et écossais grâce à la mise en place de leurres et d’une activité radio intense ; on utilise des fuites contrôlées dans les canaux diplomatiques à travers les pays neutres ; des agents doubles fournissent des informations contrôlées aux services allemands. Par ailleurs on nomme un chef prestigieux, le Général Patton avec de fausses infrastructures dans un état-major fictif ; on crée également des armes factices dont les célèbres chars gonflables. Enfin on bombarde massivement les fausses zones de débarquement.

Autre exemple de guerre psychologique : l’opération la Bleuite, à Alger en 1958. On recrute d’anciens membres du FLN passés à la France que l’on remet au FLN avec de fausses informations. On cherchait ainsi à détruire le FLN de l’intérieur, sans violence. On fait croire au FLN qu’en son sein opère une cinquième colonne d’agents doubles travaillant pour la France. L’opération est un succès car une paranoïa s’installe dans l’organisation indépendantiste et une purge interne a lieu. Des milliers de cadres sont éliminés par le FLN lui-même.

Enfin on peut évoquer l’opération américaine Wandering soul au Viêt-Nam en 1970. Il s’agit de démoraliser les ennemis du nord et d’appeler à la désertion. Pour cela les Américains diffusent de la musique funéraire bouddhique ainsi que des cris et des lamentations afin de rappeler aux Vietnamiens les gémissements des âmes errantes, croyance très ancrée dans la culture locale. Cependant, la guerre du Viêt-Nam, d’un point de vue informationnel, a été beaucoup mieux gérée par le camp communiste. Les Etats-Unis n’ont pas réussi à contrer l’impact d’une photo comme celle de la fillette nue brûlée au napalm courant sur une route. Cette inefficacité américaine dans la communication a eu comme aboutissement la perte de la guerre de la communication dans sa propre opinion nationale. La victoire sur le terrain ne pouvait plus avoir lieu. Les Etats-Unis sauront tirer les leçons de cette erreur.

III – Approche stratégique de la guerre informationnelle.

Suite à leur échec dans la gestion de la guerre au Viêt-Nam, les Etats-Unis, lors de l’opération en Irak, Desert storm, en 1991 appliqueront des opérations d’information efficaces : préparation de l’opinion, diabolisation de l’adversaire, et fait nouveau, tous les médias suivent l’action et mise en place de la guerre spectacle, et non plus seulement les films diffusés par l’armée. Les Etats-Unis reviennent à la propagande à outrance.

Les Etats-Unis s’appuient dans leur approche des relations internationales sur le principe du DIME (Diplomatic/ Informational/ Military/ Economic). La guerre de l’information est un des quatre piliers de la stratégie extérieure américaine. La guerre est hybride.

En 2013-2014 les Russes, et plus particulièrement le général Gerasimov, mettent en place la doctrine de la guerre non-linéaire qui sera appliquée dans l’invasion de Crimée en mars 2014. Cette guerre non-linéaire s’appuie sur différents types d’action : influence sur les structures étatiques, les opérations psychologiques (PsyOps), instrumentalisation des oppositions, privatisation des forces (Wagner), anonymisation des unités russes (« petits hommes verts ») et déclenchement d’évènements à fort impact médiatique (manifestations pro-Russes à Simféropol et Sébastopol, parade navale du 9 mai 2014). La guerre de Crimée est une guerre sans combat menée par une armée « fantôme ». L’invasion de la Crimée a été une réussite pour les Russes car elle était disruptive et imprévisible.

IV – L’approche française.

La vision stratégique française est venue du chef d’État-major des Armées, le général Thierry Burkhard en collaboration avec le Président de la République. Trois principes sont établis : compétition, contestation et affrontement. Par ailleurs, trois lignes que les forces armées doivent suivre ont été définies :

– Gagner la guerre avant la guerre (compétition/ contestation)

– Investir tous les champs de conflictualité (immatériel et cyber)

– Champ informationnel et psychologique (infléchir la volonté)

L’Armée de terre est en avance sur les autres corps d’armée grâce à différentes organisations réparties sur le territoire national comme le COM CYBER et le Public Affairs à Paris, le Centre Interarmées des Actions sur l’Environnement CIAE à Lyon ou le Commandement du Renseignement COMRENS à Strasbourg

Dans le champ informationnel on trouve les PsyOps grâce auxquelles on cherche à parler directement à l’ennemi et à la population en utilisant divers médias, le but étant de modifier les perceptions, les attitudes et les comportements; le CIMIC Civil Military Cooperation afin de parler à tous les acteurs civils utiles et coopérer sur des objectifs communs; le Public Affairs qui communique avec les médias internationaux et locaux et cherche à promouvoir  les opérations françaises ainsi que d’anoblir l’image de la France tout en dégradant celle des ennemis; les Key leaders afin de dialoguer avec les leaders pour gagner leur confiance et obtenir leur appui; les partenariats militaires et la lutte informatique d’influence.

CONCLUSION

En 2021 le Général Burkhard affirmait qu’il fallait se donner les moyens de faire face à la véritable guerre de l’information qui fait rage dans le cyberespace. Par ailleurs, face à l’avènement de la révolution numérique et des guerres hybrides qu’affectionnent les nouveaux Etats-puissance, il est impossible de prétendre défendre les Français sans se donner les moyens de contrer les effets de l’arme hypersonique qu’est devenue l’information selon les propos de la Ministre des Armées.

Pour conclure on peut dire que la France a les moyens de mener la guerre de l’information mais pour la gagner il faut résoudre six problèmes : l’obstacle sémantique et conceptuel, la difficile professionnalisation, le blocage culturel chez les militaires, l’obstacle déontologique et légal, les faiblesses du « narratif » et enfin la dépendance au politique.

 

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