EUROPE ET DÉFENSE : LES DIFFICULTÉS DU COUPLE FRANCO-ALLEMAND

Thème: Histoire, Géopolitique                                                                                    Conférence du mardi 10 octobre 2023.

EUROPE ET DÉFENSE : LES DIFFICULTÉS DU COUPLE FRANCO-ALLEMAND

Par Monsieur Jacques GAUTIER, ancien sénateur, vice-président de la Commission des Affaires Étrangères de la Défense Nationale et des Forces Armées.

INTRODUCTION

Le couple franco-allemand, né de à la collaboration de Charles de Gaulle et Konrad Adenauer et la signature du Traité de l’Elysée de 1963, a été au fil des décennies un élément clé pour la construction de l’Europe aussi bien sur le plan économique et politique que militaire. Cependant cette collaboration a connu des hauts et des bas.

Face aux défis de sécurité croissants, l’UE ne semble pas avoir d’autres choix que de devenir plus efficace en matière de sécurité et de défense même si le couple franco-allemand a rencontré de nombreuses difficultés voire des échecs.

D’autres alternatives sont à envisager pour la France, qui a une armée vaillante et efficace mais qui pâtit d’un manque de matériel de pointe.

I – Contexte historique.

Au lendemain de la seconde Guerre mondiale, afin de faire face à la politique expansionniste de l’ex-URSS, les Etats-Unis et leurs alliés européens créent l’OTAN en 1949. Parallèlement se dessine un vrai projet de défense européen : la Communauté Européenne de Défense (CED), un projet qui débute en 1950 mais qui avortera quatre ans plus tard après le refus de ratification par le Parlement français. Les causes de ce refus sont nombreuses : crainte d’un réarmement allemand, volonté nationale, refus d’une armée supranationale placée sous commandement américain, etc.

Par ailleurs, la France et l’Allemagne, ruinées, renouent avec le vieux rêve d’Aristide Briand : celui d’une réconciliation franco-allemande pour bâtir une union des peuples d’Europe. Robert Schuman sera le premier à évoquer l’idée d’une armée européenne. Dès 1961 le Général de Gaulle disait :

« Ou bien c’est l’Europe qui défendra elle-même son territoire, ou bien il n’y aura pas pour l’Europe de Défense qui tienne. Il y a l’OTAN, qu’est-ce que l’OTAN ? C’est la somme des Américains, de l’Europe et de quelques accessoires … Mais ce n’est pas la défense de l’Europe par l’Europe, c’est la défense de l’Europe par les Américains. Il faut une autre OTAN. Il faut d’abord une Europe qui ait sa défense. Il faut que cette Europe soit l’alliée de l’Amérique. »

L’idée se concrétise en 1963 avec la signature du Traité de l’Elysée, signé par de Gaulle et Adenauer. En ce qui concerne la défense, ce Traité repose sur trois points : une réflexion en commun sur le plan de la stratégie et de la tactique, des échanges de personnel entre les deux armées et une coopération poussée en matière d’armement.  

La base d’accord entre les deux pays repose toutefois sur des points de vue divergents en particulier en ce qui concerne la relation à entretenir avec les Etats-Unis en matière de sécurité et de défense. Ces divergences sont à l’origine du préambule ajouté au texte initial par le Bundestag le 16 mai 1963 qui rappelle la primauté de l’OTAN comme de l’allié américain pour la défense de l’Allemagne. La coopération en matière de défense entre dans une phase de léthargie et il faudra attendre 1982 pour voir le couple franco-allemand relancer la coopération bilatérale grâce à l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand et Helmut Kohl.

En 1992, la construction européenne marque une accélération avec le traité de Maastricht. Le traité met en place une coopération en matière de diplomatie, c’est la création de la Politique Européenne de Sécurité Commune (PESC). Ultérieurement la PESC est remodelée en Politique Européenne de Sécurité et de la Défense (PESD) en 1999 lors des accords d’Helsinki, puis en Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC) avec les accords de Nice de 2001 et de Lisbonne en 2007. Cela se traduit par une prolifération d’institutions associées : incorporation de l’Union Européenne Occidentale (UEO), mise en place du Comité Politique et de Sécurité (COPS), du Comité Militaire (CMUE), d’un État-major (EMUE), ainsi que d’un corps rapide : l’Eurocorps. Au niveau diplomatique est nommé un Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et, un Comité politique de l’Union, formé par 27 ambassadeurs.

En dépit de toutes ces organisations, la sécurité de l’Europe reste largement tributaire de l’OTAN.

II – Le couple franco-allemand et la Défense.

Il est incontestable que le couple franco-allemand a toujours joué un rôle clé dans la construction européenne, il faut cependant apporter quelques bémols.

Les aspirations et les engagements français et allemands ne coïncident pas toujours.

De par sa situation géographique et son histoire récente, pays coupé en deux jusqu’à la chute du mur de Berlin, l’Allemagne est toujours tournée vers l’Est. Au contraire, la France est un pays à l’Ouest du continent et a une vocation méditerranéenne. Ainsi pour l’Allemagne les liens, mais aussi les menaces, sont toujours à l’Est. La France cherche toujours à garder des liens particuliers avec le Maghreb et l’Afrique de l’Ouest et souhaite rester un interlocuteur essentiel dans des thèmes comme le flux migratoire ou le terrorisme djiadiste. A cela s’ajoute le fait que la défaite allemande de 1945 a contraint l’Allemagne à une démilitarisation quasi complète et a modifié profondément la vision du pays sur son rôle en matière de défense. Au contraire de la France, l’Allemagne ne cherche qu’à protéger son territoire contrairement à son voisin qui intervient dans différentes zones du globe. Par ailleurs, la France a toujours cherché à garder son indépendance face à l’hégémonie américaine. C’est le seul pays européen qui dispose d’un porte-avion, qui possède l’arme nucléaire, et qui a un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU (en dehors de la Grande-Bretagne). Tous ces éléments sont essentiels afin de comprendre les échecs qu’a pu connaître le couple franco-allemand.

III – Le couple franco-allemand : des réussites mais aussi des échecs.

Si au fil des décennies la collaboration franco-allemande a connu des mésententes voire des échecs, on peut toutefois noter quelques belles réussites comme l’avion de transport tactique Transall C160 ou l’hélicoptère d’attaque Tigre. Au niveau européen on peut mentionner l’avion Airbus A400M et le MRTT Phoenix, également construit par Airbus.

A l’opposé, deux exemples illustrent les difficultés que peuvent rencontrer le couple franco-allemand en matière de défense : le Système de Combat Aérien du Futur SCAF et les drones.

Un nouvel avion de chasse européen, le SCAF, devait remplacer le Rafale d’ici 2040. Cependant des désaccords parfois importants entraînent des retards conséquents. Des tensions apparaissent entre les deux principaux partenaires, Dassault et Eurofighter. Mais aussi dans les attentes de chaque pays. Pour Paris, l’avion doit pouvoir se poser sur un porte-avion, ce qui n’est pas du tout la priorité de Berlin qui souhaite avant tout un appareil destiné à protéger son territoire. Choisir l’une ou l’autre option pourrait conduire à ne pas fabriquer du tout le même appareil. En cas de non accord, il faudra se tourner vers un avion américain, ce qui serait non seulement une perte économique mais aussi de savoir-faire.

En matière de drones également, l’attente des deux pays est très différente. Ainsi, l’Allemagne veut des appareils pour défendre son territoire et donc une technologie fiable et sophistiquée avec notamment un double moteur et un système anti-collusion. A l’inverse, la France veut un drone solide, simple et peu coûteux afin de pouvoir l’utiliser dans les opérations extérieures essentiellement au Sahel. Les Allemands ont largement influencé le projet de drone européen, alors qu’avec la guerre en Ukraine, on constate que ce sont les drones simples comme ceux fabriqués par l’Iran ou la Turquie qui sont efficaces. Cette divergence entre Paris et Berlin a entraîné du retard et aussi un manque d’efficacité.

Les attentes de chaque pays posent problème mais aussi parfois les lois. Ainsi la loi allemande interdit qu’un produit contenant un composant allemand soit exporté à des pays non démocratiques. De ce fait, l’exportation de produits franco-allemands vers les pays du Golfe ou l’Asie du Sud-Est notamment pose problème alors que ce sont les principaux marchés dans les zones d’influence de la France.  

Ces désaccords mènent souvent à l’achat de matériel américain et donc à l’abandon des projets européens.

Dans le domaine opérationnel, si les opérations ATALANTA, pour contrer la piraterie au large de la Somalie et l’opération SOFIA, pour arrêter le trafic d’armes au large de la Libye sont des succès, certaines collaborations le sont moins. Ainsi la fameuse brigade franco-allemande, symbole de notre volonté commune, n’a jamais pu être déployée ensemble, les Allemands s’y étant toujours opposés.

Depuis l’arrivée à la Chancellerie allemande de Olaf Scholz la situation se tend. Ainsi, en ce qui concerne la défense anti-aérienne (missile ARROW 3 ou système de défense antimissile à haute altitude THAAD), l’Allemagne propose d’intégrer des pays européens mais pas la France. Le Chancelier Olaf Scholz, lors de son discours le 29 août 2023 à Prague, a affirmé que Berlin entendait s’investir massivement dans ce domaine en appelant ses voisins européens (mais pas la France) à rejoindre ce programme. Depuis, une « déclaration d’intention » a été signée par 14 pays de l’Union Européenne et le Royaume Uni, dans le cadre de l’OTAN.

Quelques mois plus tard, ce même chancelier a indiqué que l’Allemagne se trouvait au centre de l’Europe et qu’elle était parfaitement intégrée au sein de l’OTAN, qui « demeure le garant de notre sécurité » et qu’elle devait donc être le cœur de la participation européenne à la Défense.

Le Général Zorn, chef de la Bundeswehr a enfoncé le clou : « je veux des matériels qui volent, qui roulent et qui sont disponibles sur le marché. Pas de développement de solutions européennes qui au final ne marchent pas …« . On ne peut pas être plus explicite. 

Divers groupes de réflexion de tous bords politiques remettent en question cette collaboration franco-allemande. On peut rappeler qu’en matière de défense il n’y a pas de couple mais des partenaires qui collaborent et qui doivent avoir des intérêts convergents. Pour réussir, la France doit tenir compte de l’avis des petits pays européens au même titre que les grands et parfois faire passer ses projets par la voix de pays moins puissants que la France ou l’Allemagne.

CONCLUSION

De par leur poids économique et démographique, il est évident que le couple franco-allemand est un élément clé dans la construction de l’Europe de la défense. Il ne faut cependant pas oublier que les cultures stratégiques française et allemande sont différentes et engendrent des divergences importantes au moment de mettre en place des projets concrets ou de mener une politique de Défense cohérente. La France ne devrait pas se cantonner au couple franco-allemand et au contraire poursuivre un dialogue constructif en parlant avec ses partenaires européens ou internationaux afin de mettre en place des coopérations viables.

 

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