L’appel de la steppe, d’Istanbul aux confins de la Mongolie en vélo

Thèmes: Géographie, Civilisations, Voyages                                                                                     Conférence du mardi 29 septembre 2009

L’appel de la steppe, d’Istanbul aux confins de la Mongolie en vélo

Par Antoine de Changy et Célina Antomarchi-Lamé

Après plusieurs années dans la finance pour l’un, les ressources humaines pour l’autre, nous avons décidé, une fois mariés, de tout quitter pour assouvir notre besoin de rencontres et notre soif de curiosité du monde. En 2003, nous sommes partis de Turquie à destination de la terre où les hommes et les animaux luttent huit mois dans le froid. Nous avons choisi de voyager à vélo, un mode de transport lent, propice à l’écoute des pays traversés, loin des sophistications de notre monde moderne. Notre plus grand luxe était le temps, nous n’avions aucune contrainte de retour, et nous en avons profité. Notre voyage a duré trois ans, dont près d’un an à vivre avec une famille d’éleveurs en Mongolie, et nous avons parcouru 20 000 kilomètres à vélo. Nous avons dessiné notre itinéraire en chemin, au gré des aléas administratifs, climatiques, mais le plus souvent au gré des rencontres et de la providence. Partis d’Istanbul, nous avons traversé la Turquie, puis la Syrie, l’Iran, les pays d’Asie Centrale de l’ex-URSS, la Chine, et enfin la Mongolie, avant de repartir ensuite jusqu’en Thaïlande.

« Repousser notre départ revenait à ignorer un peu plus qui nous étions »

Nous pensions que ce voyage allait nous permettre de découvrir le monde, et aussi de nous découvrir nous-même. Repousser notre départ revenait à ignorer un peu plus qui nous étions. Quand nous sommes partis, nous nous demandions quelle serait notre capacité à faire des rencontres. Très vite, nous avons découvert l’accueil turc. La Turquie est trop accueillante pour faire de longues distances à vélo ! Nous y sommes restés trois mois au lieu d’un. Le kilométrage est anecdotique, il ne rend pas la beauté de la route parcourue. A Sanli Urfa, ville de pèlerinage pour les Turcs, connue pour ses carpes sacrées, nous nous sommes posés loin des l’agitation des autres villes turques. C’est aussi la porte d’entrée vers le Kurdistan turc. Nos hôtes turcs nous avaient prévenus : cette région est dangereuse. En y entrant, nous étions sur nos gardes mais, là aussi, l’accueil fut d’une rare générosité.

Au 81e jour, nous arrivons en Iran. Les Kurdes avaient décrit les Iraniens comme des « fanatiques », des « coupeurs de mains », les mêmes clichés véhiculés en Occident… Les villes iraniennes regorgent de trésors architecturaux mais, la première semaine, nous n’avons pas eu de contacts francs. Il nous faudra deux semaines pour comprendre le système : chacun est double, austère à l’extérieur pour se conformer aux diktats du régime, mais se montre d’une grande chaleur dans un cercle intime. Dans le sud du pays, l’hospitalité est incroyable, les familles se disputant pour nous accueillir.

« Partout, l’accueil reçu a été notre carburant »

Après plusieurs semaines passées en Iran, nous quittons ce beau pays pour l’Ouzbékistan que nous atteignons à notre 182e jour de voyage par un froid terrible, mais nous sommes immédiatement réchauffés par la chaleur de la famille de Moktar. Partout, l’accueil reçu a été notre carburant. Dans la vallée de la Ferghana, là où bat le cœur de l’Asie Centrale, nous improvisons des conférences dans les écoles dans des salles archi remplies. Ce fut un moment particulièrement fort et émouvant.

Au 212e jour, nous entrons au Kirghizistan, une terre de nomades. Il fait froid et nous gagnons en altitude (3 175 m). Le premier jour, nous mettons six heures et demie pour faire vingt-trois kilomètres, les conditions de vie sont difficiles, et nous trouvons refuge dans de vieilles roulottes rouillées. Les Kirghizes sont moins accessibles que les Ouzbeks mais il y a ici davantage d’humanité ici que dans nos sociétés aseptisées. Comme ailleurs, nous partageons de bons moments avec nos hôtes autour d’un verre et on prend plaisir à se saouler le soir. Depuis la Turquie, les fermiers sont nos compagnons d’aventure. Nous sommes impressionnés par l’exercice pastoral et dès que pouvons, nous les invitons avec plaisir à partager un thé chaud avec nous. Du haut de ce sommet du monde, nous mesurons la vacuité de notre existence passée.

Nous entrons en Chine en passant par Kachgar, une ville dont le nom même est une invitation au voyage. Cette oasis fut un point passage obligé sur les routes de la soie. Malheureusement, la grande logique chinoise de développement forcené submerge tout. En Chine, nous devons affronter d’interminables lignes droites sous un soleil brûlant, seulement interrompues par des sommets de 4 000m qui ne figurent sur aucune carte… Un jour, nous sommes interceptés par la police : nous roulions depuis plusieurs jours dans une zone interdite aux étrangers. Nous atteignons finalement Pékin, halte obligatoire de notre voyage pour obtenir notre visa pour la Mongolie, qui est submergée par tourisme de masse, ce qui est assez ironique compte tenu qu’il est rare d’y trouver un quartier authentique.  C’est donc avec joie que nous prenons le train pour la Mongolie.

Dès le passage de la frontière, nous sommes frappés par la Mongolie. Rarement une première impression n’aura été aussi forte ! L’envie de découvrir ce pays immense en est décuplée. Nous traversons des paysages démesurés, plus vastes que notre imagination, et jamais ennuyeux. De nouveaux horizons s’ouvrent et nous stupéfient encore. Nous pédalons jusqu’à l’Altaï, à l’extrême ouest du pays, une région aride où l’eau un souci permanent (il y tombe très peu de précipitations), et qui est peuplée de Kazakhs. C’est là que nous faisons une rencontre déterminante pour la suite de notre voyage. Arkhat, un éleveur nomade, et sa femme Alten nous proposent de passer l’hiver avec eux.

Dix mois au sein d’une famille nomade de l’Altaï

A partir du mois d’octobre, nous nous installons dans leur isba, aux côtés de leurs trois enfants, dans une aoul typique de la région (regroupement de quelques habitations)  où vivent dix-neuf personnes de leur famille en autarcie. Grâce à l’année passée, nous comprenons où est notre place. Nous ne devons pas oublier que tout est nouveau pour nous mais nous nous efforçons de travailler au mieux avec eux. Les conditions de vie sont éprouvantes : pendant les huit mois d’hiver, la température est constamment négative, atteignant -45°C en janvier. C’est à ce moment là que le travail du berger est le plus important car les animaux ont tellement froid qu’ils ne se nourrissent pas. En février, le campement effectue une transhumance vers le campement de printemps. Les femmes et les enfants partent en camion tandis que les bêtes sont menées par les hommes sur cent soixante kilomètres. Les chèvres les plus faibles doivent être portées par des chameaux. Mais il faut parfois achever celles qui ne pourront pas supporter le voyage à venir. Leurs peaux sont alors récupérées. Pendant le trajet, les hommes se réchauffent en buvant du thé et se couchent blottis les uns contre les autres.

Le campement de printemps est synonyme de retour à la vie sociale. Les aouls sont désormais accessibles les uns avec les autres, à pied ou à cheval. C’est la période où naissent les agneaux, une récompense pour l’hiver passé et un bon présage de l’été à venir – la laine de cachemire est la principale source de revenus des bergers de l’Altaï. Mais l’hiver a parfois des sautes d’humeur, et beaucoup d’animaux ne résistent pas au froid glacial des tempêtes d’avril.

A partir de juin, le troupeau est emmené vers les pâturages d’été. Les bergers peuvent enfin relâcher la surveillance des bêtes mais, pour les femmes, un travail difficile est en cours : elle fabriquent les produits laitier en battant pendant des heures le lait caillé. Dans l’Altaï, l’été est l’époque des fêtes et des jeux autour du cheval. Nous choisissons ce moment pour continuer notre périple à vélo, qui durera encore 286 jours, du nord de la Chine ou sud de la Thaïlande. Quitter la famille d’Arkhat et d’Alten est difficile. Pendant dix mois, nous aurons vécu avec eux, dormi dans la même pièce, travaillé aux mêmes choses. Ils font désormais partie de notre famille, nous retournons les voir une à deux fois par an.

Depuis notre premier séjour là-bas, certaines choses ont changé comme l’apparition, en 2006, de l’électricité solaire. Les habitants de l’Altaï ont maintenant la télévision, des DVD, ce qui est assez anachronique alors que les conditions de vie sont toujours aussi rudes, en raison notamment du manque d’eau. Les nomades souffrent de carences alimentaires à cause du manque de légumes. Rien ne pousse, les sols sont trop acides. Depuis la fin de l’URSS et la prédominance de l’économie de marché, les éleveurs souffrent de plus en plus. Comme beaucoup de nomades, Arkhat et d’Alten ne veulent pas que leurs enfants fassent comme eux, ils espèrent qu’ils deviendront professeurs – la scolarité est obligatoire à partir de neuf ans et en dure normalement dix (les enfants sont scolarisés en ville, et habitent souvent chez d’autres membres de la famille). Les nombreux programmes d’aide internationale en Mongolie ne profitent pas vraiment aux habitants de l’Altaï, une zone très isolée du reste du pays (il faut 80 heures de route pour y accéder d’Oulan Bator). Nous avons le sentiment que le pays se sédentarise peu à peu. Suite à deux hivers particulièrement rigoureux, une partie de la population nomade a perdu ses animaux. Or sans bêtes, il n’y a pas de survie possible et nombre d’entre eux s’installent en ville. Et, comme beaucoup d’éleveurs, Arkhat se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins…

 

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