TURGOT, LE REFORMATEUR

Thèmes: Histoire, Economie                                                                                                                              Mardi 13 février 2018

TURGOT, LE REFORMATEUR

par Monsieur Christian SYNOWIECKI, professeur d’histoire.

INTRODUCTION

A la fin du règne de Louis XV la France connait une situation financière difficile. Aux premiers jours du règne de Louis XVI, en août 1774, Anne Robert Jacques Turgot, brillant intendant à Limoges sous le règne de Louis XV est nommé contrôleur général des finances du royaume. Il parle plusieurs langues et s’intéresse à de nombreux domaines. Il participera à la rédaction de l’Encyclopédie notamment. C’est un grand libéral du XVIIIe siècle avant même les théories d’Adam Smith. Il cherchera à appliquer des réformes qui, si elles avaient été appliquées, auraient pu, peut-être, éviter la chute de la monarchie. Il sera renvoyé en mai 1776, moins de 2 ans après sa prise de fonction.

I – Le contexte historique.

Au XVIIIe siècle, la France vivait sous l’Ancien Régime. Louis XIV meurt en 1715 et c’est son arrière petit-fils, Louis XV qui lui succède. Deux grandes guerres vont marquer son règne, la guerre de la succession d’Autriche et celle de Sept Ans qui fera perdre à la France ses colonies :le Canada, la Louisiane et réduira l’Inde française à cinq comptoirs. Lui reviennent cependant la Lorraine en 1766 à la mort de Stanislas Leszczynski, roi de Pologne, père de l’épouse de Louis XV, et  la Corse cédée par Gênes en 1768.

En 1774, Louis XVI succède à son grand-père, décédé dans l’impopularité alors qu’il était monté sur le trône comme Louis « le bien aimé ». Le jeune roi -il a à peine 20 ans, est très inexpérimenté car toujours tenu à l’écart des affaires de la nation par Louis XV. Il monte sur le trône alors que la situation financière est difficile et l’aide apportée par la France à l’indépendance américaine si elle redonne du prestige à la couronne, aggrave la dette de l’Etat.

La France du XVIIIe siècle est massivement rurale et l’espérance de vie est faible y compris dans les classes sociales privilégiées et l’aristocratie. La mortalité infantile est très élevée. La France connaît plusieurs famines au cours du siècle  et une grande épidémie de peste à Marseille en 1720.Dans le domaine de la culture, le XVIIIe siècle est celui des Lumières et de l’encyclopédie, ouvrage synthèse des connaissances de l’époque, dirigée par Denis Diderot et à laquelle participeront notamment Voltaire, Montesquieu, Rousseau et Turgot pour quelques articles.

En 1774, la situation financière du royaume est préoccupante. La France est un pays instable et morcelé juridiquement et fiscalement. En effet, le pays se compose de pays d’élection et de pays d’Etat. Dans ces derniers, il y a des assemblées constituées des trois ordres (noblesse, clergé et tiers-Etat) qui peuvent fixer les impôts alors que ce n’est pas le cas dans les pays d’élections..

La complexité fiscale de la France apparaît clairement avec la gabelle, impôt sur le sel qui partageait la France en quatre zones de conditions très différentes. Les pays de grande gabelle qui couvraient le « ventre » de la France où non seulement le sel était taxé mais où une consommation minimum était obligatoire. Les pays de petite gabelle qui concernaient le sud-ouest et le midi méditerranéen où la consommation était libre. Les pays rédimés au sud-ouest qui, lors de leur réunion au royaume, avaient obtenu que la gabelle ne fut point établie et enfin les pays exemptés, essentiellement la Bretagne, où le commerce du sel était libre.

Turgot, recommandé auprès du jeune roi, devra donc travailler dans une France peu unifiée et où même l’unité linguistique n’existait pas réellement. Lors de procès par exemple, on avait souvent besoin de traducteurs.  La stabilité politique paraît bien utopique elle aussi quand on sait que Louis XVI aura quinze contrôleurs des finances en à peine plus de quinze ans.

II – Turgot, contrôleur général des finances (1774-1776).

Turgot est appelé au secrétariat d’Etat à la Marine en juillet 1774, puis au contrôle général des finances par Louis XVI en août 1774. Turgot est un bourreau de travail bien qu’il souffre de la goutte ce qui à l’époque est extrêmement douloureux et handicapant, -il devait parfois se faire porter jusqu’à son bureau. Cette même année 1774, les parlements sont rétablis. Ils rendent la justice en dernier ressort au nom du roi et enregistrent les lois. On trouve treize parlements dans le royaume. Leurs membres appartiennent à la noblesse de robe qui cherchent avant tout à préserver leurs privilèges. Condorcet est contre le rétablissement des parlements car il pense qu’à long terme ils voudront s’accaparer du pouvoir politique. Quant à Malesherbes, il est favorable au rétablissement des parlements mais avec la création d’un Conseil supérieur pour les contrôler. Finalement le rétablissement des parlements s’avérera être une erreur car ils s’opposeront systématiquement à toute réforme.

Le désir de Turgot est  de parvenir à augmenter la richesse du royaume afin que le niveau de vie du peuple s’améliore. Pour cela il élabore de grandes réformes comme la suppression de la corvée et son remplacement par un impôt en argent payable par tous car elle pesait essentiellement sur les paysans dont les villages n’étaient pas à plus de trois ou quatre lieues des chantiers de construction ou d’entretien des routes royales, à raison de six à trente voire quarante jours par an. Il souhaite également supprimer la ferme générale mais les finances de l’Etat ne le permettent pas. Par ailleurs, Turgot cherche à relancer l’agriculture et l’industrie par des mesures libérales, il veut alourdir la participation fiscale des privilégiés et créer un équitable impôt foncier unique. Il est d’abord vainqueur de l’opposition suscitée par son édit sur la liberté du commerce des grains de 1774 qui consistait à en établir la libre circulation. Malheureusement, la médiocre récolte de 1774 remettra en cause la réforme de Turgot. En effet avant l’édit de Turgot, chaque région devait faire face à sa propre pénurie, de sorte que certaines souffraient d’une véritable famine tandis que d’autres étaient totalement épargnées et approvisionnées à prix stables. Avec la libération, les grains peuvent sortir des régions épargnées pour aller vers les plus touchées, provoquant des troubles et souvent des hausses de prix importantes. En avril 1775 des perturbations surgissent dans plusieurs villes du royaume, que l’on appellera « la guerre des farines ». Les émeutiers arrivent à Paris mais les troupes protègent le marché au blé. C’est une émeute de la faim et en dépit de la répression une cinquantaine de boulangeries sont pillées. Ces perturbations entraîneront la révocation de Jean-Charles Lenoir, lieutenant de police. Turgot fait preuve d’une grande fermeté : on procède à 162 arrestations et même à deux pendaisons. Turgot établit aussi l’obligation pour les propriétaires de stocks de grains de les vendre aux prix imposés. Tout au long de ces mois de crise, Turgot aura le soutien du roi.

1775 est également l’année du sacre de Louis XVI. Turgot souhaite que la cérémonie ait lieu à Paris afin de favoriser l’activité commerciale. Le roi au nom de la tradition refuse que le sacre se tienne ailleurs qu’à Reims. De plus, Turgot qui espère le retour des artisans et commerçants protestants qui avaient fui la France pour l’Angleterre et les Pays-Bas après la révocation de l’Edit de Nantes et pour cela souhaite que le roi modifie le serment du sacre en ne prononçant pas la phrase qui consiste à poursuivre les hérétiques, c’est-à-dire les protestants. Là encore, en ce 11 juin 1775, le roi ne suit pas Turgot et prononce son serment sans modification.

Pourtant, en juillet 1775 la position de Turgot est affermie par l’arrivée de Malesherbes parmi les ministres, bien que ce dernier, conscient de la difficulté de la tâche ait refusé sa nomination à plusieurs reprises. Le roi lui-même avait dû intervenir pour qu’il cède.

En janvier 1776, Turgot présente au Conseil du Roi plusieurs décrets dont deux rencontreront une violente opposition, ceux supprimant la corvée royale et les jurandes et maîtrises. Turgot veut que la corvée soit payée par tous. Le clergé refuse catégoriquement mais les nobles doivent s’y soumettre du fait que le roi, ayant fait preuve de courage, s’y soit lui-même soumis. Dans le préambule au décret sur les jurandes c’est-à-dire les corporations, il fixe comme principe le droit de chaque homme de pouvoir travailler librement sans aucune entrave. Les parlementaires qui s’opposent à ce décret, argumentent qu’il n’y aura plus de contrôle de qualité. Louis XVI soutient Turgot et impose les édits mais le Parlement  renâcle et fait parvenir au roi ses remontrances.

Les attaques de Turgot contre les privilégiés lui vaudront la haine de la noblesse, notamment celle de cour, et du Parlement. Louis XVI finira par disgracier Turgot en mai 1776. Entre mai et octobre 1776, ses édits seront abrogés. Ses réformes seront révoquées par son successeur, le baron Jean Cluny de Nuits. Néanmoins, avant la fin de son mandat, et avec l’aide de son conseiller le banquier suisse Isaac Panchaud, Turgot aura pu préparer la création de la Caisse d’Escompte, ancêtre de la Banque de France.

CONCLUSION

Turgot était un grand réformateur et avait un véritable projet qui à terme aurait pu conduire à une royauté constitutionnelle mais la classe dirigeante n’était pas prête. Ses réformes  impliquaient un changement profond dans l’Etat français. Son caractère difficile ainsi que son manque de diplomatie dans ses rapports aux autres n’auront pas permis à ce brillant homme d’Etat d’imposer son projet.

En complément à cette conférence, quelques avis, 3 positifs et 3 négatifs, émanant de grands hommes d’état, sont proposés  à votre réflexion. Les avis positifs:

« Enfin, M Turgot est contrôleur général ! Il restera trop peu de temps en place pour exécuter ses systèmes. Il punira quelques coquins ; il pestera, se fâchera, voudra faire le bien, rencontrera des épines, des difficultés, des coquins partout. Son crédit diminuera, on le détestera, il se retirera, on le renverra. »

Abbé Galiani 17 septembre 1774.

 

« J’ai prévu, que je serais seul à combattre contre les abus de tous genres, contre les efforts de ceux qui gagnent à ces abus, contre la foule de préjugés qui s’opposent à toute réforme. J’aurais à lutter même contre la bonté naturelle, contre la générosité de Votre Majesté et de personnes qui lui sont le plus chères (allusion transparente à Marie-Antoinette). Je serai craint, haï même de la plus grande partie de la cour, de tout ce qui sollicite des grâces. Ce peuple auquel je me serai sacrifié est si aisé à tromper que peut-être j’encourrai sa haine par les mesures mêmes que je prendrai pour le défendre contre la vexation. Je serai calomnié, et peut-être avec assez de vraisemblance pour m’ôter la confiance de Votre Majesté. »

Turgot

 

« Point de banqueroute

   Point d’augmentation d’impôts

   Point de banqueroute ny avouée ny masquée par des réductions forcées

   Point d’augmentation d’impositions, la raison en est la situation du peuple et

   encore plus dans le cœur de votre majesté.

   Point d’emprunts, parce que tout emprunt diminuant toujours le revenu libre,

   Il nécessite au bout de quelque temps ou… la banqueroute ou l’augmentation

   d’imposition. »

   Lettre de Turgot à Louis XVI

Les avis négatifs:

« Il y avait en France un homme gauche, épais, lourd, né avec plus de rudesse que de caractère, plus d’entêtement que de fermeté, d’impétuosité que de tact, charlatan d’administration ainsi que de vertu ; du reste, sauvage par amour-propre, timide par orgueil, aussi étranger aux hommes qu’il n’avait jamais connus, qu’à la chose publique qu’il avait toujours mal aperçue. Il s’appelait Turgot. »

Monsieur, comte de Provence, futur Louis XVIII.

« Il y avait en Perse un homme gauche, lourd, épais,… sauvage par amour-propre, timide par orgueil… »

« Le tic de Togur était de vouloir rendre raison de tout »

Quant au roi, au « Sophi » ainsi « togurisé » on abuse de ses vertus : « Une probité ignorante est un plus grand fléau en politique que la perversité même lorsqu’elle est éclairée »

Pamphlet des « mannequins » attribué à Monsieur, comte de Provence.

Assujettir les nobles à un impôt pour le rachat de la corvée, au préjudice de la maxime que nul n’est corvéable s’il n’est taillable, c’est les décider corvéables comme les roturiers. Ainsi les descendants de ces anciens chevaliers qui ont placé ou soutenu la couronne sur la tête des aïeux de Votre Majesté, les lignées pauvres et vertueuses qui, depuis tant de siècles, ont prodigué leur sang pour l’accroissement et la défense de la monarchie, ont négligé le soin de leur propre fortune et l’ont souvent consommée, pour se livrer tout entier au soin dont le bien public est l’objet, des nobles de race dont le revenu est borné au modique produit de l’héritage de leurs pères, qu’ils cultivent de leurs mains et souvent sans le secours d’un autre serviteur que leurs enfants ; des gentilshommes, en un mot, pourraient être exposés à l’humiliation de se voir traîner à la corvée.

Remontrance 1776

Répondre

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués *

You may use these HTML tags and attributes: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.