BIENTÔT 9 MILLIARDS D’HOMMES – Qui va nourrir le monde ?

Thème : ECONOMIE – SOCIETE                                                                                                                                                       Mardi 26 Mai 2009

Bientôt 9 milliards d’hommes – Qui va nourrir le monde ?

Par Yves Berthelot – Président de Développement et Civilisation

Les émeutes de la faim du printemps 2008 sont un signe avant-coureur des difficultés qu’il y aura à nourrir 9 milliards d’hommes, de femmes et d’enfants en 2050. Pourra-t-on produire suffisamment ? Très vraisemblablement. Tous mangeront-ils à leur faim ? Cela demandera de changer bien des habitudes.

La crise alimentaire  du printemps 2008

La crise a  eu des causes conjoncturelles et structurelles. Ces dernières laissent craindre que de telles crises se renouvellent.

Causes conjoncturelles : les conditions climatiques comme les choix des agriculteurs en 2007 ont entraîné une réduction de la production de blé et de riz face à une demande dynamique et, donc, une flambée des prix. La hausse due à l’insuffisance de l’offre a été aggravée par le comportement de certains intermédiaires qui, la prévoyant, l’ont amplifiée en stockant, puis ont tiré profit de la revente de ces stocks. Mais en 2008 la production s’est accrue car, comme l’expérience le montre, les agriculteurs sont prompts à réagir aux évolutions des prix.

Causes structurelles et, par conséquent, durables :

  • La faiblesse des rendements dans la plupart des petites exploitations familiales est la conséquence du peu d’attention donnée à l’agriculture dans les trente dernières années tant par les gouvernements nationaux que par les donateurs internationaux ou bilatéraux. Elle est particulièrement préoccupante en Afrique, où les rendements moyens ont décliné au cours des vingt dernières années.

  • L’accroissement de la demande liée à la croissance démographique et à l’augmentation des revenus. En particulier, les classes moyennes des pays émergeants modifient leurs habitudes de consommation en se rapprochant de celles des pays de l’OCDE (viande, poisson, fruits et légumes à contre saison).

  • La dépendance de nombreux pays aux importations de produits alimentaires de base, résulte de la libéralisation des importations de produits agricoles, libéralisation qui est favorable aux urbains quand les prix internationaux sont bas et qui les pénalisent quand ils sont hauts. Cette dépendance est d’autant plus durable qu’elle a entraîné des changements dans les habitudes de consommation dans nombre de pays. C’est notamment le cas en Afrique où les habitants des villes ont abandonné l’alimentation traditionnelle au profit de produits importés, souvent plus faciles à préparer et promus par les pays exportateurs. Le sorgho est remplacé par le blé, l’igname  par les pommes de terre, le lait local par la poudre importée. On notera qu’en 2008 les prix des céréales locales n’ont pratiquement pas augmenté.

Les urbains paieront durablement plus cher que par le passé, mais les ruraux ne tireront qu’en partie profit de prix plus haut car les semences et les intrants ont beaucoup augmenté.

Nourrir le monde en 2050

  • 1er défi : d’ici 2050, il faudra nourrir 3 milliards d’hommes, femmes et enfants supplémentaires. Cela est-il possible ?

  • 2ème défi : depuis 40 ans, le nombre de personnes souffrant de la faim a été de l’ordre de 850 millions d’hommes, femmes et enfants appartenant en très grande majorité à des familles de paysans pauvres. Ce chiffre a augmenté fin 2008 du fait du ralentissement de l’activité économique consécutif à la crise financière : il est aujourd’hui de l’ordre du milliard.  Pourra-t-on mettre fin à ce scandale ?

Les spécialistes ne doutent pas qu’il soit possible de c relever ces deux défis. Cela dépendra non seulement des choix techniques et politiques qui seront faits et des moyens financiers qui y seront consacrés, mais aussi de l’émergence de nouveaux modèles de consommation. Les habitudes de consommation des classes moyennes et aisées des pays de l’OCDE fournissent les modèles de référence. Ces modèles sont trop gourmands en énergie, engrais, eau et espace.

Augmenter les surfaces

Tout miser sur l’accroissement des surfaces imposerait d’étendre les terres cultivées à l’ensemble des forêts tropicales, ce qui entraînerait un désastre écologique car la rétention d’eau dans les écosystèmes forestiers ne serait plus assurée.  Ce n’est pas une option sérieuse.

Augmenter les rendements

C’est donc une nécessité. Le potentiel d’augmentation est très inégal d’un pays à l’autre. Brésil, Argentine, et, aussi, Russie et Pays d’Europe de l’Est sont favorisés par la relative abondance de l’eau. L’Asie où les rendements sont déjà élevés devra lutter contre la salinisation des sols due à l’usage excessif des eaux fossiles. En Afrique, où le potentiel d’extension des zones irriguées est faible, il faudra que des progrès soient faits pour augmenter le rendement des cultures pluviales et que les paysans soient incités à utiliser semences à haut rendement par l’augmentation des prix de vente de leur production, voire des aides publiques. La recherche aura donc dans les années à venir un rôle essentiel dans deux directions.

  • l’utilisation durable et rationnelle des sols et de l’eau, l’objectif étant de concevoir, pour différents types de climats, de sols et de précipitation des écosystèmes cultivés  complexes qui soient capables de fournir, sans engrais, autant de produits végétaux et animaux que les cultures et les élevages les plus performants pourraient le faire sur la même surface.

  • les semences : poursuivre la recherche de variétés robustes à haut rendement (hybridation) et, sans doute, réorienter la recherche sur les OGM vers l’extension à d’autres plantes de fonctionnalités biologiques écologiquement utiles et sans danger.

Dans cette course aux rendements l’Afrique prend du retard : en 2000, les dépenses publiques de R&D agricoles étaient de €1500 millions en Afrique, 2500 en Amérique Latine, 7.500 en Asie et 12.800 dans l’OCDE où la recherche privée est aussi très importante.

Changer de modèle

Changer de modèle est sans doute la chose la plus difficile tant sont importantes d’une part les références culturelles et les habitudes et d’autre part le désir de s’identifier à ceux que l’on considère comme enviables en les imitant. (La première usine étrangère à s’installer en Chine après la révolution culturelle a été Coca-cola).

Les changements peuvent venir de pénuries, de hausse des prix ou d’un effort citoyen (citoyen du monde). Manger moins,  moins de viande et de poisson, ne pas consommer des fruits et légumes hors saison ; être attentif à l’étiquetage sur la fabrication, les ingrédients et la provenance …  sont des pistes ou s’engager individuellement et collectivement.

Qui va produire ?

Pour relever le deuxième défi et pour relever le premier de façon durable, le choix politique essentiel est dans l’équilibre que chaque pays voudra maintenir entre les grandes exploitations industrielles et l’agriculture familiale..

Promouvoir une agriculture familiale est nécessaire pour répondre au deuxième défi et assurer la protection de l’environnement. Cela demande dans chaque pays un Etat fort et une classe politique courageuse capables de mener à bien des réformes agraires, d’apporter un soutien technique et financier aux petites exploitations et de garantir la propriété foncière pour les petits exploitants. Il faudrait, aussi, un accord au niveau international sur le droit pour les pays pauvres à une certaine protection aux frontières (frontières régionales plutôt que nationales pour bénéficier d’une certaine concurrence et de la relative diversité des productions et des climats) et sur la manière de faciliter l’accès aux semences à haut rendement. De plus en plus, les paysans doivent acheter chaque année ces semences (cas de Terminator) ou   payer une redevance pour pouvoir les utilise les graines provenant de la récolte précédente.

Or, nourrir la planète va susciter des ambitions. L’agro-industrie considère que c’est son rôle.   Les pays qui ont le potentiel de devenir de grands exportateurs sans avoir à subventionner leurs agriculteurs voient les avantages stratégiques qu’ils pourront en tirer et sont de fervents avocats de l’agro-industrie et de la libéralisation des échanges de produits agricoles dans les négociations de l’OMC.  Des Etats achètent ou louent des terres dans d’autres pays pour assurer la sécurité alimentaire de leurs concitoyens. Des pays vendent ou louent leurs terres parfois au détriment de la sécurité alimentaire de leurs habitants. Des entreprises agroindustrielles achètent des terres avec le soutien des banques et l’argent des investisseurs qui y voient des sources de profits.

Le rapport des forces économiques est, aujourd’hui, clairement en faveur de l’agro-industrie et la perspective de voir de plus en plus de petits paysans expulsés de leur terre et aller grossir les bidonvilles est le scénario le plus probable.

Réflexions en guise de conclusion

L’accès à la terre a toujours été source de dignité, de richesse et de conflits. Le combat pour l’accès à la terre va s’intensifier sous l’effet de la croissance démographique, de la croissance des villes, de la demande d’agro carburants.

Un équilibre, différent d’un pays à l’autre, est souhaitable entre agriculture industrielle et exploitations familiale. Réaliser cet équilibre requiert une volonté politique mise en œuvre par un Etat fort et soutenue par l’action de la société civile.

Les exemples d’ “agriculture autrement”, biologiquement saine, économiquement durable et socialement équitable, se multiplient soutenues par de nouvelles relations producteurs consommateurs (reconnaissance, circuits courts, c’est-à-dire avec moins d’intermédiaires). Chacun peut y contribuer en soutenant les organisations qui les promeuvent.

Au-delà, changer ses habitudes de consommation sera sans doute nécessaire aux équilibres alimentaire et écologique de la planète. À chacun de s’interroger sur un système dont la dynamique dépend des besoins qu’il suscite plus que des besoins qu’il satisfait et qui génère de grandes inégalités.

En savoir plus …

Coté Livres :

            

Coté Web :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Centre_International_D%C3%A9veloppement_et_Civilisations_-_Lebret-Irfed

http://fr.wikipedia.org/wiki/Yves_Berthelot

http://www.nourrirlemonde.org/

http://www.agrobiosciences.org/article.php3?id_article=2419

http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+IM-PRESS+20080627STO32886+0+DOC+XML+V0//FR

http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/actions-france_830/agriculture-securite-alimentaire_18825/conference-internationale-qui-va-nourrir-monde-sur-theme-agriculture-securite-alimentaire-03.07.08_64097.html

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