L’EUROPE, CE MIRACLE DE LA PAIX A CONSOLIDER POUR NOTRE AVENIR

Thèmes: Histoire, Géopolitique, Société                                                                             Conférence du mardi 12 novembre 2019

L’EUROPE, CE MIRACLE DE LA PAIX A CONSOLIDER POUR NOTRE AVENIR

Par Cyrille SCHOTT, Préfet (H) de région, ancien directeur de l’Institut National des Hautes Etudes de la Sécurité et de la Justice (INHESJ), membre du bureau d’Euro-Défense France.

 

– Le miracle de la paix 

Si l’Europe a permis l’éclosion de la religion, le christianisme, qui enseigne l’amour du prochain et, dans ses fondements, rejette le glaive, elle a aussi provoqué la guerre la plus mangeuse d’hommes de tous les temps, la seconde guerre mondiale, et a été, au moins deux fois, au cœur d’une guerre qui a touché le monde entier. A l’issue de la première guerre mondiale, la France voulut une paix « sévère » pour l’Allemagne : « l’Allemagne paiera ». Les cinq traités de paix, dont celui de Versailles, furent subis par les vaincus et, après la crise économique de 1929 et la montée du nazisme, les Allemands s’enflammèrent, emportés par le verbe maléfique d’Hitler, contre le « diktat de Versailles » et rêvèrent de revanche. 

Un basculement s’opère au lendemain de la dernière Guerre. A l’Ouest de l’Europe va éclore le « miracle de la paix », selon la belle expression de Pierre Pflimlin. Ce miracle est dû à des hommes, qui au lieu de punir l’Allemagne, veulent que s’arrêtent ces épouvantables tueries. Ils ont pour nom Schuman, Monnet, de Gasperi, Spaak, Adenauer. Ce sont majoritairement des démocrates-chrétiens, mais pas seulement, le belge Spaak étant social-démocrate. Sans doute peuvent-ils s’appuyer sur une fatigue des peuples, dont la sève nationaliste et belliqueuse a été épuisée en deux guerres mondiales, la fin de la première ayant déjà suscité l’espoir que ce serait la « Der des der ». Ils savent ruser, en mettant un grand pragmatisme au service d’un grand idéal, celui de la paix. Ils réussissent à placer sous une autorité commune, la Communauté européenne du charbon et de l’acier, les industries de guerre productrices des canons et autres armes. L’aventure européenne est lancée et va conduire jusqu’à notre Union européenne. 

Arrêtons-nous sur cette aventure. C’est la première fois dans l’histoire qu’un tel ensemble est constitué pacifiquement, dans la liberté et avec l’assentiment des peuples, même si leurs dirigeants ont dû parfois ruser pour poursuivre le cheminement. Les empires, ces ensembles pluriethniques ou multinationaux, étaient jadis forgés par le glaive d’un conquérant, d’un Alexandre, d’un César, d’un Charlemagne, d’un Napoléon, ou bâtis par le mariage des princes, comme chez les Habsbourg, dont l’une des devises était, Bella gerant alii, tu felix Austria nube, Les autres font la guerre, toi, heureuse Autriche, tu te maries ! Et ces empires étaient maintenus par un mélange de force et de sagesse des dirigeants, mais n’étaient pas fondés sur l’accord des peuples. Ils obtenaient au mieux leur résignation, tant que ces peuples ne pensaient pas vivre dans une prison des peuples, sentiment qui se développa au 19ème siècle, celui des nationalismes. Notre Europe repose sur cet assentiment des peuples, librement consenti, ce qui en soi est un miracle de la paix, d’autant plus grand qu’il s’agit de vieilles nations, profondément enracinées dans l’histoire et qui se sont tant combattues. Il y a certes une fragilité dans cet assentiment des peuples, qui doit perdurer pour que dure le miracle. Songeons toutefois que les empires reposant sur la force d’un conquérant ou le mariage des souverains se sont effondrés. Cette « fragilité », que constitue l’assentiment des peuples, représente paradoxalement la force de l’Union européenne, qui constitue une oasis de paix attractive dans les perturbations du monde. 

– La pulsion nationaliste demeure, la guerre a resurgi 

La pulsion nationaliste n’est cependant pas morte en Europe. Elle reste vigoureuse dans l’Est et le Sud-Est du continent. La guerre y a resurgi, aux portes de l’Union européenne. Appuyée sur les identités confessionnelles, elle a ensanglanté la décennie 1990, en disloquant l’ensemble yougoslave. La pulsion nationaliste a nourri les guerres du Caucase, qui ont commencé dès 1992. Et l’Ukraine est en guerre depuis 2014. Elle vit les tensions liées à la construction d’une nation, dans laquelle tous les habitants ne se reconnaissent pas, et à la volonté de la Russie de ne pas permettre le détachement complet de cette terre slave, ressentie comme élément de son cœur historique. 

Après la seconde guerre mondiale, les nations de l’Europe de l’Est ont été soumises, une nouvelle fois, à un empire : l’empire soviétique. Lorsque celui-ci s’est effondré, le couvercle posé sur les passions nationales par l’empire a été soulevé et contrairement à l’Ouest du continent, où ces passions ont pu s’exténuer dans deux conflits sanglants, elles sont restées vives dans cette partie de l’Europe, où les empires, sauf dans la brève période de l’entre-deux guerres, n’ont cessé, en les brimant, de les contenir. Par ailleurs, la Russie, dans sa nostalgie de l’empire soviétique et son ambition de restaurer la fierté nationale et d’empêcher que l’Union européenne et l’Alliance atlantique continuent d’avancer sur ses flancs, y entretient des conflits larvés. 

Sans remettre en cause le fondamental « miracle de la paix » entre les Etats, la pulsion nationaliste n’est pas complètement éteinte non plus à l’Ouest de l’Europe et s’y est exprimée, de façon violente dans des terrorismes internes aux Etats, en Irlande du Nord ou dans le pays basque espagnol, de façon pacifique dans les tentations séparatistes, en Catalogne et en Ecosse. Elle anime aussi le souverainisme, qui inspire dans le Royaume uni la volonté sécessionniste par rapport à l’Union. Cette volonté doit aussi être rapprochée d’une nostalgie impériale, fondée sur des liens persistants, spécialement avec les pays du vieux Commonwealth, qui sont des liens de sang, de culture et même de gouvernance avec une souveraine commune. 

Le miracle de la paix opère encore en Irlande, où l’appartenance à l’Union européenne des deux parties de l’ile a permis l’accord de paix et l’effacement de la frontière, mais il y est menacé par le Brexit, avec le risque d’un rétablissement de cette frontière et des troubles consécutifs. Ce miracle opère aussi dans les Balkans, où la perspective d’une entrée, même lointaine, dans l’Union contient les passions nationales. C’est ce qui a incité récemment la Macédoine à trouver un accord avec la Grèce au sujet de son nom. Si cette perspective disparaissait, les tensions ethniques non soldées réapparaîtraient avec force. A cet égard, si elle est appuyée sur des motifs sérieux, la récente opposition de la France, suivie par les Pays-Bas et le Danemark, à l’ouverture de négociations d’adhésion avec la Macédoine du Nord et l’Albanie a suscité de vives réactions chez nos partenaires, spécialement en Europe centrale et dans les Balkans, la crainte les animant qu’en l’absence d’une telle perspective, une déstabilisation de cette zone, toujours fragile, pourrait réapparaître. La disparition pure et simple de l’Union, elle, réveillerait, à coup sûr, des conflits latents. 

– Consolider le miracle de la paix, face aux menaces pesant sur lui 

Cela dit, les principales limites du miracle de la paix s’expriment aujourd’hui dans les approches de la Russie. La paix là-bas n’adviendra probablement qu’à travers un rapprochement entre ces deux ensembles que forment l’Union européenne et la Russie. L’on comprend, sous cet angle, que le Président Macron tienne à entretenir le dialogue avec la Russie et à éviter que celle-ci, malgré les sanctions prises par l’UE à la suite de l’annexion de la Crimée, ne soit exclue entièrement du concert européen. C’est ainsi qu’il a œuvré pour que la Russie retrouve en juin dernier sa place au sein du Conseil de l’Europe. C’est aussi pourquoi, il a reçu en août Vladimir Poutine à Brégançon, quelques jours avant le sommet du G7. 

On ne peut ignorer cependant que les voisins européens de la Russie que sont la Pologne et les pays baltes voient surtout en celle-ci une menace ne pouvant être contenue que par l’allié américain, grâce à l’OTAN. Le rapprochement évoqué ci-dessus devrait donc inclure les Etats- Unis. L’Amérique de Trump, malheureusement, voit avec méfiance l’Union européenne. En contenant la menace soviétique derrière le rideau de fer, les Etats-Unis ont permis la marche de la construction européenne. Cependant, ils représentent désormais une menace pour celle-ci, l’America first du président Trump visant une relation bilatérale avec chaque pays européen, une relation du fort au faible, du dominant au vassal, et non une relation entre deux ensembles puissants. Certes, Trump n’est pas éternel et il faut espérer que les Etats-Unis retrouveront la voie d’un dialogue plus positif avec les Européens. Cependant quoiqu’il en soit, les Etats-Unis ne seront pas forcément heureux de l’émergence de cette véritable puissance européenne qui serait dans l’intérêt bien compris de chacune de nos Nations. 

Non seulement avec les Etats-Unis mais aussi avec la Russie et avec la Chine, une relation inégale, potentiellement lourde de menaces, s’établirait, sans Union, entre chaque pays européen et ces puissances. S’agissant de la Chine, l’absence de l’Union ouvrirait une voie de plus en plus large à ses actions, alors qu’elle représente un vrai défi pour nos démocraties, avec son système que l’on pourrait caricaturer par l’adresse ainsi adressée à son peuple : « Tais-toi et mange ! », en d’autres termes : « Renonces à ta liberté et l’Etat t’apportera le bien-être matériel et conduira tranquillement ton pays sur le chemin de la première puissance mondiale. » Déjà, les Chinois organisent avec les pays de l’Est et du Sud-Est de l’Union des sommets réguliers et ne demanderaient pas mieux que de détruire cette puissance économique et démocratique gênante que représente l’Union européenne. 

L’affaiblissement de l’Union, voulue par les souverainistes, ne contribuerait pas à la paix sur le continent, mais ouvrirait le champ à de nouvelles tensions, voire conflits. L’Europe a raison de vouloir avancer dans le domaine de sa défense et les initiatives récentes – coopération structurée permanente, création d’un fonds européen de défense, initiative européenne d’intervention, entre autres – sont bonnes. Il est souhaitable que l’Europe acquiert son autonomie stratégique et constitue un vrai pilier européen de la défense dans l’Alliance atlantique, régulièrement mise en cause par Trump et dont le président Macron vient d’évoquer, de façon provocante, la « mort cérébrale ». Ainsi l’Union européenne pourra constituer un garant crédible de la paix sur le continent et œuvrer, dans une position de puissance suffisante, à l’établissement de rapports pacifiés entre elle-même, les Etats-Unis et la Russie. 

Et dans ce monde, où le rapport de force tend à s’exprimer dans sa brutalité, elle pourra peser plus qu’elle ne le fait, face à ces Etats-continent, que sont les Etats-Unis, la Chine, le Russie, l’Inde, ou le Brésil. Songeons que la Russie s’étend sur 17 millions de km2, les Etats-Unis et la Chine sur 9 millions, le Brésil sur 8 millions et notre Europe sur 4 millions. A cette aune, nos nations se comparent à des nains. Au demeurant, si je vois une menace pour la paix dans la sève nationaliste, j’aime ma Nation, profondément, et je sais que la France continuera à être grande grâce et à travers l’Europe. Et cela est vrai pour toutes nos nations européennes. 

– Le couple franco-allemand reste incontournable 

Il reste que pour continuer à avancer et à consolider ce miracle de la paix, l’Europe a besoin du couple franco-allemand. Si certains pays rechignent à reconnaître son caractère central, personne, en réalité, ne propose de solution autre. Les « alliances » de circonstance, dans les temps récents, n’ont été que des coalitions de refus. Refus par des pays d’Europe du Nord, autour des Pays-Bas, de l’approfondissement de la zone Euro. Refus par les pays d’Europe centrale, ralliés par l’Italie du précédent gouvernement populiste, d’une politique migratoire, alliant la nécessité de maîtriser les flux et le respect des principes moraux fondateurs de l’Union. En vérité, ce sont des rencontres d’égoïsmes nationaux, sur lesquels rien ne peut être bâti. Prenons la question migratoire. Salvini, le précédent ministre de l’Intérieur italien, le précédent gouvernement autrichien intégrant l’extrême droite, Orban, le premier ministre hongrois, enfin Horst Seehofer, le ministre de l’Intérieur CSU allemand, dans les paroles, il n’y pas si longtemps, ont loué réciproquement leur politique de refus des migrants. Derrière les mots, voyons les faits. L’Allemand Seehofer a voulu ouvrir des centres fermés pour refouler les migrants. Hurlements des Autrichiens, pour lesquels il était hors de question d’accepter ces refoulements. Les Autrichiens eux-mêmes ne voulaient plus de migrants venant d’Italie. Mécontentement de l’Italien Salvini, qui voulait que les migrants descendant de bateaux dans des ports italiens fussent aussitôt répartis entre les autres pays européens. Hors de question en ce qui concerne mon pays, avait réagi le Hongrois Orban, comme les gouvernants polonais ou tchèque. L’Europe des Nations que nous proposent les souverainistes n’est que l’Europe des égoïsmes nationaux, ceux-ci se saluant dans le principe et se livrant bataille dans la pratique. 

– …mais pas facile 

Oui, mais, va-t-on m’objecter, ce n’est pas facile entre la France et l’Allemagne ! Et les récents événements en témoignent. Lorsqu’au printemps dernier, le 4 mars, le président Macron s’adresse, dans leurs différentes langues, directement aux citoyennes et citoyens des 28 pays de l’Union européenne par une lettre intitulée « Pour une renaissance européenne », c’est une réponse décevante qui vient d’Annegrete Kramp Karrenbauer, AKK, qui a remplacé Merkel à la tête de la CDU : « Europa jetzt richtig machen », « Faisons l’Europe comme il faut ». AKK exprime son désaccord avec les propositions dans les champs économiques et sociaux. Soulignons cependant que si les commentateurs ont surtout retenu ce désaccord, une lecture plus attentive de la lettre montre l’accord pour les politiques migratoire et de sécurité. Lors des récents Conseils européens, Macron et Merkel ont exprimé leur divergence quant à la position à adopter face aux demandes successives britanniques de repousser le délai pour la mise en œuvre du Brexit, le Français se montrant plus ferme face aux tergiversations britanniques. De même, Macron a été plus ferme quant à l’engagement de négociations commerciales avec les Etats-Unis et face aux injonctions de Trump. Dans le domaine de l’environnement, juste avant le sommet européen de Sibiu du 9 mai dernier, la France avait pris l’initiative d’une déclaration commune visant une stratégie européenne ambitieuse pour le climat. Huit autres pays de l’Union ont signé, l’Allemagne en un premier temps ne l’a pas fait. Dans la campagne pour les élections européennes, Macron et Merkel ont encouragé des camps différents, lui les centristes/libéraux, elle les conservateurs du Parti populaire européen. Après les élections, elle a souhaité que Weber, le Spitzenkandidat de ce parti devienne président de la Commission. Lui n’en a pas voulu, jugeant qu’il n’avait pas la dimension requise pour la tâche. Bref, dans les temps récents, maints motifs de désaccords entre France et Allemagne se sont fait jour et ont été soulignés par la joute politique liée aux élections européennes. Lors de sa conférence de presse du mois de mai, Macron a d’ailleurs assumé son débat avec sa partenaire allemande, tout en réaffirmant clairement l’importance du couple. Il faut quand même noter que tous ces différends se sont conclus par un accord, que ce soit sur la prolongation du délai sur le Brexit, les discussions avec les Américains, la stratégie pour le climat, que l’Allemagne a rejointe, ou encore la distribution des principales responsabilités à la tête de l’Europe, qui a été largement le fait de l’entente franco-allemande.

– Le rapport entre la France et l’Allemagne, intense et compliqué 

Cela dit, il est vrai qu’indépendamment des anicroches liées à la conjoncture, les intérêts de nos deux Nations ne sont pas convergents en tous points et que notre rapport, s’il est intense, est également compliqué. les réactions en Allemagne au lendemain de l’élection de Macron en témoignent. Les hebdomadaires, die Zeit et der Spiegel, publient sa photo en première page, cette élection étant ressentie comme un événement majeur, signe de l’intensité de nos liens. Die Zeit représente Macron les yeux clos et la tête surmontée d’une auréole, avec en gros titre « Der Heiland », « le Sauveur », et le texte suivant : « Emmanuel Macron est considéré désormais comme le sauveur de l’Europe… Qu’avons-nous à attendre de lui ? (note 1)» Der Spiegel entoure son portrait en buste d’un halo bleu-blanc-rouge, avec le titre suivant « Teurer Freund », « Cher ami » au sens de « Coûteux ami », ainsi que le précise le commentaire : « Emmanuel Macron sauve l’Europe…et l’Allemagne doit payer (note 2).» L’on perçoit du soulagement, de l’admiration, de l’ironie et de la peur : l’Allemagne doit payer ! 

Les différences, de nature à contrarier leur relation, sont réelles entre la France et l’Allemagne. La France, fière de son siège au conseil de sécurité de l’ONU, de son armée capable d’expéditions, de sa force nucléaire, du rayonnement dû à sa langue et à son histoire de nation des Lumières, de la Révolution et des droits de l’homme, garde le regard tourné vers le vaste monde, avec des zones d’influence privilégiées dans le Sud, spécialement en Afrique. L’Allemagne, fière de la puissance de son économie et de la qualité de ses produits, est réticente devant les interventions militaires, a le regard tourné vers son continent et spécialement l’Europe centrale et orientale, où ses intérêts sont grands, et agit comme l’une des premières puissances exportatrices mondiales. Dans les relations commerciales entre les deux pays, le déséquilibre, au détriment de la France, est aussi ancien que le débat qui périodiquement l’accompagne. Il en va de même pour la situation de l’emploi. D’un autre côté, la démographie française est plus dynamique et la population plus jeune. Le système bancaire y est plus solide. Les Allemands s’irritent aisément des prétentions et du comportement de celle parfois nommée ironiquement « la Grande Nation. » Le prestige de leur pays tient dans la deutsche Qualität, la qualité allemande. Du côté français, l’on critique volontiers une politique économique allemande, jugée à courte vue, tirant les bénéfices du marché unique et de la zone euro sans songer à un retour suffisant vers les autres pays européens et n’usant pas de ses capacités budgétaires pour faire cette relance dont la zone Euro a besoin. 

Le terrain institutionnel illustre nos décalages. En Allemagne, le système est fédéral, les Länder n’étant pas de simples régions, mais des Etats fédérés ; le régime est parlementaire, avec des partis qui discutent âprement d’un contrat de gouvernement, qui devra être respecté, et un Bundestag, qui contrôle sourcilleusement le gouvernement et ses engagements, spécialement militaires, à l’étranger. La décentralisation est ancrée dans l’organisation du pays et, au lieu d’une capitale hégémonique, les pôles urbains maillent le territoire. En France, la République est unitaire et, quoique décentralisé, l’Etat reste bien présent dans l’administration du territoire ; la gouvernance du pays est dominée, sauf en période de cohabitation, par le Président de la République, doté d’un vaste pouvoir, notamment pour l’engagement rapide d’actions militaires extérieures. Dans la gestion des comptes publics, à la rigueur germanique s’oppose la souplesse française. Dans la gouvernance des entreprises, à la Mitbestimmung, la cogestion, où les représentants du personnel participent à la direction des sociétés de plus de cinq cents salariés, fait face un système français qui peine, malgré des progrès, à sortir de l’affrontement entre un patronat rechignant à tout partage du pouvoir et des syndicats qui ne sont pas tous réformistes. 

La vie de la société souligne aussi les contrastes. L’Allemagne préfère la culture du consensus, même s’il n’est pas toujours aisé à atteindre, la France plutôt la culture de la confrontation, objet d’un jugement ambigu des Allemands : critique de l’inclination à la grève et du manque de discipline, en somme de notre caractère latin, jointe à l’admiration devant la capacité du peuple français à ne pas s’incliner devant l’autorité et à défendre les libertés. Les stéréotypes s’expriment dans la culture populaire. L’allemand dit volontiers : „Die Franzosen arbeiten um zu leben, wir leben um zu arbeiten“, « Les Français travaillent pour vivre, nous vivons pour travailler », il critique la frivolité française, mais ajoute aussitôt, envieux et un peu admiratif : „ Leben wie Gott in Frankreich“, « Vivre comme Dieu en France ! » et il se montre sensible à l’élégance française. Le Français sourit de la « lourdeur germanique », tout en louant « le sérieux et la rigueur germaniques. » Si le Français aime la grandeur, l’Allemand privilégie la prudence, si le Français se veut créateur, l’Allemand veille à bien entretenir ce qu’il a bâti. 

Dans le dialogue Merkel-Macron, l’on retrouve ces traits divergents : prudence et culture du consensus chez l’une, acceptation de la confrontation et de l’idée d’incarner une grande nation chez l’autre. Agacement chez les Français de la lenteur allemande, agacement chez les Allemands de la fougue française. 

– …mais un magnifique chemin parcouru ensemble pour l’Europe… 

Ce schéma, tracé à gros traits très simplifiés, illustre, sans évoquer le terrible passé conflictuel, nos divergences. Et pourtant, quel magnifique chemin parcouru ensemble depuis la fin de la Guerre ! Évoquons en quelques images saisissantes : Konrad Adenauer et Charles de Gaulle assistant dans la cathédrale de Reims à la messe pour la paix en juillet 1962, puis signant le 22 janvier 1963 le Traité de l’Elysée ; Helmut Schmidt et Valéry Giscard d’Estaing devenant des symboles vivants de l’amitié franco-allemande ; Helmut Kohl et François Mitterrand se donnant la main à Douaumont en 1984. 

Le « couple franco-allemand » a largement façonné l’Europe. Robert Schumann, Jean Monnet, Konrad Adenauer appartiennent aux pères fondateurs. Mitterrand et Kohl sont les acteurs clé de la création du marché unique, avec Jacques Delors à la tête de la Commission européenne, puis de la naissance de l’Euro. Quand les deux hommes se rencontraient, ils savaient lancer par leur accord des initiatives suivies par toute l’Union. 

– …qui est devenu plus difficile… 

Puis, les circonstances changent. L’Allemagne se réunifie et de puissance économique mais nain politique, selon une expression du temps de sa division, devient une puissance majeure tout court. Celles et ceux qui accèdent à la tête de nos nations n’ont pas connu la guerre. La capitale allemande migre de Bonn, une ville rhénane, vers Berlin, une ville du Nord. La réconciliation avec les pays d’Europe centrale, comme la Pologne, apparaît aux Allemands aussi importante que celle réussie avec la France. Dans maints débats, l’Allemagne rejoint le Royaume Uni, dont la pensée néo-libérale influence l’Union. Bref, France et Allemagne doucement s’éloignent de leur relation si étroite. 

Ensuite, viennent les crises : crise financière de 2008, crise grecque, crise de l’Euro, crise des migrants. Les approches française et allemande n’y sont pas d’instinct similaires : disposition française à soutenir les banques dès le déclenchement de la crise financière, prudence allemande initiale ; inclination française à aider la Grèce dès le début, réticence allemande au commencement ; ouverture de l’Allemagne à l’accueil des migrants en un premier temps, réserve française quant à un accueil trop généreux. Néanmoins, afin d’éviter la catastrophe, les positions se rapprochent. La gestion de crise conduit à des mesures pour consolider les banques et l’euro. Elle n’autorise cependant pas le déploiement d’une vraie ambition européenne. 

– …avant la nouvelle donne de 2017… 

La donne change encore, d’une part, avec le Brexit, qui oblige les 27 à resserrer les rangs pour définir une attitude commune face au Royaume Uni, d’autre part, avec le nouvel interventionnisme russe, le terrorisme islamiste, l’America first de Trump, qui incitent à une « Europe qui protège », enfin, avec les élections du printemps 2017, qui voient en France et aux Pays-Bas les populismes échouer dans leur tentative de parvenir au pouvoir. 

Les élections françaises donnent en mai 2017 au pays un président jeune, ayant conduit campagne en fervent partisan de l’Europe. Rapidement, Emmanuel Macron montre sa volonté d’ouvrir un nouveau chapitre dans la construction européenne. En septembre 2017, près de l’Acropole à Athènes, il lance un appel pour une « refondation » de l’Europe. Peu après, son discours de la Sorbonne pour une « Europe souveraine, unie, démocratique » jouit d’un retentissement considérable en Allemagne. Quoiqu’elles représentent moins d’une page sur les 19 du discours, ses propositions sur l’Euro retiennent particulièrement l’attention. 

Autrement qu’en France, les élections au Bundestag de septembre 2017 ouvrent une période d’incertitude politique, avec un recul sensible de la CDU/CSU et de la SPD, l’entrée au Parlement, en troisième position, du parti populiste et anti-européen, Alternative für Deutschland (AfD), et le retour du parti libéral, la FDP. Après l’échec de la tentative de former une coalition Jamaika entre CDU/CSU, FDP, devenue eurosceptique, et Verts, les discussions pour une nouvelle Grande coalition aboutissent en février 2018 à un contrat de coalition, puis en mars, six mois après les élections, au cabinet Merkel IV 

– …qui a laissé espérer de nouvelles avancées, sans remettre en cause les éléments fondamentaux de la politique allemande. 

Si la longueur des négociations pour constituer le gouvernement a ajourné la clarification de la position allemande, la reconstitution d’une grande coalition ouvre des perspectives favorables. Le contrat de coalition porte comme titre premier, « Ein neuer Aufbruch für Europa », « Un nouveau départ pour l’Europe », et consacre son premier chapitre à ce sujet, en se référant expressément au partenariat avec la France. De même, pour la défense. 

Une lecture précise du contrat montre toutefois les limites de cet engouement pour la vision française. Pour l’Euro, l’attachement au pacte de stabilité, qui oblige les Etats à la rigueur budgétaire, y est souligné. L’ordre budgétaire reste la ligne directrice. En matière de défense, derrière la pétition, « Nous voulons rester transatlantiques et devenir plus européens (note 3)», derrière l’accent mis sur la coopération avec la France, il est surtout posé que l’OTAN reste essentielle. D’ailleurs, il y a quelques jours, quand Macron s’est exprimé sur la « mort cérébrale » de l’OTAN, Merkel a aussitôt déclaré ne pas partager la vision « radicale » d’Emmanuel Macron, soulignant que l’Otan restait « la pierre angulaire de la défense européenne« . Si le contrat de coalition exprime la volonté de coopérer étroitement avec la France, il reste en réalité fidèle aux fondamentaux de la politique allemande. 

– La grande coalition est fragile

Depuis que la grande coalition est au pouvoir, le parti AfD, entré avec 98 députés au Bundestag, y est devenu une force d’opposition bousculant la tonalité des débats. Les flux massifs de migrants de l’année 2015 ont provoqué chez des franges de la population un rejet, renforcé par la montée du terrorisme islamiste et des incidents comme les agressions sexuelles de la nuit de la Saint Sylvestre 2015/2016 à Cologne ou, en 2018, les faits divers de Kandel et de Chemnitz. Les populistes ont exalté la crainte de ces fractions du peuple. Le lien, qui remonte au début de la République fédérale, entre la CDU et la CSU, son partenaire bavarois, a été interpelé. La grande coalition connait régulièrement des moments de tension, liés particulièrement aux mauvais résultats électoraux de ses composantes, que ce soit aux élections européennes du 29 mai dernier, ou aux élections dans les Länder, en Bavière, en Hesse, au Brandebourg, en Saxe ou tout récemment, ce 27 octobre, en Thuringe. Là, le Ministre-président sortant, du parti La Linke, est arrivé en tête (31 %), suivi par l’AfD, qui a recueilli 23,4 % des voix, et a plus que doublé son score par rapport à 2014. De façon générale, dans les pays de l’ancienne Allemagne de l’Est, l’AfD réunit sur ses listes de l’ordre d’un électeur sur quatre, voire plus (27,5 % des voix le 1er septembre en Saxe). Si elle n’est pas autant implantée dans les Länder de l’Ouest, son émergence et le recul continu de la CDU et, encore plus, de la SPD, indiquent des jours comptés pour la grande coalition, mais, de surcroît, posent la question de la future gouvernance de l’Allemagne. Avec quelle majorité ? La relation de nos deux pays peut en être impactée. Sur des sujets de fond, sensibles et importants, comme l’Euro et la défense, les discordances existent d’ores et déjà. Bien des voix se sont élevées, notamment au sein de la CDU/CSU, contre les projets français pour la zone Euro. Olaf Scholz, le ministre social-démocrate des finances, a inscrit ses pas dans ceux de son prédécesseur chrétien-démocrate, Wolfgang Schäuble. Ein deutscher Finanzminister bleibt ein deutscher Finanzminister“, « Un ministre des finances allemand reste un ministre des finances allemand », a-t-il lui-même reconnu. Les idées françaises d’un ministre des finances et d’un Parlement spécifique à la zone Euro ont été écartées. S’agissant de la défense, l’Allemagne reste sur la ligne de la retenue stratégique, comme en témoigne son engagement, réel, au Sahel, mais pas dans le combat armé, qui est le fait des Français. Entre les cultures stratégiques des deux pays existe un fossé. Tant au sein de sa classe politique que de sa population, la République fédérale a développé une « culture de retenue. » Dans ce domaine de la défense, le partenaire traditionnel de la France, capable comme elle d’intervenir rapidement sur les théâtres du monde, est le Royaume-Uni, la relation avec l’Allemagne, malgré des initiatives comme la création de la brigade franco-allemande, ne se traduisant pas dans le champ opérationnel. « Qu’il était bleu le ciel et grand l’espoir/L’espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir », faut-il appliquer ces vers de Verlaine au « Colloque sentimental », pour reprendre le nom de son poème, du couple franco-allemand ? Ou convient-il d’évoquer « l’impossible tango » entre Paris et Berlin ou encore « la stratégie de la tension », comme l’a fait le Monde ? N’allons quand même pas trop vite en besogne. 

– L’Europe est malade 

Revenons d’abord vers l’Europe. Elle ne va pas très bien. « Il y a aujourd’hui une série de phénomènes qui nous mettent dans une situation de bord du précipice », voilà ce qu’a déclaré Macron, il y a quelques jours. 

Après les divines surprises des scrutins français et néerlandais du printemps 2017, les ombres du populisme anti-européen se sont à nouveau levées en 2018, que ce soit en République tchèque où le président Zeman a été reconduit, en Autriche où le gouvernement Kurz a associé les conservateurs et l’extrême droite anti-européenne, en Hongrie où les élections législatives ont redonné la victoire à Orban, en Italie où le gouvernement a été formé par une coalition populiste entre le mouvement 5 étoiles et la Ligue, qui est anti-européenne, en Suède lors des élections législatives. Et en 2019, les populistes ont poursuivi leur avancée dans les élections régionales aux Pays-Bas, les élections législatives en Finlande et en Estonie, où ils ont intégré le gouvernement. En Autrice et en Italie, l’extrême droite est sortie du gouvernement, mais est loin d’être définitivement écartée du pouvoir. En Italie, la coalition de droite autour de la Ligue de Matéo Salvini a obtenu ce 27 octobre un triomphe dans la région Ombrie avec 57,5 % des suffrages, 37 % d’entre eux allant à la Ligue seule. 

Le sujet migratoire a provoqué des poussées de repli identitaire au profit de populistes défiants envers l’Europe, accusée de brader des frontières jugées protectrices et de ne pas savoir traiter le problème. 

En Europe centrale, les peuples craignent pour leur identité retrouvée, refusant d’accueillir une population étrangère, eût-elle échappée de cruels conflits. Ces peuples, sous le manteau de l’Empire soviétique, sont restés en famille, entre eux. Si l’on ne pouvait guère sortir de leurs frontières, on ne pouvait pas plus y entrer. La chute du mur a représenté une ouverture pour ces peuples, dont une fraction a rejoint l’ancienne Europe de l’Ouest – ce qui peut annoncer de nouvelles tensions, en raison de la perte en population de plusieurs de ces nations-, mais cette ouverture signifia aussi que l’on pouvait entrer chez eux. Le risque de migrations issues d’autres continents a pris forme, avec les crises au Moyen Orient et en Lybie. Là s’est produit une fer- meture des esprits, dont les gouvernement dits illibéraux, qui ont succédé aux démocrates des premiers temps de la fin du communisme, sont l’expression. L’illibéralisme installe un système qui remet en cause la séparation des pouvoirs et s’appuie sur un homme fort, se définissant comme la parole et la volonté d’un peuple saisi par la crainte obsidionale, la peur de l’autre. Il interpelle le modèle démocratique, fondement de l’Union. Ces populismes représentent bien une menace pour l’Union. De leur fait, une division s’est insinuée entre l’Est et la majeure partie de l’Ouest de l’Europe. Toutefois, les populismes se sont aussi développés dans l’Ouest de l’Europe. Songeons à notre Rassemblement national, à l’AfD allemande, à la Ligue italienne, dont nous venons d’évoquer des victoires, et à tant d’autres partis d’extrême droite. La seule chose positive pour l’Europe, c’est qu’ils ont évolué d’une demande de sortie de leur pays de l’Union vers une volonté de réforme de celle-ci, pour aller, soi-disant, vers une Europe des Nations. Celle-ci cependant ne serait qu’une Europe des égoïsmes nationaux et signerait en réalité, à plus ou moins brève échéance, la mort de l’Union. 

La division Est-Ouest en Europe s’ajoute à celle entre un Nord prospère, aux finances équilibrées, et un Sud soumis aux turbulences. Le refus d’aider immédiatement la Grèce a été une erreur, car elle a montré aux marchés financiers que la zone euro était faible et les a encouragés à attaquer l’un après l’autre les pays jugés fragiles, précipitant la zone Euro dans une crise qui eût pu être évitée. La faute était, tout autant, morale. Les Européens du Nord parlaient alors des pays du « club Med » ou des PIGS (en anglais, Portugal, Irland, Greece, Spain), c’est-à-dire des « cochons » pour qualifier ces nations jugées insuffisamment disciplinées. Où était l’esprit européen, dans ce mépris pour des membres de l’Union ? Une fracture psychologique est née. La confiance dans l’Europe a reculé. Ce recul a été amplifié chez les Italiens par le sentiment de se retrouver seuls face à la déferlante migratoire. 

Dans ce diagnostic de la maladie européenne, il faut inclure le Brexit, qui représente une épreuve considérable pour l’Union. Jusqu’alors, l’Europe s’est toujours élargie, cet élargisse- ment, parfois critiqué, signifiant en tout cas un désir de rejoindre l’Union, un désir d’Europe. Pour la première fois, un pays, l’un des plus importants, a décidé de partir. Il s’agit d’un retournement historique, même si d’autres candidats attendent encore aux portes. Par ailleurs, le scénario à prolongations du Brexit pourrait, même si, au fond, il montre la force que représente l’Union, être déstabilisatrice pour elle, en tout cas freiner le traitement d’autres sujets majeurs. Enfin, il faut évoquer à nouveau le changement de l’attitude des Etats-Unis face à l’Union européenne, qu’ils jugent désormais contraire à leurs intérêts. A la vérité, ils sont rejoints par la Chine et la Russie dans la préférence à discuter non avec une Europe unie et forte, mais avec chacun de nos pays, isolé et faible. Et certains Européens sont attentifs aux souhaits de ces puissances, soit qu’ils comptent sur la protection américaine face aux Russes, comme les Baltes ou les Polonais, soit qu’ils sont alléchés par les promesses chinoises des routes de la soie, comme maints Etats balkaniques ou Est-européens, voire l’Italie. 

– L’Union continue d’avancer 

Le diagnostic a de quoi inquiéter. Pourtant l’Europe, a du ressort et elle en vu d’autres. Souvenons-nous que l’Europe a toujours cheminé de crise en crise. On l’a oublié, mais de juin 1965 à janvier 1966, la France du général de Gaulle a pratiqué la politique de la chaise vide, refusant de participer aux réunions du conseil des ministres de la Communauté économique européenne et bloquant ainsi toute décision, cela jusqu’au compromis de Luxembourg. Songeons aussi aux incartades de Mme Thatcher, qui ont exigé un art certain du compromis. Remontons même aux débuts : en 1954, est acté l’échec de la communauté européenne de défense (CED), un moment terrible pour les croyants de l’Europe ; en 1957, l’Europe rebondit, avec les traités de Rome, et la création de la Communauté économique européenne, dont va naître l’union européenne. Oui, la crise, depuis les commencements, marque la construction européenne. Celle-ci s’effectue dans la dynamique, mais délicate rencontre du pragmatisme et de l’idéal, dans la composition à trouver sans cesse entre les intérêts des Nations constitutives et l’idée d’une véritable union, pacifique et prospère. Le compromis est, au total, la marque de fabrique de l’Europe. La résolution de la crise nécessite généralement ce compromis. En définitive, la crise fait avancer l’Europe. 

Elle oblige aussi l’Europe, car elle doit être surmontée, sauf à remettre en cause sa construction même, et sa réponse doit à la fois porter le sceau de l’efficacité et celui du respect de ses valeurs. Les crises actuelles, caractérisées par leur multiplicité, exigent des réponses selon cette double exigence. Elles sont possibles, malgré l’ampleur des défis. La crise de l’euro, quoiqu’il en soit, a été surmontée. Face au Brexit, les Européens ont su trouver jusque-là l’unité et la clarté nécessaire dans leur position. S’agissant de la crise migratoire, les diverses initiatives prises par l’Union ou les pays membres, parfois dans le désordre et de façon contestable, ont, en tout cas, eu pour effet de faire diminuer de façon drastique les flux migratoires dans la Méditerranée. Par-delà les positions de certains pays difficilement admissibles au regard de l’esprit communautaire, un travail de fond est effectué par la Commission et les instances communautaires. En vue de fortifier les frontières extérieures de l’Union, le Parlement et le Conseil des ministres se sont accordés, à la fin du mois de mars, sur un développement considérable de Frontex, l’agence européenne de garde-frontières. Et quelques pays se sont accordés pour une répartition des migrants atteignant les côtes italiennes. 

Observons que, comme je l’ai déjà indiqué, l’Europe de la défense a connu, en peu de temps, en 2017 et 2018, des avancées que l’on peut qualifier d’historiques. Enfin, il faudrait mentionner tant d’autres avancées récentes, depuis 2017. Je me contenterai de citer : la révision de la directive sur les travailleurs détachés ; l’accord sur les conditions de travail dans le transport routier trans-européen ; l’accord des Etats pour créer une autorité européenne du travail ;la proclamation du socle européen des droits sociaux ; l’adoption du règlement général sur la protection des données (RGPD) ; l’adoption du « droit voisin », tant attendu par nos journaux ; le doublement, à 30 Mds€, de la dotation financière du programme ERASMUS pour la prochaine période (2021-2027) ; la création prochaine d’universités européennes ; l’accord intervenu sur les nouvelles normes après 2020 pour les émissions de gaz carboniques par les voitures, qui représentent un vrai défi pour l’industrie automobile ; le vote par le Parlement du règlement pour une meilleure surveillance des investissements étrangers dans l’Union, cette surveillance visant spécialement la Chine ; l’application d’amendes sans précédent à des multinationales de l’Internet pour aides d’Etat abusives (13 Mds€ pour Apple) ou abus de position dominante. J’en reste là, sauf à rappeler que le réseau satellitaire européen Galileo, plus précis que le GPS américain, est devenu opérationnel en 2018. 

– La vague europhobe n’a pas eu lieu 

Observons aussi que, si les mouvements populistes et de rejet de l’étranger ont progressé, ils ne sont pas seuls représentatifs des peuples. Loin de là. En Allemagne, le parti xénophobe AfD est bien visible, mais a, en définitive, recueilli, à l’échelon fédéral, à l’élection au Bundestag de septembre 2017 un peu moins de 13 % des suffrages et aux élections européennes de mai 2019 11 %. Les mouvements hostiles aux dérives xénophobes n’ont pas manqué de se manifester à leur tour et de montrer leur ancrage dans le peuple allemand. Dans les dernières élections, en Allemagne, en France, au Luxembourg, en Belgique, aux Pays-Bas, un parti europhile, celui des Verts, a connu une progression remarquée. En Allemagne, avec 20,5 % des voix, il est devenu la deuxième force aux élections européennes, derrière la CDU. Si le populisme a accru sa place sur l’échiquier électoral dans les pays européens, l’enjeu climatique, écologique mobilise également de plus en plus, particulièrement dans l’ouest de l’Europe. Si l’on souligne le développement du populisme, il faut également souligner celui du mouvement écologiste. 

Même en Europe centrale, les opinions sont loin d’être unies derrière la ligne xénophobe ou europhobe. En Slovaquie, les citoyens ont élu en mars dernier une présidente de la République, qui avait mené campagne en amie de l’Europe. En ce moment, le président libéral et europhile de Roumanie a toutes les chances d’être réélu. En Hongrie, l’opposition, unie, face à Orban a gagné en octobre les élections dans la capitale, à Budapest. En Pologne, aux élections législatives, toujours en octobre, si le parti au pouvoir a gagné, il le doit en bonne partie à la généreuse politique sociale, que ses prédécesseurs au pouvoir n’ont pas su pratiquer et les enquêtés d’opinions montrent l’attachement des Polonais à l’Europe. Dans l’Ouest du continent, en Finlande, en Espagne, au Portugal, les socio-démocrates ont montré leur capacité à gagner des élections. Pour en venir aux dernières élections européennes de mai 2019, la hausse inattendue de 8 points du taux de participation, qui s’est établi à 50,2 %, a souligné l’intérêt porté à ce scrutin et donc à l’Union par les citoyens européens. Malgré des scores remarquables en Hongrie, en Italie, voire en France, où le rassemblement national perd quand même deux sièges, la vague populiste ne s’est pas produite et la poussée europhobe ou eurosceptique a été contenue, voire stoppée, tandis que se manifestait une percée écologiste. Dans le nouveau Parlement européen, les Verts représentent le 4ème groupe le plus important. Les deux groupes, les conservateurs et les socio- démocrates, qui détenaient à eux deux la majorité au Parlement, l’ont perdue. Le groupe centriste de Renew Europe, dont les marcheurs français forment la plus grande part, a acquis une position décisive pour la constitution des futures majorités. Les Verts sans doute y participeront aussi. Il faut savoir que d’ores et déjà, dans la mesure où il n’y avait pas un parti majoritaire, les majorités devaient se constituer autour des projets examinés, dans le cadre d’un processus fort démocratique. Désormais, cette réalité sera encore plus prégnante, sachant que les partis europhiles dominent largement la nouvelle assemblée. Ce point est d’autant plus important que depuis le traité de Lisbonne, le Parlement européen a gagné en puissance, son pouvoir de co-législateur s’appliquant à l’essentiel des compétences communautaires. Dès lors, il faut, pour l’adoption d’un texte européen, l’accord du Conseil, représentatif des Etats, du Parlement et de la Commission, accord intervenant dans le cadre du tri-logue entre ces trois institutions. Cette procédure peut certes allonger le processus de décision, ce que l’on a notamment vu pour certains projets dans le champ de la sécurité. Le Parlement est, en effet, très attentif à tout ce qui touche aux libertés publiques ou à l’environnement, tirant vers le haut l’ambition européenne dans ces domaines. Cependant, l’exigence de l’entente avec le Parlement, élu directement par les citoyens européens, est le signe d’une nouvelle avancée démocratique et communautaire. 

– Malgré ses difficultés, le couple franco-allemand poursuit son travail

Revenons à la France et à l’Allemagne. Macron ne relâche pas l’effort. Que ce soit devant le Parlement européen, à Aix-la-Chapelle, où le prix Charlemagne lui a été remis, devant le Bundestag, ou ailleurs, il plaide régulièrement pour la souveraineté et l’unité européenne, pour la nécessaire relance. Et il dénonce les nationalismes menaçants pour l’Europe, ce qu’il a encore fait le 11 novembre 2018. 

Le 4 mars de cette année, comme je l’ai déjà évoqué, il a adressé aux citoyennes et citoyens des 28 pays de l’Union européenne sa fameuse lettre « Pour une renaissance européenne », avec trois ambitions : liberté, protection et progrès. 

Ces initiatives peuvent provoquer de l’agacement, je l’ai également dit, notamment chez ses pairs, et des voix soulignent ce qu’ils appellent son isolement en Europe. Et notre Président a subi récemment un cruel revers, dû peut-être à une trop grande confiance en soi ou alors à une difficulté à choisir les bonnes personnes : le Parlement européen a refusé de valider la nomina- tion de Mme Goulard à la commission européenne. Trois pays ont vu leur candidat refusé : la Hongrie, la Roumanie et la France. On peut essayer de soutenir qu’après tout, il y a là un rééquilibrage entre l’Est et l’Ouest de l’Europe, mais c’est surtout une humiliation pour notre Président et un peu la France. 

Cependant, nul ne peut nier que les initiatives de Macron recèlent une vision ambitieuse. Par- delà les critiques, l’intérêt, voire la séduction, que provoquent sa conviction, son projet de nouvel élan pour l’Europe n’ont pas disparu en Allemagne ni ailleurs. Des voix incitent les Allemands à bouger. Le vice-président du groupe FDP au Bundestag, chargé de la politique extérieure, Alexander Graf Lambsdorff, a clamé à l’occasion du centenaire de la fin de la première guerre mondiale : « …L’Allemagne doit enfin saisir la main tendue par le président français pour une réforme de l’Europe et s’emparer des projets d’Emmanuel Macron.   » La réponse de Kramp Karrenbauer n’a pas manqué de susciter des critiques en Allemagne. L’ancien ministre des affaires étrangères, le social-démocrate Sigmar Gabriel dans un article du Monde (note 5), intitulé « En Allemagne, un silence assourdissant répond à M. Macron », a salué la lettre du Président français et stigmatisé le manque de volonté et d’initiative de son pays. Ne l’oublions pas, ces voix existent et s’expriment en Allemagne. 

Si les avancées prennent du temps dans notre partenariat, elles finissent par advenir. En juin 2018 au château de Meseberg près de Berlin, Macron et Merkel ont réuni le conseil des ministres franco-allemand, qui a succédé aux sommets, et ont signé une déclaration, qui a suscité peu d’intérêt dans les média et dont l’importance a été sous-estimée. Ils ont affirmé, en entrant dans le concret, des positions communes pour le renforcement de la défense européenne, l’approfondissement de la zone Euro, la recherche d’une fiscalité plus harmonisée, la création rapide d’universités européennes, la définition d’une politique migratoire, la politique du climat. Ils ont lancé les projets franco-allemands d’avion de combat et de char du futur. 

Depuis, Macron et Merkel ont été affaiblis politiquement dans leur pays. Après les échecs électoraux en Bavière et en Hesse, Merkel s’est décidée en octobre 2018 à ne plus se représenter en 2021 comme chancelière et a renoncé à la présidence de la CDU. Macron a connu une crise majeure avec le mouvement des « gilets jaunes », dont il n’est pas encore totalement sorti. 

Pourtant, malgré cet affaiblissement en politique intérieure, les deux dirigeants ont confirmé leur volonté de continuer à être le couple moteur dans la construction européenne. Le 22 janvier dernier, ils ont signé le traité d’Aix-la-Chapelle, dans une ville allemande qui représente un puissant symbole pour l’Europe. Comme toujours, les critiques se sont exprimées : pour les uns, ce traité ne contenait rien de significatif, pour les autres, il portait atteinte à notre souveraineté, certains lanceurs de fausses nouvelles allant même jusqu’à affirmer qu’il offrait l’Alsace à l’Allemagne. La vérité est que ce traité, qui renouvelle celui de l’Elysée conclu en 1963, approfondit la coopération de nos nations. Par des consultations régulières, les deux pays veulent établir des positions communes dans les affaires européennes. Ils ambitionnent d’instituer une zone économique franco-allemande dotée des mêmes règles. Par la création notamment d’un Conseil franco-allemand de défense et de sécurité, ils veulent donner de nouvelles impulsions. Dans le but d’approfondir la coopération transfrontalière, ils vont doter les collectivités territoriales des territoires frontaliers et les entités transfrontalières de compétences nouvelles. Ils ont décidé, par ailleurs, qu’un membre du gouvernement d’un des deux États prendrait part, une fois par trimestre au moins et en alternance, au conseil des ministres de l’autre État. C’est ainsi qu’en mars dernier, Le Drian, notre ministre des affaires étrangères, a participé à une réunion du cabinet allemand à Berlin et qu’en juin, Heiko Maas, le ministre allemand des affaires étrangères, a participé au conseil français. 

La volonté de coopérer plus étroitement anime aussi nos Parlements, qui ont décidé la création d’une assemblée parlementaire commune réunissant cinquante députés de chaque pays. Cette assemblée s’est constituée le 25 mars dernier à Paris. Elle doit notamment veiller à la concrétisation des projets du traité d’Aix-la-Chapelle ou des décisions du conseil des ministres franco- allemand, ainsi qu’à une transcription similaire dans les deux pays des directives européennes. Dans le domaine sensible de l’euro, les ministres des finances de nos deux pays se sont mis d’accord en février dernier pour un budget de la zone euro, de même qu’ils se sont mis d’accord sur le fonds monétaire européen. Il y a quelques jours, le ministre allemand des finances s’est déclaré ouvert à l’achèvement de l’Union bancaire avec la garantie européenne des dépôts. Dans le domaine militaire, les ministres de la défense, qui avaient signé à Meseberg une lettre d’intention commune sur le char de combat du futur et une autre sur le système de combat aérien du futur, ont franchi de nouvelles étapes pour ce dernier, de sorte que les sociétés Airbus et Dassault ont pu avancer dans la concrétisation du projet. Le grave problème survenu à la suite de l’embargo sur les armes décidée par l’Allemagne à l’encontre de l’Arabie saoudite et qui empêchait des exportations françaises dès lors qu’il y avait une composante allemande a trouvé sa solution lors du conseil des ministres franco-allemand de Toulouse du 16 octobre dernier, où un accord a été trouvé. Celui-ci prévoit que lorsqu’un armement comprend moins de 20 % de composantes issues de l’autre pays, celui-ci ne peut s’opposer à la vente de cet armement. Ce conseil des ministres a fait l’objet d’un communiqué en 10 points, sur cinq pages, auquel la presse a donné peu d’écho, malgré l’importance des sujets traités, comme la préconisation d’un « pacte vert » pour l’Europe, l’affirmation de la préférence européenne pour le lanceur Ariane 6, la poursuite des programmes d’armement pour l’avion et le char du futur, un accord sur la migration et l’asile, la mise en œuvre du traité d’Aix-la-Chapelle, dont le lancement du fonds commun pour les citoyens et du forum pour l’avenir franco-allemand. S’agissant des rapports avec la Chine, un accord est également advenu, après une assez longue période de blocage par l’Allemagne en raison de ses liens commerciaux. Lors du sommet européen de mars des chefs d’Etat et de gouvernement, une stratégie commune a pour la première fois été arrêtée à l’égard de la Chine, qualifiée à la fois de partenaire et de rival systémique. Et lors de sa visite d’Etat à Paris le 26 mars, le président Xi Jinping a eu droit à une réunion commune avec le président Macron, la chancelière Merkel et le Président de la Commission Juncker. Le message était clair : la Chine ne discute pas seulement avec la France, mais avec l’Union, la première puissance commerciale mondiale. Dans son voyage récent en Chine, Macron a été rejoint par la ministre allemande de l’éducation et de la recherche et a été accompagné non seulement de grandes entreprises françaises mais aussi d’entreprises allemandes, tandis qu’un commissaire européen, Phil Hogan, actuellement chargé de l’agriculture et qui va prendre le portefeuille du Commerce, figurait dans sa délégation. L’ambition de notre président est de ne pas se limiter aux couleurs de la France, mais de porter aussi celles de l’Europe. 

En résumé, derrière le bruit médiatique provoquées par leurs frictions, la France et l’Allemagne continuent d’approfondir leur relation et de travailler pour l’Europe. Leur couple reste fonda- mental. Il devra évidemment prendre en compte les évolutions au sein de l’Union, marquées notamment par l’affirmation du Parlement, qui développe son pouvoir et représente un forum proprement communautaire de débats démocratiques. Il devra aussi sur tel ou tel sujet s’élargir à d’autres membres de l’Union. Bref, leur couple doit être capable de s’ouvrir aux partenaires susceptibles de contribuer à la réponse à apporter à tant de défis existentiels pour l’Europe, cela tout en sachant que sa responsabilité reste décisive. Je l’en crois capable, tout comme je crois en la poursuite du projet européen et à son rôle pour la paix sur le continent et dans le monde. 

– Strasbourg, où souffle l’esprit de l’Europe, doit garder le Parlement

Et maintenant, venons-en à Strasbourg. J’ai été bouleversé lorsque j’ai lu dans la réponse de Kramp Karrenbauer à Macron qu’il était temps de mettre fin à « l’anachronisme » du siège strasbourgeois du Parlement européen et d’installer celui-ci à Bruxelles. L’an dernier, ce fut Merkel et désormais c’est sa remplaçante à la tête de la CDU qui portent le fer contre Strasbourg. Lorsque les Anglais ou les Italiens du mouvement cinq étoiles le font, cela ne me bouleverse pas, mais les Allemands, pour lesquels Strasbourg représente tant ! 

C’est autour de Strasbourg et de l’Alsace que nos deux pays se sont affrontées, que l’Europe s’est déchirée. C’est là qu’elle s’est retrouvée et que s’est incarné le « miracle de la paix » ! 

C’est à Strasbourg que s’est constituée la première assemblée européenne, le Conseil de l’Europe, qui veille spécialement au respect de la démocratie et de l’Etat de droit. La Cour européenne des droits de l’Homme, qui en est fille, « constitue, en quelque sorte, la « conscience » de l’Europe… », selon le pape François. C’est aussi à Strasbourg que les consciences du Monde, comme Nelson Mandela, sont récompensées par le prix Sakharov du Parlement, le « Nobel de la paix européen ». C’est dans cette cité que les droits humains sont inscrits au cœur même des institutions qui y siègent. 

C’est à Strasbourg que se lèvent les voix incarnant l’Europe. Les chefs d’Etat viennent y présenter, devant le Parlement de l’Union, leur vision de l’Europe. Les papes s’y expriment. L’hommage à un artisan majeur de l’Europe, Helmut Kohl, y est rendu solennellement. Le discours sur l’état de l’Union y est prononcé par le président de la Commission européenne. 

C’est à Strasbourg qu’avec le Parlement, le pouvoir législatif de l’Union s’exprime, en portant une attention particulière à tout ce qui touche aux libertés publiques. Si Bruxelles en devenait la seule capitale, la perte serait immense pour l’Europe. Ne resterait comme capitale qu’une ville de techniciens et de politiques à la recherche de compromis. Et le Parlement ne s’inscrirait plus que dans cette image, en renonçant à ce qui fait la spécificité de Strasbourg dans l’imaginaire européen. Même si un travail indispensable y est accompli et mérite d’être salué, Bruxelles ne saurait incarner le rêve d’Europe. C’est à Strasbourg qu’il s’incarne. C’est à Strasbourg que repose l’âme de l’Europe. Elle en est la capitale spirituelle, où souffle l’esprit. Qui aime l’Europe, aime Strasbourg ! Ce sont les pragmatiques, pour ne pas dire les boutiquiers, n’ayant qu’une vision technocratique, matérialiste, marchande de l’Europe, qui luttent contre la place de Strasbourg en son cœur vibrant. 

– Pour un nouveau serment de Strasbourg

En 1989, j’ai fait une proposition au président Mitterrand, dont je fus le collaborateur – la note que je lui ai faite figure en annexe de mon livre « Un Alsacien préfet en Alsace- : la signature d’un nouveau serment de Strasbourg par les présidents des Républiques française et allemande, les lointains successeurs de Charles le Chauve et Louis le germanique, les petits fils de Charlemagne, qui avaient prononcé en 842 les serments de Strasbourg. Ce nouveau serment prendrait la forme d’un traité conclu sur le Rhin. Il proposerait à l’Union une terre, située des deux côtés du fleuve, qui recevrait un statut européen. Dans un second traité, l’Union accepterait ce don et déciderait de construire sur cette terre un « palais de l’Europe », un véritable palais susceptible d’éveiller le rêve des peuples. Celui-ci serait composé de bâtiments édifiés sur les deux rives et réunis par un pont, le pont du miracle de la paix. Les plus grands artistes du continent, architectes, sculpteurs, peintres, décorateurs, seraient sollicités. Ce palais autoriserait l’émergence d’un cérémonial de l’Europe nouvelle. Il hébergerait un vaste musée de la construction européenne et, au-delà, de la civilisation du continent, reflétant tant son unité que sa diversité. Il pourrait aussi accueillir une université européenne, des centres de recherche, un théâtre multinational, un opéra… Son enjambement du Rhin ancrerait charnellement l’Allemagne dans l’aventure européenne de Strasbourg. 

J’ai également soumis cette idée aux présidents Sarkozy, Hollande et Macron, en leur suggérant de renouveler le traité de l’Elysée par un nouveau serment de Strasbourg. Finalement, c’est le traité d’Aix-la-Chapelle, qui a complété le traité de l’Elysée. Pour autant, l’idée du serment de Strasbourg garde sa valeur. J’ai pu la présenter, l’an dernier, lors d’une conférence à Strasbourg et dans des articles parus dans la presse nationale et régionale. Je sais que l’on peut m’objecter qu’il s’agit d’un rêve et que les Européens attendent aujourd’hui des réponses concrètes aux défis posés. C’est vrai, comme il est vrai que, ainsi que l’a dit Macron dans son discours de la Sorbonne, « L’Europe aussi est une idée… L’Europe ne vivra que par l’idée… » 

Voilà ! Si vous aimez l’Europe, n’oubliez pas de soutenir Strasbourg ! 

(Notes)

1 „Emmanuel Macron gilt nun als Retter Europa. Doch in Frankreich ist er von vielen Menschen verhasst, nicht nur unter den Rechten. Was haben wir von ihm zu erwarten?“

2 „Emmanuel Macron rettet Europa…und Deutschland soll zahlen“ 

„Wir wollen transatlantisch bleiben und europäischer werden“, p. 144 du Koalitionsvertrag

4 « …Deutschland muss jetzt endlich die ausgestreckte Hand des französischen Präsidenten für eine Reform Europas ergreifen und die  Vorschläge Emmanuel Macrons aufgreifen.“, DPA, cahier en allemand des DNA du dimanche 11 novembre 2018.

5 –Le Monde, jeudi 14 mars 2019. 

 

+ de 1000 textes des conférences du CDI sont disponibles sur le site du CDI de Garches  et via le QRCode   

Répondre

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués *

You may use these HTML tags and attributes: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.