L’AVENIR MONDIAL DE LA PRODUCTION D’ELECTRICITE MAREE MOTRICE

Thème : ECONOMIE – SOCIETE                                                                                                                                                  Mardi 6 Novembre 2007

L’avenir mondial de la production d’électricité marée motrice

Par François Lemperière – Ingénieur

A l’heure actuelle, la population mondiale, qui compte 6 milliards d’habitants, consomme 15000 terawattheures par an, soit 2 500 kWh par habitant. La production d’électricité provient pour 10 000 tWh/an des centrales au fuel, gaz ou charbon, pour 3 000 tWh/an des barrages hydrauliques (20% de la production), pour 2 000 tWh/an des centrales nucléaires et de 150 tWh/an de l’éolien (1% de la production). La France consomme 6 000 kWh/an par habitant, soit plus du double que la consommation moyenne. Mais, sa production électrique est à 80% d’origine nucléaire et à 15% hydraulique.

Le prix de revient mondial de la production d’électricité est, en moyenne, de l’ordre de 0,05 euros le kilowattheure. Le poids de l’électricité dans la richesse mondiale est de l’ordre de 2%, ce qui laisse une marge de manœuvre sur le prix de l’électricité.

L’électricité en 2050

En 2050, la population mondiale avoisinera les 9 à 10 milliards d’habitants. La production et la consommation mondiale d’électricité auront certainement doublé (10 milliards d’habitants x 3 000 kWh/an). Le coût sera probablement peu différent, en euros constants, du coût actuel mais les investissement nécessaires pour produire l’électricité pour 10 milliards d’humains sont énormes, de l’ordre de 500 milliards d’euros par an.

Pour fournir 30 000 tWh/an, on pense que le charbon (avec éventuellement captation de CO2) peut remplacer le fuel et le gaz au prix de 0,05 euros le kWh Le nucléaire de 3e ou 4e génération pourra aussi produire de l’électricité à un coût avoisinant les 5 centimes d’euros.

Il y aura de la place pour beaucoup d’énergies renouvelables, avec des investissements dépassant les 100 milliards d’euros par an, à deux conditions :

 – le prix du courant correspondant, à qualités égales, ne doit pas être beaucoup plus cher que 0,05 euros, peut-être deux fois plus cher, mais certainement pas cinq à dix fois.

 – l’impact doit être globalement favorable, ou au moins acceptable.

D’ici 2050, la production hydraulique – l’énergie renouvelable la plus importante – va probablement doubler, tout en continuant de représenter une part de 20%, mais avec moins de stockage par des grands lacs et davantage de barrages de faible hauteur, en cascade, comme sur le Rhône ou le Rhin. Les barrages ont le triple avantage d’être renouvelables, souples (on peut adapter la production aux besoins)  et durables. Pourtant, l’électricité hydraulique a eu très mauvaise presse pendant quelques années et on ne lui voyait plus d’avenir. Avec les hausses du pétrole et du gaz, il apparaît que cette production est à nouveau compétitive. Mais les conséquences de ces campagnes anti-barrages ont fait qu’on ne construit plus de barrages dans les pays développés, ce qui n’est pas si grave puisque les possibilités sont presque épuisées. Les pays émergents (Chine, Inde, Turquie, Vietnam…), dont la capacité hydroélectrique est considérable et qui multiplient les projets, considèrent les campagnes anti-barrages comme des campagnes contre leur développement.

Le potentiel énergétique en mer

Il est possible d’utiliser l’énergie marine pour produire de l’électricité, mais les possibilités économiques sont assez variables. Le potentiel des vagues est énorme mais le coût et l’irrégularité paraissent prohibitifs en dehors de quelques pays à fortes vagues régulières (Afrique du sud, Australie, Chili ou l’Ecosse). Utiliser l’énergie des courants marins présente un coût acceptable mais le potentiel total est assez faible.

La possibilité la plus réaliste provient des usines marémotrices, dont le potentiel est proportionnel à la surface et au carré de l’amplitude même des marées. Dans la pratique, il faut une amplitude de marée supérieure à quatre mètres. Près de 500 000 km2 des mers et océans ont une amplitude de cinq à six mètres, soit un potentiel théorique de 30 000 tWh/an (le double de la consommation mondiale actuelle). Développer 5% de ce potentiel théorique paraît être une hypothèse raisonnable si le coût est acceptable, ce qui permettrait de produire 1 500 tWh/an soit la moitié de tous les barrages fluviaux actuels. Une des solutions les plus logiques pour utiliser la marée consiste à créer un grand bassin et à turbiner dans les deux sens (remplissage, vidage) avec un décalage de trois heures par rapport à la marée. Il faut des groupes turbines capables de vider et remplir tout en étant capables de pomper. C’est une technique délicate et très coûteuse, mais nous avons l’exemple remarquable du barrage de la Rance qui fonctionne de cette façon, et dont le fonctionnement peut encore être amélioré.

En outre, il semble qu’en mer les possibilités de stockage d’énergie soient supérieures à ce qu’elles sont sur terre. Avec des bassins suffisamment grands et profonds (10 à 25 m de profondeur), les turbopompes opérant entre mer et bassin permettraient de stocker 0,6 gWh/km2. Sur ces bassins, on peut installer des éoliennes produisant de 20 à 30 gWh/km2. Les usines marémotrices, couplées à des éoliennes marines, pourront produire 20% de l’électricité actuelle (10% en 2050). Grâce à sa capacité de stockage, il sera plus facile de prévoir la production sur une année entière. Un autre mode d’exploitation permettant de produire et stocker de l’énergie consiste à associer  un bassin très bas (dans la mer) et un autre très haut, dans une zone de falaises. On peut produire le courant de manière continue ou choisir de  l’adapter précisément aux besoins.

Le coût de construction de digues en mer est élevé, de l’ordre de 50 millions d’euros du kilomètre. Pour être rentable, il faut qu’un kilomètre de digue abrite plus de 3 à 5 km2 de bassin car un kilomètre carré de bassin produit 50 gWh/an. Il existe de nombreuses possibilités de par le monde mais cela nécessite un investissement important, de l’ordre de 5 à 10 milliards d’euros pour un site.

Les impacts

L’impact visuel  est faible car les digues sont placées à une dizaine de kilomètres des côtes. Contrairement à la plupart des barrages fluviaux, elles n’entraînent aucun mouvement de population. Ces bassins ayant un impact sur le rythme et le niveau des marées permettront d’atténuer considérablement l’effet de tempêtes ou de mers exceptionnelles. Les possibilités d’aquaculture dans les bassins y sont considérables car les coquillages pourront s’y développer. Le trafic portuaire sera maintenu, et même amélioré, car il sera possible d’utiliser les bassins pour le commerce et la plaisance, d’où un développement touristique sur les sites concernés. Reste à savoir s’il n’y a pas de rejet philosophique de principe d’une part de la population qui ne veut pas que l’on touche à la mer.

On peut espérer un coût au kilowattheure correct, aux alentours de 1,5 à deux fois le prix du kilowattheure. D’autant que la réalisation annuelle, à l’échelle mondiale, de grandes turbines identiques permettra de réduire les coûts de fabrication de ces usines marémotrices. Le surcoût par rapport au charbon peut toutefois être justifié par la souplesse de la fourniture, sa qualité d’énergie renouvelable et les nombreuses possibilités d’aménagement du territoire.

Les possibilités mondiales et françaises

Beaucoup de pays commencent à étudier le potentiel des usines marémotrices et des éoliennes en pleine mer. Actuellement, des études sont menées en Chine, en Inde,  au Canada… Environ un tiers du potentiel mondial se trouve à proximité des consommateurs. En France, Grande-Bretagne, Inde, Corée, Brésil, Chili, Russie et Canada, il serait possible d’utiliser ce courant dans le réseau existant et d’en améliorer la souplesse d’exploitation. Deux tiers du potentiel mondial se trouvent en revanche éloignés des consommateurs (Argentine, Sibérie, Australie…) mais les potentiels unitaires y sont tellement énormes, avec plus de 100 tWh/an, que ce peut être l’occasion de créer des pôles énergétiques importants, avec de la production d’hydrogène, et la construction de nouvelles facilités portuaires.

En France, qui compte10% du potentiel mondial, l’idéal serait de construire de grands bassins entre Brest et Boulogne. L’énergie marémotrice et éolienne potentielle y avoisine les 3 000 tWh/an, soit sept fois la consommation électrique nationale actuelle. Techniquement, il serait possible d’en produire 300 mais, compte tenu des problèmes d’environnement, on peut espérer produire un maximum de 100 tWh/an (soit deux fois la production actuelle de barrages).

De telles installations pourraient être acceptées si l’énergie est produite à un coût acceptable, si l’impact sur l’environnement est positif, et si cela apporte en terme d’aménagement du territoire. Deux grands sites sont possibles : entre la Bretagne et le Cotentin (où l’amplitude de marée est de sept mètres, mais où l’espace maritime est partagé avec les îles anglo-normandes), et entre Cherbourg et Boulogne.

Les aléas techniques n’existent pas. Nous avons la connaissance et les capacités techniques pour construire des usines marémotrices couplées avec des éoliennes aux larges des côtes. En matière de turbines, l’exemple réussi de la Rance nous permet d’envisager cette solution sans inquiétude, de même que nous savons construire des brise lames pour protéger les bassins des vagues. Le problème n’est donc pas technique, c’est un problème économique. Il faut que l’énergie produite le soit à un prix correct.

En savoir plus …

Coté Web :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Usine_mar%C3%A9motrice_de_la_Rance

http://science-energie.chez-alice.fr/energie/maree.htm

http://www.clubdesargonautes.org/energie/potentiels.htm

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