A PROPOS DE LA LIBERATION D’INGRID BETANCOURT

Thème : ECONOMIE – SOCIÉTÉ                                                                                                                                                        Mardi 31 Mars 2009

A propos de la libération d’Ingrid Betancourt

Par André Bossard – Contrôleur général honoraire de la police nationale – Ancien secrétaire général d’Interpol

Par son ampleur, l’affaire Ingrid Betancourt – son enlèvement, sa captivité puis sa libération – nous interpelle parce qu’elle soulève des questions fondamentales sur le terrorisme, la lutte contre le terrorisme, sur les prises d’otage, la compassion, le rôle des interventions internationales, sur la foi, sur les médias… autant de choses qui caractérisent notre époque, cruelle et sentimentale.

Le décor et les personnages de cette tragédie

Débutons par un résumé schématique de cette affaire qui a duré longtemps, plus de six ans, et qui peut s’apparenter à une pièce de théâtre.

Situons tout d’abord le décor. Le théâtre, c’est la Colombie, un pays où l’Amérique du sud s’arrime à l’Amérique Centrale, qui possède deux façades maritimes, Pacifique et Atlantique, où la cordillère des Andes culmine à plus de 5 000 mètres et dont une partie du territoire se trouve dans la forêt amazonienne. Ce pays grand comme deux fois la France exportait traditionnellement du café et des fleurs mais, suite à la chute du cours de ces matières, a vu exploser sur son sol le développement de la coca et, parallèlement, du trafic de cocaïne, contrôlé par des cartels locaux, ceux de Cali et Medellin notamment. De plus, depuis l’époque du Che et de Fidel Castro, subsistent des guérillas en lutte contre le gouvernement central.

Comme dans toute tragédie, il faut des personnages. Commençons par l’héroïne, Ingrid Betancourt. C’est un personnage politique, qui a baigné dedans depuis son plus âge (une mère députée, un père diplomate), qui a étudié à Sciences Pô Paris. Elle a été députée, sénatrice et est candidate à la présidentielle au moment de son enlèvement. Elle est aussi un personnage médiatique, connue dans le monde suite à son ouvrage La rage au cœur dont elle a fait la promotion dans les médias occidentaux. Ingrid Betancourt détient également la double nationalité colombienne et française, suite à son premier mariage avec un Français et dont les deux enfants vivent en France. De par son passé familial et ses études en France, elle entretient un certain nombre d’amitiés politiques au plus haut niveau, comme celle avec Dominique de Villepin, ancien Premier ministre de la France.

Les méchants, ce sont les FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie). Ce mouvement marxiste révolutionnaire, fondé dans les années 1950 par Manuel Marulanda, se maintient vaille que vaille. Au départ, il s’agissait surtout de paysans dirigés par des cadres marxistes. Aujourd’hui, ce mouvement subvient à ses besoins par les enlèvements et le trafic de drogue. Les FARC contrôlent certaines zones de la forêt amazonienne difficilement pénétrables et ont des relations internationales avec certains pays voisins, idéologiquement proches : le Venezuela d’Hugo Chavez et l’Equateur qui sert de base arrière. Des intermédiaires en Europe leur servent de relais pour négocier les rançons des otages.

Les gentils, ce sont les alliés, à savoir la famille (sa mère, ses deux enfants, son ex-mari et père des enfants, son époux) et les soutiens en France (politiques et artistiques, comités de soutien divers…). Quant au roi dans cette tragédie, c’est le président colombien Alvaro Uribe, sa police, son armée et ses services secrets. Le chœur de cette tragédie – qui s’apparente parfois plutôt à un opéra-bouffe d’Offenbach qu’au Soulier de Satin de Paul Claudel – est l’opinion publique et la bulle médiatique qui tantôt va enfler, désenfler ou accompagner l’action.

Une action en trois actes

L’action se déroule en trois actes.

Acte 1 : l’enlèvement. Le 23 février 2002, Ingrid Betancourt est en campagne électorale. Elle circule dans un 4×4 avec Clara Rojas, son assistante parlementaire, un photographe, un caméraman et un chauffeur dans une zone contrôlée par les FARC. Des guérilleros interceptent le véhicule, font descendre tout le monde, et emmènent avec eux les deux femmes. Dès lors, elles seront prisonnières dans la jungle. Une captivité qui va s’éterniser…

Acte 2 : l’attente. Ingrid Betancourt restera près de six ans et demi prisonnière des FARC. Pour le gouvernement colombien, la solution privilégiée est l’intervention policière ou militaire. Uribe avait été élu sur son programme de fermeté vis-à-vis des FARC et il n’était pas question pour lui de négocier. A l’inverse, la famille et les alliés ont toujours plaidé pour une solution négociée qui ne mette pas en danger la vie des otages.

Les FARC, elles, ont toujours formulé des exigences sur lesquelles elles ne sont jamais revenues. La principale d’entre elles était de se voir attribuer un zone démilitarisée, sur une superficie de 115 000 kilomètres carré, soit le dixième du territoire national, une surface grande comme deux fois la Suisse. Mais quel gouvernement au monde accepterait de laisser le dixième de son territoire sans force de police, la laissant de fait aux mains d’une force terroriste qui, elle, serait armée ? Aucun ! Ce serait pire qu’un Etat dans l’Etat car une telle zone servirait de facto à être un centre révolutionnaire armé.

Ces six années d’emprisonnement ont été jalonnées d’opérations de libération ratées, d’expéditions plus ou moins médiatisées pour montrer à l’opinion qu’on ne restait pas inactif, ou de contacts entre chefs d’Etat pour tenter d’amorcer un dialogue avec les ravisseurs… A l’automne 2007, Hugo Chavez annonçait avoir obtenu des FARC la libération des otages politiques. Quelques libérations ont effectivement eu lieu, dont celle de Clara Rojas (mais pas de l’enfant qu’elle avait eu dans la jungle, confié par les FARC à un dispensaire. Et pour cause : il en avait été exfiltré en secret par les services sociaux), mais l’expédition menée avec les caméras du cinéaste Oliver Stone fut un fiasco et il n’y avait toujours pas d’accord concernant Ingrid Betancourt dont on disait qu’elle était très malade…

Acte 3 : la libération. Le 2 juillet 2008, la nouvelle fait le tour du monde : « Ingrid Betancourt est libérée ». Les premières images la montrent en treillis militaire descendant d’un hélicoptère, un chapelet à la main. Elle vient d’être sauvée par un coup de bluff extraordinaire de l’armée colombienne qui a réussi à libérer plusieurs otages sans qu’un seul coup de feu soit tiré.

Le premier événement qui a mené à cette réussite est la mort par cancer du chef historique des FARC, Manuel Marulanda. Quelques semaines plus tard, son successeur Raoul Reyes est abattu dans une opération héliportée menée par l’armée colombienne contre son camp de base (qui est situé en territoire équatorien, ce qui ne manquera pas de provoquer des tensions diplomatiques), désorganisant la hiérarchie des FARC. A cette occasion, les militaires ont pu saisir ordinateurs, disques durs et clés USB de l’organisation. En 2006, ils avaient déjà intercepté un appel satellitaire provenant de leur pays vers une firme basée à Miami spécialisée dans l’équipement informatique. Cet appel provenait d’une taupe des FARC. Le FBI a placé un de ses agents dans cette entreprise et réussi à cacher des puces électroniques dans le matériel informatique destiné aux FARC. Cette astuce a permis de les localiser, de les écouter et de repérer les endroits où se trouvaient les otages. Il a donc été décidé de procéder à une opération de désinformation électronique pour tromper les geôliers.

Les services secrets ont engagé une correspondance avec les geôliers, persuadés d’être en contact avec leurs chefs, situés ailleurs dans la forêt. Ce faisant, ils leur ont fait croire que le gouvernement avait cédé sur la zone démilitarisée et qu’il fallait rassembler les otages pour qu’ils soient remis par des humanitaires à Hugo Chavez. Le commando avait été briefé pour que chacun connaisse parfaitement son rôle de personnel humanitaire. L’hélicoptère avait été maquillé pour ressembler à ceux des opérations précédentes. Et, quand les otages sont montés dedans avec leurs ravisseurs, ces derniers ont immédiatement été neutralisés par le commando. Le succès était total. C’était à la fois le triomphe de la préparation et de chance. La moindre erreur, et tout aurait fini en catastrophe.

Quelles leçons tirer de cette histoire ?

L’affaire Ingrid Betancourt est la conjonction de deux faits qui sortent de l’ordinaire, à savoir une guérilla très particulière et un otage en or massif. Né dans les années 50, le mouvement des FARC est devenu, au fil du temps, une « guérilla dégénérée ». Ce terme désigne les mouvements politiques dont la survie en tant que groupe est devenue, au fil du temps, au moins aussi importante que l’objectif politique initial. Dès lors, tous les moyens sont bons pour continuer à exister, quitte à entretenir des relations étroites avec le crime organisé. Les FARC sont devenus des industriels de l’enlèvement (avec un véritable cours des enlèvements : 100 000 à 200 000 $ pour un Colombien, au-delà pour un étranger) et des trafiquants de drogue, tout en rançonnant les petits producteurs de coca. En 2002, on estime que les revenus de la drogue ont rapporté 400 millions de dollars aux FARC.

En face, Ingrid Betancourt est une otage en or massif. Elle est belle, elle est une personnalité politique et médiatique et, cerise sur le gâteau, elle est colombienne et française. Les ravisseurs sont assurés que son sort va inquiéter bien au-delà des frontières de leur pays et que des interventions auront lieu pour hâter sa libération. Il ne faut surtout pas gâcher une si belle occasion en la libérant ou en l’échangeant. Il faut au contraire faire monter la sauce, exiger toujours davantage, faire mine de jouer le jeu en libérant quelques otages… Bref, on profite de l’occasion. Toute pression de l’extérieur, tout acte de solidarité est la bienvenue car elle renforce la position des ravisseurs. Faut-il pour autant écarter la compassion ? Au fond, quelle aura été l’utilité des comités de soutien, des interventions, des manifestations diverses, des manœuvres politiques ? Ces comités de soutien ont été très utiles. Ils ont constamment rappelé à l’opinion publique le sort de ces personnes kidnappées pour qu’elles ne sombrent pas dans l’oubli.

Maintenant qu’Ingrid Betancourt est libre, quelle suite envisager ? Peut-on penser qu’un jour les FARC baissent les armes, abandonnent la lutte armée pour intégrer le jeu démocratique classique, comme cela s’est produit en Irlande ? Une telle démarche implique une maturité politique considérable des guérilleros or, dans tous ces mouvements, il existe un noyau d’irréductibles qui refuse toute paix. On vient de le voir en Irlande, pourtant pays européen développé et démocratique, des extrémistes viennent de refaire parler d’eux. Pour les FARC, il sera encore plus difficile de sortir de la condition de hors-la-loi car l’environnement ne l’encourage pas (cartels de drogue, groupes paramilitaires, misère endémique…).

Plusieurs mois après sa libération, Ingrid Betancourt subit actuellement un retour de balancier médiatique. Après avoir été présentée comme une sainte, elle vient d’être dépeinte dans un livre comme une égoïste au caractère difficile par trois de ses anciens compagnons d’infortune. On ne peut s’empêcher de penser aux citations de Pascal (« l’homme n’est ni ange ni bête mais le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête ») et de Racine (« j’ose pourtant dire que je n’ai mérité ni cet excès d’honneur ni cette indignité »). Six ans de captivité, cela ne mérite probablement pas l’auréole, mais cela mérite bien un coup de chapeau.

En savoir plus …

Coté Livres :

Ingrid Betancourt : Histoire de coeur ou raison d’état ?

Auteur : Jacques Thomet

Editeur : Hugo&Cie

ISBN : 2755600721

http://www.evene.fr/livres/livre/jacques-thomet-ingrid-betancourt-histoire-de-coeur-ou-raison-d-e-18194.php

Coté Web :

http://www.interpol.int/Public/ICPO/PressReleases/PR2002/PR200218fr.asp

http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%8Dngrid_Betancourt

http://www.dailymotion.com/video/x5zxgw_ingrid-betancourt-retrouve-sa-mere_news

http://www.lepoint.fr/actualites-societe/2009-04-17/polemique-ingrid-betancourt-ange-ou-demon/920/0/335902

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