VENISE REINE DE LA MER: LA SPLENDEUR PUBLIQUE ET LES TRÉSORS CACHÉS DE LA RÉPUBLIQUE SÉRÉNISSIME

Thèmes: Arts, Histoire, Peinture                                                                                                                                   Mardi 12 Avril 2016

VENISE REINE DE LA MER: LA SPLENDEUR PUBLIQUE ET LES TRÉSORS CACHÉS DE LA RÉPUBLIQUE SÉRÉNISSIME

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par Madame Anna BIGAI, agrégée en littératures étrangères de l’Université de Ca Foscari de Venise et guide conférencière de la ville de Venise.

INTRODUCTION

La France et Venise ont toujours eu des liens culturels et diplomatiques privilégiés. C’est ainsi que le Maréchal Villehardouin se verra confier le rôle de négociateur avec Venise afin d’organiser la quatrième croisade de 1202 à 1204 et qui marquera l’apologie de la petite cité­ Etat. Par la suite Villehardouin a décrit parfaitement ces événements dans des chroniques. Cette quatrième croisade est née en France avec le Roi Philippe Auguste et l’approbation du Pape. Venise s’engageait à fournir la nourriture, les bateaux, les armes… pour les Croisés. En 1202 les Vénitiens avaient déjà construit 50 vaisseaux mais quand les Croisés arrivent il s’avère qu’il n’y avait pas d’argent pour les payer. Cependant, le Doge décide de maintenir la croisade mais au lieu d’aller à Jérusalem, les Vénitiens exigent d’aller en Dalmatie pour reconquérir des points stratégiques qui étaient d’un grand intérêt économique pour eux. Ensuite, il est prévu de se rendre à Constantinople lieu concurrent pour le commerce vénitien. La prise de Constantinople permet à Venise d’obtenir un des butins les plus riche de l’Histoire. Il est également remarquable de voir qu’une petite République avait eu la force de conquérir la capitale d’un empire. Après cette quatrième croisade, Venise se retrouve avec de nombreux territoires clés notamment plusieurs îles grecques, la Crête et une partie de la ville de Constantinople. Ces positions assurent à Venise le contrôle commercial de toute la Méditerranée orientale.

I – Les trésors cachés de Venise avant la Renaissance.

La mosaïque de la basilique Saint­ Marc est un véritable document historique. En effet, on peut y voir les colonnes et les chapiteaux pris comme butin de guerre à Constantinople. La basilique a été faite pour épater les étrangers et montrer la grandeur de Venise aux habitants. Pour le Doge il était important que le peuple vénitien s’implique dans la cité et bien qu’il y ait d’énormes différences sociales, tous les Vénitiens devaient se sentir fiers de leur cité. Il est intéressant de noter que durant onze siècles d’indépendance, Venise n’a jamais connu de révolte.

De nombreux monuments étaient réservés à l’aristocratie mais au cours de fêtes particulières ou de grandes cérémonies, les gens modestes pouvaient accéder à certains trésors. Ainsi la chapelle du palais des Doges qui était privée était ouverte lors de l’élection d’un nouveau Doge et tous pouvaient admirer le retable en or et pierres précieuses. On peut également y admirer un tableau de Bellini peint en 1495 représentant la place Saint­ Marc lors de festivités. Ici encore l’oeuvre d’art est un document historique. La façade de la basilique en deux étages symbolise le triomphe de Venise sur Constantinople. La décoration somptueuse par l’abondance des colonnes antiques de marbre, porphyre, jaspe, serpentine et albâtre impressionne. La galerie à l’étage est dominée par le quadrige antique des quatre chevaux de Saint­ Marc qui avaient été eux aussi ramenés de Constantinople. Actuellement les chevaux exposés à l’extérieur sont des copies, les originaux étant à l’abri dans le musée San Marco.

Le palais des Doges est une expression de la puissance de Venise. Soucieux de toujours impressionner habitants et visiteurs le palais des Doges s’agrandit entre 1300 et 1400. Par ailleurs, la richesse des grandes familles vénitiennes est telle que l’on construit de nombreux palais et on finance des églises. La splendeur est publique mais aussi privée. Par exemple, la famille Contarini possédait dix­ huit palais, l’un d’eux est le Ca’ d’Oro (maison d’or) qui de nos jours est un musée. La Ca’ d’Oro est un bon exemple du style qui marque le passage du Gothique à la Renaissance. A l’époque c’est un palais typiquement vénitien, le rez-­de-chaussée servant d’entrepôt de marchandises car il ne faut pas oublier que toutes ces familles sont de riches marchands. Ces illustres familles faisaient appel à de grands artistes pour décorer leurs palais. Ainsi le puits de la Ca’ d’Oro a été réalisé par le même artiste qui avait fait la porte du palais des Doges. Les trésors vénitiens sont si nombreux qu’ils ne sont pas toujours en évidence.

II – Les grandes collections

Les collections d’art ont commencé à Venise. La famille Grimani possédait une impressionnante collection d’art dont des statues grecques, plus prisées que les statues romaines car beaucoup moins nombreuses.

C’est le cardinal Domenico Grimani (1461-­1523), qui était à Rome de par sa fonction, qui a commencé la collection. Un des objet les plus précieux de la collection est le bréviaire Grimani qui avait été acheté 500 ducats d’or, une véritable fortune à l’époque. C’est un des plus beau livre de son époque. A la mort du cardinal, la ville de Venise hérite de la collection mais la famille conteste la légation en avançant le fait que le document avait été rédigé à Rome et ne s’appliquait donc pas au droit de Venise. La famille Grimani récupère donc une partie de la collection. Un neveu du cardinal poursuit l’élargissement de la collection. Une des salles du palais est inspirée des salles des palais romains, influence du cardinal qui avait passé sa vie dans la ville éternelle. La collection Grimani est immense, elle se compose entre autre de plusieurs statues et de tableaux notamment de Bosch. Finalement toute la collection sera donnée à la ville de Venise à condition qu’elle soit exposée dans un lieu public. Le choix se portera sur le vestibule de la bibliothèque publique.

Autre grande collection celle de la famille Vendramin. Elle comporte entre autre un tableau de la famille peint par Titien où apparaît Andrea Vendramin, Doge de 1476 à 1478, ses enfants et son frère Gabriele, le mécène et collectionneur de la famille. La collection se compose notamment de dessins de Raphaël, Bellini ou Mantegna ainsi que de statues antiques et de pièces de monnaies anciennes.

III – Les « grandi scuoli » et les églises.

Au début du XVèm siècle se créent des confréries laïques fondées par de riches bourgeois et dont le rôle était de venir en aide aux pauvres car c’étaient les riches marchands qui finançaient les projets humanitaires: hôpitaux, écoles… Mêmes les étrangers avaient le droit d’ouvrir ce genre de confréries mais elles restent des écoles mineures. L’accès des écoles était réservé à ses membres pourtant certaines grandes écoles regorgent de véritables trésors. L’école la plus célèbre est la scuola grande de San Rocco dont le rôle était de lutter contre les épidémies de peste. La scuola de San Rocco a été décorée en grande partie par Tintoretto qui y travailla vingt quatre ans. San Rocco est quasiment un musée du Tintoretto dont la collection d’œuvres sur le thème de la vie, la Passion et la mort de Jésus est impressionnante. On y trouve aussi des œuvres d’autres artistes dont « Abraham et l’ange » de Tiepolo. Une autre grande école est celle de San Marco où le plafond des salles et les fresques ont été peintes par Bellini et Tintoretto entre autres. 

Napoléon fit fermer ces écoles car il craignait que ces confréries ne complotent contre lui.

Les églises cachent aussi des trésors d’art comme c’est le cas de la basilique dei Frari fondée par les Franciscains. L’extérieur reste relativement pauvre bien que le portail ait été réalisé par Bartolomeo Bon.

Cependant, les trésors se trouvent à l’intérieur avec essentiellement deux œuvres de Titien « L’assomption de la Vierge » et « La Madonne di ca’ Pesaro » où apparaît le commanditaire Jacopo Pesaro qui ainsi cherche à montrer le lien entre l’aristocratie vénitienne et Dieu précédant la monarchie de droit divin. On trouve aussi « La Vierge et l’enfant Jésus avec les saints Nicolas, Pierre, Marc et Benoît de Bellini. Il est intéressant de souligner que cette église était ouverte à tous ce qui était rare à l’époque. C’était important car à cette même époque éclate la Réforme qui remet en cause l’élitisme de l’Eglise en général. Autre trésor caché « Les noces de Cana » peint par Veronese et qui est à l’église Saint­ Georges fondée par les Bénédictins, membres de l’aristocratie et qui était donc fermée au public. Le tableau montre Jésus et sa mère mais tout autour on trouve la beauté et la richesse de la vie vénitienne comme savait le peindre si bien Veronese. Cependant cette richesse était réservée aux frères.

Après la découverte de l’Amérique, Venise connaîtra au cours du XVIèm siècle une irrévocable décadence, la Méditerranée n’étant plus le centre du commerce maritime. Cependant, à Venise la splendeur bien que locale et non plus internationale est toujours présente et la ca’ Rezzonico en est le symbole. Ce palais est le seul palais de Venise qui a une salle de bal à proprement parler. Cette salle est d’une hauteur double et les murs sont décorés en trompe l’oeil par Pietro Visconti. Parmi les autres splendeurs du palais on peut citer le magnifique lustre ou les plafonds et fresques peints par Tiepolo. Autre trésor, le service de 144 pièces commandé à la manufacture de Sèvres par Alfredo Querini ambassadeur de Venise en France. Il rapporte ce service avant d’être rappelé en 1797 avec la signature des accords avec Napoléon.

CONCLUSION

Comme nous avons vu les trésors cachés de Venise sont très nombreux aussi bien durant son apogée que durant sa décadence. Mais la splendeur vénitienne est aussi diplomatique. Ainsi en 1177 lorsque le Pape se réfugie à Venise suite aux menaces de Frederich Barberousse, le Doge organise une rencontre entre l’Empereur et le Pape qui finissent par trouver un accord. Autre exemple lors de l’annexion de l’île de Chypre en 1489 c’est par la négociation et non les armes que le Conseil des Dix obtient l’abdication de la reine Catherine en faveur de la Sérénissime qui gouvernera l’île jusqu’à la prise par les Ottomans en 1571.

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