TRENTE ANS DANS LE PARC DE SCEAUX

 

Thèmes: Arts, Histoire                                                   Conférence du mardi 3 novembre 1992

 TRENTE ANS DANS LE PARC DE SCEAUX

 

 

 

Mardi 3 novembre 1992, Georges Poisson, inspecteur général des Affaires Culturelles des Hauts-de-Seine, nous raconte les passions, les drames, les sourires, les rencontres et les anecdotes de sa vie de conservateur du musée de Sceaux.

 

 

 

Aujourd’hui, je suis venu vous voir en voisin depuis l’Hôtel du Département, et vous raconter les souvenirs que j’ai gardés des nombreuses années passées dans le domaine de Sceaux.

Je suis arrivé à Sceaux, un jour de décembre. Le domaine était dans un état déplorable. Le château avait été occupé successivement par les Français, les Allemands, les Américains. Ces derniers étaient rentrés en jeep dans les salles, avaient cassé les glaces à coups de revolver.

Il a donc fallu se lancer dans de gros travaux de restauration aussi bien au château qu’à l’Orangerie. L’Orangerie est un grand bâtiment de Mansard que les Allemands avaient transformé en dépôt de cartes d’État-Major. Ils l’avaient rempli de casiers que nous avons détruits.

Nous avons également restauré le Pavillon de l’Aurore, le plus célèbre monument de Sceaux. Nous avons eu la chance de retrouver dans une vente, les plafonds originaux des ailes du Pavillon qu’un propriétaire du XIXème siècle avait enlevés pour les remplacer par des « barbouillages » de sa composition.

Le Pavillon de I’Aurore

Il fallait donner au musée de l’Île-de-France, non seulement une signification, mais encore un contenu. Juste avant la guerre, le Département de la Seine avait acheté le Parc de Sceaux. À l’initiative du maire de Châtenay-Malabry, il a été décidé d’en faire un musée historique régional.

Un aspect romantique du parc de Seaux

Les donations –

Nous avons pu enrichir les collections qui étaient alors modestes grâce aux achats et aux dons.

Pendant plusieurs années, j’ai été le voisin, sans le savoir, du peintre Fautrier. Un jour, désirant le connaître, je lui écrivis. Il m’invita et dès lors je le vis souvent. Il vivait avec Jacqueline, la fille d’un haut fonctionnaire de la Préfecture de Paris, et désirant l’épouser, il me proposa d’être le témoin de son mariage. Il était déjà très malade et voulait se marier chez lui.

Malheureusement, le jour même du mariage, il était dans le coma. Je suis arrivé dans cette maison dont l’atmosphère était étonnante. La seule personne qui avait du chagrin était Jacqueline. Elle vit s’abattre sur elle une nuée d’huissiers, de notaires, d’hommes de loi, les enfants du premier lit, du second lit. Elle a été obligée immédiatement de se battre.

Nous avons vu arriver trois anciennes petites amies de Fautrier, au coude à coude, qui voulaient prendre tout en charge. Elles se sont installées dans la maison, ont convoqué l’entrepreneur des pompes funèbres, lui ont commandé un enterrement « du feu de Dieu », avec des plumes, des cierges etc, à tel point que le malheureux croque-mort s’est précipité chez le notaire pour savoir qui paiera l’enterrement. Le notaire, très sagement a fait retrancher un certain nombre de plumes et de cierges. Le jour de l’enterrement tous les amis de Fautrier étaient présents.

Pendant le repas qui suivit l’enterrement, un petit commissionnaire est arrivé avec un gros paquet sous le bras: « J’apporte les faire-parts de mariage » dit-il.

Dunoyer de Segonzac a fait bénéficier notre musée de sa générosité. Pendant de longues années, je lui disais mon désir d’acquérir pour le musée l’une de ses œuvres que nous choisirions ensemble. II répondait toujours : « Oui ! oui ! Nous verrons ». Quelques années plus tard, il décidait enfin de remplir toute une salle du musée avec ses œuvres.

Un jour, une dame me demanda à qui elle pouvait vendre sa collection de faïences imprimées de Creil et de Choisy-le-Roi. Ses idées socialistes la poussèrent finalement à la donner au musée.

Une autre dame, veuve d’un pionnier de la bicyclette, nous a fait cadeau d’une collection très intéressante de vélocipèdes anciens, de toutes marques, d’une voiture ancienne et aussi de la première moto qui fonctionnait à vapeur.

Les legs –

Nous avons souvent eu des legs de personnes que nous ne connaissions pas. Ainsi, un notaire nous prévint du legs d’une collection de céramiques, mais il ne savait pas où elle se trouvait. Le légateur, quand il partait en vacances, cachait tous ses objets de valeur. J’allai avec mon adjointe dans l’appartement du défunt. Cet homme ne jetait rien. Nous avons fouillé et avons retrouvé nos céramiques cachées sous le manteau de la cheminée, dans un vieux four à gaz désaffecté, dans un seau de toilette, etc.

Les expositions –

Pour faire connaître un musée, il faut organiser des expositions. Nous en avons organisé une soixantaine.

Nous avons, par exemple, raconté l’histoire du paquebot « Île-de-France ». C’était une très belle histoire. Il avait fait les grandes traversées de l’Atlantique avant guerre, avait été sous la France libre converti en transport de troupes, maquillé en gris ou en léopard. Après la guerre il avait repris sa carrière de transatlantique. Cela m’a valu, grâce aux relations que je m’étais faites durant l’organisation de cette exposition, d’assister au lancement du paquebot « France ».

Pour le bicentenaire de la mort de Voltaire, nous avons organisé une exposition intitulée « Voltaire voyageur de l’Europe ».

Nous devions emprunter des œuvres, non seulement à Berlin Ouest, mais aussi à Berlin Est. C’était la première fois que l’Allemagne de l’Est prêtait des tableaux à un musée français.

Dans ma naïveté, je me dis: « Le train part de Berlin Est, il passe ensuite à Berlin Ouest, les tableaux seront donc mis au fur et à mesure dans le train ! » Or, les Allemands de l’Ouest et de l’Est ne voulaient pas que les tableaux voyagent par le même moyen de transport car ils se les revendiquaient mutuellement. Les tableaux de l’Allemagne de Ouest voyagèrent donc par avion, et ceux de l’Allemagne de l’Est par train.

Je réquisitionne l’un de mes assistants et pars pour l’Allemagne de l’Est chercher les œuvres. À Potsdam, nous rencontrons nos collègues allemands quelques jours après notre arrivée. À 7 h 00 du matin, nous avions rendez-vous pour assister au chargement des œuvres dans un camion et aller à la gare de Berlin. Le train partait à 15 h 00. Vers 11 h 00, le camion arrive enfin et l’on charge les caisses.

Nous devions suivre le camion en voiture. Nous ne sommes pas sortis du parc du château de Potsdam, que notre chauffeur double le camion : « Drôle d’idée pour surveiller un camion ». Au bout de cinq minutes, fatalement nous l’avons perdu. Arrivés à la gare, toujours pas de camion. Au bout de vingt minutes d’angoisse, nous le retrouvons enfin.

Les Allemands se sont occupés des formalités de départ, mais catastrophe ! les dimensions des caisses ne sont pas aux normes. L’heure tourne et je m’inquiète des horaires car à la Gare de l’Est, un douanier, spécialement déplacé pour nous, devait nous attendre. J’apprends alors avec horreur que le train arriverait à la Gare du Nord, il fallait donc joindre le douanier et le transporteur à Paris pour le changement de gare.

Après bien des péripéties, au coup de sifflet, mon assistant et moi montons dans le train. À l’heure du dîner, nous nous dirigeons vers le restaurant. Aussitôt attablés, le train arrive à la frontière de l’Allemagne de l’Ouest, et je demande à mon assistant d’aller retenir des couchettes. Il part mais ne revient pas. Je commence par manger mon dîner, puis le sien. Au bout d’une heure, je m’inquiète. Je sors du wagon-restaurant, je me dirige vers mon compartiment et, au bout d’un wagon, je me cogne dans la locomotive. Je ne suis plus dans le même train ! À la frontière on avait coupé de train en deux ! Mon assistant, mes bagages, les caisses de tableaux sont dans un autre train.

Heureusement nous étions en Allemagne de l’Ouest où les choses étaient plus faciles. Dans mon malheur, j’ai de la chance, car mon train devance celui de mon assistant, il me suffit de descendre à la prochaine gare pour l’attendre. Je me trouve donc à deux heures du matin, seul sur le quai d’une gare allemande, ayant tout perdu : mon assistant, mes tableaux, mes bagages. Vingt minutes plus tard je retrouve l’autre moitié de train et mon assistant qui, lui, avait suivi le processus inverse. L’aventure s’est bien terminée.

Pour le tricentenaire de l’Orangerie, en 1985, nous avons monté un spectacle « L’idylle de Sceaux » que Racine et Lully avaient composé pour l’inauguration de l’Orangerie et que l’on n’avait pas rejoué depuis trois siècles.

De nombreux films ont été tournés à Sceaux, par exemple le « Napoléon » de Sacha Guitry. On ne devait y tourner que la scène du 18 Brumaire, mais Sacha Guitry se trouvant très bien à l’Orangerie, il tourna tout le film. Un soir, la mise en scène manquant de valet de pied, on réquisitionna le gardien du musée, lui promettant, pour cette unique prise de vue, ce qu’il gagnait en un mois dans l’administration. Ce brave homme vécut toute sa vie dans l’espoir de se voir sur le grand écran, mais hélas ! la scène a été coupée.

Les combats –

Le château de Monte Cristo fut également une belle aventure. C’était le château que se fit construire Alexandre Dumas. Il voulait un château Renaissance et un château gothique. Il y mena une vie inimitable, avec des amis, des parasites, des femmes, etc. Cela ne dura pas longtemps, car la révolution de 1848 arriva. Le fragile équilibre financier de Dumas s’est écroulé et le domaine est passé de mains en mains.

Il y a quinze ans, j’ai appris que les châteaux de Monte Cristo étaient tombés entre les mains d’un promoteur qui voulait les raser, couper les arbres du parc et bétonner le tout avec la bénédiction des Monuments Historiques.

J’ai alerté mon ami, Alain Decaux, et nous avons créé un Comité de Sauvegarde. Alain Decaux a lancé un appel à la radio et à la télévision demandant à ceux qui voulaient sauver la maison de Dumas de lui écrire. Nous avons reçu six mille lettres du monde entier. Le Préfet à alors refusé le permis de construire et le domaine a été racheté par les trois communes avoisinantes qui ont commencé la restauration du château. Après la réfection de la toiture, les travaux se sont arrêtés faute d’argent. Un miracle survint alors. Le roi du Maroc lisant un article dans la presse voulut adhérer à l’Association des Amis d’Alexandre Dumas. II fut nommé immédiatement Membre d’Honneur et finança la restauration de la chambre mauresque, du chauffage, du rez-de-chaussée, du premier étage et de l’électricité. L’inauguration eut lieu en présence du Roi.

Le TGV devait passer en tranchée juste en bas du parc de Sceaux et couper la perspective qui s’étend jusqu’à Châtenay-Malabry. La SNCF avait l’intention de construire une passerelle, placée en biais par rapport à la perspective.

J’ai d’abord obtenu de remplacer cette passerelle par une dalle de béton, puis il y eu un tel mouvement d’opinion dans toute la région que la tranchée a été couverte.

J’ai également lutté pour que la A.86 ne traverse pas le parc.

Toutes ces histoires consolent un conservateur de toute la paperasserie administrative conclut Georges Poisson en souriant.

ANNEXE

HISTORIQUE DU PARC DE SCEAUX

Jardinier du Roi à Versailles, Le Nôtre fut à Sceaux celui de son ministre.

Colbert avait acquis ce domaine en 1670 et décidé de faire construire une demeure qui fut embellie par les meilleurs artistes de l’époque.

Le Nôtre imagina une composition selon deux grands axes se croisant à angle droit, l’un passant devant les façades ouest du château, l’autre par la plaine des Quatre Statues. Plus tard, François Leclerc compléta ce tracé pour le marquis de Seignelay, fils de Colbert.

A la fin du 18éme siècle, la demeure devint Bien National et École d’Agriculture, puis fut rasée lorsque le Duc de Trévise décida en 1856 de faire construire un château plus modeste, visible encore de nos jours.

Il reste heureusement plusieurs éléments remarquables du 17ème siècle : les pavillons et guérites de l’Entrée d’Honneur ornés de statues de Coysevox, le Pavillon de l’Aurore (1674) dont Le Brun décora la coupole, l’Orangerie de Jules-Hardouin Mansart (1683-1685), les Écuries (1675), le Grand Canal (creusé à partir de 1685).

 La façade du Pavillon d’Hanovre, édifiée au milieu du 18ème siècle pour le Maréchal de Richelieu, fut remontée face au boulevard des Italiens, à Paris.

Restauré ou négligé par les propriétaires successifs, le domaine fut acquis en 1923 par le Département de la Seine qui après avoir loti plusieurs hectares entreprit sa remise en état. Le site sera classé en 1958.

En 1971, Sceaux devient propriété du Département des Hauts-de-Seine dont l’effort important à enfin permis de restaurer le parc et la plupart des bâtiments, et ainsi de le sauvegarder définitivement.

 

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