SPLENDEURS DES OASIS D’OUZBEKISTAN

Thèmes: Art, Civilisations, Histoire                                                                                                                    Conférence du mardi 23 mai 2023

SPLENDEURS DES OASIS D’OUZBEKISTAN

Par Madame Béatrice LUBIN, guide conférencière, historienne de l’art et Chevalier de l’Ordre National du Mérite.

INTRODUCTION

L’Ouzbékistan est un pays d’Asie centrale qui a obtenu son indépendance en 1991 mais qui a une histoire deux fois millénaire car c’est une nation à la croisée des routes commerciales et culturelles entre l’ouest et l’est mais aussi entre le nord et le sud. La géographie déterminant presque toujours l’histoire, l’Ouzbékistan était destiné à jouer un rôle clé dans la géopolitique mondiale.

On peut distinguer quatre grandes périodes dans l’histoire de l’Ouzbékistan : du IIIe siècle av. J-C jusqu’au IIe siècle de notre ère, c’est la période gréco-bactriane ; du IIIe siècle au VIIe siècle c’est la période des invasions et des Hephtalites ; du VIIIe siècle jusqu’au Xe siècle c’est l’islamisation ; enfin du XIe siècle au XIVe siècle c’est le temps des empires mogols et timourides.

Chaque période apporte ses richesses culturelles et artistiques comme on a pu le voir lors de l’exposition « Splendeurs des oasis d’Ouzbékistan » au Musée du Louvre du 23 novembre 2022 au 6 mars 2023.

I- Période gréco-bactriane.

Au IVe siècle av. J-C, l’Empire achéménide tombe face aux armées d’Alexandre le Grand. De nouvelles idées et l’art grec apparaissent dans la région. De nouvelles villes sont construites et les anciennes restaurées. Les populations se mélangent, de nombreux colons grecs s’établissant dans la région, et les apports grecs viennent s’ajouter aux coutumes locales. Les tribus nomades transmettent ces nouvelles traditions à travers de vastes territoires.

Les tribus nomades possèdent des chevaux rapides et endurants que cherchent à acquérir les Chinois qui eux n’ont que des chevaux de trait. Les premières routes commerciales vers l’Est ne s’établissent pas pour le commerce de la soie mais pour celui des chevaux.

Les Grecs ont apporté des modèles artistiques et esthétiques mais les artisans sont locaux. Les techniques se développent ainsi dans toute la région. Les pièces en terre cuite ou moulée sont extrêmement fines et l’influence grecque apparaît par le style figuratif. Les goûts grecs se notent aussi dans l’orfèvrerie. En sculpture c’est un véritable transfert de savoir qui se produit et peu à peu on voit apparaître des figurines aux traits ethniques plus marqués. On note aussi l’influence des Perses, notamment dans les tenues vestimentaires avec le pantalon bouffant ou la cote de maille.

Sur le plan religieux le bouddhisme se diffuse à partir du milieu du IIIe siècle av. J-C. mais l’Asie centrale sera en quelques siècles un territoire où s’épanouissent de nombreuses religions : zoroastrisme, judaïsme, bouddhisme, christianisme et islam un peu plus tard. Souvent les croyances se superposent l’une ne chassant pas l’autre. Ainsi, a-t-on retrouvé des ossuaires, qui sont des boîtes en argile où l’on plaçait les os des défunts. En effet, les zoroastriens n’enterraient pas les morts car les corps souillaient la terre. Les corps étaient donc placés en hauteur, sur les tours du silence, pour que les charognards nettoient les os qui, une fois propres, étaient placés dans des boîtes. C’est le zoroastrisme qui sera le plus longtemps pratiqué en Ouzbékistan où l’on fête encore de nos jours le Norouz, souvent appelé le Nouvel an persan, premier jour de l’année, correspondant à l’Équinoxe de printemps. Par ailleurs, un évêché est établi dans la ville de Merv, montrant bien la bonne cohabitation entre les croyances.

Du Ier au IIIe siècle les villes d’Asie centrale sont devenues des centres de la vie administrative, de l’artisanat et du commerce. Des centres oasiens se créent vers l’Ouest, ce sont les ancêtres des caravansérails qui jalonneront la route de la soie. Le nomadisme disparaît peu à peu et les empires se forment comprenant des territoires de plus en plus vastes. C’est ainsi que se forme l’Empire kouchan qui englobe l’Ouzbékistan actuel, une partie de l’Afghanistan actuel et une partie du nord de l’Inde. Ce vaste territoire appelé Transoxiane est au carrefour des axes d’échanges aussi bien commerciaux que culturels. Les marchands vont de Chine en Perse mais également en Inde. La langue du commerce est le sogdien, sorte de persan utilisé par les Juifs qui sont installés en Chine et qui tiennent les registres. Les archéologues ont retrouvé 21 documents de ce type. C’est le début de ce que l’on appellera La route de la soie car les soldats chinois, payés en ballots de soie revendaient cette soie pour obtenir de l’argent qui leur permettait alors d’acheter d’autres produits. Mais sur cette route circulent également d’autres produits comme le papier, les épices ou la porcelaine, dont les lieux de production sont en Chine mais dont le marché est à l’Ouest, dans le bassin Méditerranéen.

II- Le temps des invasions (IIIe-VIIIe siècles de notre ère).

Aux IIIe et IVe siècles les Sassanides, dynastie établie en Perse, tentent de conquérir la Transoxiane mais ils sont repoussés par les Kouchans. Cependant au Ve siècle les Sassanides parviennent à s’imposer mais ils sont souvent attaqués par les Hephtalites (Huns blancs), peuple nomade et guerrier venu du Turkménistan actuel, qui s’empareront définitivement du territoire ouzbek au VIe siècle. Les Hephtalites sont de grands nomades et bien qu’ils aient deux capitales fixes ils n’y demeurent pas de façon permanente. Ces capitales comprenaient quelques édifices en dur notamment le palais bâti sur les hauteurs mais les personnalités qui forment la Cour et l’administration demeuraient dans des tentes, installées sur de vastes parvis. Ces camps mobiles se déplaçaient au gré des saisons ou des batailles. Cela n’empêche pas les Hephtalites de vivre dans un certain luxe. On a retrouvé des objets décorés notamment de scènes de chasse. A la faveur de ces déplacements les Hephtalites nouaient des liens diplomatiques avec leurs voisins et notamment la Chine comme le montre la peinture des Ambassadeurs (milieu du VIIe siècle), œuvre de peinture qui se déployait sur les quatre murs d’un salon de réception et qui mesure trois mètres sur deux.  Cette peinture représente un cortège d’ambassadeurs richement vêtus et portant des présents. On y voit aussi des officiers et des traducteurs. Apparaissent également des prêtres zoroastriens et des animaux pour les festivités du Norouz. Cette œuvre marque les liens entre le souverain hephtalite et la dynastie Tang alors au pouvoir en Chine.

Grâce aux Sassanides le travail des métaux se développe notamment celui de l’or qui vient de l’Ouest renforçant encore plus le rôle de la route de la soie. Les marchands prennent une importance accrue dans la société et ils sont représentés dans de nombreux panneaux de terre cuite ou en figurines avec leurs chameaux. En Orient le marchand vient juste derrière le guerrier dans l’échelle sociale, ce qui n’est pas le cas en Occident. La soie reste un produit essentiel de cette route commerciale. Une légende raconte qu’une princesse chinoise qui avait été mariée contre son gré à un chef Hun, cache dans son chignon des cocons de vers à soie afin de se venger de sa famille. On pourrait y voir l’équivalent des vols de technologie de nos temps modernes.

III- L’islamisation (VIIIe-Xe siècle).

Au VIIe siècle apparaît une nouvelle religion qui jouera un rôle très important des rives de la Méditerranée à l’Asie centrale. Dans la seconde moitié du VIIe siècle l’islam se diffuse en Asie centrale via la route de la soie mais les Ouzbeks restent majoritairement zoroastriens. Dans un premier temps les Arabes ne cherchent qu’à nouer des liens commerciaux avec les peuples de l’Est mais entre le VIIIe et le Xe siècle on passe à un islam de conquête. Ce tournant perturbe la sécurité de la route de la soie et les échanges commerciaux car plusieurs batailles et insurrections ont lieu. Le contrôle arabe de l’Asie centrale est consolidé suite à la bataille de Talas face aux Chinois. Grâce aux nombreux prisonniers chinois les Arabes obtiennent le secret de fabrication du papier et Samarcande deviendra le premier centre de production de papier du monde musulman. Dès 780 les premières mosquées sont construites à Samarcande et à Boukhara. Apparaissent alors les briques vernissées et le célèbre bleu d’Ispahan, deux éléments largement utilisés dans l’art islamique de ces deux villes. Avec l’islam c’est aussi le développement de l’art de la calligraphie et l’abandon de l’art figuratif. Le travail du métal se poursuit et la technique du verre moulé, art venu d’Iran, se développe.

Entre 750 et 850 la science arabo-musulmane atteint son sommet et les souverains d’alors payaient généreusement toute traduction des savants grecs de l’Antiquité. Plusieurs savants de cette époque sont originaires de Transoxiane ; citons le philosophe Al-Farabi, le mathématicien Al-Khwarizmi inventeur des principes algébriques et qui a donné son nom à l’algorithme ou le médecin et philosophe Avicenne qui naquit près de Boukhara.

IV- Dynasties turco-mongoles.

Au XIe siècle, les Seldjoukides (dynastie turque) s’installent à Samarcande et à Boukhara où ils poursuivent une intense activité architecturale en faisant construire notamment le complexe Po i Kalon à Boukhara mais aussi des mosquées et des mausolées. Au XIIe siècle est construit à Samarcande le palais du gouverneur Ibrahim ibn Hussein où l’on découvrit lors de fouilles des fragments de peinture monumentales. On pouvait y voir des guerriers, vêtus de caftans et tenant des arcs. Il y avait aussi des chevaux, des chiens de chasse et des oiseaux. C’est aussi au XIIe siècle que Boukhara devient un centre important du soufisme en Asie centrale.

La route de la soie continue de jouer son rôle de lien culturel et commercial entre l’Orient et l’Occident et au XIIIe siècle, un jeune marchand vénitien, Marco Polo, entreprend un long voyage jusqu’en Chine. Il relatera ses aventures et ses relations avec les divers peuples rencontrés le long de la route dans son livre Livres des merveilles.

V-  L’Empire timouride (XIVe- XVIe siècle). 

L’un des dirigeants les plus puissants du monde musulman, Timour (1336-1405), connu sous le nom de Tamerlan en Occident, fonda l’Empire Timouride. Timour fit venir dans sa nouvelle capitale, Samarcande, les meilleurs artisans et penseurs d’Asie centrale, développant ainsi de nouvelles techniques et faisant briller les arts. Des mosquées, des madrasas et des mausolées sont construits et mettent en valeur l’art des artistes. On peut citer l’exemple de la magnifique porte du mausolée de Tamerlan. C’est sous les Timourides qu’apparaît le papier monnaie qui facilite les échanges commerciaux. Un système postal efficace voit le jour renforçant ainsi les liens de communication dans ces vastes territoires.

En 1371, Tamerlan entreprend la restauration de la forteresse détruite de Samarcande en faisant construire le palais Kouksaraï ainsi que le Bouston-saraï qui est la résidence de l’émir. C’est le petit-fils de Timour, le mathématicien Ulugh Beg qui établit à Samarcande un centre d’apprentissage de premier plan et réalisa une cartographie des étoiles depuis son observatoire. Ces connaissances arrivèrent jusqu’en Europe grâce à la route de la soie.

Un autre dirigeant timouride, Babur, fonda l’Empire mogol, réputé pour son syncrétisme culturel des influences islamiques et hindoues.

Les écoles de peinture miniature ont également prospéré sous les Timourides et cet art très stéréotypé est largement utilisé pour illustrer les récits littéraires comme les contes des Mille et une nuits.

La découverte de l’Amérique en 1492 par Christophe Colomb et le rapide développement des routes maritimes vers l’Ouest entraîne la quasi disparition de la route de la soie. En effet, les routes maritimes sont plus sûres et moins contraignantes géopolitiquement. Désormais il n’est plus nécessaire de négocier ou monnayer chaque passage sur les terres des divers rois ou seigneurs locaux. Cela sonne le glas de la prospérité des oasis ouzbeks et entrainera la chute de l’empire timouride face aux Özbegs de la dynastie des Chaybanides, derniers conquérants turco-mongols de la région.

CONCLUSION

Les oasis d’Ouzbékistan essentiellement Samarcande et Boukhara ont joué un rôle essentiel dans les échanges de marchandises mais aussi de technologies et de pensées entre l’Orient et l’Occident. Ces centres ont vu naître de grands savants notamment en médecine et en astronomie.

Le monde des arts a lui aussi bénéficié de ces échanges de connaissances et techniques des différents peuples qui ont conquis cette région du centre de l’Asie.

 

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