MER EGÉE, GRÈCE DES ÎLES, LA GRÈCE DES ORIGINES

Thèmes  : Civilisation, Art, Histoire                                                                                           Conférence du mardi 15 novembre 2022

MER EGÉE, GRÈCE DES ÎLES, LA GRÈCE DES ORIGINES

Par Madame Catherine ANTRAYGUES, conférencière, historienne de l’art.

INTRODUCTION

La Mer Egée est un carrefour entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique parsemée d’une multitude d’îles que l’on regroupe sous divers noms : Cyclades, Dodécanèse et Sporades. La Crète, Rhodes et Santorin sont les plus grandes et ont abrité de grandes civilisations bien avant la civilisation hellénistique qui débute au VIIIe siècle avant J-C.

L’archéologie a permis de découvrir des civilisations remontant au IIIe millénaire avant notre ère. Les objets trouvés sont nombreux mais parfois l’interprétation pose problème car nous n’avons pas de traces écrites. On peut distinguer trois grandes périodes : de 3200 à 1450 av. J-C dans les Cyclades ; de 2200 à 1700 av. J-C et la civilisation minoenne en Crète ; et à partir de 1700 à 1180 av. J-C la civilisation mycénienne dans le nord-est du Péloponnèse et qui s’est diffusée dans tout le bassin égéen.

I – Les Cyclades

Les Cyclades regroupent une cinquantaine d’îles dont seules 24 sont habitées. Nombre de ces îles, souvent volcaniques, sont peu fertiles, avec des sols arides et rocailleux. Certaines îles peuvent être habitées dès la période du Bronze ancien entre 3200 et 2000 av. -JC. car on y trouve du marbre et de l’obsidienne, une roche volcanique très dure et tranchante qui permet de faire des outils. De plus, elles sont situées sur les routes commerciales particulièrement fréquentées depuis l’adoption récente de la métallurgie, inventée au Proche-Orient. Dans un premier temps, les populations s’installent dans des villages en bord de mer, puis des villages avec des remparts sur les hauteurs apparaissent ce qui laisse supposer que des attaques avaient lieu, poussant les habitants à se protéger des envahisseurs.

Les premières idoles, statues en marbre blanc, polies avec de la poudre d’émeri et de la pierre ponce, sont retrouvées sur les îles de Paros, de Naxos et de Mélos. Les premières figurines sont très schématiques et représentent majoritairement des femmes debout avec les bras croisés. Ces idoles proviennent de lieux d’habitation et de sites funéraires. Cet art géométrique et simplifié plaira énormément aux artistes du XXe siècle comme Picasso, Modigliani, Brancusi ou Zervos. L’intérêt de ces maîtres entraînera un engouement pour ce type d’art et le prix de ces statuettes augmentera considérablement, entrainant des fouilles sauvages, souvent destructrices de traces du passé.

Cette pureté minimaliste doit être nuancée car récemment on a détecté des traces d’une vive polychromie qui permettait de représenter les yeux, les sourcils ou les cheveux, des bijoux, des ornements ou des tatouages corporels ce qui donnait un aspect beaucoup plus figuratif aux statuettes.

Plus tard on trouve des idoles en forme de violon d’où leur nom, idole-violon. Avec ces dernières on retrouve des vases Kandela, avec un pied, un corps et col cylindrique, eux aussi polis. Tous ces objets proviennent de tombes mais l’absence d’écrit ne permet pas d’affirmer si c’était des objets pour le culte ou des offrandes aux divinités ou tout autre hypothèse.

Enfin on trouve les idoles de type canonique. Ce sont les plus nombreuses et ce sont celles que l’on peut admirer le plus aisément dans les musées. Ces idoles étaient elles aussi couvertes de peinture. Si nous ne savons pas à quoi elles servaient on peut supposer qu’elles étaient très importantes pour la société de l’époque car chaque idole implique un long travail minutieux.

Derniers objets trouvés, les « poêle à frire » – en forme de disque avec une poignée, généralement en céramique, contrairement aux idoles qui sont en pierre, ou en poterie comme les kadelas.

Vers 2200 av. J-C les idoles disparaissent, les dernières connues à ce jour sont celles de Philakopi.

II – Les palais minoens.

Vers 2500 av. J-C, les villages de Crète s’agrandissent et deviennent des villes. Vers 1900 av. J-C ces villes étaient construites autour de palais. Les premiers palais sont ceux de Knossos, Phaistos et Malia ; ils sont situés dans les plaines les plus fertiles de l’île, permettant à leurs propriétaires l’accumulation de richesses, notamment agricoles, comme le prouvent les grands magasins pour produits agricoles (sorte de silos modernes) retrouvés dans ces palais. Ces bâtisses sont nommés palais minoens du nom de Minos dont la légende dit qu’il aurait été le premier roi de Crète. En effet, selon une légende grecque, le dieu Zeus tomba amoureux d’une belle princesse nommée Europe. Il se transforma en taureau et nagea vers la Crète emmenant la princesse sur son dos. Elle enfanta Minos, premier roi de Crète.

Cette civilisation crétoise a été nommée minoenne par l’archéologue anglais Sir Arthur Evans (1851-1941) qui a découvert Knossos au début du XXe siècle.

Chaque centre, Knossos, Phaistos et Malia a ses caractéristiques mais des points communs à tous les palais peuvent être relevés. Autour d’une grande cour centrale quadrangulaire, toujours orientée nord/nord-est, s’organise un ensemble dissymétrique, en plan et en élévation, de bâtiments à étages aux salles innombrables, reliées par des couloirs étroits dont la complexité nous rappelle que la légende du labyrinthe se situe en Crète. La légende affirme que le Minotaure fût enfermé dans un labyrinthe si complexe que nul ne pouvait en sortir. Seul Thésée pu aller tuer le Minotaure et sortir grâce au fil d’Ariane. Ces palais sont des centres de décision politique que l’on suppose collégiale car on n’a retrouvé aucun attribut royal à proprement parler. Ce sont aussi d’importants lieux de stockage où sont alignés de nombreux vases gigantesques à demi enterrés (les pithoi) dans lesquels étaient conservés des céréales, du vin et de l’huile notamment. Par ailleurs, de nombreux ateliers attestent de la présence d’artisans spécialisés. La découverte des abeilles de Malia, superbe pendentif en or, montre la dextérité des orfèvres crétois.

Vers 1700 av. J-C, on constate une brutale destruction des premiers palais. Cette disparition est attribuée soit à des tremblements de terre, soit à l’explosion d’une première éruption du volcan de Santorin ou à un gigantesque tsunami. Cette dernière hypothèse donnera naissance à la légende de l’Atlantide. Certains palais sont reconstruits notamment celui de Knossos alors que d’autres sites sont abandonnés comme celui de Malia. Mais, de nouveaux ensembles voient le jour comme ceux de Zakros, Triada ou Tylissos. Le caractère monumental de ces nouveaux palais est plus prononcé : les cours sont plus vastes et les pièces se comptent par centaines. Le palais de Knossos reste le plus vaste de tous les palais crétois.

Sir Arthur Evans est fasciné par les épopées homériques et cherche les origines de Troie. Ses fouilles en Crète entre 1900 et 1905 permettent de dégager un immense complexe. L’archéologue en fait des plans très précis et tient un journal quotidien. Il est convaincu que c’est le palais de Minos, d’où le nom moderne de la civilisation crétoise. Lorsqu’il dégage une grande salle centrale, il est persuadé qu’il s’agit de la salle du trône mais les études récentes tendent à montrer que Knossos n’était pas la demeure d’un roi et que les doubles haches en or ne sont pas des attributs royaux. L’absence d’armes laisse penser que Knossos était un centre de pouvoir partagé où les populations vivaient en paix. Par ailleurs les fresques trouvées nous montrent une société courtoise qui organise des banquets fastueux et des jeux avec des taureaux, animal central dans la culture minoenne.

En ce qui concerne la religion, nous avons peu d’informations car peu d’objets en lien avec le culte ont été trouvés. Nous ne disposons que de quelques rhytons -des coupes ou récipients en forme de corne ou de corps à tête d’animal-, une représentation d’une déesse aux serpents et de statuettes d’orants dont la main est posée sur le front. On suppose que c’était une manière de prier.

Souhaitant être reconnu comme l’équivalent du grand archéologue allemand Heinrich Schliemann, Evans se lance dans des reconstitutions aujourd’hui très contestées et la science moderne a démontré que certaines de ses affirmations sont erronées.

III – Santorin

L’île de Santorin est la partie émergée d’un volcan et suite à une éruption volcanique la vie disparut durant plusieurs siècles. À Akrotiri, au sud de l’ile, on trouve des fresques remarquables qui présentent des éléments des Cyclades mais aussi des caractéristiques minoennes. Ces fresques nous sont parvenues grâce une à éruption volcanique qui comme à Pompéi a figé les éléments de l’époque, excepté des corps ce qui laisse penser que la population a pu fuir. Ces fresques, tout comme l’art des Cyclades, intègre de nombreux éléments de faune et de flore locales. L’art déco du début du XXe siècle s’inspirera des décors floraux de la culture minoenne. Le plus bel exemple de cet art est la fresque dite « la flotille » qui a une longueur de 8 mètres et qui date d’environ 1600 av.J.C. Cette fresque nous montre que les Crétois disposaient d’une importante flotte maritime qui leur permettait de faire du commerce dans le bassin égéen.

Dans l’île on a retrouvé aussi des preuves de production textile et un habitat élaboré avec notamment un système d’égouts. A Santorin, les espaces de stockage sont, ici encore, nombreux ce qui laisse penser que les populations vivaient aisément.

Hormis les fresques, on retrouve à Santorin de petites sculptures de marbre similaires à celles des Cyclades. Parmi elles on peut noter deux joueurs de harpe d’une douzaine de centimètres chacun.  Tous ces éléments montrent bien l’influence des deux cultures, cycladique et minoenne dans l’île de Santorin.

Tout comme la civilisation minoenne, la culture de Santorin disparaîtra sous la domination d’une nouvelle civilisation originaire du Péloponnèse : la civilisation mycénienne à partir du milieu du XVe siècle.

IV – Les écritures pré-helléniques.

Lorsque Sir Arthur Evans se rend sur l’île de Crète au tout début du XXe siècle, des antiquaires lui proposent de nombreux sceaux. Il se met donc à la recherche d’écrits. Lors de ses gigantesques fouilles de Knossos, l’archéologue britannique trouve de nombreuses tablettes d’argile. Ces tablettes nous sont parvenues car les incendies ont cuit l’argile. L’écriture figurant sur ces tablettes est nommée Linéaire B par Evans qui y voit une évolution du Linéaire A. En 1939, une équipe américaine trouve dans le palais de Nestor à Pylos (à l’est du Péloponnèse) des tablettes avec la même écriture. Là encore la destruction du palais par les flammes a permis la conservation par cuisson de centaines de tablettes. Cette nouvelle découverte permet à Michael Ventris, en 1952, de déchiffrer cette écriture et d’établir que le mycénien était une forme de grec archaïque. Le mycénien se révèle être le plus ancien dialecte grec connu, dont certains éléments ont survécu dans la langue d’Homère grâce à une longue tradition orale de la poésie épique. Ces tablettes tout comme celles de Knossos contiennent essentiellement des données administratives et comptables, des transactions commerciales notamment.

Par ailleurs, en 1908, l’archéologue italien Luigi Pernier, découvre sur le site du palais minoen de Phaistos en Crète, un disque d’argile cuite d’environ 16cm de diamètre que l’on appellera le « Disque de Phaistos ». Le dispque est couvert sur les deux faces de hiéroglyphes imprimés à l’aide de poinçons. En tout, ce sont 241 signes dont 45 différents, disposés en spirale, que l’on ne sait toujours pas déchiffrer. A ce jour aucun objet similaire n’a été trouvé.

V – Le monde mycénien.

La civilisation mycénienne s’épanouit à la fin de l’âge du bronze (1700 à 1100 av. J-C) atteignant son apogée entre les XVe et XIIIe siècles. Les Mycéniens étendirent leur influence dans tout le Péloponnèse et dans la mer Egée, de la Crète aux Cyclades. Ils portent le nom de leur ville principale, Mycènes, située au nord-est du Péloponnèse.

Les Mycéniens étaient des Grecs autochtones qui ont développé une culture rayonnante au contact de la civilisation minoenne et d’autres cultures méditerranéennes. Les principaux centres mycéniens étaient Mycènes, Tirynthe et Pylos. La plus grande ville, Mycènes, était construite sur une colline à plus de 278 mètres au-dessus du niveau de la mer ; on y trouve des vestiges de grands bâtiments et des centaines de tombes et de tombes à puits, dont neuf grandes tholos en pierre. D’autres vestiges impressionnants comprennent des sections de murs de fortification et la célèbre Porte des Lions avec son couple de lions héraldiques au-dessus de l’entrée.

Vers 1450 av. J-C, les Mycéniens s’établissent à Knossos et transforment le palais pour y installer une salle du trône notamment. On peut rappeler que la société mycénienne est plus austère et militariste que la société minoenne et que cette politique de conquête impliquait un roi et des seigneurs, ces derniers s’installant dans divers palais qui gardent une certaine autonomie. On ne connaît pas concrètement les relations entre tous les centres mycéniens bien qu’ils partagent plusieurs caractéristiques dont l’architecture, les fresques, la poterie, les bijoux, les poids et les mesures, les armes et l’écriture linéaire B. Le palais mycénien se construit autour d’une grande salle rectangulaire, ou Mégaron, qui est le centre du palais et qui comprend un grand foyer circulaire. Le Megaron est aussi la salle du trône. L’ensemble du complexe palatial était entouré d’un imposant mur de fortification ce qui contraste avec les palais non protégés de la Crète minoenne.

Dans l’art, tel qu’il s’exprime dans les fresques, les poteries et les bijoux, l’amour des Minoens pour les formes naturelles et les dessins fluides est également adopté par les artisans mycéniens mais avec une tendance plus schématique et moins réaliste. Les fresques représentent des plantes, des griffons, des lions mais aussi, à la différence des fresques minoennes, des scènes de bataille, des guerriers et des scènes de chasse, activité très populaire chez les Mycéniens. De plus, on a retrouvé des poignards et autres armes dans les sites archéologiques mycéniens ce qui montre l’importance de l’art de la guerre chez les Mycéniens.

On connaît peu de choses sur les pratiques religieuses des Mycéniens mais de nombreux centres disposaient de sites sanctuaires spécifiques pour le culte, généralement à proximité du complexe palatial. L’enterrement était un rite important comme en témoigne la présence de tombes tholos monumentales et la quantité d’objets précieux enterrés avec les morts : masques en or, diadèmes, bijoux, épées et poignards de cérémonie.

Les spécialistes attribuent l’effondrement de la civilisation mycénienne à un ou plusieurs facteurs tels que des catastrophes naturelles, la surpopulation, les troubles sociaux et politiques internes, et l’invasion de tribus étrangères telles que les Peuples de la mer. Avec la fin mystérieuse de la civilisation mycénienne, on entre dans la période dite « âge obscur » ou « âge des ténèbres » qui ne fût peut-être pas si sombre.

CONCLUSION

La mer Egée a été le centre de développement de grandes civilisations bien avant la Grèce classique, parmi lesquelles on peut citer les civilisations cycladique, minoenne et mycénienne. Cette dernière a inspiré les Grecs archaïques et classiques qui ont immortalisé des héros mycéniens tels que Agamemnon, Ménélas, Achille et Ulysse dans des sculptures, sur des poteries peintes et dans la littérature épique.

Bibliographie :

– Les civilisations égéennes, du néolithique et de l’âge du bronze. René Treuil, Pascal Darcque, Jean-Claude Poursat, Gilles Touchais, Paris, 2008

– L’art de la Crète et de Mycènes. Reynolds Higgins, 1995

– Le monde grec, de Minos à Alexandre. Aurélie Damet, Armand Colin, 2020

– Naissance de la Grèce, de Minos à Solon. Brigitte Le Guen, Belin, 2019

 

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