L’UNIVERS SYMBOLISTE DE DEBUSSY, LA LIBRAIRIE DE L’ART INDÉPENDANT (1890-1895).

Thème : Art, Littérature, Musique                                                                                                 Conférence du Mardi 15 mai 2018

L’UNIVERS SYMBOLISTE DE DEBUSSY, LA LIBRAIRIE DE L’ART INDÉPENDANT (1890-1895).

Par Denis HERLIN, musicologue, directeur de recherche au CNRS. 

INTRODUCTION

Nous fêtons cette année le centenaire de la mort de Claude Debussy, qui révolutionna la musique en son temps. Issu d’un milieu modeste, c’est un autodidacte qui s’intéresse à de nombreux domaines, et c’est un grand lecteur qui fréquente assidûment les librairies, notamment la Librairie de l’Art Indépendant durant la période 1890-1895. Cette librairie sera un lieu de rencontre pour de nombreux artistes et écrivains tels qu’André Gide, Paul Claudel, Henri de Régnier, Pierre Louÿs ou Ernest Chausson. Cette atmosphère particulière aura sans aucun doute une influence sur Debussy qui quelques temps plus tard composera son opéra Pélleas et Mélisande qui lui apportera la célébrité.

I – Edmond Bailly, fondateur de la Librairie de l’Art Indépendant.

Edmond Bailly de son vrai nom Henri-Edmond Limet est né à Lille en juin 1850. Avant de fonder la Librairie de l’Art Indépendant il reçoit une formation musicale classique. Il crée quelques œuvres musicales mineures dont Danse d’autrefois et publie aussi un recueil de poésie Lumen. Par ailleurs, il est nommé vers 1888 administrateur du journal hebdomadaire La musique des familles

En 1889, Bailly crée la Librairie  de l’Art Indépendant située au 11 rue de la Chaussée d’Antin. Le choix du lieu n’est pas innocent, c’était le siège d’une revue moderne « La revue indépendante » où certaines expositions se tenaient et il bénéficiait d’une double entrée et donc de deux adresses. En janvier 1889, cette revue abandonne ses locaux et Edmond Bailly les récupère. Une des premières publication de Bailly est « Chez les passants » de Villiers de l’Isle Adam. Sa librairie est surtout un lieu de rencontre pour les intellectuels et les artistes et l’ambiance est propice aux échanges entre divers domaines artistiques. Bailly publie les premières œuvres de plusieurs artistes symbolistes à leurs débuts bien que nombreux soient ceux qui par la suite soient partis vers des éditeurs de meilleure assise commerciale. Victor Michelet écrit :

« Dans la boutique de l’Art Indépendant défilèrent plusieurs poètes de la période symboliste, heureux d’y publier leurs œuvres parées de la vignette de la maison, une étrange composition de Rops, représentant, sur une plage, une sirène qui déployait deux grandes ailes au-dessus de ses jambes en queue de poissons. Ce monstre nouveau, la Sirène ailée, s’accompagnait d’une fière devise : « Non hic piscis omnium ». Bailly avait choisi un emblème original et artistiquement recherché.

L’éditeur aime aussi publier des œuvres d’écrivains étrangers. Ainsi, il sera le premier à publier Salomé d’Oscar Wilde. Il publie également des traductions du sanskrit et d’autres raretés orientales. Il réédite aussi des œuvres qui, à l’époque, étaient quasi inconnues comme, par exemple, les poésie de Méléagre. Edmond Bailly aime le raffinement et ses publications sont de haute qualité sur des papiers luxueux avec des illustrations réalisées par des artistes de renom et éditées en petit nombre, jamais plus d’une centaine d’exemplaires. Bailly modernise le monde de l’édition par des mises en page originales, des formats inédits et une grande diversité de couleurs alors qu’auparavant quasiment toutes les parutions étaient jaunes. Par ailleurs, il ne retire jamais une édition afin de conserver la rareté d’un ouvrage. Cette politique, bien peu commerciale entraîne des difficultés financières et bien que souvent aidé par les artistes qu’il publie, notamment Ernest Chausson, laLibrairie  de l’Art Indépendant fait faillite. La dernière publication musicale de Bailly est Cinq mélodies de Xavier Perreau. Les éditions Mercure de France bénéficieront du fond de Bailly.

II – Debussy et la Librairie  de l’Art Indépendant.

Comme nous l’avons vu, la Librairie  de l’Art Indépendant est avant tout un lieu de rencontre entre artistes. Ainsi, Henri de Régnier décrit la Librairie  comme le haut-lieu de rencontre des mouvements symbolistes : 

« La boutique de la Chaussée d’Antin servait souvent de point de réunion et de lieu de rencontre à un petit groupe d’écrivains au nombre desquels je me trouvais. On allait chez Bailly causer littérature. » 

C’est dans ce lieu que Debussy rencontre Erik Satie avec qui il restera lié de nombreuses années. Parfois ils travaillent ensemble, ainsi sur la partition originale de « Gymnopédie » écrite par Satie on peut voir les annotations de Debussy qui fera l’orchestration de l’œuvre. Du fait que Bailly soit l’éditeur de Gide et de Pierre Louÿs permettra à ce dernier de rencontrer Debussy à qui il dédiera une de ses œuvres. Le musicien, quant-à lui, mettra en musique trois poèmes de Louÿs, tirés de l’ouvrage Chansons de Bilitis

Parce que Bailly édite également de la musique, Debussy y laisse en dépôt  les Cinq poèmes de Charles Baudelaire, ce qui engendrera le souhait pour Mallarmé de rencontrer Debussy. Une des plus belles œuvres, ou du moins considérée comme telle par les bibliophiles, éditée par Bailly est La Damoiselle élue de l’anglais Dante Gabriel Rosetti, qui sera mis en musique par Debussy. L’illustration est réalisée par Maurice Denis. Toujours dans le cadre si particulier de laLibrairie  de l’Art Indépendant, Trois rondels de Charles d’Orléans seront mis en musique d’abord par Bailly lui-même puis en 1898 par Debussy. 

Indéniablement, le contact et l’échange entre artistes et écrivains que permettait la Librairie  de l’Art Indépendant convient parfaitement à Debussy.

CONCLUSION

Dans cette fin du XIXe siècle, Debussy, grand lecteur et friand d’échanges entre musiciens, peintres, illustrateurs et écrivains trouve en la Librairie de l’Art Indépendant un lieu propice à son inspiration. Il y rencontrera certains artistes qui deviendront ses amis. La Librairie de l’Art Indépendant grâce à Bailly était indéniablement un haut lieu du symbolisme. 

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