L’HUMOUR DANS LA MUSIQUE   

Thèmes: Art, Musique                                                                                                                              Conférence du mardi 20 mars 1990

 L’HUMOUR DANS LA MUSIQUE  

Par Martial Leroux

Martial Leroux, docteur en musicologie nous a parlé de l’humour dans la musique. Il a illustré sa conférence grâce à de nombreux extraits musicaux.

Qu’est-ce que l’humour ? Quelles sont les conditions nécessaires à la vie de l’humour ? Quelles en sont les finalités ? En quoi peut-on parler d’humour en musique ? Quelles en sont ses limites ? En quoi l’humour de la musique peut-il être comparé à l’humour du langage ? Telles sont les interrogations posées par cette conférence.

 

 

 

ETUDE LINGUISTIQUE – ETUDE SEMANTIQUE

« J’ai pu remarquer dans mes classes d’histoire de la musique, que le mot humour est appréhendé et apprécié de façon extrêmement différente selon les élèves, ce qui tend à prouver qu’il est considéré de manière parfois antinomique selon l’âge des élèves, la provenance géographique, et en fonction de l’issue sociale … »

Le mot humour provient du mot « humeur ». Sophocle le premier, utilise le terme UMOR avec le sens de liquidité, épanchement, écoulement, fluidité, mollesse. Platon en précise le sens ; il désigne alors le suc ou le goût de ce suc.

Hippocrate transfère le vocable du monde végétal au monde médicinal, de la terre à l’homme. Pour cela, il s’appuie sur une thèse selon laquelle le corps humain est régi par quatre « humeurs fondamentales » : le sang, le flegme, la bile, l’atrabile. Le tempérament humain est parfait (hygide) lorsque les quatre humeurs sont en justes proportions. Si une humeur prédomine, le tempérament est alors sanguin, bilieux, ou mélancolique.

Au 15ème siècle, le mot dévie vers un sens figuré et désigne désormais, outre la substance liquide élaborée par le corps, l’ensemble des tendances de chaque individu à évoluer vers son propre caractère.

Bientôt (16èrne siècle), le terme se définit par « penchant à la plaisanterie facétieuse », avant qu’il ne traverse la Manche (17ème siècle). Les Anglais lui donnent son sens quasi définitif, après l’avoir traduit par le mot « humour » : aptitude à voir ou à faire voir le comique des choses. C’est en ces termes que la langue française accepte le mot : « forme d’esprit railleuse qui attire l’attention sur les aspects plaisants ou insolites de la réalité ».

C’est dire que l’humour ne peut exister sans l’homme. Il sert à sortir de sa peau pour regarder ou juger le monde et ses intuitions ; en cela, il est anticonformiste. Par ailleurs, il est impossible d’envisager l’humour sans une certaine complicité avec l’auditoire (l’émotion tue l’humour). Enfin, très souvent jugé comme une arme défensive (à l’encontre du comique dont la finalité est de faire rire), l’humour est aussi un masque qui cache la pudeur de chacun pour traduire la finesse et l’état d’esprit de l’humoriste. La finalité de l’humour est parfois de faire sourire (geste qui rassure, alors que le rire inquiète) et de provoquer surtout une réflexion ; en cela, il est communication.

L’HUMOUR A TRAVERS LA MUSIQUE

« Le sujet étant particulièrement vaste, je ne retiens que quatre catégories principales ».

  1. l’humour du musicien

Le musicien n’est pas le héros encensé que le romantisme a accrédité ; il n’est à la base qu’un homme. A ce titre, il éprouve le besoin de communiquer avec ses contemporains ; jugeant avec précaution des limites de son art, (la musique s’adresse à l’âme, le langage à l’intellect), il décide souvent d’entretenir des relations épistolaires avec son environnement, ou rédige ses mémoires, véritables témoignages d’une période révolue.

La première lettre que nous avons de Mozart date de 1769 ; il a 13 ans. La dernière date de 1791, un mois avant sa mort. L’humour légendaire de Mozart, plus proche de la farce au premier degré, que du calembour au deuxième degré, révèle un personnage tendre ou scatologique n’en finissant pas avec son âge d’enfant. Ses lettres nous font part de ses angoisses, parfois de sa joie de vivre, lorsque celles-ci s’adressent à la gent féminine. Son humour est un masque et empêche les attaques attendues de ses détracteurs.

Erik Satie hésita longtemps entre la carrière de poète et celle de musicien. Son humour transparaît à travers ses écrits (les mémoires d’un amnésique) ou ses titres d’œuvres (Préludes flasques pour un chien), bien que dans sa musique, jugée néo-classique ou parfois pré-impressionniste, son humour dénonce souvent l’aversion qu’il ressent pour la condition humaine.

  1. l’humour musical lié à la littérature

Le compositeur a souvent recours au livret ; qu’il s’agisse d’opéras, de cantates ou de mélodies, le texte sert de support à la composition musicale. Ainsi, la musique sublime le texte, ou produit un effet de pléonasme. L’humour est toutefois présent à travers les lignes du livret ; que serait cet humour musical sans le contexte ou le prétexte ?

 

  1. l’humour lié à la musique instrumentale pure

Très souvent utilisé à des fins revendicatrices, l’humour de la musique instrumentale, est conçu pour fonctionner une seule fois : très loin de la représentation. La symphonie « les adieux » de Haydn fut composée en guise de pétition au Prince Esterhazy qui retenait plus longtemps que de coutume sa chapelle de musiciens habituellement installée à Eisenstadt. Haydn a alors l’idée de faire quitter la scène chaque instrumentiste à son tour à la fin de sa partition.

La symphonie « la surprise » s’adressait au public réfractaire à la musique, qui ne dédaignait pas s’assoupir durant les concerts londoniens. Haydn conclut alors son thème du second mouvement par un accord de fortissimo destiné à réveiller son public et exiger de lui une plus grande attention.

  1. l’humour utilisé à des fins caricaturales

Très souvent lié au comique d’imitation, l’humour caricatural ne fait que changer ou amplifier les défauts d’écriture des musiciens amateurs (plaisanterie musicale de Mozart) ou railler des œuvres du répertoire traditionnel (Hoffiring et la surprise de Haydn) où l’effet irrésistible atteint son but à condition que le degré de culture ou de l’humour de l’auditoire soit suffisant. Sans cette complicité, l’humour caricatural ne peut faire sourire.

 

 

Conclusion

L’humour existe-t-il en musique en dehors des considérations littéraires ? Répondre oui serait affirmer que la musique est un langage (ce dont ne sont pas persuadées toutes les époques) puisque l’humour existe dans l’art (peinture, sculpture) parce qu’il s’adresse directement au spectateur la musique a besoin d’un traducteur du message hiéroglyphique laissé par le compositeur (la partition) : l’interprète ; la musique est un art impalpable. L’humour est un refuge plus qu’un subterfuge ; selon Cocteau, il empreinte des chemins détournés pour dénoncer une désharmonie naturelle. Il naît d’une surprise, c’est-à-dire d’une attente contrariée et fait donc appel, lorsqu’il s’agit d’une musique pure au passé culturel de l’auditoire.

Laissons le dernier mot à Debussy : »La musique humoristique ça n’existe pas : il faudra toujours l’occasion soit d’un texte, soit d’une situation. Deux accords les pieds en l’air ne seraient pas forcément humoristiques et ne pourraient le devenir que de manière anecdotique.

(Lettre à Louis Laloy 8/3/ 1907)

 

ANNEXE D’EMILE BRICHARD

L’HUMOUR DANS LA MUSIQUE

Que nous reste-t-il de cette conférence qui nous étonna, nous surprit et même nous dérouta souvent lorsque nous dûmes chercher la frontière entre l’humour et la caricature, la farce et le canular, la truculence et la gaudriole, la mystification et la provocation.

Ne pouvant tout juger de la musique, suivons la phrase de Debussy mise en conclusion de notre compte-rendu, mais ajoutons sur les musiciens cités quelques traits qui se trouveront peut-être accentués par le nouvel éclairage que Monsieur Leroux a donné de leur personnalité et de leur œuvre.

Mozart : il est bien difficile de le situer entre l’adorable bambin que nous a présenté Sacha Guitry : « Je te jouerai tout ce que tu voudras, mais dis-moi d’abord que tu m’aimes » et l’adolescent ou l’adulte dont nous avons vu les attitudes et entendu les propos rabelaisiens dans l’Amadeus présenté ces dernières années.

Mais comment ne pas comprendre les explosions dues aux refoulements que subit celui qui fut, osons le dire, un véritable « enfant martyr » qui, au cours de ses voyages obligés, vécut plusieurs semaines de véritable agonie à la Haye, qui connut toute sa vie les humiliations d’un domestique et les angoisses d’un pauvre tout en fréquentant la société la plus aristocratique et la plus huppée.

Mozart n’est réductible à sa musique, a son existence multiple et dispersée, ni même à son âme tour à tour angoissée et frivole comme en témoignent les extraits suivants de deux lettres que nous exposons face à face pour mieux les comparer :

Il écrivait à 32 ans…

« Comme la mort est le vrai but final de la vie je me suis depuis quelques années tellement familiarisé avec cette parfaite et véritable amie de l’homme que son image n’a plus rien d’effrayant pour moi. Je ne vais jamais au lit sans réfléchir, le lendemain, peut-être je ne serai plus là. Et pourtant, personne ne peut d ire que je suis chagrin ou triste dans ma conversation ».

Et pouvait écrire à Constance (sa femme) : « Petite femme chérie, si je pouvais te raconter tout ce que je fais avec ton portrait, tu rirais bien souvent. Par exemple quand je le tire de la prison, je lui dis : « Dieu te bénisse, petite Constance, friponne tête ébouriffée. Et puis quand je te remets en place je te fais glisser peu à peu en disant tout le temps « Allons, allons « et pour finir je te dis bien vite « Bonne nuit, petite souris, dors bien ».

Je vous laisse choisir votre Mozart de prédilection.

Haydn : Musicien du Prince au château des Esterhazy, il partage les goûts de son mécène pour l’opéra-bouffe où il peut laisser s’exprimer son robuste et joyeux tempérament. Tous ses amis et biographes reconnaissent la franche gaieté d’un compagnon que « la nature avait doté d’un puissant humour » et Griesinger rapporte sa coutume de rechercher « le côté comique de toute chose ». Il est vrai que sa vie brillante et animée de musicien de cour pouvait le faire sourire de ses débuts de jeune choriste à la chapelle de l’école de Hainburg où il ne dut qu’à l’opposition énergique de son père de ne pas subir le sort peu enviable et la carrière d’un… castrat.

Satie : Comme vous le montre la caricature de Jean Cocteau, Erik Satie conservera avec ses qualités de musicien les fantaisies d’un esthète difficile à saisir qui lui valurent la qualification « d’acrobate de la mystification » et qui cachait derrière un humour provoquant (« J’emmerde l’art ») la précision de ses recherches, ou proposait une musique qui n’a rien à signifier avec « Trois morceaux en forme de poire par exemple ».

 

E. SATIE. par Jean Cocteau. Coll. privée

Qu’on ne s’étonne donc pas si au Bateau Lavoir à Montmartre entre Picasso et Cocteau, avec Roland Dorgelès il aurait pu participer à la fameuse mystification du « peintre » Boronali et de son « Coucher de soleil sur l’Adriatique » (Boronali alias Aliboron),

A chacun sa vérité , à vous la conclusion.

 

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