LE PEINTRE PAUL LEROY – Les séjours d’un orientaliste à Arcachon

Thème : ARTS                                                                                                                                                                       Mardi 1er Décembre 2009

Le peintre Paul Leroy – Les séjours d’un orientaliste à Arcachon

 

Par Christel Haffner Lance – Historienne de l’art

Aujourd’hui méconnu, Paul Leroy (1860-1942) fut néanmoins un peintre très apprécié. Pour retracer son œuvre, le chercheur dispose de son cahier de comptes (manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de France), dans lequel l’artiste note toutes ses ventes, mais aussi de la biographie que sa fille Sacha lui a consacrée : Un Maître de la peinture française, Paul Leroy, publiée en 1973 à compte d’auteur par son fils Alfred Leroy.

Né à Paris, Paul Leroy commence ses études artistiques à Odessa (Ukraine) où il a passé son enfance, puis aux Beaux-Arts de Paris, où il est l’élève d’Alexandre Cabanel (1823-1889), l’un des grands maîtres de la peinture académique. Très vite, il se passionne pour l’Orient, Venise, l’Egypte, l’Afrique du Nord, où il séjourne régulièrement – surtout en Algérie –, apprenant même l’arabe. Il se fait connaître comme peintre orientaliste et participe à la fondation de la Société des peintres orientalistes français en 1893. Respecté dans les milieux artistiques, il reçoit de nombreux prix et récompenses aux Salons ; il est élevé au rang de chevalier de la Légion d’honneur en 1908.

L’année suivante, Paul Leroy, qui jouit d’une certaine réputation tant à Paris qu’en province, est invité par Madame Froment à venir à Bordeaux peindre les portraits de ses petits-enfants, dont celui de Christiane de Marcellus au chapeau de paille, à l’âge de 3 ans (Salon de 1910). C’est dans ces circonstances qu’il se rend pour la première fois à Arcachon. Là, il est séduit par la lumière, le climat, la beauté du Bassin qui, dit-il, lui fait penser à Venise… Il fait alors la connaissance de deux personnages qui deviendront des amis proches : Fernand de Gastold, directeur du cinéma Pathé, et le docteur Fernand Lalesque, qui soigne les tuberculeux de la Ville d’Hiver et devient bientôt le père du célèbre slogan « Arcachon, ville de santé ». C’est ainsi que Paul Leroy décide de passer l’été 1910 sur le bassin d’Arcachon avec sa femme Mathilde et ses deux enfants, Alfred et Sacha, dans une petite maison, « L’oiseau bleu », louée en Ville de Printemps et située non loin de la villa « Hélène-Emmanuel » des Marcellus. Pendant ce séjour estival, il réalise notamment le Portrait de la comtesse de Marcellus, grandeur nature.

Un observateur attentif et subtil du bassin d’Arcachon

Il exécute aussi un autre grand tableau, remarquable par sa composition, son élégance et l’attitude des personnages saisis « sur le vif » : Promenade à cheval dans les dunes d’Arcachon, exposé avec le précédent Portrait au Salon des artistes français de 1911. L’absence de cette toile dans le cahier de comptes laisse penser qu’il ne s’agit pas d’une commande. Louée, puis vendue à plusieurs reprises dans les années 1980, elle est un temps passée dans la prestigieuse collection Yves Saint Laurent-Pierre Bergé et appartient désormais à la non moins prestigieuse collection Emile Hermès, à Paris. On ressent dans ce tableau la quiétude du bassin d’Arcachon et la douceur de l’air dans les pins, grâce à la technique « ouatée » et à la palette fauve de l’artiste.

Paul Leroy revient à Arcachon pour y passer l’automne-hiver 1911-1912, dans la villa « Joséphine » qui donne directement sur le front de mer, à proximité de la fameuse jetée Thiers. Ainsi exécute-t-il de nombreuses marines, en observateur attentif et subtil du Bassin qui ne manque rien de ses humeurs changeantes. Au Salon des artistes français de 1912, il expose Rêverie au bord du bassin d’Arcachon, une œuvre réapparue tout récemment. Paul Leroy n’essaie pas d’y décrire un lieu, mais plutôt de transcrire une atmosphère. On y retrouve des tonalités quasi-orientalistes ; le spectateur est frappé par le contraste entre la masse noire de la robe de la jeune femme au premier plan et la clarté du décor. Le modèle est sûrement Antoinette Lalesque, morte de la tuberculose en 1913. Cette œuvre ne figure pas dans le cahier de comptes en 1911, mais bien plus tard, quand Paul Leroy décide de la vendre à Madame Degrémont, en 1930. Le deuxième tableau exposé au Salon de 1912 est encore une œuvre arcachonnaise : La Veillée à la villa Joséphine (Dijon, musée des Beaux-Arts), une jolie scène d’intérieur représentant les enfants de l’artiste qui jouent tranquillement sous le regard de leur mère avec, par-delà la baie vitrée, les lumières de la jetée qui se reflètent sur le Bassin. Réalisme, fraîcheur et sensibilité témoignent, dans ce tableau comme dans tant d’autres, des liens privilégiés qui unissent l’artiste à ses modèles.

Quand Paul Leroy est à Arcachon, il travaille beaucoup. En 1914, dégagé des obligations militaires, il s’installe avec sa famille chez son ami Gastold (devenu son beau-frère), dont il réalise le portrait ainsi que celui de sa fille Simone – car Paul Leroy excelle dans les portraits d’enfants. Il revient à Arcachon en 1915 pour exécuter le Portrait d’Isabelle de Marcellus, âgée de 5 ans, comme un pendant de celui de sa sœur peint six ans plus tôt. Il livre également pour la chapelle Jeanne-d’Arc la commande du chanoine Bonnet des quatorze stations d’un Chemin de croix (Autun, musée Rolin). Il vend des paysages et des portraits à des bourgeois informés de sa présence sur le Bassin : beaucoup n’ont malheureusement pas été retrouvés… En 1915 encore, il peint deux grandes marines, le Retour des sardiniers et le Chalutier par gros temps (Dieppe, château-musée), où l’on voit un vapeur lutter contre une mer déchaînée et un vent violent.

Une œuvre qui mérite l’intérêt

Le peintre et sa famille ne se contentent pas de vivre en ville. En 1916, ils séjournent de l’autre côté du Bassin, au Cap-Ferret, encore non urbanisé. Ils s’installent d’abord à Piquey, dans l’unique hôtel du lieu (le Grand Hôtel Chantecler où Jean Cocteau se rendra dès l’année suivante). Les Leroy louent finalement une cabane sans confort dans le pittoresque village de pêcheurs de Piraillan. Là, le peintre approfondit ses études picturales sur la lumière, comme en témoigne son Effet d’éclairage (Dijon, musée des beaux-Arts). Il découvre aussi des us et coutumes dont il s’inspirera en 1918 pour ce Portrait d’Alfred Leroy enfant (Reims, musée des Beaux-Arts), habillé de flanelle rouge comme le sont les parqueurs du coin et pourtant exécuté dans son atelier parisien. De retour sur le Bassin en 1919, Leroy exécute le Fils du marin, jeune garçon devant une cabane de pêcheurs, à notre connaissance le seul portrait d’un autochtone. Il réalise aussi des dessins : une parqueuse et des études de pinasses (Saintes, musée des Beaux-Arts). Lors de ce séjour, Paul Leroy apprend la mort de sa sœur et quitte précipitamment le Bassin. Il n’y reviendra plus jamais.

Il garde toutefois des contacts avec ses amis Lalesque d’Arcachon, comme l’attestent – outre des commandes de paysages arcachonnais en 1928 – les portraits qu’il fait dans son atelier parisien de l’avenue Wagram : Françoise Bodin (fille de Fernand Lalesque) en 1923, Jules Lalesque (fils de Fernand) en 1928, Yves et Jacques Bodin (fils aînés de Françoise) en 1931, dans un décor arcachonnais. Les familles restent unies à jamais autour des souvenirs heureux de la Côte d’Argent.

Les quelque quatre-vingts tableaux que Paul Leroy a réalisés autour du bassin d’Arcachon forment un corpus original dans son œuvre et montrent – aux côtés de nombreux autres – que sa production artistique dépasse son étiquette de « peintre orientaliste ». L’art de Paul Leroy est raffiné, élégant, de grande qualité, mais le peintre reste fidèle à l’enseignement académique qu’il a reçu : fort éloignée des nouveaux courants artistiques de l’époque (impressionnistes, symbolistes, nabis, fauves, cubistes), sa peinture est sage et prudente, presque routinière, sans nouvelle recherche formelle, comme le montre d’ailleurs son Traité de la peinture, publié à titre posthume en 1947. Ses œuvres sont aujourd’hui dispersées dans de nombreux musées en France et des collections privées.

Relevons qu’André Lhote (1885-1962) et Paul Leroy peignent à Piquey au même moment, mais ne se côtoient pas. L’un est passé à la postérité, l’autre est tombé dans l’oubli, malgré le succès rencontré en son temps. Il reste néanmoins intéressant de découvrir l’œuvre d’un Paul Leroy pour comprendre que nombre d’artistes comme lui poursuivent leur travail parallèlement aux créations des plus audacieux, ce qui permet aussi de mieux appréhender le goût de leurs contemporains.

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Bibliographie : Christel Haffner Lance, « Le peintre Paul Leroy (1860-1942) : un orientaliste à Arcachon »

Bulletin de la Société historique d’Arcachon, 2009, n° 141, p. 1-53.

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