L’ART OTTOMAN DANS LES ARTS FRANÇAIS DU 19E SIECLE

Thème : ARTS                                                                                                                                                                        Mardi 18 Décembre 2007

L’art ottoman dans les arts français du 19e siècle

Par Frédéric Hitzel – Chercheur au CNRS

Quand Gustave Flaubert se rend sur l’île de Rhodes à l’occasion d’un voyage en Orient, il est frappé par les céramiques qui ornent les intérieurs. Quantité d’assiettes sont accrochées aux murs. S’il était retourné sur place quinze ans plus tard, il n’aurait pas retrouvé les mêmes assiettes car, entre-temps, un voyageur avait fait main basse sur toutes ces céramiques, preuve de l’intérêt croissant en Europe pour les arts orientaux à partir de 1850.

Le renouveau des arts décoratifs au contact de l’islam

En 1850, l’Exposition universelle organisée à Londres (Crystal Palace) a un impact considérable dans le domaine des arts industriels. Les industries françaises, inquiètes de l’influence croissante des Britanniques, décident de réagir. Une réflexion menée sur les arts industriels les amène à se tourner vers l’Orient pour trouver de nouvelles sources d’inspiration. Plusieurs artistes, oubliés aujourd’hui, sont des précurseurs de ce mouvement. Adalbert de Beaumont est l’un d’eux. Cet aquarelliste passionné d’architecture et d’arts décoratifs a séjourné plusieurs années à Istanbul et voyagé souvent au Moyen-Orient. De retour à Paris au début des années 1850, il a fréquenté des cercles de voyageurs comme le photographe Girault de Prangey (qui fut le premier à immortaliser l’Alhambra, Smyrne, etc.) ou l’aquarelliste Jules Laurens. Adalbert de Beaumont n’hésite pas à prendre la plume, à écrire des articles spécialisé sur les arts décoratifs dans La Revue des deux mondes. Il n’hésite pas à opposer les arts orientaux aux arts occidentaux : « Le sens de la couleur et de la ligne est supérieur à tout ce que produit la France ». Il parle de ces « beaux tapis  que les Gobelins n’arriveront jamais à faire ». En 1859, il publie un ouvrage qui fait date, Recueil de dessins pour l’art et l’industrie, coécrit avec Eugène-Victor Collinot. C’est une vraie source d’inspiration pour les artistes et les industriels, qui y trouvent toute une série de projets de décorations pour salle de bains, cabinet de toilette, fumoir, etc. Les deux hommes entreprennent de construire à Paris, en 1855, un atelier qu’ils appellent « la maison à la turque ». Expulsés en 1860, Adalbert de Beaumont fait construire une maison persane à Boulogne sur le modèle d’un palais de Téhéran. En 1867, Eugène-Victor Collinot est décoré par le roi de Perse en personne, venu à Paris à l’occasion de l’Exposition universelle.

Autre précurseur, Léon Parvillée arrive très jeune en Orient avec Pierre-Victor Galland pour aménager l’intérieur d’un palais le long du Bosphore. Contrairement à Galland, qui rentre ensuite en Europe, Parvillée préfère rester en Turquie. Il crée une entreprise afin de faire venir des artistes français, très demandés par les Turcs pour restaurer leurs palais. Parvillée profite de ces travaux pour récupérer de magnifiques carrelages persans sur les rives du Bosphore (la réglementation sera plus stricte par la suite). Quand, en 1855, un tremblement de terre frappe Bursa, première capitale des Ottomans, le nouveau gouverneur fait appel à lui pour restaurer les bâtiments endommagés. Parvillée en profite pour effectuer toutes sortes de relevés. En 1867, pour l’Exposition universelle de Paris, c’est à nouveau à Léon Parvillée qu’est confiée la réalisation du pavillon ottoman, qui obtient un grand succès. Le bâtiment est recouvert de céramiques grâce à une nouvelle technique qui permet de donner un aspect oriental aux briques. De fait, l’influence de Léon Parvillée dans les arts industriels sera particulièrement forte dans la seconde moitié du 19e siècle.

D’autres artistes sont aujourd’hui oubliés, comme Théodore Deck qui reproduisait des assiettes orientales sans avoir jamais séjourné en Orient. En 1856, il propose ses services à Adalbert de Beaumont mais l’affaire ne se fait pas. Théodore Deck  se livre à de nouvelles formes artistiques. En travaillant les pigments, il retrouve les rouge et bleu de la Turquie. Par la suite, on parlera de « bleu Deck ».

L’émergence des premières collections d’art oriental

Au 19e siècle, on ne faisait pas la distinction entre la Turquie et la Perse. Tout ce qui était oriental était intitulé « perse ». L’appellation « faïences persanes » est erronée, il s’agit de faïences turques. Les Turcs avaient mauvaise presse en France et les vendeurs préféraient valoriser les Perses, peut-être parce qu’ils sont aussi de souche indo-européenne.

Auguste Salzmann, issu d’une riche famille alsacienne, s’installe vers 1850 à Rhodes. Il entreprend des fouilles archéologiques à Comiros et met au jour de très beaux vases phéniciens qu’il vend au Louvre. Il visite les intérieurs des maisons et récupère une quantité impressionnante d’assiettes, en échange de vaisselle occidentale. Ce faisant, il constitue une collection unique de 467 assiettes illustrées d’animaux mythologiques, de personnages, de bateaux, de fleurs… qu’il vend au musée de Cluny. Difficile pourtant de justifier la présence de ces faïences de Rhodes dans un musée médiéval. Pour ce faire, Salzmann invente une légende portant sur la fabrication de ces faïences par des prisonniers persans pour les chevaliers de Rhodes. On sait aujourd’hui qu’il ne fut rien et qu’il s’agit de plats d’Izmil, petite ville du nord ouest de l’Anatolie. Quoi qu’il en soit, cette collection est un énorme succès populaire. Elle est unanimement considérée comme l’une des plus belles au monde. « C’est un régal pour les yeux, un repos pour l’esprit » s’enthousiasme Deck. Cette collection est aujourd’hui visible au musée de la Renaissance du château  d’Ecouen.

En 1863, une société d’artistes et d’industriels met en place l’Union des beaux-arts appliqués à l’industrie, sur le modèle du Kensington Museum de Londres. En 1882, elle fusionne avec la société des arts décoratifs pour créer l’Union Centrale des Arts Décoratifs (UCAD), qui joue un rôle primordial pour la connaissance des arts de l’islam en Europe. Parallèlement, d’autres musées d’arts décoratifs ouvrent leurs portes à Vienne, Berlin, Budapest, Prague… Très vite, l’UCAD cherche à acheter de nouveaux objets pour développer sa collection et acquiert de très beaux carreaux de céramique. L’un des panneaux est réclamé par le musée de Sainte-Sophie, à Istanbul.

L’histoire de cette pièce est assez caractéristique de la façon dont les choses pouvaient se passer à l’époque. Alexis Sorlin-Dorigny est un collectionneur qui a envoyé une grande quantité d’œuvres antiques vers le Louvre. Dans les années 1877-1878, 200 000 réfugiés bulgares et roumains, qui fuient les Russes, trouvent refuge en Turquie. Environ 25 000 migrants sont hébergés dans la mosquée Sainte-Sophie qui, comme beaucoup de bâtiments d’Istanbul, souffre de déprédations. Sorlin-Dorigny accepte de restaurer ces bâtiments, et récupère des antiquités au passage : à l’époque, de très beaux panneaux du 16e siècle sont souvent remplacés par des panneaux locaux de moins bonne facture. Lors de l’Exposition universelle de 1889, les pièces récupérées par Sorlin-Dorigny sont exposées pour la première fois à l’union centrale des Arts Décoratifs. Des visiteurs du monde entier découvrent la beauté de cette collection. Sorlin-Dorigny ne recevra jamais la reconnaissance qu’il mérite. Pourtant, grâce aux  archives, on sait aujourd’hui qu’il n’y a jamais eu vol de sa part mais bien œuvre de sauvegarde. Sans son action, le panneau de Selim II réclamé aujourd’hui par les Turcs aurait pu disparaître à jamais.

Comme lui, les collectionneurs sont souvent à l’origine de la sauvegarde du patrimoine ottoman. Salzmann se souciait de préserver les monuments, comme les archives du Caire l’attestent. Il avait rédigé un dossier sur la conservation des monuments arabes de la ville du Caire. Il proposait notamment la création du musée et d’un poste de conservateur. En 1903, 116 collectionneurs ont prêté leurs pièces pour la première exposition d’art islamique organisée à Paris. Les autres grands musées d’Europe suivent la voie et créent, eux aussi, un département oriental. Grâce à eux, il n’est désormais plus nécessaire aux artistes de voyager en Orient pour trouver de nouvelles sources d’inspiration.

En savoir plus …

Coté Livres :

Histoire de l’Empire ottoman

Auteur : Robert Mantran

Editeur : Fayard

ISBN-10: 2213019568

Istanbul au siècle de Soliman le Magnifique

Auteur : Robert Mantran

Editeur : Hachette Littérature

ISBN: 2012351360

GENESE DE L’ART OTTOMAN

Auteur : COLLECTIF

Editeur : EDISUD

ISBN : 9782744901775

Coté Web :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Art_de_l’empire_ottoman

http://dp.mariottini.free.fr/weekend/istanbul/istanbul.htm

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