L’ART DE LA MELODIE – Ou Debussy et les poètes

Thème : ARTS                                                                                                                                                                          Mardi 14 décembre 2010

L’art de la mélodie, ou Debussy et les poètes

Par Denis Herlin, musicologue, Directeur de recherches au CNRS

De Berlioz (1841) à Poulenc (1940) en passant par Duparc, les compositeurs français se sont illustrés par la mise en musique de textes poétiques, et Debussy (1862-1918) a laissé à la postérité une centaine de mélodies dont seule la moitié fut publiée de son vivant. Il en a écrit une grande partie alors qu’il était encore étudiant. Ce corpus revêt une grande importance dans sa formation et sa carrière artistique : la mise en musique des textes poétiques le mènera à la composition de l’opéra Pelléas et Mélisande (1893-1895) d’après un livret de Maurice Maeterlinck, qui sera créé à l’Opéra-Comique en 1902 et qui le rendra immédiatement célèbre en Europe.

Pour comparer deux de ses mélodies, je propose d’écouter d’abord Nuit d’Etoiles, qui date de 1880, sur un poème de Théodore de Banville, extrait des Stalactites. Debussy n’a alors que dix-huit ans, son style est très lyrique, d’une grande élégance. En 1913, cinq ans avant sa mort, il met en musique Placet Futile, un poème beaucoup plus hermétique de Mallarmé. Avec ces deux exemples, on peut apprécier l’évolution du compositeur : pour Placet Futile, le style est plus concis, synthétique, et correspond tout à fait au style de Mallarmé.

Né le 22 août 1862 à Saint-Germain-en-Laye, ses parents sont des commerçants qui, après avoir fait faillite, retourneront à Paris. Issu de ce milieu modeste, Achille-Claude Debussy est un autodidacte. Dans cette famille où rien ne prédispose à la musique, c’est lors d’un séjour à Cannes (pendant la Commune de Paris) chez sa tante Clémentine que celle-ci découvre son talent de musicien.  Lors de son retour à Paris courant 1871, il prend des cours de piano. Son professeur n’est autre que la belle-mère de Paul Verlaine, Antoinette Mauté, qui prétendait avoir été l’élève de Chopin. En octobre 1872, il est admis au Conservatoire dans la classe du prestigieux pianiste Antoine Marmontel (qui fut réellement un élève de Chopin) et dans la classe de solfège d’Albert Lavignac. Pour la famille, qui connaît des fins de mois difficile, c’est un presque miracle, et elle espère vivement qu’il puisse devenir un pianiste émérite. Mais il n’en sera rien : son jeu est « bizarre » et il rate au prix du piano en 1879. Dès lors, Debussy se tournera vers la composition. En 1884, il remporte le premier prix de Rome grâce à sa cantate L’Enfant Prodigue, et obtient une bourse pour séjourner trois ans à la Villa-Médicis, à Rome.

Les premières mélodies que compose Debussy vers 1880 sont parfois tirées de poèmes de Musset ou de Théophile Gautier, mais bien davantage des parnassiens Théodore de Banville et de Leconte de Lisle, qui ont ses préférences. Il est à la fois inspiré par ses – nombreuses – lectures et par la chanteuse Marie Vasnier, une femme mariée avec qui il entretiendra une relation adultérine. Les Vasnier (il a une très bonne relation avec l’époux, Henri) auront une grande importance sur sa formation intellectuelle. Inspiré par la tessiture de Marie Vasnier, à la voix aigüe, il composera une trentaine mélodies pour elle, dont Rondel Chinois, que je vous propose de découvrir. Debussy s’intéresse aussi au poète Paul Bourget, que les Vasnier lui ont probablement fait rencontrer. Dès 1883, il adapte un de ses poèmes et, lors de son séjour à Rome, Debussy composera, Romance,  qui montre un sens de la mise en musique magnifique.

« Toute ma musique s’efforce de n’être que mélodie »

Puis Debussy délaisse les poètes parnassiens pour s’intéresser à Verlaine. Grâce aux Vasnier, il découvre Fêtes Galantes à une époque où le poète était peu connu mais avait déjà une réputation sulfureuse. Dès 1882, Debussy illustre une série une série de poèmes issus de ce recueil. Chose intéressante, il composera deux mélodies pour Clair de Lune, la première en 1882, la seconde en 1891. Il s’agit de deux œuvres très différentes sur un même texte. Entretemps, en 1887, Gabriel Fauré avait livré sa propre interprétation. Ce poème de Verlaine présente une difficulté, une césure entre la deuxième et la troisième strophe. En 1882, le jeune Debussy n’évite pas cette césure, alors que dans la deuxième version, il réussit une transition extrêmement fine et poétique. Il fera également deux versions de Colloque sentimental. L’univers verlainien le poursuivra quelques années encore, Debussy mettant en musique trois poèmes de Sagesses. Très inspiré par Baudelaire, il mettra en musique quatre de ses textes dans les années 1888-1889.

Les années 1893-1894 sont très importantes car elles marquent une transition dans la carrière de Debussy. Manquant d’argent depuis son retour de la Villa Médicis, il ne cède pas à la facilité pour autant, composant énormément, et délaissant tout quand il découvre le texte de Pelléas et Mélisande.

La poésie étant souvent un carcan pour les compositeurs, Debussy délaisse les poètes pour se tourner vers les « vers libres », sans contrainte de la rime ou de la strophe. Plutôt que de prendre des textes d’auteurs qu’il connaît, il écrit lui-même ses propres poèmes, sans structure définie. Ces quatre mélodies s’intitulent Proses Lyriques, dont les deux premiers poèmes ont même été publiés dans une revue de poésie. Nous avons récemment trouvé trace de deux mélodies qu’il avait écrites pour un second cahier de ses Proses Lyriques, jamais abouties.

Alors que Debussy semble se lasser des mélodies, qu’il en a fait le tour, un petit miracle se produit sous la forme des Chansons de Bilitis, de Pierre Louÿs (qui fait croire qu’il a traduit ces textes du grec, alors qu’il en est l’auteur). Debussy adaptera, en 1897, trois poèmes en prose, La Flûte de Pan, La Chevelure et Le Tombeau des Naïades, qui sont de vrais chefs d’œuvres, plus particulièrement Le Tombeau des Naïades que nous allons écouter.

Claude Debussy délaisse ensuite peu à peu le domaine de la mélodie, jusqu’à sa rencontre, en 1904, avec Emma Bardac, une femme mariée dont il tombe amoureux et pour qui il compose un nouveau cycle tiré des Fêtes Galantes. Il lui dédiera également les trois chansons de France qu’il compose en reprenant des poètes bien plus anciens, comme Charles d’Orléans (XVe siècle) ou Tristan L’Hermite (XVIIe). Emma et Charles s’épouseront en 1908 et auront une fille, Chouchou, qui inspirera à Debussy son Children’s Corner. Le retour à Mallarmé (1913) sera assez exceptionnel, et constituera son dernier cycle de mélodies, inspiré peut-être par la publication, par Gallimard, de l’intégralité de l’œuvre du poète.

Les plus belles leçons de Debussy n’ont pas été fournies par les musiciens mais par les poètes et les peintres, estimait Pierre Louÿs, son premier biographe. Un autre témoignage que je voulais vous livrer est une déclaration qu’il fit en 1910 lorsque le compositeur fut invité à une réception en son honneur en Hongrie. Il s’exclama : « Toute ma musique s’efforce de n’être que mélodie. »

Pour conclure, je vous propose d’écouter le début de Pelléas et Mélisande…

En savoir plus …

Coté livres :

Coté Web :      

http://www.irpmf.cnrs.fr/spip.php?article35

http://musique.fluctuat.net/claude-debussy.html

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