LA LAQUE ASIATIQUE, DES ORIGINES A NOS JOURS, ET LA PÉRIODE ART DÉCO EN EUROPE

Thèmes: Art, Peinture                                                                                                                                Mardi 6 novembre 2018

LA LAQUE ASIATIQUE, DES ORIGINES A NOS JOURS, ET LA PÉRIODE ART DÉCO EN EUROPE

par Monsieur Dominique MAIRAND, membre de l’Académie Européenne des Arts, laqueur, restaurateur et professeur. 

INTRODUCTION

Doit-on parler de la laque ou du laque ? Des deux, car au féminin le terme englobe les techniques, les produits, les matières et le travail de l’artisan ; au masculin c’est une réalisation, quelle qu’elle soit. Cependant de façon générale on parle de la laque.

La laque est un art originaire de Chine mais qui très vite s’étendra à l’Asie du sud-est et plus particulièrement au Japon. En Europe il faudra attendre que les missionnaires, au XVIe siècle, fassent connaître cette technique et qu’elle se développe surtout avec l’Art Déco, au début du XXe siècle.

I – Histoire de la laque.

La laque prend ses racines en Chine il y a trois millénaires. Elle fut d’abord utilisée pour protéger les bols en bois qui servaient aussi de récipients pour la nourriture. On a observé que certains arbres dont un liquide visqueux coulait le long du tronc bénéficiaient d’une longévité bien plus importante que la majorité des autres arbres, ce qui incita les paysans à recouvrir leur vaisselle de cette matière. Elle résistait alors à l’humidité et aux moisissures.

Les guerriers l’utiliseront pour en protéger leurs armures de centaines de couches, ce qui les rendait résistantes à l’impact des flèches et des lances.

Cette résine ne sera utilisée en artisanat que bien plus tard. 

La laque est tirée de l’arbre appelé rhus vernicifera : elle est récupérée en pratiquant des incisions. Il faut attendre quatre ou cinq ans entre chaque exploitation pour que l’arbre puisse se régénérer. 

La laque de Chine arrive en Europe au XVIe siècle grâce aux missionnaires. Lorsque les navigateurs portugais installent quelques comptoirs en Extrême-Orient, l’art de la laque chinoise se diffuse et commence à intéresser les Européens. Après un séjour en Chine, un jésuite italien, Martino Martini révèle en Europe quelques éléments techniques de la laque chinoise. Au XVIIe siècle, les cours européennes rivalisent de faste et les métiers d’art sont en plein essor. Les laques chinoises remportent un grand succès. 

En France, les ébénistes ont l’idée de recouvrir les panneaux de leurs meubles avec des plaquages de laque chinois, d’abord à plat puis sur des formes galbées, ces dernières très présentes sur les meubles de style Louis XV. 

Au vu de l’engouement pour les laques et face à la pénurie de résine naturelle importée d’Asie, les artisans européens doivent créer des vernis à base de produits chimiques, essentiellement un mélange de térébenthine et d’éthanol dans lequel on dissout par cuisson des résines comme la sandaraque, le copal ou la gomme arabique.

La recette la plus réussie est celle des frères Martin, artisans français du XVIIIe siècle, qui obtiennent le titre de vernisseurs du Roi ; cette recette reste inconnue. Les décors s’inspirent du style chinois. En dépit de tous ces nouveaux vernis, de nombreux maîtres ébénistes du XVIIIe siècle continuent à plaquer leurs créations avec des éléments de laque découpés dans des objets importés d’Extrême-Orient. Les deux grands maîtres ébénistes Carlin et Riesner, auront, quant à eux l’idée d’envoyer certaines de leurs créations au Japon pour y être laqués. Vers 1830 de nombreux meubles présentent des fleurs de nacre incrustées et des laques noires ornées d’or, qui prendront le nom de « style Napoléon III ».

II – Les laques de Chine et du Japon.

La Chine et le Japon ont apporté des techniques et des influences importantes dans l’artisanat de la laque.

En Chine, sous la dynastie Song (960-1279) on voit apparaître le ch’iang-chin, une technique qui consiste à inciser la laque de motifs, puis les dorer à la feuille ou à la poudre poncée.

Sous la dynastie suivante, la dynastie Yuan (1279-1368), une technique peu utilisée jusqu’alors se développe : la laque de Pékin. La surface est recouverte d’un nombre important de couches de laque rouge pouvant aller jusqu’à une cinquantaine puis gravée en profondeur.

La dynastie Ming qui règne de 1368 à 1644 est la période où le mobilier est souvent décoré à l’aide d’une technique qui consiste à recouvrir les motifs de nombreuses couleurs superposées pour qu’elles s’interpénètrent par ponçage. Les motifs peuvent ensuite être gravés.

Sous la dynastie Tsing (1664-1911) apparaissent deux styles de laque : le Coromandel et la laque de Canton. Le Coromandel consiste à graver en champlever le décor à travers la laque noire jusque dans l’apprêt. Les parties creuses sont soit traitées en décors polychrome soit dorées à la feuille. La laque de Canton présente souvent des paysages et des personnes sur fond uni. Les motifs sont de couleur or à la feuille ou en saupoudrage, c’est la technique du Maki-é. 

On trouve d’autres techniques au Japon. A l’époque de Nara (645-793) on voit des objets ayant des incrustations de nacre, d’or et d’argent. A l’époque Eian (794-1185) se perfectionne la technique du Maki-é en y associant de plus en plus le relief. L’époque suivante, dite Kamakura (1185-1333) voit apparaître le Négoro-Nuri qui consiste à laquer avec de nombreuses couches de noir puis de rouge et à faire apparaître le noir à certains endroits par ponçage. A l’époque Muromachi (1338-1573), deux grandes écoles Igarashi et Kaomi, perfectionnent la laque de Pékin. De très nombreuses couches de laque rouge assez épaisses sont superposées, (souvent plus de 100) pour être gravées et ainsi créer d’importants reliefs. L’époque Momoyama (1573-1614) voit l’arrivée du Siam d’une technique qui consiste à graver la laque noire puis à la laquer de rouge. Cette dernière couche de rouge sera poncée afin que la couleur n’apparaisse que dans les gravures. La période suivante, l’époque Edo (1615-1868) nous apporte les tendances à l’imitation de matières comme le bois, l’étain, le fer patiné et l’incrustation de coquille d’œuf et de peau de raie appelé galuchat. Sous l’époque Meji (1868-1912) se développe de manière limitée une technique de peinture à la laque sur papier. 

Le Japon portera le travail de la feuille d’or et de la poudre d’or à un raffinement extrême, c’est pourquoi la laque fascine l’Europe.

III – L’art de la laque en France.

En France les années 1920-1925 sont marquées par le courant Art Déco avec des grands artistes et artisans qui par leur maîtrise des techniques, la connaissance des matières et la recherche de matières nouvelles, porteront à son apogée l’art de la laque. Les grands noms de cet art sont Gaston Suisse, Eileen Gray, Pierre Bobot et Jean Dunand.   

Gaston Suisse (1896-1988) est issu d’une famille d’artistes, son père est collectionneur et bibliophile et possède une bibliothèque de plus de 10 000 ouvrages dont une très vaste documentation sur l’art japonais et chinois. Dès l’âge de six ans le jeune Gaston commence à reproduire les planches des livres de son père. Il aimait particulièrement dessiner les animaux et se rend régulièrement au Jardin des Plantes. A 17 ans il est reçu au concours supérieur des Arts Décoratifs où il apprend les bases de laqueur. Il progresse rapidement et dès ses premiers travaux obtient à deux reprises en 1913 et en 1914 la médaille d’or. En 1914 il participe au conflit mondial et combattra dans les tranchées à Verdun. Après la guerre son goût pour la perfection et la précision du geste font qu’il maîtrise très rapidement le travail à la feuille d’or et les incrustations de coquille d’œuf.

En 1924 Suisse est chargé de la décoration de l’alhambra d’Alger. De retour à Paris, il réalise la décoration du pavillon la maîtrise des Galeries Lafayette (aujourd’hui disparu). Il dessinera également les décors de l’Opéra de Paris et des costumes pour la Comédie Française. Travailleur acharné, au retour de la seconde guerre mondiale, ses journées ne sont que travail et ses oeuvres remportent un franc succès international, ses laques s’exportent aux Etats-Unis et en Amérique du Sud. 

Eileen Gray est née en Irlande en 1878. A 20 ans, elle apprend la laque à Londres, puis s’installe en 1902 à Paris où elle s’impose rapidement comme l’une des meilleurs designers et laqueurs du mouvement Art Déco. En 1922 elle ouvre sa propre galerie et travaille en collaboration avec Le Corbusier. Ses créations entreront sur le marché mondial de l’art, notamment au musée d’Art Moderne de New York. Elle décède en 1976.

Pierre Bobot est né en 1902 à Paris. Il entre à l’Ecole Supérieure des Arts Décoratifs et en parallèle travaille chez un restaurateur de meubles chinois en laque. Il ouvre son atelier en 1923 et devient restaurateur des musées et palais nationaux. Il devient professeur de l’Ecole des Arts appliqués en 1934 et reçoit la légion d’honneur en 1954. L’œuvre de Bobot représente de nombreux sites parisiens comme la Sainte Chapelle, la Place de la Concorde ou le carrousel du Louvre. On trouve aussi quelques scènes de chasse à courre. Pierre Bobot décède en 1974.

Jean Dunand (1877-1942) est la grande figure de la laque en France. A 14 ans, il entre à l’Ecole des Arts Industriels de Genève. Dès 16 ans il obtient le premier prix de ciselure et de modelage et à 18 ans celui des écoles municipales de la ville de Genève. Après son diplôme de l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Paris, Dunand s’installe dans son atelier parisien. En 1912 il rencontre le maître de laque japonais, Seiso Sugawara qui accepte de l’initier aux techniques traditionnelles de la laque japonaise. Bien que suisse, il participe à la Grande Guerre comme engagé volontaire. Dès 1919 il essaye toutes sortes de procédés et de matières. Quelques années plus tard, il entre dans l’univers de la mode en concevant bracelets, colliers et manchettes en les ornant de motifs Art Déco. L’Etat lui passe commande pour l’aménagement d’un salon dans le bâtiment principal de la future exposition coloniale. Enfin, il décore une partie du paquebot « Atlantique ». 

IV – Les différentes laques à travers le monde.

Si les laques chinoises et japonaises sont les plus connues et les plus élaborées, d’autres laques ne manquent pas d’intérêt notamment l’art russe de la miniature, la laque birmane ou la laque vietnamienne.  

A la fin du XVIIIe siècle, le marchand d’art russe Ivan Korobov, fasciné par le concept de boîtes laquées décoratives miniatures, crée une usine pour y développer la production de modèles dont le support est à l’origine du papier mâché ou du bois fin et léger issu d’arbres fruitiers. Il existe quatre grandes écoles russes de boîtes miniatures, qui portent le nom des villages autour de Moscou dont elles sont originaires, ce sont Palekh, Fedoskino, Holoui et Mstera. Chacune des boîtes reçoit trois couches d’une pâte spéciale, traditionnellement de couleur noire. Puis, on pose plusieurs couches de laque pour protéger des variations de température et d’humidité. Elles sont ainsi prêtes à être décorées. Les décors à la feuille d’or seront polis selon la tradition avec une dent de loup pour atteindre le degré de brillance souhaitée. Finalement, l’œuvre est recouverte de 7 à 8 couches de laque, chacune poncée et polie. L’artisanat russe étant profondément inspiré par l’art sacré de l’icône, on trouve des thèmes religieux mais aussi des motifs inspirés des contes et légendes russes.

Les objets laqués birmans ont comme support le bois de teck ou le bambou. La préparation du support est presque toujours la même mais avec des matières premières différentes. On recouvre l’objet de bandes de tissu sur lesquelles est apposé un mélange de laque et de poudre de corne de buffle. Après 7 jours de séchage on recommence l’opération deux fois, puis on ponce avec une pierre en calcaire pour rendre la surface lisse. Une fois cette préparation effectuée on recouvre l’objet de plusieurs couches de laque. On finit par la gravure et l’application des couleurs. La surface est gravée avec un stylet puis on applique la première couleur, le rouge. On laisse sécher une semaine, on ponce avec précaution et la peinture reste uniquement dans les gravures. 

La laque du Vietnam est née au IVe siècle avant J-C dans le delta du Nord, et de nos jours elle se pratique autour d’Hanoï. La laque vietnamienne connaît un essor entre le XVIIe et XIXe siècle et elle se trouve essentiellement dans le domaine religieux. 

Enfin, on peut évoquer les laques craquelées qui peuvent être dues au passage du temps et notamment des variations de températures mais elles peuvent être recherchées dans ce cas elles font appel à la technique.

CONCLUSION

Si le début du XXe siècle a été une période faste pour l’art de la laque en Europe, de nos jours de moins en moins d’artisans travaillent selon les techniques traditionnelles. Les normes européennes imposent l’abandon des vernis gras pour les vernis à l’eau. Cela entraîne des problèmes de mixité et de compatibilité avec certains pigments ainsi que des difficultés au moment du vernissage et du ponçage. On peut cependant noter la réduction considérable du temps de séchage, l’absence d’odeurs nocives et la facilité de l’entretien du matériel, qui sont autant de points positifs.   

 

Répondre

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués *

You may use these HTML tags and attributes: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.