JEAN GIONO

Thèmes: Art, Littérature                                                                                                                                                Conférence du 10 mai 2022

JEAN GIONO

Par Michel BAZIN, fondateur de la libraire Lucioles à Vienne.

INTRODUCTION

Loin des clichés qui en font un chantre de la Provence, l’œuvre de Jean Giono est celle d’un créateur tourmenté, traumatisé par la guerre, habité par la nécessité de la littérature. La voix de Giono est l’une des plus originales et des plus puissantes de la littérature du XXe siècle. Elle a inspiré des auteurs comme Le Clézio et Philippe Claudel. Par ailleurs, certaines œuvres de Giono sont de véritables manifestes de l’écologie, thème si présent dans nos sociétés du XXIe siècle.

I – Brève biographie.

Né le 30 mars 1895 à Manosque, Jean Giono est le fils unique de Jean-Antoine Giono, un cordonnier anarchiste d’origine piémontaise et de Pauline Pourcin née à Saint-Cloud qui dirige un atelier de repassage. Du fait de ses origines modestes, en 1911 suite au décès de son père il doit quitter l’école et travailler comme commis dans une banque dans laquelle il travaillera de nombreuses années, gravissant tous les échelons. Parallèlement, il continue de s’instruire en autodidacte et devient un grand lecteur qui accumulera plus de 10 000 ouvrages dans sa bibliothèque à la fin de sa vie. Il commence par lire les grands classiques grecs et latins mais aussi tous les grands auteurs occidentaux notamment les auteurs américains comme Faulkner, son écrivain préféré.

Alors qu’il est encore adolescent, la première guerre mondiale éclate et Giono, à 19 ans, est mobilisé fin 1914. Il participe aux terribles batailles de la Grande Guerre : Verdun, la Somme et le Chemin des Dames. Il en ressort traumatisé et toute sa littérature est imprégnée de cette angoisse. Ayant vu bon nombre de ses camarades mourir au combat et assisté à des actes d’une barbarie extrême, il devient un pacifiste convaincu. On peut même dire que son pacifisme est tout à la fois viscéral et spirituel.

Giono est démobilisé en octobre 1919 et il commence à écrire. Ses premiers poèmes sont publiés dans la revue « Les cahiers de l’Artisan ». Son premier roman « Colline » publié en 1929 est bien accueilli. L’écriture prend de plus en plus de place dans sa vie si bien qu’il quitte son poste à la banque pour se dédier totalement à sa passion.

Ses trois romans suivants rencontrent également le succès ce qui lui permet d’acquérir sa maison à Manosque.

Les événements du début des années 1930, notamment la montée du nazisme et l’élection de Hitler comme chancelier, le poussent à s’engager politiquement.

En 1931 il évoque pour la première fois la Grande Guerre dans un de ses romans « Le grand troupeau ». Le roman n’est pas historique, c’est une revendication de paix dissimulée par une description crue du désastre.

En 1935 avec quelques amis, il fonde les Rencontres du Contadour où des intellectuels se réunissent pendant 15 jours autour de l’écrivain dans la montagne de Lure, un cadre idyllique. A cette époque il publie l’essai « Les vraies richesses » dédié aux habitants du Contadour et pamphlet contre la société de l’argent. C’est également un essai précurseur de l’écologie.

Les prémices d’une nouvelle guerre se manifestent bientôt et Giono rédige ses suppliques « Refus d’obéissance », « Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix », « Précisions » et « Recherche de la pureté ». Son pacifisme est si fort qu’il va jusqu’à souhaiter rencontrer Hitler, cette attitude lui vaudra d’être classé comme collabo. D’ailleurs, après la guerre il sera emprisonné notamment pour avoir fait paraître « Deux cavaliers de l’orage » dans la revue « La gerbe » un journal collaborationniste. Par ailleurs, dès 1944 il est mis sur la liste noire de la commission d’épuration du Comité National des Écrivains. Interdit de publication, il traduit le roman de Herman Melville, « Moby Dick ».

Après 1947, Giono suit sa voie primordiale, le roman, et il ne centre plus ses livres sur la nature mais sur les hommes et leur véritable nature. En 1954 il est élu à l’Académie Goncourt et varie ses écrits en publiant des livres de voyages comme « Voyage en Italie » suite à un voyage dans le pays transalpin, des comptes-rendus judiciaires, d’histoire, des chroniques d’humeur à des journaux de province. Giono s’oriente également vers le cinéma, écrivant des scénarios, des dialogues, faisant même de la mise en scène.

Le 9 octobre 1970, Jean Giono meurt dans son sommeil, à Manosque, ville qu’il avait très peu quittée. Il se définissait lui-même comme un voyageur immobile. Son dernier roman publié de son vivant est « L’Iris de Suse ». Sur sa table de travail il laisse le manuscrit de « De certains parfums ».

II -L’œuvre de Giono.

Jean Giono est un des auteurs les plus prolifiques du XXe siècle. Il a écrit de nombreux romans mais aussi des essais, des poèmes, des scénarios, des nouvelles ainsi que des milliers de lettres qui d’ailleurs n’ont pas été encore toutes publiées. Son œuvre est divisée en deux parties : les premiers livres sont écrits d’une façon très lyrique alors que les œuvres tardives sont plus élaborées et narratives telles que les « Chroniques romanesques » ou le « Cycle du hussard ». La Nature est le personnage principal des premières œuvres tandis que l’Homme est celui des secondes. Très affecté par la Grande Guerre, l’influence de la guerre est très forte tout au long de son œuvre. Il ne sera pas le seul. En effet, André Breton, médecin pendant la Première Guerre mondiale, crée le surréalisme comme manifeste du rejet des horreurs de la guerre.

La nature chez Giono est belle mais aussi cruelle et destructrice au contraire de Pagnol qui présente sa Provence comme idyllique et bienveillante.

Après la seconde guerre mondiale Giono commence à publier ses « Chroniques romanesques » qui regroupent huit romans caractérisés par une unité de lieu, l’arrière-pays de Manosque et qui montrent la rudesse des lieux ainsi que celle des êtres qui y habitent.

En 1946 Jean Giono écrit « Un roi sans divertissement », un de ses livres les plus mystérieux, et le premier des « Chroniques romanesques », dont le titre renvoie à la phrase qui clôt le roman et que Giono emprunte aux « Pensées » de Pascal. Ce livre a une intention morale et Giono y dénonce les dangers de la routine et de l’ennui, qui peut pousser au meurtre.

Dans son roman « Noé », le deuxième des « Chroniques romanesques », il se décrit lui-même en train d’écrire. Il est littéralement « traversé » par son personnage. Même s’il a toujours refusé d’être classé dans un courant littéraire, ce roman est assez similaire au « Faux-monnayeurs » de Gide et annonce le Nouveau Roman.

Si chronologiquement les « Chroniques romanesques » sont publiées avant le « Cycle du hussard », Giono a commencé à écrire ce qui devait être un cycle romanesque comparable à La comédie humaine de Balzac. Seuls quatre tomes sur les dix prévus seront écrits : L’Iris de Suse,

Le « Cycle du hussard » est très influencé par Stendhal, très apprécié par Giono qui suivra les pas de son prédécesseur lorsqu’il se rendra en Italie. « Le hussard sur le toit » décrit parfaitement l’épidémie de choléra qui frappe la Provence et de ce fait connaîtra un grand succès pendant la récente pandémie de COVID-19 (tout comme « La peste » de Camus). Le choléra est l’allégorie du Mal, thème très présent chez Giono qui oppose souvent la beauté du monde à la laideur de l’Homme.

Si le roman « Le hussard sur le toit » est un des romans les plus célèbres de Giono, voire le plus connu – peut-être grâce au film de Rappeneau -, on ne peut évoquer cet auteur sans mentionner « L’homme qui plantait des arbres » une nouvelle qui a été traduite dans des dizaines de langues et qui a donné lieu à un film d’animation avec le texte lu par Philippe Noiret. A l’origine, cette courte nouvelle écrite en quelques heures, était une commande du Reader’s Digest qui finalement ne la publiera pas. Elle ne sera publiée qu’en 1954 dans la revue américaine « Vogue » en anglais donc, sous le titre « The man who planted hope and grew Happiness« . Il faudra attendre 1973 pour qu’elle soit publiée en français dans « La revue Forestière Française ». De nos jours, cette nouvelle est un manifeste sur l’écologie car c’est un véritable appel à la sauvegarde du patrimoine écologique. L’action du personnage, Elzéard Bouffier annonce point par point les fondamentaux du développement durable. Ce personnage fictif est si populaire qu’une rue de Banon, la « Montée Elzéard Bouffier », porte son nom : belle revanche de la littérature sur le réel.

Giono a également collaboré à de nombreux films, écrivant des scénarios et certains de ses ouvrages ont été adaptés au cinéma. Citons « Le bout de la route » d’Emile Couzinet en 1949, « Le chant du monde » de Marcel Camus en 1965, ou « Le hussard sur le toit » de Jean-Paul Rappeneau en 1995. Giono réalise « Crésus » en 1960 avec Fernandel dans le rôle-titre. Un des livres auxquels il tient le plus est « Un roi sans divertissement » ; il en signe donc l’adaptation et les dialogues pour le film qui porte le même titre réalisé par François Leterrier en 1963 et où jouent Charles Vanel, Claude Giraud et Colette Renard.

CONCLUSION

Pour Jean Giono, la lecture et l’écriture ont toujours été des activités essentielles de sa vie. Il disait lui-même « le plaisir que je prends à écrire dépasse tous les autres plaisirs« . Son œuvre est importante tant par le nombre d’ouvrages que par leur qualité. Certains de ses romans sont des classiques de la littérature française du XXe siècle (« Regain », « Le hussard sur le toit », « Un roi sans divertissement », « Les âmes fortes »).

Enfin on peut évoquer l’Association des amis de Jean Giono créée en 1972 par Henri Fluchère et Aline Giono, sa fille. Cette association regroupe des lecteurs fervents de l’auteur et favorise aussi la recherche universitaire sur l’œuvre de Giono. Par ailleurs, elle organise des colloques, des expositions, des journées d’études, des spectacles et des visites de la maison où Jean Giono a vécu, au Paraïs à Manosque.

 

Répondre

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués *

You may use these HTML tags and attributes: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.