ENSEMBLE, C’EST TOUT

Thèmes: Arts, Littérature, Musique                                                                                                     Conférence musicale du 26 mars 2024

ENSEMBLE, C’EST TOUT

Conférence littéraire et musicale sur l’œuvre d’ANNA GAVALDA.

Par Patricia SAVIN, Yvon MARTINET et Jean-Marie SALVA

Plus de 85 personnes se sont retrouvées au Centre culturel Sidney Bechet pour une soirée exceptionnelle organisée par le CDI en partenariat avec le cabinet DS AVOCATS et le Lions Club Garches – Vaucresson – Saint Cloud

Pour entendre Patricia Savin, Yvon Martinet et Jean-Marie Salva, avocats associés chez DS Avocats et surtout amis, retracer l’œuvre d’Anna Gavalda, avec de nombreux passages de lecture dans lesquels Patricia Savin et Yvon Martinet se sont donnés la réplique, ponctuée par des extraits musicaux interprétés au piano par Jean-Marie Salva.

Citons quelques passages de lecture :

En ouverture :

  • Marguerite ! Quand est-ce qu’on mange ?
  • Je t’emmerde

Dans un premier recueil de nouvelles publié en 1999 sous le titre « Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part », Anna Gavalda nous dit : « depuis que j’écris des nouvelles, mon mari m’appelle Marguerite en me tapant sur les fesses. Il raconte dans les dîners qu’il va bientôt s’arrêter de travailler grâce à mes droits d’auteur. Il délire là-dessus et les autres ne savent plus trop sur quel pied danser. Ils me disent, sur le ton que l’on prend pour parler d’une maladie sexuellement transmissible :

  • C’est vrai, t’écris ?

Et moi je hausse les épaules. Je grogne que non, n’importe quoi, presque rien. Et l’autre excité que j’ai épousé, par faiblesse, nous en remet une couche :

  • Choupinette, tu ne leur as pas dit pour le prix que t’as gagné à Saint-Quentin ? 10 000 balles quand même ! Deux soirées avec son ordinateur qu’elle a acheté 500 francs dans une vente de charité et 10 000 balles qui tombent ! Qui dit mieux ? Et je ne vous parle pas de tous ses autres prix, hein Choupinette, restons simples.

C’est vrai que dans ces moments-là, j’ai envie de le tuer. Mais je le ferai pas. D’abord parce qu’il pèse 82 kg et ensuite, parce qu’il a raison. 

Plus loin, dans « 33 kg d’espoir » :

C’est Grégoire qui parle, en pensant à son grand-père Grand Léon ; tellement d’émotion !

Jusqu’à ce fameux cours d’EPS…

 

Ce jour-là, c’était corde à nœuds au menu. L’horreur. J’essaye depuis que j’ai six ans et je n’ai jamais été foutu d’y arriver. Jamais pu. La corde à nœuds, c’est ma honte.

Quand ça a été mon tour, Momo a gueulé :

  • V’nez voir, il y a l’inspecteur Gadget qui va nous montrer ses chaussettes !

J’ai regardé le haut du poteau, et j’ai murmuré : « Grand-Léon, écoute-moi bien ! Je vais y arriver. Je vais le faire pour toi. Pour toi, tu m’entends ! »

Au troisième nœud, je n’en pouvais déjà plus, mais j’ai serré les dents. J’ai tiré sur mes p’tits bras pleins de fromage blanc. Quatrième nœud, cinquième nœud. J’allais lâcher. C’était trop dur. Non, je ne pouvais pas, j’avais promis ! J’ai grogné, et j’ai poussé sur mes pieds. Mais non, je n’en pouvais plus. Je commençais déjà à lâcher prise. C’est à ce moment-là que je les ai aperçus les mecs de ma classe, en cercle, tout en bas. Il y en a un qui a crié :

  • Vas-y, Dubosc, tiens, bon !

Alors, j’ai essayé encore une fois. Des gouttes de sueur me brouillaient la vue. Mes mains étaient en feu.

  • Du-bosc ! Du-bosc ! Du-bosc !

Ils hurlaient pour me soutenir.

Septième nœud. J’allais lâcher. Je sentais que j’allais m’évanouir.

En bas, ils chantaient le générique du dessin animé :

« Oh là, qui va là ?… Inspecteur Gadget !… C’est lui que voilà… Inspecteur gadget ! »

Il me donnait du courage, mais pas assez.

Il ne restait plus que deux nœuds. J’ai craché dans une main et puis dans l’autre. Grand-Léon, je suis là, regarde ! Je t’envoie ma force. Je t’envoie ma volonté. Prends-en. Prends-en ! Tu en as besoin. L’autre jour, tu m’as envoyé ton savoir, eh bien moi, je t’envoie tout ce que j’ai : ma jeunesse, mon courage, mon souffle, mes petits muscles hargneux. Prends-les, Grand-Léon ! Prends tout ça… Je t’en supplie !

L’intérieur de mes cuisses commençait à saigner, je ne sentais plus mes articulations. Plus qu’un seul nœud.

«   Allez ! Alllleeez ! Alllllllleeeeez ! »

Ils étaient déchaînés. C’était la prof qui gueulait le plus fort. J’ai hurlé : « réveille-toi !!! », et j’ai attrapé le haut du poteau. En bas, c’était la folie. Je pleurais. Des larmes de joie et de douleurs mélangées. Je me suis laissé glisser en tombant à moitié. Momo et Samuel m’ont rattrapé. Ils m’ont soulevé en l’air.

« Oh là, qui va là ?… Inspecteur Gadget !… C’est lui que voilà… Inspecteur gadget ! » Tout le monde chantait.

Je me suis évanoui.

A partir de ce jour-là, je suis devenu méconnaissable. Déterminé. Teigneux. Inflexible. J’avais bouffé du lion.

Et cette lettre à Mathilde :

« Oui, tu vois, j’ai demandé un inconnu, de rédiger l’enveloppe à ma place… La feinte est grossière, j’en conviens, mais je ne me la renvoie pas. Pas cette lettre-là. Elle vaut mieux que moi, je te le promets.

Si tu ne veux pas la lire maintenant, attends. Attends deux mois, deux ans, dix ans peut-être. Attends l’indifférence.

Dix ans, je suis bien prétentieux.

Attends le temps qu’il faudra mais, un jour, s’il te plaît, déplie-la. S’il te plaît.

Notre dernière conversation, notre ultime combat, devrais-je dire, me hante depuis des semaines. Tu me reproches mon égoïsme, ma vilénie, mon intérêt. Tu me reproches de m’être servi de toi, de t’avoir vampirisée, d’avoir été amoureux de ce que tu m’inspirais plutôt que de qui tu étais.

Tu me reprochais de ne t’avoir jamais aimée.

Tu te sens trahie. Tu m’as jeté à la figure que tu ne lirais plus jamais un seul livre de ta vie. Que tu haïssais les mots autant que tu me haïssais moi et même davantage si une telle répulsion était humainement possible. Que les mots étaient des armes minables au service de minables dans mon genre. Qu’ils ne valaient rien, qu’ils ne disaient rien, qu’ils mentaient. Qu’ils abîmaient tout ce qu’ils touchaient, et que je t’avais dégoûtée d’eux à jamais.

Maintenant, ce soir, dans deux mois ou dans deux ans, tu liras ceux qui suivent, et tu sauras, mon amour, que tu n’avais pas toujours raison.

*

* *

Tes paupières closes lorsque tu t’abandonnais dans mes bras, Mathilde, ressemblaient à l’intérieur des coques de litchis. Le même pailleté, iridescent, le même rose, inattendu et poignant. Les mignons lobes de tes oreilles étaient comme deux crêtes de chapons bien gras, minuscules galets de porcelaine, amollis, attendris, fondant d’avoir mijoté si longtemps dans un jus de salive par tes baiser, sans cesse écumé -, et leurs méandres de cartilages, une agacerie, des beignets de Carême, une fricassée de têtes d’oiseaux. 

La base de tes cheveux, cette odeur, là, dans ta nuque, juste au-dessus de ce delta, de cette brèche secrète et duveteuse, de cet entonnoir à caresses, avait l’amertume piquante de la mie véritable, des pains au levain et tes ongles, pour qui les avaient longtemps sucés, étaient autant d’amandes mondées un peu trop tôt avant la fin de l’été.

Du creux de tes salières perlait un sucre vinaigré qui piquait la langue et du bombé de ton épaule venait sa consolation : le Frais, le grainé fin, la chair fondante d’un cul de poire. 

Une beurré d’Anjou, tétée dans la pénombre du cellier…

À la commissure de tes lèvres, ces minuscules bulles de salive quand tu riais aux éclats crépitaient en larmes de brut rosé et le bout de ta langue, mon adorée, avait le grenat, le rêche pâle et délicat des fraises des bois. 

Comme elles, adorable, sainte-nitouche, cachée, secrète, farouche et éperdument, éperdument sucrée.

La pointe de tes seins ? Deux févettes de Provence, les premières, celles que l’on ramasse en février et qui se méritent car il faut les éplucher à cru tandis que leurs organes, sous ma main, avaient le moelleux ambré, lisse, gai et parfumé des beurres de printemps.

Les vallons qui menaient à ton nombril, pour peu que l’on ait su te moitir d’aise, rappelaient, cette sorte d’acidité sucrée des quetsches cueillies dans les vergers oubliés et réveillaient heureusement une bouche étourdie d’avoir happé tant d’onctuosité.

Tes hanches façonnaient deux bonnes têtes de brioche et le creux de tes reins, a toujours j’imagine, non, je me souviens, le goût suave des fleurs d’acacia. Fragrance entêtante et impérieuse que l’arrondi de tes fesses prolongeait en l’exhalant jusque dans ces exquises fossettes gravées à la pliure de tes cuisses. Ces collets de chairs tendres, douces et polies, qui emprisonnaient souvent des doigts, trop hardis… 

La voûte de tes pieds était musquée, le gros de tes chevilles amer, l’arc de tes mollets, fruité, le revers de tes genoux, salé, l’intérieur de tes cuisses, minéral et ce qui venait dedans, et ce qui venait ensuite, et ce qui perlait, enfin, une réduction de tout ce qui m’y avait mené. Un fond, un fond de toi et de tous l’univers.

Or ce goût, le goût de ton être, princesse des temps modernes, délicieuse… pointe de berlingot à la langue émoussée. Roudoudou d’ambroisie.

Cédrat. Cédrat rouge aux zeste iodé. Vi…

Oh, Mathilde,

Je renonce.

Je t’ai aimée.

Je t’ai plus aimé que je ne saurais le dire, et beaucoup moins bien ». 

Et cette conclusion :

Six autres nouvelles complètent celle sur Jennifer où tous les personnages fendent l’armure vraiment, car la vie vaut bien d’être vécue pleinement, sans restriction, sans limite, remords ou regrets.

Et depuis, Anna n’a plus écrit, elle s’est tue et se prépare sans doute à autre chose, un autre temps, une autre dimension.

Voilà, Mesdames et Messieurs,

20 ans avec Anna, Anna Gavalda

20 ans d’histoires humaines puissantes et douces à la fois, 

d’Histoires de désillutions, d’espoirs, de joies et de peines

d’histoires d’hommes et de femmes qui se cherchent 

et cherchent le sens des choses et l’Amour de la Vie

qui cherchent à vivre tout simplement,

à vivre ensemble, Ensemble c’est tout.

 

Merci à Patricia, merci à Yvon, merci à Jean-Marie.

Liste des œuvres présentées et interprétées par Jean-Marie Salva

  • Franz Schubert – 2ème impromptu opus 142 D 535 – mesures 1 – 46
  • Franz Schubert – 2ème impromptu opus 142 D 535 – mesures 47 – fin
  • Jean Sibelius – étude opus 76
  • Franz Schubert – 2ème moment musical opus 94 D 780 mesures 1 – 45
  • Franz Schubert – 2ème moment musical opus 94 D 780 mesures suite ?
  • Charles Gounod – « Marche funèbre d’une marionnette » – mesures 12 – 50
  • Charles Gounod – Prélude
  • Piotr Illich Tchaïkowski – Opus 37 – Juin Barcarolle – Mesures 1 – 31
  • Charles Gounod – Veneziana – mesures 1 – 34
  • Charles Gounod – Musette
  • Charles Gounod – bal d’enfants – mesures 1 – 65
  • Charles Gounod – Les Pifferrari
  • Charles Gounod – Veneziana – mesures 33 à la fin
  • Charles Gounod – Pfifferrari

 

+ de 1050 textes des conférences du CDI sont disponibles sur le site du CDI de Garches  et via le QRCode   

Répondre

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués *

You may use these HTML tags and attributes: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.