ÉMILE ZOLA

Thèmes: Art – Littérature                                                                                                                                               Mardi 10 Mai 2016.

ÉMILE ZOLA  

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par Marc SOLERANSKI – Maître ès lettres modernes et en Histoire de l’Art à Paris IV Sorbonne.

INTRODUCTION

Zola commence sa saga des Rougon-Macquart là où s’arrête l’œuvre de Balzac. Parfois on limite Zola à son engagement dans l’affaire Dreyfus ou sa fresque romanesque des vingt volumes des Rougon-Macquart. Son œuvre est beaucoup plus vaste et reste engagée, de ses débuts jusqu’à sa mort.

I Repères biographiques.

Émile Edouard Zola est né à Paris le 2 avril 1840. Son père, ingénieur de travaux publics, natif de Venise, obtient un contrat en 1843 et s’installe avec sa famille à Aix-en-Provence. Il meurt en 1847 mais son ouvrage hydraulique porte toujours son nom. C’est au collège d’Aix-en-Provence que Zola se lie avec Cézanne qu’il retrouvera ensuite à Paris quand ils auront plus de 18 ans. Ce dernier l’introduira alors dans les cercles artistiques. Sa mère doit éponger les dettes de son défunt mari et la famille retourne à Paris. La famille, au fil du temps et des difficultés financières, doit s’installer dans des quartiers de plus en plus pauvres. Zola s’intéresse beaucoup à la littérature et surtout à Balzac. Il obtient une bourse d’étude mais échoue au baccalauréat ce qui le pousse à arrêter ses études.

A Paris, le jeune Zola mène une vie difficile dans les quartiers populaires ce qui le sensibilisera à la misère qui frappe bon nombre de gens alors que la France est au zénith de sa puissance économique et coloniale. Il assiste au remodelage de Paris avec les travaux du baron Haussmann. Il note le contraste énorme qui existe entre les riches et les pauvres. Dès 1863 Zola collabore aux rubriques de critique littéraire et artistique de différents journaux. A la même époque il écrit des contes. Par ailleurs, il suit les procès de Flaubert et Baudelaire a qui on reproche de mettre en scène des perversions et des actes immoraux sans jamais émettre la moindre critique. C’est alors que se pose la question si l’on peut faire de l’art avec n’importe quoi. Cette question va animer le réalisme et se pose même jusqu’à nos jours.

Dès 1868 grâce à ses travaux journalistiques Zola se lie avec les frères Goncourt Edmond et Jules. A la même époque, boulevard des Batignolles chez Edouard Manet se réunissent les membres du cercle des réalistes, le poète Zacharie Astruc, le jeune Auguste Renoir, le jeune Claude Monet et Zola lui même. On peut remarquer que l’on y trouvait tous les artistes qui deviendront les grands noms de l’impressionnisme. Ce clan du boulevard des Batignolles sera immortalisé dans la peinture d’Henri Fantin-Latour « Un atelier aux Batignolles ». Zola défend dès le début une littérature réaliste et critique les imitateurs de Hugo. C’est à partir de se groupe des Batignolles que le réalisme va se scinder en deux clans, les naturalistes et les impressionnistes.

II L’œuvre de Zola.

Le clan des Batignolles permet à Zola de fréquenter assidûment un monde artistique nouveau et créatif. Dans la seconde moitié du Second Empire apparaît la photographie qui passionnera Zola. La photographie produit un choc culturel et on arrive à se demander si les peintres ont un avenir surtout les peintres réalistes. En effet, ces derniers peignaient non pas des sagas historiques ou des scènes religieuses mais ce qui nous entoure et ce que l’on connaît.

A cette époque Napoléon III permet aux peintres à qui on a refusé d’exposer les toiles dans les lieux classiques d’exposer au Salon des Refusés. Deux œuvres particulièrement feront scandale, « Le déjeuner sur l’herbe » et « Olympia » toutes deux de Manet. « Le déjeuner sur l’herbe » fait polémique non pas à cause de la femme nue mais par la façon dont elle est représentée. Au contraire des nus classiques, son corps est peint avec ses défauts et de façon un peu maladroite. Le même reproche est fait à « Olympia ». Zola prend fait et cause pour Manet et le fait savoir dans ses critiques. Pour le remercier Manet peindra « La lecture » où Zola est représenté dans son bureau. L’analyse de Zola qui disait que Manet peignait la réalité nue avait une interprétation fausse de l’œuvre de Manet. En effet, les deux toiles de Manet si décriées, parodiaient deux tableaux du Titien car Manet aimait dire qu’il n’avait jamais vu de déesse mais qu’il pouvait côtoyer des femmes qui vendaient de l’amour. Les naturalistes vont chercher à rivaliser avec la photographie alors que les impressionnistes vont jouer sur le flou et montrer que chaque spectateur a sa propre vision.

En littérature aussi on assiste à un courant naturaliste et un courant impressionniste. Le paradoxe de Zola est qu’il a défendu des impressionnistes mais avec un œil de naturaliste, ce qu’il est.

Zola commence par publier les « Contes à Ninon » qui ne connaîtra qu’un faible succès. Son premier grand succès sera « Thérèse Raquin » publié en 1866. C’est l’histoire d’une femme malheureuse en ménage et qui a un amant. Si on voit clairement l’inspiration d’Emma Bovary, Zola y ajoute des détails sordides que l’on ne trouve pas chez Flaubert. Cette œuvre provoque un scandale qui relance la polémique sur « peut-on faire de l’art avec tout? » . Ce qui va inciter Zola à poursuivre l’œuvre de Balzac c’est la fin du second Empire avec la capture de Napoléon III à Sedan. Au début de la IIIème République, Zola se reconnaît dans le mouvement naturaliste. Le romancier reprend la description de la société française arrêtée en 1850 avec la mort de Balzac. Ainsi dès 1868, Zola conçoit un projet qui était déjà en germe depuis quelques temps : « L’histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire ». Il envisage une fresque romanesque traversant toute la période du coup d’Etat du 2 décembre 1851 à la défaite de Sedan en 1870. La série des Rougon-Macquart met en scène une descendance s’étendant sur cinq générations. C’est une nouvelle comédie humaine. On décrit la société sous tous les aspects, du milieu du pouvoir jusqu’au gens les plus humbles. Certains membres de cette famille vont atteindre les sommets de la société d’Empire alors que d’autres vont sombrer, victimes d’échecs sociaux et de leur hérédité.  Avant Zola on qualifiait de naturalistes Buffon ou Cuvier, les scientifiques qui étudiaient la nature. Avant d’être un mouvement littéraire c’était un mouvement scientifique. Les écrivains naturalistes utilisent le vocabulaire scientifique et les méthodes de la science pour analyser la société. La société humaine est analysée comme les animaux en laboratoire. Partant de cette démarche scientifique, Zola souhaite montrer comment se transmet et se transforme dans une même famille, une tare génétique ce qui implique l’usage d’une généalogie que le romancier ne cessera de perfectionner au fil de l’élaboration de son œuvre. Cette démarche est parfaitement décrite dans la préface de La Fortune de Rougon qui regroupe toutes les œuvres de Zola. A l’époque, on ne connaissait pas la molécule d’ADN mais on se posait des questions sur l’hérédité et la transmission ainsi que la génétique. Tous les personnages des Rougon-Macquart sont présentés dans le premier volet « La fortune des Rougon ». L’origine de la famille est une fille de maraîcher Adelaïde Fouque, originaire de Plassans ville fictive mais qui est la transposition exacte d’Aix. Adelaïde a des faiblesses nerveuses, ce qui aura des répercussions sur ses descendants. Elle est mariée à un jardinier Rougon avec qui elle a un fils, Pierre, qui sera son seul enfant légitime. A la mort de Rougon, elle a un amant obscur, alcoolique et malhonnête avec qui elle aura un fils, Antoine, lui aussi alcoolique qui sera toujours en conflit avec son demi frère Pierre. Adelaïde a également une fille, Ursule Macquart qui épousera un chapelier et donnera naissance à une autre branche de la famille, les Mouret. Derrière les Rougon on reconnaît les grandes figures du Second Empire tels le baron Haussmann, les Rothschild  ou Alfred Chauchard, le fondateur des grands magasins du Louvre. Aristide Rougon n’est pas uniquement la transposition de Chauchard. Il s’inspire des hommes d’affaires qui ont fait construire de riches hôtels particuliers près du parc Monceau. Chauchard fondateur des magasins du Louvre et Boucicaut fondateur du Bon Marché, ont inspiré Octave Mouret, fondateur de « Au Bonheur des Dames » dans les Rougon-Macquart. La branche des Rougon montre la réussite par la malhonnêteté. Dans la branche des Mouret, on trouve un abbé qui permettra à Zola une réflexion sur la religion. Dans la branche des Macquart, on trouve plusieurs enfants, la plus célèbre de la saga est Gervaise, brisée par l’alcool et l’exploitation sociale. Les enfants de Gervaise sont le reflet de la tragédie des classes sociales défavorisées du Second Empire. Etienne Lantier qui part dans les mines du Nord et qui est le héros du roman « Germinal », Jacques Lantier, cheminot qui est le personnage central de « La bête humaine » et Claude Lantier, peintre et héros de « L’œuvre« . Gervaise qui se mariera plusieurs fois a également une fille, Anna Coupeau. C’est en partant d’un tableau de Manet que Zola imaginera le destin d’Anna, une demi-mondaine, héroïne de « Nana ». Dans ce roman Zola met en scène le monde des demi-mondaines qui dans la réalité étaient des jeunes actrices ou chanteuses sans grand succès qui réussissent à trouver de riches et puissants amants grâce à qui elles vivent très confortablement. Ces mondaines marquent la revanche des classes populaires.

Zola a été le premier a faire entrer dans la littérature des phénomènes nouveaux et dérangeants tels les grandes Halles de Paris ou la nouveauté du chemin de fer. Zola avant d’écrire ses romans prenait des centaines de pages de notes. Ainsi il trace les plans de la restructuration de Paris faite par Haussmann où chaque nouvelle rue y apparaît ou le plan détaillé des Halles pour « Le ventre de Paris ». Zola s’intéresse aussi au nouveau phénomène des grands magasins. Pour la première fois dans l’histoire, des grands magasins vont devenir de véritables monuments. Ces gigantesques bâtiments ne sont possibles que par la restructuration de Paris, d’ailleurs des accords sont passés entre les grands patrons de magasins et Haussmann. Tout ce phénomène sera méticuleusement décrit dans « Au bonheur des dames ».   

Comme nous l’avons déjà vu, Zola se documente énormément avant d’écrire ses romans. Il est parfaitement naturaliste dans ses descriptions extrêmement précises et il observe chaque personnage mais aussi chaque lieu. Zola n’en reste pas moins un ami des impressionnistes  et il écrit « L’œuvre » comme une transposition de son amitié personnelle avec Paul Cézanne. Cependant on peut se poser la question comment Zola a pu être aussi négatif dans ce roman. En effet, il y décrit un peintre raté qui néglige sa famille et se meurt pour son œuvre. Cette noirceur causera la rupture définitive entre Zola et Cézanne.

III L’après Rougon-Macquart.

Suite à l’énorme succès des Rougon-Macquart, Zola devient une célébrité et s’enrichit. Il achète une grande propriété, Médan, à laquelle il ajoutera deux tours l’une prénommée Nana et l’autre Germinal en référence à ses deux romans les plus lucratifs. Zola réunit bon nombre de ses amis à Médan où il organise des concours littéraires. Certains participants deviendront célèbres notamment Guy de Maupassant qui lira dans ce salon littéraire pour la première fois « Boule de suif ». 

Au contraire de la comédie humaine de Balzac, Zola a mené sa série des Rougon-Macquart à son terme. Cependant, à l’approche du XXème siècle Zola est convaincu que son œuvre est pessimiste et les dénouements tragiques. Il décide d’abandonner le passé et souhaite écrire des romans pour le futur et sur le futur qui lui semble prometteur. C’est cette partie de son œuvre qui restera inachevée. Après les Rougon Macquart il écrit encore trois romans qui sont assez tragiques « Londres », « Rome » et « Paris ». Puis, il entame la création d’un nouveau cycle « Les quatre Evangiles ». Ces romans qui sont très longs et assez ennuyeux ne passeront pas à la postérité. Le premier « Fécondité » se dirige contre le malthusianisme. Dans le second, « Travail » il s’émerveille devant les nouvelles industries. Zola est persuadé que les nouvelles technologies et les techniques modernes permettront de faciliter le travail et que par conséquent des situations comme celles de « Germinal » ne se reproduiront plus. Le troisième volet « Vérité » paraît à titre posthume quant à « Justice » il ne paraîtra jamais car il était resté à l’état d’ébauche.

En 1894, éclate une affaire qui aura un grand impact dans la société française. Le capitaine Alfred Dreyfus est condamné pour haute trahison et envoyé au bagne. Parce que Dreyfus est Juif on considère souvent que cette affaire est un acte éminemment antisémite. C’est partiellement vrai car à cette époque l’ennemi est l’Allemagne sur qui on cherche à venger la débâcle de 1870 par conséquent l’atmosphère était propice à une telle affaire. C’est en 1898 que Zola écrit sa célèbre lettre « J’accuse », parue dans le quotidien « L’Aurore », au Président Félix Faure non pas pour soulever le problème de la tolérance mais pour dénoncer le fait qu’à cause de l’honneur militaire on se refuse à réviser le procès de Dreyfus en dépit des preuves prouvant l’innocence de ce dernier. Il faut souligner que Dreyfus avait été gracié mais pas réhabilité à cause du refus de révision. On se refuse à toucher à l’image de l’armée. Par ailleurs on trouve une presse anti-juive très efficace qui se déchaîne contre Dreyfus et influence l’opinion publique totalement acquise à la cause de l’armée. Suite à « J’accuse » Zola est condamné pour diffamation et il s’exile à Londres. A l’époque seule une infime minorité soutient la révision du procès. Zola est considéré lui aussi un traître, il est sali, insulté et caricaturé. En 1902 on retrouve l’écrivain asphyxié dans son appartement parisien dans d’étranges conditions. A l’époque de nombreux journaux affirment que c’est un suicide car Zola aurait voulu éviter la honte d’un procès. Cependant quelques années plus tard lors de la réhabilitation de Dreyfus en 1906 on commence à penser que Zola ne s’est pas suicidé mais qu’il a été tué. On reconnaît le courage de Zola et finalement en 1908 on transfère ses cendres au Panthéon aux côtés de Hugo. Lors de cette cérémonie un anti-dreyfusard, Louis Grégori ouvre le feu sur Alfred Dreyfus, le blessant légèrement au bras. Cet événement montre toute la passion qu’a engendré cette affaire.

CONCLUSION   

Journaliste, écrivain, essayiste, Emile Zola semble avoir vécu plusieurs vies mais a suivi une seule ligne directrice: de ses articles en faveur des Impressionnistes à l’affaire Dreyfus, en passant par les romans naturalistes, son écriture reste fidèle à la liberté de pensée et à la défense des opprimés. Sans se laisser corrompre par l’opinion du plus grand nombre, et au péril de sa vie, il lutta pour la vérité. Mais, le courage de son engagement ne doit pas faire oublier ses dons artistiques à qui nous devons des romans novateurs par l’observation sociale et la force du récit.

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