AUTREFOIS, LA SEINE (DE PARIS AU HAVRE)

Thèmes: Art, Géographie, Histoire                                                                                                                      Conférence du mardi 15 mai 1990

 

AUTREFOIS, LA SEINE (DE PARIS AU HAVRE)

 

 Par Jean Aubert

 

Comme il l’avait promis il y a deux ans, Jean Aubert est donc revenu terminer sa conférence sur la vie des bords de Seine, cette fois de Paris au Havre et nous attendions avec impatience de voir s’animer la vie multiple, grouillante, souvent turbulente de notre fleuve historique qui, des nefs des Parisii aux péniches surchargées de voitures « avalant » ou à ces autres marquées de la coquille (Shell) ou du trépan (Elf) nous transfuse nt un véritable sang pour nos industries.

 

Jean Aubert commença par nous présenter les trois îles qui il y a 1700 ans étendaient leurs pâturages et leurs bois dans le courant d’un fleuve sinuant entre des marécages.

L’une de ces îles portait quelques constructions ; en face, sur la rive gauche, se dressaient, parmi les masures des pêcheurs, éleveurs ou vignerons, les constructions des occupants romains. Sur cette île se croisaient, rose des vents marquant les points cardinaux, deux voies romaines : Senlis-Orléans et Rouen-Sens.

Puis Mérovingiens et Carolingiens furent rapidement passes et pour cause, ils ignorèrent superbement Paris.

Mais Jean Aubert insista sur la vie multiple du Paris des Capétiens où nous eûmes le plaisir de retrouver un monde que nous avions entrevu lors de nos visites aux quartiers et monuments du centre de la capitale : les Gobelins et leurs tanneurs, le Musée Carnavalet – le Paris des siècles ramassé en une quinzaine de salles – le Musée de Cluny, la Place des Vosges et surtout la croissance régulière du Louvre, de Philippe-Auguste à Catherine de Médicis. Monde aussi qui nous reste présent, historiquement et spirituellement par le Palais de Justice et Not re -Dame.

Le conférencier évoqua alors le Paris du XVIIème siècle, les châteaux des seigneurs et leurs fêtes.

Il fallait bien montrer qu’il existait autre chose que Versailles, les seigneurs et leurs fêtes, mais surtout la vie, les soucis du peuple parisien qui, aux différents ports, au bois, au plâtre, au blé, au foin, sur les premiers bateaux-lavoirs de Monsieur Marie, à la pompe de la Samaritaine, ravitaillaient une population qui atteindra au XVIIIème siècle le demi-million d’habitants, et qui s’amusait – avec un enfant de tapissier, un nommé Poquelin, Jean-Baptiste de son prénom – des pitreries des bateleurs italiens sur un pont tout neuf, très justement appelé « le Pont-Neuf ». On s’y amusait sur ce pont, il y avait de la place puisqu’il n’était pas bordé d’une double rangée d’immeubles de plusieurs étages.

Un bateau-lavoir sur la Seine à Paris (l’Illustration)

Mais nous n’étions pas encore au Havre, et nous dûmes quitter Paris pour nous arrêter quelques kilomètres plus loin, le long de deux îles, l’île de Billancourt suivie de l’île de Saint-Germain qui, comme l’île de la Cité furent réunies aux rives par deux ponts (c’est plus facile) qui devinrent le Pont de Sèvres.

 

Sèvres : le Mont Valérien vu de Boulogne (Al. I.D.F.)

 

Au temps de la Révolution, un chimiste, Monsieur Seguin, y installa une tannerie à la chaux et fit fortune. Puis au début du XIXème siècle, des villas s’y installèrent, des peintres y trouvèrent l’inspiration ; c’est si charmant ces bords boisés de la Seine au pied de la colline de Meudon. Mais tout sera rasé pour faciliter la défense de Paris lors du siège de 1870 face aux fortifications toutes neuves.

C’est alors qu’un habitant de Billancourt se passionnant pour la construction d’engins pétaradants et nauséabonds qui semblaient avancer tout seul, s’installa sur l’île… Il semblait n’avoir que l’avenir que l’on promettait aux fantaisistes réalisations d’un « doux dingue ». Oui, mais quand on s’appelle Renault et qu’on se prénomme Louis… Vous connaissez la suite ; et vous connaîtrez la fin, mais remercions Jean Aubert de nous avoir fait revivre ce siècle de vie intense à Billancourt. Espoirs, richesses, drames aussi ; pensons aux victimes des bombardements de 1942, 43, 44 ; pensons aussi au sort de Louis Renault.

Et la Seine industrieuse s’en va, mourant, espaçant ses usines, ses ports, sa fébrilité, mais acceptant sur son eau, qui déjà n’était pas très claire et où les « ravageurs », aux rives de l’île, quêtaient parmi les débris récupérables de la voierie parisienne, acceptant donc sur elle, les premiers docks flottants. La Seine historique espacera aussi ses sites jusqu’à Saint-Germain. Du Louvre à Saint-Germain, c’est si facile la ligne droite : Par les ponts de Neuilly, de Chatou et du Pecq, la voie royale était ouverte à nos modernes bâtisseurs. Nous l’avons vue si bien matérialisée du sommet de l’Arche de la Défense.

Mais la Seine artistique que nous avons vue poindre aux tours de Notre-Dame (Victor Hugo), à la tour de Nesle (Alexandre Dumas) et dans les peintures de Diaz à Billancourt trouve maintenant jusqu’à Mantes son plein épanouissement. Ponts, régates, guinguettes, explosions d’art et de vie, nous les partageons pendant toute la deuxième moitié du XIXème siècle avec les toiles de Corot, Renoir, Pissarro, Sisley, Vlaminck, Marquet et Van Gogh n’est pas loin : au fil de l’eau nous apercevrons son église de Vétheuil, et Monet qui nous attend à Giverny. N’oublions pas Maupassant toujours hanté par l’eau, et qui est présent à chaque courbe, ni Zola qui pontifie et reçoit à Médan.

Le chroniqueur dit alors à ce point de son exposé : « j’en passe et des meilleurs ». Pourquoi ne le ferais-je pas : les courbes nous incitent à la flânerie comme le cheminement des chalands… Et puis Le Havre est encore loin.

C’est la Seine, artère vitale de l’économie française – et depuis 1500 ans – que Jean Aubert évoquera à Conflans-Sainte-Honorine. Il nous rappellera l’accueil de la châsse de la Sainte à l’époque des raids normands, mais insistera sur le rôle de Conflans comme capitale de la batellerie avec ses agences de fret, sa chapelle et des écoles pour bateliers ; sur les particularités aussi d’un métier très hiérarchisé.

 

Le point de confluence de la Seine et de l’Oise à Conflans-Sainte-Honorine (M.I.D.F.)

Bien sûr au cours des siècles, la nature du fret a évolué et la Seine ne sert plus guère à l’exportation des vins de France (comprenons France au sens capétien : Ile-de -France), mais me confia plaisamment Jean Aubert hors conférence, elle transporte… de l’eau. Et devant mon étonnement, précisa : « elle transporte de l’eau chaude sortie des centrales thermiques ou nucléaires et la rafraîchit jusqu’à la prochaine, ou elle recommencera son rôle rafraîchissant ». Ce n’était pas une plaisanterie, j’ai vérifié la température de l’eau de la Seine sur les documents de l’Agence de l’Eau : 22,5° à la sortie d’une centrale ; 19,5°, 50 km plus loin avant une autre centrale.

De Poissy à Rouen, la Seine assurera encore un double rôle : celui de l’artère anglo-franco-normande, puis de l’artère gothique. Mantes, surtout, a subi les assauts des Normands. Elle fut par trois fois prise et pillée au cours du IXème siècle, connut quelque répit après la paix signée à Saint-Clair-sur-Epte, mais était suffisamment rebâtie pour que Guillaume – devenu Conquérant après son expédition en Angleterre – revienne guerroyer contre le Capétien et incendie la ville. Justice immanente : comme parcourait à cheval les ruines encore fumantes, il chuta et mourut. A l’époque des Plantagenets, nouvelles luttes et Mantes voit cette fois mourir Philippe-Auguste.

 

Une représentation ancienne de la ville de Mantes, des îles et de ses ponts (A. D. Y.)

En passant, Rolleboise nous rappelle le Normand Rollon et Laroche-Guyon un nommé Guyon, seigneur de La Roche ; le château, dont il reste la ruine sur la colline – et que nous avons vu il y a deux ans – fut aussi témoin des mœurs brutales d’une époque où la vie de l’homme ne valait que par le tranchant de son épée. Mais n’allons pas trop vite en horreurs : Château-Gaillard et Jumièges nous attendent. Rappelons cependant que Rommel en 1944, lors de la bataille de Normandie, installa au château bas (nous l’avons vu aussi) son quartier général.

Les boucles de la Seine attiraient vraiment les combats ; à la suivante nous trouverons Château-Gaillard. C’est Richard, l’Anglais, qui le construisit en un an ; c’est Philippe-Auguste, le Capétien, qui le lui reprit en 1204, et ce sera Henri IV le Bourbon qui le fera démanteler. Il est temps que le Roi de France se fasse respecter dans son royaume.

Château-Gaillard ai-je dit Château-Paillard aurai-je pu dire, car nous y retrouverons nos héroïnes de la Tour de Nesle dont, après Alexandre Dumas, Jean Aubert nous a conté les exploits galants et … tranchants. Et je ne parlerai pas du château qui protège l’entrée de Rouen par la rive gauche : le château de Robert le Diable (Brrr.).

 

Château-Gaillard : le bac (A. D. V.O.)

La Seine gothique aurait été certes plus sereine par les Collégiales de Poissy de Mantes, et surtout par les superbes églises de Rouen : Saint-Romain, Saint-Ouen, aussi belles à contempler de la Côte Sainte-Catherine, qu’enrichissantes à visiter. Mais vous vous en souvenez puisque l’an dernier nous avons suivi les pas de Madame Bovary et de Flaubert dans la cathédrale où nous avons retrouvé les tombes de personnages que nous venons de voir périr de mort violente.

Plus sereine aussi, par le calme propre à la méditation des abbayes, qui comme celle de Saint-Wandrille, suivent le cours de la Seine. Mais pourquoi faut-il que nous soyons si vite repris par la violence : à Jumièges, nous trouvons « les énervés » de Jumièges, princes mérovingiens confiés à l’abbaye, puis « énervés » (les nerfs des jambes tranchés) et abandonnés au courant de la Seine.

Revenons plutôt sur les activités portuaires et industrielles, qui à partir d’Elbeuf retiendront surtout notre attention.

Elbeuf vit se développer l’industrie textile. Le matériau changeait : lin, laine puis coton, mais les usines restaient, ranimées après 1870 par l’arrivée des tisserands alsaciens. Les fibres synthétiques et la concurrence de pays à main-d’œuvre peu coûteuse entraînèrent son déclin. L’aventure Renault cependant continuait sa marche vers l’ouest : après Billancourt, Flins puis Cléon puis Sandouville.

L’importance de Rouen, commerciale, industrielle et administrative exigeait que la question des ponts fût réglée. Ce fut long, difficile et souvent provisoire ; et comme Paris, il fallut envisager des transferts de fret. Un premier pont en bois (Xème siècle) fut reconstruit en pierre (XIIème siècle), Malgré plusieurs accidents il dura jusqu’au milieu du XVIème siècle, date à laquelle deux bacs le remplacèrent. Un autre projet vit alors le jour : projet avorté. Nous sommes alors vers le milieu du XVIIIème siècle et les Rouennais devront jusqu’à Napoléon Premier se contenter d’un pont de bateaux.

Cependant, à cause des transferts de charge restés obligatoires – surtout au temps de la marine à voiles – , la banlieue ouvrière, portuaire, les chantiers navals se développèrent en aval de Rouen ; d’autres industries aussi, et nos vieux papiers garchois vont retrouver une nouvelle jeunesse dans les papeteries du Grand-Quevilly. Usines et raffineries, ports de pêche aussi nous accompagneront jusqu’au Havre : Canteleu, Vatteville, Notre-Dame de Gravenchon, Lillebonne. Notre attention et notre admiration seront alors attirées par les nouveaux ponts : celui de Brotonne au niveau de Caudebec, et surtout celui de Tancarville qui de 1955 à 1959 mobilisa ses ouvriers pendant 3 500 000 heures de travail, sans qu’aucun accident mortel ait été déploré. Le pont fut inauguré avec une juste fierté.

Le géographe s’intéressera à l’avance extrême de la marée et à son signe, le mascaret, jusqu’à Caudebec ; l’ingénieur au canal de Tancarville, mais tous seront sensibles au drame de Léopoldine Hugo victime du mascaret à Villequier :

« Demain dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,

« Je partirai, vois-tu je sais que tu m’attends »

Jean Aubert termine donc au Havre ce voyage, complet, vivant et varié qui nous a fait descendre depuis Paris le fil de l’eau, parmi tous les souvenirs de « deux mille ans de labeur » et comme nous comprenons qu’au cours de cette promenade il ne se soit pas pressé :

« Car il (lui) reste tout l’automne ».

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