Van Dyck, le grand portraitiste

Thèmes: Art, Peinture                                                                                                                       Conférence du mardi 6 octobre 2009

Van Dyck, le grand portraitiste

Par Péguy Martinez, conférencière

Antoon Van Dyck (1599-1641) fut un grand innovateur dans l’art du portrait, un genre qui a fait sa réputation et son succès. Cet artiste prolifique – il a produit 1 500 œuvres (certaines ayant été réalisées par les élèves de son atelier sous sa direction) – est bien représenté dans les collections européennes des grands musées. Le musée Jacquemart-André lui avait consacré, fin 2008-2009, une exposition regroupant certaines de ses œuvres venues du monde entier.

L’élève de Rubens

Au XVIIe siècle, les Pays-Bas appartiennent à l’héritage bourguignon de Charles Quint à son fils Philippe II d’Espagne. Ce dernier se montre beaucoup plus brutal que son père vis-à-vis des évolutions sociales et religieuses. Son intransigeance fait croître la contestation, qui culmine en un soulèvement en 1568. La guerre d’indépendance qui en découle durera quatre-vingts ans, jusqu’en 1648 et le traité de Westphalie. Les Pays-Bas sont longtemps coupés entre provinces du nord (Provinces-Unies) regroupées autour d’Amsterdam, sous la tutelle de Nassau (princes d’Orange) et les provinces méridionales (Anvers) qui restent rattachées à la couronne espagnole. En 1609, un cessez-le-feu est signé. Cette trêve, qui durera douze ans, est propice aux échanges, au commerce et à la création de richesses. Installé à Anvers, haut lieu de la contre-réforme, Rubens profite pleinement de ce contexte pacifié. Les commandes affluent. Le grand peintre flamand est alors assisté, entre autres, de Van Dyck qui avait été repéré par le maître dès l’âge de treize ans (il avait débuté comme apprenti à dix ans).

Depuis le milieu du XVIe siècle, les peintres flamands, emmenés par Jan Massys, sont influencés par l’art italien, tant en terme de culture antique, de souci de la perspective que de la mise en place. Quand le concile de 1563 réaffirme l’importance de l’image pieuse et le refus de la virtuosité de l’artiste qui se met trop en avant, les jésuites, eux, assurent que les peintures qui ont du style sont celles qui élèvent l’esprit. Avec Rubens, ils sont servis. Son Hercule et Omphale (1600) présente des personnages au corps sculptural, avec des couleurs chatoyantes et une peinture au dynamisme déjà baroque. Son triptyque de La Déposition de la croix (1612-1614) montre qu’il a parfaitement assimilé la peinture italienne, et notamment l’œuvre du Caravage. Ce style éloquent marquera le jeune Van Dyck qui deviendra, à la mort de Rubens, le chef de file de la peinture flamande.

L’une des premières œuvres de Van Dyck – L’Elévation de la croix – est en fait signée Rubens (son atelier, comme sera celui de Van Dyck par la suite, était organisé de façon à répondre à toutes les commandes. Il n’était pas rare que l’œuvre fut en fait réalisée par un assistant), mais le style rugueux de la touche est caractéristique de Van Dyck. Alors qu’il est encore assistant de Rubens, Van Dyck ouvre son propre atelier en 1617 à l’âge de dix-huit ans. Il réalise de nombreux tableaux historiques ou mythologiques, mais ce sont ses portraits qui lui apporteront la gloire et la reconnaissance.

Des portraits plus naturels, des sujets magnifiés

La tradition du portrait humaniste existe depuis la Renaissance, mouvement artistique qui place l’homme au cœur de tout. Quand Raphaël peint Baldassare Castiglione en 1515, l’acuité psychologique est extrême : seul point de couleur, le regard bleu intense qui fixe le spectateur tranche le décor et les vêtements sombres. Le XVIe siècle fixe déjà des règles pour les portraits. Des codes qui seront renouvelés par Rubens et Van Dyck : Rubens ajoutera des éléments d’architecture, des draperies, un soin attentif aux matières, davantage de mouvement  (pour les portraits équestres notamment). Tous deux prendront soin de caractériser la place dans la société, le rendu social du personnage.

Dès ses premiers portraits (1617-1620), Van Dyck cherche à insuffler plus de naturel. Il joue avec les matières, la composition de la toile. Il insuffle de la grandeur dans les portraits aristocratiques pour témoigner de l’ambition des personnages. Ses portraits patrimoniaux montrent de l’affection, de l’harmonie. La tradition des portraits collectifs dans l’Europe du nord, très raide, répondait à une stricte hiérarchie. L’homme était toujours placé à gauche. Dans son portrait d’un couple, Van Dyck respecte ce dogme mais l’homme et la femme sont liés car ils se tiennent la main. Dans un autre portrait de famille de 1620, trois personnages sont à nouveau unis : l’enfant est placé sur les genoux de sa mère et regarde son père.

En 1620-21, Van Dyck est envoyé par Rubens en Angleterre. Il rencontre certains personnages très importants, comme Thomas Howard, comte d’Arundel, grand collectionneur et mécène, proche du pouvoir royal. Grâce à lui, Van Dyck côtoie les plus grands et apprécie que la gloire de sa clientèle rejaillisse sur lui. Il a une haute estime de lui-même et des artistes en général. Il estime que les artistes sont, du fait de leurs qualités, des aristocrates. Par conséquent, il aime ennoblir ses amis artistes dans les portraits qu’il fait d’eux. Lui-même se considère comme un aristocrate et se comporte comme un parfait gentilhomme.

En Italie, où il part étudier Titien et Véronèse, sa réputation de peintre gentilhomme séduit énormément. Il y connaît un succès foudroyant. Van Dyck sait magnifier le sujet qu’il met en scène. Il lui adjoint des accessoires et le place en situation, il utilise souvent l’artifice de la fausse conversation : le personnage s’adresse à quelqu’un en dehors du tableau. Quand il retourne à Anvers en 1626, Van Dyck est très demandé par la haute bourgeoisie, qui apprécie son style. L’un de ses chefs d’œuvre est le portrait de Marie-Louise de Tassis (1630), fille d’un haut magistrat de la ville. Elle a la tête tournée, le regard en coin, une de ses mèches est échevelée, ce qui lui confère un côté romanesque, son  costume est traité de façon virtuose… Le modèle est complètement transcendé.

Peintre à la cour royale d’Angleterre

Dans le même temps, Van Dyck fait de nombreux dessins. Ceux qui sont les plus aboutis avaient été destinés à la gravure, une technique majeure pour les artistes car elle permettait de diffuser les œuvres à travers l’Europe. Van Dyck réalisera même un recueil de gravures de hauts personnages à ses yeux (dont beaucoup d’amis artistes).

C’est finalement à Londres que Van Dyck assouvit son ambition d’être peintre de cour. C’est là que son art du portrait atteint son apogée. Le roi Charles 1er  (qui sera décapité en 1649 pendant la première révolution anglaise, celle de Cromwell) l’admire et vient régulièrement le voir travailler. Le souverain a beaucoup d’égards envers son peintre préféré : Van Dyck est logé à la cour, entre Blackfriars l’été et Kew l’hiver. L’estime est réciproque, l’artiste réalisa au moins vingt-trois portraits de Charles 1er. Sur l’un d’eux, réalisé en 1636, on voit le roi sous trois angles différents avec trois costumes différents. L’art d’émouvoir est caractéristique de la peinture de Van Dyck, qui réalisa plus de quatre cents portraits en Angleterre, entre 1636 et 1641, année de sa mort.

Le style « Van Dyckien » sera une influence majeure pour l’école anglaise du portrait. De nombreux portraitistes anglais, comme Peter Lely, ont repris les éléments stylistiques codifiés par Van Dyck. On retrouve son influence chez des artistes  aussi importants que Gainsborough ou Thomas Lawrence. Une influence qui ne s’est pas limitée à l’Angleterre : au XVIIIe siècle, les portraits en France et en Italie ont adopté la théâtralité chère à Van Dyck.

 

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