BEAUTÉ DU CORPS POUR LES ANCIENS GRECS

Thèmes: Art, Civilisation, Peinture, Sculpture                                                                                         Conférence du mardi 28 novembre 2023

BEAUTÉ DU CORPS POUR LES ANCIENS GRECS

Par Madame Catherine ANTRAYGUES, conférencière et historienne de l’art.

INTRODUCTION

Les Grecs ont sculpté des dieux, des déesses et des athlètes, tous représentent la beauté. Si les peintures de la Grèce classique ont disparu, certaines sculptures sont parvenues jusqu’à nous bien que très souvent ce soient par le biais de copies romaines. Ces sculptures sont en marbre ou en bronze, sur les frises ou les frontons.

Les Grecs ne séparent pas le beau du bon et par conséquent accordent une attention particulière à l’art. Certains artistes deviendront particulièrement célèbres et marqueront l’histoire de l’art comme Praxitèle ou Polyclète.

La notion de beauté n’est pas la même au fil du temps et dans une même époque des opinions divergent engendrant divers courants de pensées philosophiques. L’art classique grec des Ve et IVe siècle a influencé durablement l’art occidental et continue d’inspirer de nombreux contemporains.

I – Le corps civique.

Au Ve siècle A.V. JC Athènes tient une place essentielle dans le monde hellénique et les frises du Parthénon, monument emblématique de la cité situé sur l’Acropole, nous montrent plusieurs éléments clés de la société grecque. On peut distinguer les différents acteurs de la société grecque des IVe et Ve siècles avant J-C, les dieux et les hommes.

L’Acropole est un rocher au centre de la cité d’Athènes. C’est une citadelle qui sert à garder la ville mais aussi un important centre spirituel dédié à la déesse Athéna. Le culte des dieux et déesses était très important durant la Grèce antique, où on ne comptait pas moins de 120 jours dédiés aux cultes et aux fêtes. Au centre du temple se trouvait une grande statue chryséléphantine (contenant de l’or et de l’ivoire) de la déesse et une très longue frise d’environ 160 mètres ornait tout le tour du temple. C’est la première fois qu’une frise n’est pas fractionnée. Cette frise, dont une grande partie est au British Museum à Londres et une petite partie au Musée du Louvre, montre l’importance des cavaliers, on en compte 143 sur environ 378 figures humaines. Les cavaliers font partie de l’élite athénienne car avoir un cheval coûte cher. On distingue aussi des hommes à pied ainsi que des femmes. La scène de remise du péplos se trouve au centre de la frise où apparaissent aussi des prêtresses et des dieux, notamment Zeus, Dionysos et Héra.

Les guerriers sont aussi très importants pour la société grecque, chaque cité devant affronter des ennemis extérieurs comme les Perses mais aussi d’autres cités du monde hellénique. Dans les frises de batailles, les guerriers grecs sont identifiables par leur nudité. Paradoxalement, dans nombre de civilisations antiques (perse, égyptienne, hébraïque, etc.) la nudité est honteuse alors que pour les Grecs elle sublime la beauté.

Le Ve siècle est le siècle de Périclès (v.495-429) durant lequel Athènes rayonne aussi bien politiquement qu’économiquement et culturellement. La classe politique comprend que l’art est un moyen d’influencer et dominer les autres cités, aussi la culture prend-elle une place importante dans la société athénienne.

Les dieux font partie de la vie quotidienne des Grecs et ils sont représentés sous les traits d’êtres humains mais avec une beauté parfaite comme le montre la statue de Zeus à Artémision. A Delphes, chaque fronton représente des dieux à l’opposé l’un de l’autre, comme Dionysos et Apollon. Ce sont deux versions de la beauté et de la divinité.

Le monde des dieux est semblable au monde des hommes sur bien des points et notamment sur la rivalité féminine en ce qui concerne la beauté. Ainsi de nombreux concours de beauté étaient organisés et les déesses aussi s’y prêtaient. Le Jugement de Pâris représente cette rivalité entre déesses. Pâris est sollicité par Hermès afin de déterminer laquelle des trois déesses, Héra, Athéna ou Aphrodite, est la plus belle. La gagnante recevra une pomme d’or, lancée par Eris, déesse de la discorde. Tour à tour, chacune vante ses qualités : Héra la politique offre la domination de l’Asie et la richesse, Athéna la guerrière promet la victoire au combat, la beauté et la sagesse, et enfin Aphrodite lui promet l’amour de la plus belle femme du monde. Pâris le Troyen choisira Aphrodite et sa passion pour Hélène mènera à la guerre de Troie. Chaque déesse représente un type de beauté différent. Héra représente la beauté royale et pure de la mariée vierge ; Athéna la beauté athlétique, fière et naturelle alors qu’Aphrodite dégage une beauté érotique.

II – La beauté virile.

L’homme est au centre du concept de beauté grecque, plus précisément un homme jeune au corps musclé. La nudité est une caractéristique de l’art grec. Les hommes sont représentés nus comme dans le symposium. La civilisation grecque est la seule à mettre en valeur les corps nus, la nudité étant considérée comme honteuse par les autres civilisations antiques pour qui les vaincus étaient représentés nus, symbole de déchéance.

Les premières représentations grecques sont directement inspirées des représentations égyptiennes, ce sont les kouros, statues d’homme jeune. Les kouros donnent vie aux Ephèbes. Ces statues ne respectent pas systématiquement les proportions, les épaules étant généralement très larges et la taille particulièrement fine. Les jeunes hommes sont représentés avec des cheveux longs, dans une pose statique, les bras le long du corps et les jambes jointes. Ce type de représentations est très codifié et restera prédominant jusqu’au Ve siècle av. J-C. Plus tard, cherchant à donner une impression de mouvement, les sculpteurs grecs réalisent des kouros avec la jambe avancée. A partir du Ve siècle on cherche à mettre en valeur l’anatomie masculine en sculptant des œuvres moins stéréotypées et en favorisant le naturel. Le poids du corps est supporté par une seule jambe, l’autre étant fléchie en arrière, d’où un hanchement du corps en rotation qui accompagne le geste des bras désormais détachés du corps. L’Éphèbe du sculpteur Cristios (480) et l’Aurige de Delphes (470) illustrent parfaitement cette évolution.

Le corps des athlètes devient un modèle idéal pour les artistes grecs.

On peut souligner l’importance du sport dans la société grecque avec ses nombreuses compétitions sportives. La compétition la plus prestigieuse est la course de quadriges : la gloire est pour les propriétaires des chevaux et non pour les conducteurs. La récompense était une jarre d’huile d’olive et une ode, mais l’important était le prestige et la reconnaissance au sein de la cité. Les Jeux Olympiques et les compétitions entre cités sont aussi des événements cruciaux pour la Grèce antique. Au sein de la cité, le rôle du gymnase est aussi important que le théâtre ou l’agora. L’évolution de la sculpture évolue et donne vie à l’athlète comme avec le Discobole (450) de l’Athénien Myron (Vème) qui dégage une impression de réalisme et montre un travail important sur le mouvement.

C’est aussi durant la période classique que l’on fait le lien entre le sport et la guerre, ainsi un éphèbe se doit de pratiquer du sport afin de se préparer à la guerre. Cette synthèse entre l’athlète et le guerrier est parfaitement représentée par le Doryphore (445) de Polyclète (v. 490-v.420). Ce sculpteur dernier fera le lien entre les mathématiques et la beauté et rédigera Le Canon où il explique le rôle des proportions dans la beauté du corps.

Phidias (v. 500-v.430), un contemporain de Polyclète est considéré comme le plus complet et le plus célèbre des sculpteurs grecs. Il a réalisé des chefs d’œuvres en bronze, deux statues chryséléphantines (Zeus d’Olympie et Athéna du Parthénon) et la frise en marbre du Parthénon. Il a poussé à la perfection la représentation des corps nus et des vêtements qui semblent animés par le souffle d’une brise. Phidias est en opposition avec Polyclète car il favorise la sensualité à la rigueur des proportions. Lysippe (v.390-v.300) reprendra et affinera le Canon de Polyclète : le corps est plus svelte et la tête plus petite ; la musculature est dynamique même lorsque le sujet est au repos. Pour lui la beauté est un idéal.

III – Praxitèle.

Praxitèle (v.395-v.330) est le grand sculpteur du IVe siècle, époque à laquelle les sculptures gagnent encore en mouvement et en mobilité, elles deviennent plus tridimensionnelles grâce à la multiplicité des points de vue. C’est également durant cette époque qu’apparaît le nu féminin.  Praxitèle en sculptant une statue de la déesse Aphrodite dans son plus simple appareil a déclenché une révolution artistique. L’histoire de cette statue maintes fois copiée nous est connue grâce aux écrits de Pline l’Ancien. Phryné (v.371-v.310), une célèbre courtisane avait été accusée d’impiété ce qui pouvait la condamner à mort. Lors de son procès, son avocat voit que son éloquence ne convainc personne alors en dernier recours pour sauver sa cliente il la dépouille de sa tunique devant le tribunal, la dévoilant dans toute sa splendeur. Les sages du tribunal la déclarent immédiatement innocente. Phryné servira de modèle à Praxitèle pour son Aphrodite. En était-elle la maitresse ? Dans un premier temps, le sculpteur propose sa statue à la ville de Cos, qui la refuse et acquiert à la place une version vêtue. Finalement ce sont les citoyens de Cnide qui l’achètent d’où son nom Aphrodite de Cnide. La féminité de la statue est évidente : épaules étroites, cou souple, ventre arrondi, hanche arquée pour soutenir le poids du corps avec douceur. Dans le domaine de la peinture, on pourra retenir la « Phryné devant l’aréopage » de Jean-Louis Gérôme où le modèle était elle-même une courtisane

Praxitèle sculptera aussi des divinités masculines sous la forme de jeunes gens calmes aux formes gracieuses, rêveurs nonchalamment accoudés avec un déhanchement très prononcé : Satyre Verseur, Satyre au repos, Éphèbe de Marathon, Apollon Sauroctone notamment. Ce déhanchement marqué explique la présence de divers éléments à côté des corps (tronc d’arbre où le Satyre est accoudé, arbre où s’appuie Apollon) afin de servir de support à la statue dont le centre de gravité était hors de l’aplomb des verticales. Cependant, aucune de ces sculptures ne sera aussi célèbre que son Aphrodite qui ouvre la voie aux multiples Aphrodite et Vénus hellénistiques puis romaines.

IV – Être femme en Grèce.

Dans la Grèce antique la beauté est synonyme de vertu. Cette croyance est une évidence pour les hommes qui, dans les stades, se mettaient nus pour rivaliser d’adresse et exhiber leurs corps. Le cas des femmes est plus complexe.

Les Grecques respectables ne participaient pas à la vie publique, elles se mariaient, devenaient mère et sortaient rarement de leur foyer. Elles filaient la laine, étaient chargées des tâches ménagères et ne sortaient en public que pour se rendre au temple pour les fêtes. Elles se couvraient car il fallait avoir une peau très blanche. Les représentations de femmes durant la période archaïque sont essentiellement les koraï dont on ne peut deviner aucune forme. Ces statues ressemblent à des cylindres drapés alors que les kouroï masculins sont beaucoup plus dévêtus.

A l’époque classique, la sculpture féminine évolue, hanches et cuisses se révèlent peu à peu sous les plis des tuniques. Ce que l’on nommera le drapé mouillé met en valeur la beauté du corps féminin (cf. La Victoire de Samothrace) mais la révolution viendra avec Praxitèle et son Aphrodite entièrement nue.

Cette évolution vers plus de naturel mènera jusqu’à l’opposition entre réalisme et idéalisme, certains artistes idéalisent la beauté et ne représentent plus la réalité. Platon notamment sera un farouche opposant de l’idéalisme pour qui c’est une apparence trompeuse et donc dangereuse.

V – Les marges dangereuses.

Si dans la majorité des cas la sculpture sublime la beauté associée à la vertu et à la bonté, certaines œuvres sortent de ce schéma. Parfois la beauté peut mener au danger, ainsi la beauté sublime d’Hélène mènera à la guerre de Troie. La beauté peut aussi être ambiguë comme avec la statue d’Hermaphrodite endormie qui a des courbes féminines mais un attribut masculin ce qui montre sa double nature. Autre étrangeté, les Amazones qui sont des guerrières, concept inimaginable pour les Grecs de l’Antiquité.

Le sphinx est aussi un élément étrange mi-femme et mi-animal. Mentionnons également la Gorgone représentée avec la tête entourée de serpents et des dents acérées. La Gorgone représente la laideur car elle est à la limite occidentale du monde et près de la mort. Les gorgones terrorisaient les mortels et même les dieux s’en tenaient éloignés. Certains éléments sont typiques de la laideur ; difformité, éléments bestiaux, etc. comme le montre la statue de Marsyas supplicié dont la nature est indiquée par les oreilles en pointes, la chevelure hirsute et la queue de bête au creux des reins.

VI – La passion des modernes.

L’art de la Grèce antique aura une grande influence sur l’art de la Renaissance comme le montrent de nombreuses œuvres de cette époque, le David de Michel-Ange en étant le plus bel exemple. Au XVIIIe siècle, l’archéologue allemand Winckelmann (1717-1768) établit la particularité de l’art grec souvent confondu avec l’art romain dans son livre Histoire de l’art dans l’Antiquité, publié en 1764.

L’art classique grec donnera aussi naissance au néo-classicisme dans les différents arts dont la littérature. Ainsi au XIXe siècle, Goethe écrira une série de poèmes où il évoque la beauté du corps en s’inspirant des auteurs romains. Il rejette toute pruderie. En France, des auteurs comme Alfred de Vigny, Alfred de Musset ou Victor Hugo se tournent vers l’hellénisme pour l’imiter.

Toujours au XIXe siècle, les Anglais rapportent des œuvres d’art grecques dans les musées londoniens ce qui va engendrer un véritable engouement pour la Grèce antique. A Paris, la Vénus de Milo aura le même effet. Par ailleurs, les fragments de la frise du Parthénon exposés au British Museum influencent profondément les peintres anglais. En France, Matisse s’inspirera de la Vénus de Milo pour peindre Les baigneuses. De manière générale, les peintres romantiques s’intéressent aux sujets antiques, à l’histoire classique et à la mythologie comme le montrent certaines œuvres de Guérin, Ingres ou Moreau. Quant à Phryné elle sera reprise par de nombreux artistes comme James Pradier ou Jean-Léon Gérôme. En sculpture on peut mentionner Aristide Maillol, Joseph Bernard ou Antoine Bourdelle et son Héraklès.

Cette influence marquée de la Grèce Antique perdurera jusqu’en 1914.

CONCLUSION

La période classique en Grèce Antique ne dure qu’un peu plus d’un siècle mais ses canons de beauté auront une grande influence sur l’art occidental. Cette influence est très marquée même de nos jours. Cette influence est visible sur les œuvres mais aussi dans le monde de l’art de manière générale. En effet, c’est durant cette période que paraissent les premiers ouvrages théoriques ou la critique d’art.

Même si depuis 1914, l’influence classique grecque décline fortement, au XXIe siècle, Jeff Koons reprend des œuvres antiques qu’il recrée grâce à des moulages d’un blanc rappelant le marbre et auxquels il ajoute une boule de cristal bleu comme par exemple « Gazing Ball », d’après le fronton occidental du temple de Zeus à Olympe. Quant au Discobole, une des plus célèbres statues grecques, elle est reprise par le collectif Présence Panchounette de manière humoristique dans « L’Art à tout casser ». Enfin on peut mentionner la Vénus de Milo du sculpteur Arman réalisée en 2001.

 

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