L’ART DE CARTIER – Conférence du 15 octobre 1991

Thèmes: Art, Société                                                                                                                         Conférence du mardi 15 octobre 1991

L’ART DE CARTIER

Par Gilles Chazal, conservateur au Musée du Petit-Palais, a prononcé une conférence sur « l’Art des bijoux Cartier ».

Monsieur Gilles Chazal avait assuré la conception d’une exposition sur ce même thème qui a eu lieu au Petit Palais en 1989.

11 nous a montré de très belles photographies de dessins et de bijoux et nous a fait découvrir l’ensemble de la production de cette maison de 1847 jusqu’en 1960, date à laquelle la maison a changé d’orientation.

Louis-François Cartier est né en 1819 d’un père fabricant de poires à poudre, il apprit le métier de joaillier-bijoutier et entra comme ouvrier dans l’atelier d’Adolphe Picard. Ce dernier remarqua vite sa compétence, son sérieux et son aptitude à diriger. Ainsi lui céda-t-il en 1847 son affaire de la rue Montorgueil alors que lui-même s’installait rue de Richelieu à proximité du Palais-Royal.

Ce site était devenu un des lieux majeurs du commerce de luxe ; notamment, une quarantaine de joailliers-bijoutiers-orfèvres y tenaient boutique.

En 1853, Louis-François Cartier ouvrit boutique rue Neuve­ des-Petits-Champs, à mi-chemin entre le Palais-Royal et la Bourse. Fort de son succès et attentif à l’évolution des moeurs de la société parisienne, il déménagea en 1859 pour le boulevard des Italiens.

Cette boutique se fait remarquer par les responsables de l’Empire et par l’Impératrice Eugénie.

Il est difficile aujourd’hui de se faire une idée de la création de Cartier à cette époque. Aucun dessin ne subsiste. Quant aux oeuvres, elles étaient rarement marquées du poinçon, mais certaines pièces sont encore dans leur écrin d’origine et des registres de stock de la fin du XlXème siècle contiennent des croquis.

Pendants d’oreille, 1969

Brusquement, l’histoire mit fin à la fête impériale. La France entra en guerre avec la Prusse et fut vaincue. L’Empire s’effondra. Pour Louis-François Cartier, il ne pouvait plus être question de vendre de précieux objets à une clientèle fastueuse. Il fallait tout simplement survivre.

En 1874, Alfred, fils unique de Louis-François, prit la direction de la boutique du Boulevard des Italiens.

En 1875, le Nouvel Opéra de Garnier était inauguré. Au-delà de ses plaies et de sa mutation politique, la France affichait sa prospérité en partie retrouvée et sa volonté de rester la patrie des arts et du luxe.

L’aristocratie continuait de fréquenter le magasin. Cependant, la clientèle comportait de plus en plus de banquiers et d’industriels français ou étrangers. La diversité de ces amateurs imposait la constitution d’un stock plus divers que jamais.

L’orfèvrerie en or voisinait avec des sculptures en bronze, etc. La joaillerie provenait d’ateliers fort variés.

Les plus belles oeuvres à motifs non figuratifs étaient fournies par Fouquet.

Les joyaux les plus originaux étaient les broches et les ornements de tête, surtout depuis 1880.

La joaillerie de Cartier fidèle à ses critères de qualité (authenticité et caractère des pierres, sobriété et élégance des montures, perfection de la fabrication) voyait sa réputation croître progressivement.

En 1898, Louis Cartier, fils aîné d’Alfred devenait l’associé de son père. Un homme exceptionnel arrivait aux commandes de l’entreprise familiale. Passionné par le métier dont il maîtrisait tous les aspects, il alliait un goût extrême à une vaste culture artistique. Il avait épousé en 1860, Andrée Worth, la petite fille du grand couturier.

En 1899, il s’installe au 13, rue de la Paix à côté des couturiers Worth et Doucet, du parfumeur Guerlain, de plusieurs chapeliers et de nombreux joailliers et orfèvres. Louis Cartier reste à Paris, son frère Pierre s’installe à New-York et Jacques à Londres.

Louis Cartier développe la haute joaillerie en platine et brillants avec parfois quelques perles et décide de ne vendre qu’une production maison.

L’inspiration pouvait provenir de la passementerie, de la nature, de l’art du fer forgé ou autres arts décoratifs.

Broche, 1907

Cependant la structure était fortement affirmée : courbes paraissant tracées au compas mais gardant une grande souplesse.

Diadème, 1906

Louis Cartier créa des montres-bracelets de grande qualité capables de s’harmoniser avec les diadèmes princiers… C’était une révolution très audacieuse.

Montre-bracelet 1912                                 Montre-bracelet 1913

Parallèlement à la haute joaillerie, Louis Cartier a su, en rivalisant avec Carl Fabergé, réaliser une multitude d’objets nécessaires à la vie sociale.

Porte-Mine 1909                                       Vaporisateur de sac 1912

Pommeau d’ombrelle – 1909                              Etui à cigarettes – 1909

Louis Cartier s’intéressait aussi aux petites sculptures en pierres dures.

Muguet, 1908

                                                                                               Inséparables, vers 1910

L’éclectisme avait débouché sur une impasse. L’Art Nouveau n’allait pas tarder à montrer les limites de son inspiration et le caractère par trop systématique de son goût pour la ligne serpentine. D’autres voies étaient donc à ouvrir dans le contexte d’une civilisation de plus en plus marquée par le développement scientifique et industriel. Aussi le XXème siècle naissant connut-il une stupéfiante ébullition. Revues et salons se multipliaient. A Paris, les expositions révélaient les artistes « maudits » : Van Gogh, Gauguin, Cézanne, etc. En 1906-1907, Picasso repensait la peinture et créait l’art cubiste avec les « Demoiselles d’Avignon », etc.

Louis Cartier participait à l’atmosphère de son temps. Mais tirant les leçons du passé récent et de l’actualité, il « déprivilégiait » l’Art Nouveau autant que l’éclectisme. Il se plongea dans l’étude des arts anciens avec l’extrême volonté de n’en tirer que du neuf.

Il s’entoura de dessinateurs comme Charles Jacqueau. Une rare complicité naquit rapidement entre les deux hommes.

 Devant de corsage – 1913                                     Cahier d’idées – 1913

Reprenant cependant une conception de l’Art Nouveau, Louis Cartier proposa l’utilisation, en plus des pierres précieuses et de l’émail, des matières plus diverses : l’ivoire, le corail, le cristal de roche, l’agate, les ors de couleurs, l’onyx et le jade.

 Pendentif égyptien – 1913                                                                   Cahier d’idées – 1912

Louis Cartier admirait la grande tradition française horlogère, notamment du XVIIIème siècle. Il développa ce secteur d’activité. Il prit contact avec Maurice Couët qui, fils et petit-fils d’horloger, avait une connaissance rare du métier.

Mais dans ce domaine, la plus incroyable création de Louis Cartier fut certainement le modèle destiné à son ami Brésilien Alberto Santos-Dumont qui, pionnier de l’aviation désirait connaître l’heure sans avoir à lâcher les commandes de son appareil. Il lui fallait une montre pratique, résistante et digne de son élégance réputée. Elle fut créée en 1904 mais commercialisée seulement en 1911.

Montre-bracelet « Santos » – 1919

Vint l’effroyable catastrophe. La guerre déchirait l’Europe. Le 11 novembre 1918, l’armistice était signé à Rethondes. Et ce furent les Années folles De nouveau, comme sous le Second Empire, le monde entier regardait Paris avec envie. Ainsi, à la faveur de cette envie folle de vivre et de la forte reprise économique, la joaillerie française renaissait.

Pour les bijoux comme pour les accessoires, Louis Cartier appréciait le style géométrique.

Broche,1924

En même temps, sa passion pour la joaillerie indienne le stimulait et les ateliers de Londres et de Paris se familiarisaient de plus en plus avec les pierres taillées en boule ou gravées en forme de feuille, de fleur ou de baie.

Broches, 1924

La civilisation étrangère était très présente dans la création de Cartier (persane, indienne, égyptienne). Cependant au cours des années 1920-1929, ce fut la civilisation chinoise qui prédominait.

Vie professionnelle, sport, soirées… les femmes, de plus en plus actives, ne pouvaient plus se passer de montres. Fort de l’expérience acquise avant la guerre et des structures de fabrication mises alors en place, Cartier savait répondre à leur attente. Des montres-pendentifs, des montres de sac et des montres-bracelets leur étaient proposées.

Mais le vrai bouleversement fut accompli dans le domaine des horloges. Maurice Couêt connaissait les recherches menées vers 1850 par Robert Houdin (prestidigitateur) afin de suspendre les aiguilles dans l’espace. Il perfectionna le système et réussit à créer des pendules dites mystérieuses dont les 2 aiguilles semblaient animées comme par magie au centre d’un cadran translucide. Le procédé consistait à fixer chaque aiguille sur un disque de verre ou de cristal serti d’un engrenage et entrainé par une vis sans fin ; le mouvement étant dissimulé dans le socle.

Pendule mystérieuse, 1923

                 

Broche « Oiseau en cage » – 1942                                         Broche « Oiseau libéré » – 1944

Malgré la guerre, l’occupation et les deuils (Louis et Jacques décédaient en 1942), Cartier continuait ses créations, la flore était de plus en plus somptueuse et le bestiaire s’enrichissait de la même manière.

       

          Broches « Papillons » – 1945                                                         Broche « Nid » – 1946

La maison Cartier a produit également de nombreuses épées d’académicien dont celle de Jean Cocteau. Lié d’amitié avec Louis Cartier, il s’adressa, en hommage posthume, aux ateliers de la rue de la Paix afin de faire réaliser son épée en 1955. Il en conçut lui-même le dessin.

 

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