NUIT DE JUILLET : LA RAFLE DU VEL D’HIV

Thèmes: Histoire, Société                                                                                                                     Conférence du mardi 22 novembre 2022

NUIT DE JUILLET : LA RAFLE novembre  DU VEL D’HIV

Par Monsieur Philippe LIPCHITZ, auteur.

INTRODUCTION

De tout temps, les Juifs ont été persécutés et ne jouissaient pas des mêmes droits que les autres. Avec le siècle des Lumières et la diffusion de nouvelles idées, éclate la Révolution française. On évoque pour la première fois la possibilité d’octroyer la nationalité aux Juifs. Finalement la France devient le premier pays à accorder la nationalité et donc les pleins droits de citoyenneté aux Juifs en 1791.

Mais paradoxalement, la France est aussi le pays de l’affaire Dreyfus et de la politique antisémite de Vichy. C’est ainsi que sous Vichy a lieu la rafle du Vél d’Hiv au cours de laquelle 13152 Juifs sont arrêtés dont un nombre important de femmes et de jeunes enfants.

Le drame de la Shoah a été si profond pour le peuple juif qu’après la guerre le silence s’est imposé. La génération née dans les années 1950 et 1960 n’a pas entendu les témoignages de leurs familles, c’est la génération silencieuse.

De nos jours, les témoins directs s’éteignent peu à peu mais certaines œuvres de fiction, littéraires ou cinématographiques, peuvent contribuer au travail de mémoire.

I – La France et les Juifs : une histoire paradoxale.

Depuis le Concile du Latran de 1215 et jusqu’au XVIIIe siècle les Juifs sont sujets en Europe à de multiples discriminations : vêtements spéciaux, interdiction de séjour, taxes particulières, vexations publiques etc.

La philosophie des Lumières change la perception générale des Juifs par la société, c’est un réel changement par rapport à l’image véhiculée par l’Eglise pour qui les Juifs étaient les meurtriers du Christ. Cependant des préjugés persistent.

Les idées des Lumières font avancer le principe de tolérance sur le plan politique. Ainsi est appliqué dès 1787 l’édit de tolérance de Louis XVI qui accorde l’état-civil aux non-catholiques. Mais, certains parlements régionaux y ajoutent une clause qui exclut les Juifs.

En juillet 1789, éclate la Révolution française et dès le 3 août à l’Assemblée Nationale est évoquée l’émancipation des Juifs mais l’Eglise et les députés anti-juifs sont très influents et le projet est abandonné.

Le 21 décembre 1789, la question juive, avec celle des protestants, des comédiens et des bourreaux est à nouveau débattue à l’Assemblée. Le Comte de Clermont-Tonnerre prononce des propos qui caractériseront l’assimilation des Juifs de France pendant les siècles suivants : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus ». Pourtant, un nouvel ajournement de la décision est pris. Finalement en septembre 1791, avant la dissolution de l’Assemblée Nationale, la proposition d’accorder la nationalité aux Juifs est votée et le 12 novembre, Louis XVI ratifie la loi déclarant les Juifs citoyens français.

La France devient le premier pays à accorder la nationalité aux Juifs. Pour les Juifs à travers l’Europe, la France devient une terre d’espoir et pour certains d’accueil dans leur exil. Par ailleurs, les armées de Napoléon répandent les idées de la Révolution à travers l’Europe et les Juifs obtiennent peu à peu la nationalité au cours du XIXe siècle : Grand-duché de Hesse et Royaume de Westphalie en 1808, Grand-duché de Francfort en 1811, Belgique en 1830, Pays-Bas en 1834, Royaume de Hanovre en 1842, Royaume-Uni en 1858 mais uniquement en 1917 en Russie.

On peut souligner qu’il faudra attendre le décret Crémieux de 1870 pour que les 35000 Juifs d’Algérie obtiennent la nationalité française. Soulignons que Adolphe Crémieux est le premier député juif à siéger à l’Assemblée Nationale.

Cette exceptionnelle image de la France, pays des droits de l’Homme par excellence, verra l’arrivée de nombreux Juifs dans la seconde partie du XIXe siècle. En effet, les Juifs qui vivaient dans cet espace géographique de l’est de l’Europe, le Yiddishland, étaient sous autorité russe et des pogroms avaient lieu régulièrement. Les populations juives persécutées, lorsqu’elles arrivent en France, y voient un pays de droit et se sentent en sécurité. Pourtant, c’est en France qu’éclate l’affaire Dreyfus, le capitaine alsacien de confession juive, Alfred Dreyfus, ayant été accusé de trahison au profit de l’Allemagne. En 1894, cette affaire divisera la société française en dreyfusards, partisans de l’innocence du capitaine et antidreyfusards, partisans de sa culpabilité. Cette affaire montre qu’un fort antisémitisme touchait la France. Cet antisémitisme apparaît dans les journaux nationalistes et engendre de violentes polémiques. C’est dans cette ambiance que Edouard Drumont (1844-1917), journaliste et homme politique d’extrême droite participe à la fondation de la Ligue nationale antisémitique. Il écrit en 1886  » La France juive »,  ouvrage fondateur de l’antisémitisme moderne car il développe un antisémitisme racial (opposition entre aryens et sémites), économique (la finance et le capitalisme sont aux mains des Juifs) et religieux (peuple déicide). Ce livre est le fondement des théories nazies avant la publication de « Mein Kampf » par Hitler. Drumont est enterré au cimetière du Père Lachaise avec l’inscription « A l’auteur de l’immortel chef-d’œuvre, « La France juive ». Cette inscription ne fut retirée qu’en 2000.

II – Le contexte historique du Vel d’Hiv.

En janvier 1933, Adolf Hitler devient chancelier et quelques semaines plus tard il fait passer les premières lois antisémites qui interdisent aux Juifs l’accès aux postes de la fonction publique et aux métiers de l’enseignement, de la justice, d’exercer la médecine etc. On organise aussi le boycott des commerces juifs. Quelque 500 000 Juifs fuient l’Allemagne, la majorité vers les Etats-Unis mais aussi vers la Grande-Bretagne et la France. En 1935 sont adoptées les lois de Nuremberg qui interdisent le mariage entre Allemands et Juifs et établissent que seules les personnes de sang allemand ou apparentées peuvent avoir la citoyenneté allemande. La répression légale se poursuit en 1938 lorsque les Nazis forcent les Juifs à enregistrer tous leurs biens afin de mieux les spolier et les exclure totalement de l’économie allemande. On fait aussi ajouter un J sur les passeports des Juifs.

Les 9 et 10 novembre 1938 un événement va accélérer cet acharnement contre les Juifs : la nuit de cristal (Kristallnacht). Ce pogrom a été présenté par les Nazis comme une réaction spontanée de la population à la mort d’Ernst vom Rath, un secrétaire de l’ambassade allemande à Paris, grièvement blessé par un jeune juif polonais d’origine allemande. En réalité, ces agressions contre les Juifs sont organisées par l’Etat. Sur tout le territoire allemand près de 200 synagogues furent détruites ainsi que 7500 commerces et entreprises gérés par des Juifs et une centaine de Juifs furent assassinés. La nuit de Cristal fait partie des prémices de la Shoah. Les Juifs sont contraints de payer des amendes de plus d’un milliard pour les dégâts causés. Une semaine plus tard, le Reich expulse tous les enfants juifs des écoles publiques.

En septembre 1939, la seconde guerre mondiale éclate. La bataille de France débute en mai 1940 et la France est envahie en quelques semaines, le 22 juin l’armistice est signé. Les forces allemandes occupent la moitié nord de la France et au sud de la Loire le territoire est gouverné par le régime de Vichy qui collabore avec les Nazis.

Le gouvernement de Vichy applique une politique antisémite assez semblable à celle de l’Allemagne : perte de la nationalité, interdiction de faire certains métiers, port de l’étoile jaune etc.

Un événement capital va entraîner la mise en place d’une extermination systématique et à grande échelle de tous les Juifs d’Europe : la solution finale. Si dès son arrivée au pouvoir en 1933, Hitler voulait le départ de tous les Juifs des territoires allemands, en janvier 1942 est mise en place une organisation industrielle pour l’extermination des Juifs. Un des principaux artisans de la solution finale est Reinhard Heydrich qui avait déjà organisé la nuit de cristal et le massacre planifié de l’élite polonaise et des Juifs polonais. On peut rappeler qu’entre septembre 1939 et le printemps 1940, les exécutions par arme à feu ou gaz d’échappement font 60 000 victimes dans ce qui sera la première étape de la Shoah polonaise. Au début de l’opération Barbarossa en juin 1941, les armées allemandes avancent rapidement vers l’est dans de vastes territoires où vivent de nombreux Juifs, ces derniers sont systématiquement massacrés. Un des plus terribles massacres est celui qui eut lieu à Babi Yar, près de Kiev, où en deux jours, 29 et 30 septembre 1941, 34 000 Juifs furent assassinés.  Soucieux d’épargner le moral des tueurs qui exécutaient à la chaîne les Juifs, on organise les premiers camps (Chelmno) d’extermination sous l’autorité de Himmler. Par ailleurs, Göring confie à Heydrich « la tâche d’organiser la solution tant désirée du problème juif ». Heydrich organise la conférence de Wannsee le 20 janvier 1942 dans la villa Marlier près de Berlin. Cette conférence ne dure que deux heures mais aura un impact extrêmement important pour le sort de millions de Juifs à travers l’Europe. En effet, elle entérine le contrôle total de la SS sur la mise en œuvre de l’extermination du peuple juif, et Heyrich obtient la collaboration sans entrave de l’appareil de l’Etat et du parti nazi. La rafle du Vel d’Hiv est la conséquence directe de la mise en place de cette politique.

III – La rafle du Vel d’Hiv.

En France aussi la situation des Juifs devient de plus en plus difficile à cause de la politique antisémite de Vichy. Alors que l’armistice vient d’être signée, le gouvernement de Vichy adopte une loi le 22 juillet 1940 pour annuler les naturalisations accordées par la IIIe République (le 7 octobre ce sera l’abrogation du décret Crémieux). Si les Juifs ne sont pas particulièrement ciblés, dans les faits ils sont les principales victimes de cette loi. En effet, entre 1940 et 1944, 648 000 personnes issues de l’immigration et naturalisées depuis 1927, sont concernées par cette loi. De nombreux Juifs perdent leur nationalité alors que souvent leurs enfants sont nés en France. Cette perte de nationalité est d’autant plus dramatique que le fait d’être enregistré en tant qu’étranger ou apatride fait croître considérablement les dangers d’arrestation et de déportation. Ainsi, les trois quarts des Juifs qui sont déportés par le gouvernement de Vichy sont des étrangers.

Les premières rafles de Juifs en France commencent en 1940 en zone libre et en mai 1941 en zone occupée (rafle du billet vert,  rafle du 11e arrondissement, rafle des notables) les Juifs étant placés dans des camps d’internement français.

Début juin 1942, une planification est décidée, l’opération « vent printanier » doit organiser une rafle pour les trois pays d’Europe occidentale occupés par l’Allemagne (France, Belgique et Pays-Bas). Le plan prévoit la déportation de France vers l’est de 110 000 Juifs au lieu des 5000 initialement prévus. Les déportés doivent être aptes au travail et avoir entre 16 et 50 ans.

L’Etat français, avait constitué un important fichier de recensement des Juifs car depuis une circulaire allemande du 27 septembre 1940, tous les Juifs français et étrangers en zone occupée devaient se faire enregistrer dans les commissariats de police à Paris et les sous-préfectures en province. Il est donc aisé pour les forces de l’ordre d’aller arrêter les Juifs à leur domicile. Cependant, certains Juifs avertis de la rafle, des fuites de la préfecture avaient eu lieu et des prospectus en français et en yiddish circulaient, se cachent et ne sont donc pas à leur domicile le 16 juillet évitant ainsi le pire.

La rafle du Vel d’Hiv est la plus grande arrestation massive de Juifs réalisée en France pendant la Seconde guerre mondiale. L’opération était initialement prévue pour le 14 juillet mais les autorités françaises, pour des raisons évidentes, la décalent au 16 et 17 juillet. Ces arrestations sont menées avec le concours de 9000 policiers et gendarmes français sur ordre du gouvernement de Vichy, après des négociations avec l’occupant menées par René Bousquet, secrétaire général de la Police Nationale. A la suite de ces négociations, entamées par Pierre Laval, les Juifs de nationalité française sont temporairement exclus de cette rafle qui concerne essentiellement les Juifs étrangers ou apatrides, ou déchus de la nationalité française par la loi du 22 juillet 1940, ou encore ceux ayant le statut de réfugié dont plus de 4000 enfants, le plus souvent français nés de parents étrangers et dont aucun ne reviendra des camps. Ces enfants sont déportés à l’initiative du gouvernement de Vichy alors que les Allemands n’avaient demandé que les Juifs de plus de 16 ans.

Entre les 16 et 17 juillet 1942, 13 152 personnes (4115 enfants, 5919 femmes et 3118 hommes) sont arrêtées avant d’être détenues au Vélodrome d’Hiver dans des conditions d’hygiène déplorables et presque sans eau ni nourriture pendant cinq jours. Après leur arrestation, une partie des Juifs est emmenée par autobus dans le camp de Drancy, une autre vers le Vel d’Hiv dans le XVe arrondissement qui sert de prison provisoire. Quelques jours plus tard, les prisonniers du Vel d’Hiv sont conduits dans les camps de Drancy, Beaune-la-Rolande et Pithiviers avant d’être déportés vers les camps d’extermination nazis. Moins d’une centaine de Juifs raflés les 16 et 17 juillet 1942 reviendront des camps d’extermination nazis.

La rafle du Vel d’Hiv choque profondément la population parisienne, même ceux qui sont de fervents antisémites. De nombreux Français cachent des Juifs en dépit des risques encourus. Les rafles antérieures ne concernaient que les hommes et n’ont pas provoqué un tel émoi. La rafle du Vel d’Hiv sera d’ailleurs la dernière. La France est le pays où le pourcentage de Juifs morts dans les camps nazis est le plus bas. En Pologne la politique d’extermination nazie décime environ 90% de la communauté juive de ce pays.

Il faut cependant attendre 1995 pour que la France, par la voix du Président Jacques Chirac, reconnaisse la responsabilité du gouvernement français dans cette rafle et plus généralement dans la persécution et la déportation des Juifs pendant l’Occupation.

IV – Le travail de Mémoire.

A la fin de la guerre, les camps de la mort sont libérés et les Juifs rescapés peuvent retourner dans leurs pays d’origine. Si l’ambiance générale est à la joie et à la célébration de la victoire, les communautés juives décimées se terrent dans le silence. On ne veut pas parler de l’impensable. Au fil des décennies les témoins directs s’éteignent et le travail de mémoire devient chaque fois plus difficile. Ce n’est que dans les années 1970 à la demande des générations nées après-guerre que des documentaires et des écrits parlent de la Shoah. Le film documentaire « Shoah » de Claude Lanzmann, tourné entre 1976 et 1981 et sorti en 1985 marque un tournant important. La société commence à prendre conscience de l’horreur des camps et un travail profond de mémoire commence à s’effectuer. De très nombreux ouvrages paraissent et des films documentaires sont réalisés comme « De Nuremberg à Nuremberg » (1989) mais aussi des films de fiction comme « Le pianiste » (2002) ou « La rafle » (2010) sur la rafle du Vel d’Hiv. Des lieux de mémoire se construisent comme le Mémorial de la Shoah dans le quartier du Marais en 2005 ou celui situé sur le site de l’ancien camp de Drancy en 2012.

Des livres d’histoire, des ouvrages recueillant des témoignages ou des autobiographies paraissent mais aussi de la littérature de fiction inspirée de la réalité. Un bel exemple est le livre de nouvelles de Monsieur Philippe Lipchitz intitulé « Nuit de juillet, la rafle du Vel d’Hiv ». Cet ouvrage évoque des personnes ayant vécu des événements dramatiques et émouvants. On peut citer Monsieur l’instituteur et l’enfant, un poème où on évoque l’envoi à la campagne d’enfants juifs, coupés souvent à jamais de leurs parents ; Tu vois bien qu’il n’y a personne sur l’attitude de refus de collaborer de certains policiers ; Pierre et Samuel sur l’amitié entre un enfant catholique et un enfant juif ; Esther, Déborah et la Fantaisie en Fa mineur D940 sur le suicide au moment de l’arrestation; et les certificats de baptême avec une comparaison entre la Saint Barthélémy contre les Protestants et la rafle du Vel d’Hiv visant les Juifs.

[Monsieur Lipchitz nous lit trois nouvelles de son ouvrage : Monsieur l’instituteur et l’enfant ; Esther, Déborah et la Fantaisie en Fa mineur D940 ; et les certificats de baptême].

CONCLUSION

La France est reconnue comme le pays des droits de l’Homme et le fait d’être le premier pays à accorder la nationalité aux Juifs n’a rien de surprenant. Paradoxalement l’antisémitisme est bien présent dans la société française comme le montre l’affaire Dreyfus qui divisa profondément la France et donnera lieu à une vague antisémite dans la presse. Le livre fondateur de l’antisémitisme moderne est écrit par un Français, Drumont.

Le gouvernement de Vichy prend des mesures contre les Juifs mais la population réagit : des enfants sont cachés dans les campagnes, des certificats de baptêmes sont établis, la population s’insurge contre les rafles, en particulier celle du Vél d’Hiv.

La Shoah a longtemps été passée sous silence car les survivants ne pouvaient exprimer l’impensable. Dans les années 1970 certains ont commencé à voir la nécessité d’effectuer un travail de mémoire afin d’éviter qu’une telle barbarie ne se reproduise. De nos jours il ne reste presque plus de survivants et donc de témoins directs mais de nombreuses œuvres de fiction perpétuent ce travail de mémoire.

Bibliographie

Lipchitz, Philippe, Nuit de Juillet, la rafle du Vél d’Hiv nouvelles. Édition l’Harmattan, Paris, 2019

 

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