Thèmes: Civilisation, Histoire, Sciences Conférence du mardi 8 janvier 1991
Par Jean- Jacques Tur, agrégé d’histoire, professeur au Lycée Florent Schmitt
Les origines de l’humanité peuvent se résumer par les trois Questions fonda mentales de la philosophie : « Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? »
Que nous disent les Sciences et Religions ?
RAPPORT ENTRE SCIENCES ET RELIGIONS
Nous vivons sur une idée fausse selon laquelle la science et la religion sont antagonistes.
Dans l’Antiquité, au Moyen-Age, au 16ème siècle, la Science et la Religion, loin d’être antagonistes, étaient « comme les deux ailes d’un oiseau, qui s’élève vers les hauteurs ». La science avait pour but principal de prouver les merveilles de Dieu.
Dans l’Antiquité, les premiers savants qui ont essayé d’expliquer que la terre tournait autour du soleil se sont fait critiquer pour raisons religieuses. On craignait qu’ils ne viennent troubler le repos des Dieux. Les savants qui se sont rebellés l’ont fait pour des raisons politiques, pour lutter contre les théocraties, où le pouvoir spirituel dominait le pouvoir temporel.
Les sciences modernes ont été marquées par Copernic, Newton, … Le grand mouvement de rupture entre la science et la religion fut l’œuvre au 18ème siècle des philosophes. Au 19ème siècle, les sciences se spécialisent et font de tels progrès que les scientifiques croient que la science peut tout expliquer. Une grande vague de scientisme se développe alors.
COMMENT LA SCIENCE EXPLIQUE T-ELLE LES ORIGINES DE L’UNIVERS ET DE L’HUMANITE ?
La plupart des scientifiques s’accordent à penser que le BIG BANG (origine de l’univers dans sa phase actuelle d’expansion) a eu lieu il y a environ 18 milliards d’années.
Admettons que nous sommes en ce moment le 31 décembre à minuit, et que le big a eu lieu il y a exactement un an. Voici à quelles dates de l’année écoulée auraient eu lieu les principaux évènements géologiques, anthropologiques et historiques :
IL Y A … |
A EU LIEU |
DATE ET HEURE |
18 milliards d’années |
Le Big Bang |
1er janvier (0 h) |
4,6 milliards d’années | Création du système solaire et de la Terre |
fin septembre |
600 millions d’années | Début de l’ère primaire |
19 décembre (20 h) |
350 millions d’années | Premières traces de la vie |
27 décembre (4 h) |
240 millions d’années | Début de l’ère secondaire |
29 décembre (14 h) |
120 millions d’années | « Apogée des dinosaures » Leur disparition |
30 décembre (12 h) |
70 millions d’années | Début de l’ère tertiaire |
30 décembre (14 h) |
4 millions d’années | Début de l’ère quaternaire |
31 décembre (22 h) |
3,5 millions d’années | Premiers homo habilis |
31 décembre (22 h 15) |
1,9 millions d’années | Premiers homo erectus | 31 décembre (23 h 03) |
400 000 ans | « Invention » du feu | 31 décembre (23 h 48) |
120 000 ans | Premiers homo sapiens | 31 décembre (23 h 03) |
35 000 ans | Premiers homo sapiens sapions (= nos ancêtres directs) |
31 décembre (23 h 56′ 24″) 31 décembre (23 h 59 |
17 000 ans | Les peintures de Lascaux | 31 décembre (23 h 59′ 30″) |
5 000 ans | Début des civilisations égyptienne et chinoise | 31 décembre (23 h 59′ 51″) |
2 000 ans | L’époque du Christ | 31 décembre (23 h 59′ 56″) |
500 ans | La Renaissance | 31 décembre (23 h 59′ 59″) |
En utilisant une telle échelle, on voit que :
– l’univers a existé pendant les 3/4 de sa durée depuis le big-bang sans que le soleil ni la Terre existent :
– la Terre a été créée il y a un peu plus de trois mois, alors que l’humanité ne l’occupe que depuis un peu moins de deux heures (mille trois cents fois moins longtemps) ;
– plus de 3 800 000 ans séparent Lucy des premiers homo sapiens ; ceux-ci à l’échelle choisie, sont à 3 minutes 30 de nous, alors que Lucy est à peu près à deux heures ;
– l’humanité actuelle (homo sapiens sapiens) n’est sur Terre que depuis une minute (environ 35 000 ans), mais l’histoire écrite n’a commencé que depuis 9 à 10 secondes :
– à cette échelle, Charlemagne n’est qu’à 2 secondes de nous, Louis XIV est mort il y a une demi-seconde… et l’on prend sa retraite (à 55 ans) au bout d’un dixième de seconde.
* * *
Le tableau ci-après est une synthèse des résultats scientifiques sur l’origine et l’évolution de l’homme. Les points d’interrogation représentent les chaînons manquants, c’est-à-dire les périodes de l’histoire humaine où l’on n’a pas trouvé suffisamment de fossiles, d’ossements… pour dire à quoi ressemblaient les êtres qui sont nos ascendants plus ou moins directs.
Deux sortes de descendances existent :
La filiation fait entrer en ligne de compte des « catastrophes » (météorite, glaciation…). Dans l’hypothèse de filiation, certaines espèces ont subi des mutations. On admet que l’humanité actuelle a pour ancêtre les homo sapiens sapiens (hommes de Cro-Magnon), qui descendraient des homo erectus, qui eux-mêmes descendraient des homo habilis…
Le cousinage considère que l’homo sapiens sapiens a donné les hommes de Cro-Magnon et l’humanité actuelle, Les hommes de Neandertal auraient disparu. Si l’on adopte le principe du cousinage, cela revient à dire qu’il y a à peu près 700 000 ans, des homo erectus auraient peut-être donné des branches qui ont disparu et d’autres qui ont évolué et donné les homo sapiens.
N’oublions pas non plus les métissages par contacts, échange ou conquête.
QUE DISENT LES RELIGIONS SUR LES ORIGINES DE L’HUMANITE ?
« Je n’ai pas la prétention de vous apporter des lumières sur toutes religions. Je ne les connais toutes et de plus je suis chrétien, catholique pratiquant. Ce que je vais vous dire relève non seulement de ce que je sais mais ce que je crois, alors que pour les autres religions, je vous dirais ce que j’ai appris. Je revendique le droit à la subjectivité. » nous dit Jean-Jacques Tur. Dans le livre de la genèse, il y a deux interprétations de la création du monde :
Dans de nombreuses religions à l’origine, il y avait un chaos. Dieu a créé en mettant de l’ordre dans ce qui était chaotique. Dans d’autres la divinité s’autocréait (Grecs). Plus rarement des civilisations parlent d’un œuf cosmique qui regroupait tout ce dont l’humanité avait besoin.
On perçoit une analogie avec le big-bang. Certaines conceptions religieuses sont confirmées par des découvertes scientifiques et inversement certaines conceptions scientifiques s’appuient sur des conceptions spirituelles de J’existence.
Jean-Jacques Tur donne ensuite quelques explications de la genèse et répond aux questions des spectateurs.
QUESTIONS
On pense que tous les homo sapiens avaient des croyances. On a découvert des indices de religion chez les homo habilis. Mais une croyance en un au-delà n’est prouvée que par la découverte des rites d’inhumation et notamment les tombes fleuries (-40 000). On confond souvent la Foi et la Religion. Il peut y avoir foi sans qu’elle ne se traduise sous une forme religieuse, par contre, l’inverse est difficile.
Les religions anciennes ont commencé à pratiquer « l’extériorisation ». Les Grecs vont appeler la foudre Zeus … Les polythéismes se créent peu à peu. La deuxième étape a été « l’objectivation ». Peu à peu toutes les créations de l’Homme se durcissent et deviennent des dogmes auxquels il faut croire, des rites auxquels il faut se soumettre pour faire partie du groupe. Des religions souvent officielles se créent ainsi. Souvent le principal fondement de ces sociétés est alors religion.
Tous ces rites, dogmes sont de la création humaine.
ANNEXE
Le tableau que nous a donné Monsieur Tur pour illustrer sa conférence montre avec clarté et précisions ce que nous savons, et avec humilité, par ses nombreux —-à ? —- ce que nous ne savons pas, c’est-à-dire les fameux « chaînons manquants » (missing links).
Penchons-nous sur ce problème et essayons de comprendre la cause de cette solution de continuité.
Une analyse immédiate et de bon sens nous rassurerait en faisant appel à deux circonstances extérieures.
La première dépend de nous : en faisant plus de recherches, on fera plus de découvertes et on finira bien par découvrir certains chaînons manquants. C’est exact et cette méthode a permis de combler déjà certains abîmes, la découverte du Cœlacanthe est à cet égard exemplaire.
La deuxième due à des actions naturelles, les catastrophes, qui au cours des millénaires ont fait disparaître telle ou telle espèce installée, voire triomphante, ont pu également anéantir telle espèce encore fragile et hésitante. C’est ce dont, et entre autres, les ossements des dinosaures semblent témoigner.
Mais il y a peut-être aussi d’autres causes à l’absence de ces chaînons manquants et deux exemples peuvent être fournis par la nature ou l’industrie humaine.
Le monde des insectes montre que certains individus peuvent disparaître après avoir rempli leur rôle et que ce rôle pour discret et modeste qu’il semble être est vital pour l’espèce puisque c’est un rôle de fécondation. La mort des mâles des abeilles, leur rôle accompli, celle de l’unique reine aussi, pourrait laisser croire à l’existence d’une espèce asexuée. Les abeilles retrouvées prisonnières dans les grains d’ambre des rives de la Baltique en témoigneront.
Les industries humaines nous donnent également un exemple, différent, mais très parlant et illustrent la théorie des « nappes » que développe Teilhard de Chardin à propos de l’évolution humaine : une espèce envahit un large territoire dès qu’elle semble avoir atteint un stade de stabilité.
Pensons à ce que nos ingénieurs ont fait avec l’automobile et l’aviation. Leurs modestes et laborieux essais en laboratoires et ateliers n’ont fait que mettre en route le large épanouissement de nos modernes et immenses usines d’où sortent chaque jour des milliers d’engins accomplis.
Nul doute que archéologues de l’an X … auront du mal retrouver les traces des « drôles de machines » ou des tacots ancestraux.
Cela vous fait rêver, réfléchir ou cela vous irrite ?
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