LA FRANC-MAÇONNERIE SOUS NAPOLEON III

Thèmes: Histoire, Société                                                                                                               Conférence du mardi 2 avril 2019.

LA FRANC-MAÇONNERIE SOUS NAPOLEON III

Par Alain QUERUEL, écrivain, auteur d’un livre éponyme 

INTRODUCTION

La franc-maçonnerie en France fait partie d’un ensemble de phénomènes historiques et sociaux très divers formant un espace de sociabilité qui recrute ses membres par cooptation et pratique des rites initiatiques faisant référence à un secret maçonnique et à l’art de bâtir. Elle a vu le jour en France sous l’influence des Stuart émigrés et de leur entourage vers le début du XVIIIe siècle.

Sous le règne de Napoléon Ier l’engouement pour la franc-maçonnerie est évident mais l’histoire de la franc-maçonnerie sera mouvementée jusqu’à l’avènement du Second Empire en 1851, Napoléon III offrant sa protection aux diverses obédiences, mais là-même pour mieux les contrôler. L’âge d’or pour la franc-maçonnerie sera la Troisième République sous laquelle les membres du gouvernement étaient fréquemment francs-maçons.

I – Brève histoire de la franc-maçonnerie en France avant Napoléon III.

La franc-maçonnerie moderne serait née en Angleterre au XVIIe siècle comme une conséquence de l’incendie de Londres et à son grand besoin en ouvriers et entrepreneurs du secteur de la construction afin de rebâtir la capitale. A la même époque, la lutte pour le trône d’Angleterre entre la maison d’Orange et les Stuart divise la noblesse. Jacques Stuart viendra se réfugier en France mais Louis XIV, affaibli par le Traité d’Utrecht, devra accéder aux exigences anglaises et expulser son hôte qui s’exilera dans diverses Cours européennes. Au fil des décennies, avec l’installation d’exilés stuartistes en France la franc-maçonnerie aura traversé La Manche. La première loge aurait été fondée à Dunkerque mais celle dont l’existence est historiquement bien documentée a été fondée par les britanniques à Paris vers 1725. Elle regroupait principalement des Irlandais et des exilés stuartistes. Les débuts sont difficiles car la franc-maçonnerie était déclarée persona non grata en France. Cependant, en 1728 les francs-maçons français décident de reconnaître comme « Grand Maître des francs-maçons en France », Philippe, Duc de Wharton qui avait déjà été en 1723 Grand Maître de la Grande Loge de Londres. Il faudra pourtant attendre dix ans de plus pour qu’une véritable assemblée des représentants de toutes les loges constitue pleinement la première Grande Loge de France le 24 juin 1738.

Comme en Angleterre, la franc-maçonnerie est vite pénétrée par la haute noblesse et se développe tout au long de l’Ancien Régime, à tel point qu’elle devient un phénomène de mode. Les deux loges les plus connues sont « Les neuf sœurs » où l’on trouve essentiellement des bourgeois et des intellectuels, et « La candeur », la loge des aristocrates. En 1771, Louis Philippe d’Orléans succède au Comte de Clermont à la tête de la franc-maçonnerie. La Grande Loge de France change de nom et devient en 1773 le Grand Orient de France. A la fin de l’Ancien Régime, la franc-maçonnerie est bien installée et toute l’intelligentsia en fait partie.

Durant la Révolution il y eut des Francs-maçons dans tous les camps. Cependant, alors qu’on estime que le nombre de loges était de cinq cents avant la Révolution son nombre tombe à dix-huit, mettant en grave danger l’existence de la franc-maçonnerie. Le fait qu’une loge comme « La Candeur » regroupe bon nombre de nobles et soit dirigée par Louis-Philippe d’Orléans ne peut qu’entraîner la haine des révolutionnaires. Le Grand Maître du Grand Orient lui-même devenu « Philippe Egalité » renie publiquement la maçonnerie en 1793 …peu de temps avant de finir sur l’échafaud ! Si le Grand Orient proclame son attachement à la forme démocratique de gouvernement dès janvier 1789 il est cependant contraint de cesser ses activités sous la Terreur entre 1793 et 1796.

Le renouveau a lieu en 1797 grâce à Roettiers-Montaleau qui comprend qu’il faut s’appuyer sur le pouvoir en place. Ainsi on propose, en 1804, la Grande Maîtrise à Bonaparte mais celui-ci la refuse. Bonaparte devenu Napoléon 1er veut bien accepter la franc-maçonnerie, mais à condition qu’elle soit à son service et qu’elle défende ses intérêts. En règle générale on peut dire que sous Napoléon Ier la franc-maçonnerie a connu une période calme, toute la famille Bonaparte étant initiée et la quasi-totalité des maréchaux de l’Empire étant francs-maçons (18 sur 24). Finalement c’est Joseph Bonaparte qui est mis à la tête du Grand Orient de France dont l’administration effective est confiée à Jean-Jacques Cambacérès. Une légende affirme que Napoléon 1er lui-même aurait été maçon mais nous n’avons aucune preuve écrite. L’engouement pour la franc-maçonnerie peut s’expliquer par le fait que lors des nombreuses campagnes militaires, les blessés recevaient bien souvent le coup de grâce sur place mais les francs-maçons ayant des signes particuliers pour se reconnaître pouvaient s’entraider. Être membre d’une loge maçonnique pouvait donc sauver la vie. Pendant le Premier Empire, le Grand Orient de France, étroitement contrôlé par le pouvoir politique, réunit progressivement sous son égide la quasi-totalité de la franc-maçonnerie française qu’il développe pour atteindre 1200 loges dont de très nombreuses loges militaires.

A la fin du Premier Empire, la franc-maçonnerie est exsangue, il n’y plus de grand maître depuis le départ de Joseph Bonaparte et de Cambacérès. Par ailleurs, la franc-maçonnerie a tellement été identifiée au régime napoléonien que sous la Restauration elle fait profil bas. Sous Louis XVIII, le Duc Decazes lui redonne un peu de lustre. Mais après l’assassinat du Duc de Berry, elle souffre de répression. Cependant peu à peu la franc-maçonnerie française se politise et de nombreux francs-maçons seront parmi les révolutionnaires de 1830 et, à l’exception de Lamartine et Ledru-Rollin, tous les membres du gouvernement provisoire de 1848 sont francs-maçons. Entre 1848 et 1852 le Grand Orient de France devient quasiment hégémonique c’est pourquoi il est si important pour le pouvoir de le contrôler. Pourtant il existe trois autres obédiences : le Suprême Conseil de France, l’Ordre de Memphis, rite apporté de la campagne d’Egypte et l’Ordre de Misraïm, également un ordre égyptien.

Il faut souligner que l’on ne doit pas associer les rites à une obédience. Le rite français est né suite à la querelle des « anciens » et des « modernes ». Le rite écossais ancien et accepté est la conséquence d’un rite ramené du nouveau monde ; quant au rite rectifié, il provient d’Allemagne et a une forte connotation religieuse.

II – La franc-maçonnerie sous Napoléon III.

En 1851 Napoléon III met fin à la Seconde République et met en place le Second Empire. Il offre sa protection à la franc-maçonnerie tout en la mettant sous tutelle. Il obtient du Grand Orient de France que celui-ci élise le Prince Lucien Murat à la Grande Maîtrise. Prince fantasque qui doit tout à l’Empereur, il est autoritaire. Il achète un immeuble pour le siège du Grand Orient dans la rue Cadet, qui est toujours le siège du Grand Orient. Cependant, une certaine méfiance commence à s’installer entre l’obédience et son chef. Certains membres réclament l’élection d’un nouveau chef mais Murat cherche à se faire réélire et l’obédience est au bord du schisme, finalement la rupture est évitée de justesse grâce à l’Empereur qui impose le Maréchal Bernard Magnan. C’est un pilier de l’Ordre à qui l’Empereur doit sa réussite du coup d’Etat du 2 décembre. Magnan n’était pas franc-maçon et il passera les trente-trois grades du rite écossais ancien et accepté en une journée (le 6 février 1862). Cependant les opposants de Murat ne voient pas Magnan d’un bon œil. Les projets de Magnan sont d’arriver à l’équilibre financier car le Grand Orient de France est endetté essentiellement à cause des salaires très élevés versés à ses grands maîtres. Magnan cherche aussi à fusionner toutes les obédiences. Par ailleurs, Murat est en opposition avec Jean-Pons Viennet grand-commandeur du Conseil Suprême de France. Viennet, déjà octogénaire, ne voulait obéir qu’à l’Empereur qui de son côté ne décide rien et attend la mort de celui-ci. Viennet obtient le soutien de certaines gazettes. En ce qui concerne la fusion de toutes les obédiences, le succès est mitigé. Si le rite de Memphis accepte rapidement de passer sous contrôle du Grand Orient, le rite de Misraïm, quant à lui refuse catégoriquement toute idée de fusion.

A partir de 1864, la franc-maçonnerie commence à débattre des thèmes de société comme l’éventuelle entrée des femmes dans la franc-maçonnerie, la religion etc. Le plus grand mérite de Magnan est d’avoir obtenu le droit pour le Grand Orient de nommer lui-même son Grand Maître, permettant ainsi à la franc-maçonnerie de se libérer du contrôle du pouvoir. Magnan meurt en 1865, juste un an après sa réélection. Son successeur, le général Mellinet, laisse faire les choses. Lors de cette décennie la France est devenue une puissance coloniale où les loges maçonniques sont présentes.

Le général Mellinet qui est un libéral, est favorable aux initiatives sociales de l’Ordre du Grand Orient. Ainsi en 1867, au Grand Orient on crée une caisse de retraite pour les employés, et une sorte de sécurité sociale avant l’heure. On note aussi une nouvelle liberté de ton dans les loges avec l’affiliation de nombreux radicaux.

En 1870 c’est la débâcle. La Prusse inflige une sévère défaite à la France à cause d’une armée mal préparée et des oppositions antimilitaristes. Les Prussiens sont à Paris et cet événement sonne le glas du Second Empire.

Babaud-Laribière lance un appel à souscription pour les victimes de guerre. En 1870 on compte environ 18 000 francs-maçons au Grand Orient et 6000 au rite Ecossais.

En 1871, c’est la Commune de Paris dans laquelle les francs-maçons de la capitale s’impliqueront fortement. Pourtant dès la fin de la Commune, le Grand Orient désavoue officiellement l’action des loges parisiennes pour se rallier à Adolphe Thiers et à la Troisième République dans laquelle il va être amené à jouer un rôle de premier plan.

III – La franc-maçonnerie et l’Eglise.

Dès avril 1738, le Pape Clément XII excommunie la franc-maçonnerie par une Bulle. Cette condamnation est le début d’une vague de persécutions dans les pays européens les plus soumis à l’autorité de Rome. Il n’en va pas de même en France où aucune bulle ne pouvait avoir d’effet sans être enregistrée par le Parlement, ce que ce dernier se garda bien de faire pour des raisons politiques. Très rapidement la franc-maçonnerie française sera donc principalement composée de catholiques dont de nombreux prêtres.

Avec l’établissement du Concordat de 1801, les excommunications étant applicables, les catholiques quittent progressivement les loges et en 1877 on supprimera toute référence à la religion.

En septembre 1865 le Pape Pie IX se lance dans une violente diatribe contre les sociétés secrètes et surtout la franc-maçonnerie. Il affirme que la franc-maçonnerie est une secte aspirant le crime et s’attaquant aux choses saintes. Toutes ces attaques et excommunications répétées engendrent un sentiment anticlérical de la part des francs-maçons.

De plus en plus les loges débattent des thèmes de société et la tendance est à l’ouverture. Ainsi, sous l’influence d’Isaac Adolphe Crémieux, membre de la loge du « Bienfait anonyme » à Nîmes et célèbre avocat, est passé un décret qui porte son nom et qui attribue d’office en 1870 la citoyenneté française aux Juifs d’Algérie, une communauté de 35 000 personnes. Crémieux est également le promoteur de la création de l’Alliance Israélite Universelle (AIU) et le fondateur de l’Ecole Normale israélite orientale. Cet universalisme amène la franc-maçonnerie à commencer à accepter les Juifs.

La montée anticléricale apparaît particulièrement dans le domaine de l’enseignement. Ainsi, en 1866 Jean Macé avait été fondée la Ligue de l’Enseignement qui se bat pour l’instauration d’une école gratuite, obligatoire et laïque mais dans un premier temps elle n’est pas soutenue par la franc-maçonnerie. Avec la montée de l’anticléricalisme de cette fin de XIXe siècle, et la présence importante de socialistes et radicaux dans la franc-maçonnerie, elle finira par soutenir la Ligue de l’Enseignement trois ans plus tard. L’Eglise quant à elle s’y oppose vivement car cela met en danger le monopole de l’enseignement qu’elle détient. La franc-maçonnerie est accusée d’introniser la laïcité dans l’enseignement.  Finalement la tendance progressiste soutenue par la franc-maçonnerie aboutira aux lois Ferry.

CONCLUSION

Dès son arrivée en France au début du XVIIIe siècle, la franc-maçonnerie a connu des périodes difficiles et d’autres plus prospères qui ont permis d’influencer la société vers des évolutions progressistes. Contrôlée dans les premiers temps par le pouvoir, la franc-maçonnerie a pu gagner son indépendance et se développer librement. La fin du XIXe siècle lui est particulièrement propice car les gouvernements de la Troisième République sont souvent constitués de Francs-maçons. C’est également en cette fin de siècle, entre 1893 et 1899 que la France voit se constituer la première obédience maçonnique mixte, qui deviendra très rapidement internationale.

 

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Un commentaire

  • luc nemeth

    Jun 21, 2019

    Reply

    Bonjour. L'affirmation contraire à la vérité et qui figure dans la conclusion, selon laquelle "Contrôlée dans les premiers temps par le pouvoir, la franc-maçonnerie a pu gagner son indépendance et se développer librement", est d'autant plus surprenante que... l'article lui-même permet de la contredire. C'était bien sous l'Ancien Régime, que la franc-maçonnerie était l'un des rares espaces où la parole pouvait circuler librement. Mais dès Napoléon (et peu importe à cet égard que lui-même ait ou non été franc-maçon) elle est devenue moyen de faire carrière dans l'appareil d'Etat. Cordialement

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