LA BÊTE DU GÉVAUDAN, MYTHE ET RÉALITÉ

Thèmes: Civilisation, Histoire, Littérature                                                                                       Conférence du mardi 18 mars 2025

LA BÊTE DU GÉVAUDAN, MYTHE ET RÉALITÉ

Par Madame Catherine DELORS, avocate à Paris et à Los Angeles, romancière.

INTRODUCTION

Alors que la guerre de Sept Ans vient de se terminer, la France est sous le choc de ce qui n’était qu’un fait divers mais qui deviendra une affaire d’État : la Bête du Gévaudan.

Entre le 30 juin 1764 et le 19 juin 1767, un énorme carnassier attaque au moins une centaine de personnes dans la région du Gévaudan, qui correspond à peu près à la Lozère actuelle. Ces attaques féroces engendrent une atmosphère de panique dans la région, et les journaux à travers l’Europe et les Amériques, s’emparent des événements. A l’étranger, on ne se prive pas de railler le roi Louis XV, devenu très impopulaire en France. Même si la Bête, ou les Bêtes seront finalement tuées, le mystère sur leur nature exacte n’est pas dissipé.

  1. Le contexte historique

En 1763, sous le règne de Louis XV, est signé le Traité de Paris qui vient mettre fin à la guerre de Sept ans, considérée par Winston Churchill comme la véritable première guerre mondiale. En effet les grandes puissances européennes de l’époque se combattent mais entraînent aussi leurs colonies dans le conflit, aussi bien en Afrique qu’en Amérique. Le bilan est désastreux pour la France, qui perd le Sénégal, ses comptoirs aux Indes et le Canada.

Jean Baptiste Oudry, Chasse au loup en forêt (1748)

Les événements de la Bête du Gévaudan se déroulent dans une région très pauvre, au climat rude, et où la grande majorité de la population est illettrée et ne parle que l’occitan. Seuls la noblesse, la bourgeoisie et le clergé sont lettrés et bilingues. Cette situation aura son importance lorsque les envoyés du Roi et ses soldats viendront chasser la bête, car il leur faudra toujours des interprètes. La communication est difficile, et malentendus et défiance s’instaurent envers les envoyés royaux.

  1. Les événements

La première victime officielle de la bête est Jeanne Boulet, une jeune paysanne de 14 ans. Grâce aux registres religieux, nous savons qu’elle a été tuée par une « bête féroce » le 30 juin 1764. Une deuxième victime est rapportée le 8 août. L’hécatombe continue, la majorité des victimes sont des bergers et des bergères, des adolescents donc, car on envoyait les jeunes garder le bétail. La terreur s’installe, on retrouve des corps déchiquetés, parfois seulement des ossements, la Bête ayant dévoré le reste du cadavre. Des battues s’organisent mais rapidement on se rend compte que les mesures sont insuffisantes.

Le 31 décembre 1764, l’évêque de Mende, Monseigneur de Choiseul-Beaupré, janséniste très pieux, pense que la Bête est un châtiment de Dieu. Il publie une lettre officielle connue sous le nom de « mandement » qui devra être lue durant la messe et traduite en occitan par chaque curé dans toutes les paroisses. Les victimes sont donc considérées comme des pécheurs et stigmatisées. C’est pourquoi de nombreuses familles de victimes supplient les prêtres de ne pas mentionner le fait qu’elles sont des victimes de la Bête. On peut donc penser que le nombre de victimes est supérieur au chiffre habituellement indiqué de 124.

– Le combat du petit Portefaix et de ses camarades soutenu contre la bête féroce

Le 12 janvier 1765, la Bête s’attaque à un groupe de sept enfants, dévore la joue d’un des plus jeunes et emporte un autre. L’un des garçons, Jacques Portefaix, incite ses compagnons à poursuivre la bête pour essayer de sauver leur camarade. Les enfants réussissent à faire lâcher prise à la bête et sauvent le jeune garçon. Jacques Portefaix devient un véritable héros populaire.

La presse s’empare des événements et les journaux, d’abord Le Courrier d’Avignon, puis La Gazette de France, diffusent au niveau national les évènements du Gévaudan. Les journaux britanniques et hollandais suivent, tournant en dérision le fait que les forces du roi de France ne peuvent pas venir à bout d’une simple bête. Louis XV se doit de réagir.

Le Comte de Morangiès, qui avait été disgracié par le roi à l’issue de la guerre de Sept Ans, propose ses services, mais le roi préfère envoyer une trentaine de dragons du régiment Clermont-Prince avec à leur tête le capitaine Duhamel. Hélas, la mission échoue de peu et la tuerie continue.

Le Roi change alors de stratégie et fait appel à ceux qui se disent les meilleurs louvetiers de France, les d’Enneval, père et fils, qui se vantent d’avoir tué des milliers de loups et arrivent en Gévaudan en mars 1765 avec des chiens spécialisés dans ce type de chasse. Mais une nouvelle fois, c’est l’échec.

La Bête continue d’attaquer, mais une jeune fille de 19 ans, Marie-Jeanne Vallet, bonne de curé, réussit à enfoncer une « baïonnette », en fait un simple bâton auquel on a attaché un couteau, dans le poitrail de l’animal.

Il faut rappeler que les paysans n’ont pas en principe le droit au fusil car la chasse est réservée à la noblesse. La plupart ne disposent donc que d’armes de fortune. Toujours en mars 1765, une autre paysanne, Jeanne Jouve, mère de cinq enfants, enceinte du sixième, voit la bête s’approcher de sa maison, en plein village, et emporter l’un d’eux. Elle réussit à lui faire lâcher prise mais la bête s’attaque à un autre enfant que Jeanne réussit encore à reprendre de la gueule de l’animal. La Bête ne se cantonne plus à rester cachée dans les bois ou à chasser au crépuscule, elle attaque dans les villages en plein jour, ne craignant nullement l’homme.

Face aux échecs de Duhamel et des d’Enneval, en juin 1765 arrive au Gévaudan le porte-arquebuse du roi, François Antoine, dit Monsieur Antoine, qui s’émeut de la situation de pauvreté et de terreur dans laquelle vivent les paysans. Il s’intègre parfaitement à la région et collabore avec les paysans. Finalement la Bête est abattue le 21 septembre 1765.

Elle est envoyée à Clermont, car elle a été tuée en Auvergne, pour être examinée par le meilleur chirurgien de la ville, mais elle est en état de décomposition, notamment la peau et la fourrure. Finalement on la transporte à Paris où elle est présentée à la cour de Versailles par le roi en personne. De très nombreux visiteurs viennent voir cette Bête devenue très célèbre. Il est pourtant étonnant que l’animal de Versailles soit en bon état alors que ce n’était déjà pas le cas à Clermont.

Pourtant, en Gévaudan les attaques se poursuivent. Les autorités affirment qu’il ne s’agit que d’un loup commun car la Bête, la vraie, a été tuée. Apparaît alors un nouvel acteur au passé mystérieux : Jean Chastel. Ce dernier était déjà présent lors des battues de Monsieur Antoine avec qui il était en conflit. En effet, il avait envoyé exprès dans des marécages des gardes attachés à Monsieur Antoine, dont Chastel et ses fils adultes se moquent. Ils poussent l’audace jusqu’à pointer leur fusil sur les envoyés du roi. Ils sont envoyés en prison mais en ressortent après le départ de Monsieur Antoine.

Deux autres éléments sont étonnants. Chastel possède un luxueux fusil, caractéristique de ceux de la noblesse et il a une signature sophistiquée alors que presque tous les paysans sont illettrés et tout au plus capables d’écrire leurs initiales en capitales.

Le 19 juin 1767, Jean Chastel abat la bête du Gévaudan à la Sogne d’Auvers, sur les pentes du mont Mouchet. Dès le lendemain, la bête est transportée chez le marquis d’Apcher où le notaire royal Roch Etienne Marin rédige un rapport.

Ce document disparaît jusqu’à ce qu’en 1952, une chercheuse le découvre tout à fait par hasard dans les archives du ministère de l’Agriculture. De très nombreux détails sont consignés, y compris la description de la dentition, qui prouve qu’il s’agit d’un canidé. Cependant, la musculature de la mâchoire est trois fois plus importante que celle d’un canidé ordinaire, et pourrait décapiter un homme ou couper la colonne vertébrale d’un coup tant elle est puissante.

Après la mort de l’animal tué par Chastel, les attaques cessent, ce qui laisse penser qu’il a bien abattu la Bête du Gévaudan.

  1. Que pouvait être la Bête?

En cette seconde moitié de XVIIIe siècle, les opinions divergent selon que l’on soit lettré, membre du clergé ou paysan.

Le XVIIIe siècle, le siècle des Lumières, voit s’imposer les sciences comme source de vérité absolue. George-Louis Buffon publie une histoire naturelle qui sera un ouvrage de référence durant des décennies. Le loup y est recensé mais aussi des animaux sauvages tels que l’hyène.  Le loup est très commun en France, et normalement il s’attaque aux troupeaux et non aux humains. La première hypothèse des lettrés est donc d’affirmer qu’il s’agit d’une hyène importée d’Afrique pour une ménagerie et qui se serait échappée. L’animal étant originaire d’un climat chaud, il mourra après un premier hiver, glacial à cette époque, dans la région. L’hypothèse s’avère fausse puisque les attaques continuent des années après l’hiver 1764.

Pour les membres du clergé, notamment l’évêque, la Bête est un fléau envoyé par Dieu pour punir les paysans de leurs péchés. On ne se soucie pas de la nature exacte de l’animal.

Enfin, pour les illettrés, la bête est un loup-garou, hybride maléfique qu’on retrouve présente dans plusieurs cultures. Témoin la terrifiante aventure du paysan Bégou qui, sorti au milieu de la nuit pour satisfaire un besoin naturel, aperçoit un homme de grande taille qui se plonge plusieurs fois dans la rivière et qui en sort transformé en Bête.

  1. Le mystère persiste.

Du fait que la bête abattue par Monsieur Antoine ait été présentée par le Roi comme la Bête du Gévaudan, l’animal tué par Chastel ne pouvait pas l’être. Il est transporté à Versailles mais sera vite enterré dans le jardin de l’hôtel de La Rochefoucauld, dans le quartier de l’Odéon. Le bâtiment sera détruit en 1825 et remplacé par des immeubles haussmanniens. Nous n’avons donc aucune possibilité de récupérer de l’ADN de la bête ce qui nous permettrait de déterminer précisément la nature de l’animal. En effet, les débats sur la nature de la bête persistent jusqu’à nos jours.

Certains pensent qu’il s’agit d »un animal hybride mi-loup, mi-chien. Se pose alors la question de savoir si cet animal avait pu être élevé, puis laissé dans la nature, voire entrainé à attaquer l’homme.

Les partisans de l’hypothèse du loup continuent d’affirmer qu’il s’agit tout simplement d’un loup plus grand et plus féroce que la normale. C’était la conclusion de Buffon à l’époque et également celle de chercheurs récemment. On peut rappeler que le loup a toujours eu une image très négative dans les sociétés occidentales. De nos jours, les défenseurs du loup soutiennent la théorie de l’animal hybride, qui impliquerait la responsabilité de l’homme.

Une autre théorie est celle qui affirme que les très nombreux cadavres de soldats qui jonchaient les champs de bataille de la guerre de Sept ans, en particulier en Europe centrale, durant ont amené le loup à s’accoutumer à dévorer de la chair humaine et à devenir un colosse du fait de l’abondance de celle-ci. Encore faudrait-il expliquer comment ces « super- loups » aient pu migrer jusqu’en Gévaudan.

Enfin, certaines victimes ont été retrouvées dévorées, puis apparemment rhabillées. Cela conforterait l’hypothèse d’une Bête suivie et contrôlée par un humain.

CONCLUSION

D’un fait divers régional, les attaques de la Bête du Gévaudan sont devenues un scandale national, et même international, et ont discrédité davantage Louis XV. Ces événements montrent aussi la situation précaire des paysans dans une zone peu clémente. Finalement, les doutes quant à la nature exacte de la bête demeurent en l’absence de toute trace de l’ADN de l’animal.

Bibliographie 

Delors, Catherine, La danse des fauves ; Editions Jeanne et Juliette. Paris 2024 ; Éditions Pocket. Paris mai 2025.

https://www.librairie-des-femmes.fr/livre/9782494473232-la-danse-des-fauves-catherine-delors/

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