DEUX INSOUMIS AU XIIIe SIÈCLE : PIERRE VALDO ET FRANÇOIS D’ASSISE

Thèmes: Histoire – Société                                                                                                                 Conférence du mardi 13 octobre 2020

DEUX INSOUMIS AU XIIIe SIÈCLE : PIERRE VALDO ET FRANÇOIS D’ASSISE

Par Madame Elisabeth MARTIN, conférencière pour VSArt (Volontariat et Soutien par l’Art).

INTRODUCTION

Pierre Valdo (1140 ? – 1217 ?) et François d’Assise (1181-1226) sont deux figures qui ont influencé le christianisme. Pourtant, le premier est peu connu et termine sa vie excommunié alors que François d’Assise sera canonisé deux ans après sa mort. Il reste une grande figure du christianisme et il est à l’origine de l’Ordre des Franciscains. Ces deux hommes ont pourtant un point commun :  ils se sont totalement détachés des biens matériels et vivent de la charité. Ils ont apporté une nouvelle vision de la religion.

I – Pierre Valdo : un précurseur du protestantisme.

Pierre Valdo est déjà un homme mûr lors de sa vocation. Il est issu de la petite bourgeoisie (marchands, artisans) qui émerge en cette fin de Moyen-Âge. Il est lui-même un marchand de Lyon qui allait probablement de foire en foire. Il était lettré, marié et père de famille.

Vers 1172, Valdo a une profonde révélation qui est due à une terreur du Jugement dernier. A cette époque, le fait d’être aisé est perçu comme un handicap pour atteindre le paradis : « Il est plus difficile pour un riche d’entrer dans le Royaume des cieux que pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille ». Ainsi, après la mort subite d’un de ses amis et avoir assisté à un exemplum, une sorte de représentation théâtrale sur la vie de saint Alexis, il décide de changer de vie.

Il décide de vendre tous ses biens, en laissant une part pour son épouse et ses deux filles. Avec le reste il fait traduire le Nouveau Testament en langue d’oc afin que les non-lettrés puissent comprendre les textes religieux. On peut rappeler qu’à l’époque, si les homélies étaient dites en langue vernaculaire, tous les textes bibliques étaient en latin. Par ailleurs, toujours à ses frais il fait faire plusieurs copies de cette traduction. Ne faisant pas partie du clergé, Valdo lit les Evangiles traduits sur les places publiques car il n’a pas accès aux églises.

Ayant vendu tous ses biens, Valdo mendie par nécessité mais aussi par idéal biblique. Il cherche à s’approcher le plus possible de la vie de prêche de Jésus et il est entouré d’un groupe nommé Les Pauvres de Lyon.

Assez vite, l’évêque de Lyon s’oppose à lui et lui conseille de cesser son activité de prêche même sur les places publiques. Valdo décide de se rendre à Rome où se tient un Concile. Cependant ce Concile voit l’affrontement du Pape avec Frédéric Barberousse, chef du Saint Empire Romain et Germanique et on débat aussi vivement sur le problème des Cathares. De ce fait, le Pape accordera bien peu d’attention à Valdo. Sans compter que la Curie lui est très hostile mais ne le condamne pas.

Lors de son retour à Lyon il traverse la Lombardie et rencontre les Umiliati, des artisans, qui comme leur nom l’indique vivent dans une pauvreté de témoignage. Ce groupe, au contraire des Pauvres de Lyon, est sédentaire.

Arrivé à Lyon, afin d’éviter un conflit avec l’évêque, Valdo signe en 1180, une confession de foi, dictée par le légat du pape. Cette confession est principalement contre les Cathares. En dépit de cette concession, l’arrivée d’un nouvel évêque à Lyon, Jean Belles-mains, entraîne l’excommunication de Valdo, officialisée au Concile de Vérone en 1184. Il est obligé de quitter la ville avec son groupe rebaptisé Les Vaudois. Le groupe se radicalise comme nous dirions de nos jours et les principes prônés par Valdo et ses fidèles sont clairement les fondements du protestantisme.

Valdo prône la Bible comme seul fondement. Il ne retient que deux sacrements : le Baptême et la Cène. Il lutte pour le sacerdoce universel, y compris pour les femmes, ce qui est extrêmement novateur. Par ailleurs, il conteste le culte des saints et le trafic de reliques qui était pratiqué frénétiquement à cette époque particulièrement par le roi Louis IX. Enfin, il est contre le pouvoir et la richesse de l’Eglise. Toutes ces thèses seront reprises par Luther.

Exclus de Lyon, Valdo et ses compagnons partent en Languedoc, terre où se retrouvent les Catholiques, les Vaudois et les Cathares. Valdo restera sans doute dans cette région jusqu’à sa mort.

En 1215, lors du Concile de Latran, le Pape déclare les Vaudois hérétiques ainsi que les Umiliati et les Cathares. Ils se dispersent dans les vallées alpines, dites Vaudoises, mais le mouvement ne disparaît pas. Cependant, il ne sera jamais un ordre religieux et restera laïc.

Valdo ne deviendra jamais une grande figure du christianisme et peu de documents le concernant sont disponibles mais on peut voir sa statue, entourant un monument élevé à la gloire de Luther (fin XIXe siècle) à Worms, ville importante dans la vie de Luther, prouvant bien son rôle de précurseur dans la naissance du protestantisme.

II – François : le pauvre d’Assise.

Giovanni di Pietro Bernardone est né à Assise en 1181 ou 1182 alors que son père, un riche drapier, est en France pour affaires. Sa mère le fait baptiser sous le prénom de Giovanni. Deux versions expliquent le changement de prénom du jeune garçon. Une avance le fait que lors du retour de son père, ce dernier si satisfait de ses affaires en France change le prénom de son fils en François c’est-à-dire Français. L’autre version avance le fait que le jeune Giovanni aimait tant les romans de chevalerie français que ses camarades le surnomment François. Il passera à la postérité sous ce prénom.

Né dans une famille fortunée, le jeune François a une enfance aisée. Jeune homme, il prend part à la bataille entre Pérouse, ville papale et Assise, ville impériale. Il est fait prisonnier par les Pérugins et souffre de conditions de détention très rudes qui entraîneront des séquelles pour sa santé qui sera toujours fragile.  A sa libération la légende dit qu’il offre son manteau à un pauvre chevalier, scène peinte par Giotto à la fin du XIIIe siècle.

En 1205 alors qu’il est en prière dans la chapelle Saint-Damien, François entend une voix qui lui demande de « réparer son Église en ruine ». Prenant l’ordre au pied de la lettre il part vendre des marchandises de son père pour financer la restauration de la vieille chapelle délabrée. Il dépense également beaucoup en aumônes. Son père est furieux et François rompt les liens familiaux, se consacrant à la vie spirituelle. François épouse Dame Pauvreté et décide de vivre de charité.

Au cours de sa vie évangélique, il lutte contre la richesse, le pouvoir et la science. Il prône la mendicité et une douzaine de concitoyens le rejoignent qui prennent le nom de Frères Mineurs. Ce groupe est mal vu par l’Eglise et François décide de se rendre à Rome, mais le Pape Innocent III ne le reçoit pas en dépit de deux demandes. Finalement le Saint Père a un songe et finit par le recevoir et exige des Frères la tonsure et l’obéissance au Pape pour pouvoir continuer à parler publiquement en laïc. François est si déçu qu’il décide de prêcher aux oiseaux, action immortalisée par Giotto dans son œuvre intitulée « François d’Assise prêchant aux oiseaux ».

A cette époque, Domingo de Guzman (1170-1221), un Espagnol, fonde un Ordre mendiant pour contrer par la prédication le développement du mouvement cathare, les Dominicains, qui adoptent la règle de Saint Augustin, plus souple que celle de Saint Benoît.

François veut évangéliser les Musulmans et part pour l’Egypte en 1219 où il rencontre le sultan. Durant son absence des dissensions naissent au sein des Frères Mineurs (les Spirituels d’obédience stricte et les Conventuels moins austères). A son retour, François écrit une première règle, la Regula prima, qui sera rejetée car jugée trop longue et trop floue pour être praticable. C’est une nouvelle déception pour François qui se retire dans un ermitage. Il finit par écrire une nouvelle règle, moins exigeante, qui elle sera adoptée en 1223 par le Pape Honorius III sous le nom de Regula Bullata. C’est ainsi que naît l’Ordre des Franciscains, qui ne sera d’ailleurs, jamais dirigé par François.

En août 1224, François, presqu’aveugle, se retire avec quelques frères sur l’Alverne. C’est là qu’apparaissent ses stigmates. En 1225, François rédige un testament plus contraignant que la Règle dans lequel il prône une pauvreté absolue choisie et non subie, la non-violence et lutte contre les hiérarchies.

François meurt le 4 octobre 1226 et il est canonisé dès 1228 par le Pape Grégoire IX. Dès 1230, frère Elie, qui dirige l’Ordre des Franciscains, pose la première pierre de la basilique d’Assise, allant à l’encontre des principes de François.

III – Points communs et différences entre Valdo et François d’Assise. 

Les deux hommes sont issus d’un milieu aisé et urbain, catégorie sociale qui prend de plus en plus de poids en cette fin de Moyen-Âge. Par ailleurs, ils sont tous les deux lettrés et cherchent l’exemplarité de l’Evangile à vivre dans la cité. Ils dénoncent la pauvreté subie et la perversion de l’argent et ont eu eux-mêmes une vie détachée de tous biens matériels. Ils prônent l’abolition des hiérarchies et vivent en « fraternité »

Cependant des différences peuvent aussi être notées. Valdo est resté un laïc, il a évolué vers le radicalisme alors que François a accepté un certain compromis en rédigeant la Regula Bullata. François était indifférent aux dogmes alors que Valdo avait de solides convictions doctrinales. Ce dernier cherchait aussi à convertir alors que François prônait l’acte de charité inconditionnel. François ne voulait pas réformer l’Eglise, entrer en conflit avec la hiérarchie et être condamné pour hérésie. Il a choisi l’orthodoxie et la soumission à Rome, son but n’étant que d’offrir le témoignage d’une vie différente ; le but de Valdo fut en raison des circonstances tout autre. Ainsi, Valdo sera excommunié et considéré comme hérétique alors que François sera canonisé très rapidement après sa mort.

Une autre différence frappante est l’importance prise par François dans l’histoire du christianisme et l’oubli de Valdo. Très peu de documents existent sur Valdo alors que François est le saint qui a suscité le plus d’écrits. Ainsi, moins de quarante ans après sa mort, on comptait déjà trois biographies officielles et plusieurs non officielles. Par ailleurs, François a laissé des écrits dont plusieurs nous sont parvenus : lettres, admonitions, prières et cantiques.

CONCLUSION

De nos jours l’Ordre des Franciscains est toujours régi par la Regula Bullata de 1223 et on peut rappeler que l’Abbé Pierre était franciscain. En 1979, Jean-Paul II fait de François d’Assise le patron de l’écologie.  Par ailleurs, le cardinal Jorge Bergoglio choisit le nom de François quand il devient Pape par admiration pour le saint d’Assise. Il a également fait référence à lui dans son Laudato Si en ce qui concerne la lutte en faveur de l’écologie. Pour ce qui est des Vaudois, ils se sont assimilés aux Protestants en France depuis 1532 alors qu’ils forment l’Eglise Evangélique Vaudoise en Italie où il n’y a pas d’église protestante Réformée. On trouve aussi des congrégations vaudoises dans certains pays sud-américains, notamment en Uruguay.

Indiscutablement ces deux hommes du bas Moyen-Âge ont influencé l’évolution du christianisme. L’un en jetant les prémices du protestantisme, l’autre en créant un Ordre religieux toujours influent.

 

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