ThÚme: Art, Peinture                                                                   Mardi 7 novembre 2017.
QUAND FRANCOIS CHENG FAIT DIALOGUER LES PEINTURES CHINOISE ET OCCIDENTALE
par Madame Madeleine BERTAUD, professeur Ă©mĂ©rite Ă l’UniversitĂ© de Lorraine.
INTRODUCTION
François Cheng a su mieux que quiconque mettre en relation la culture chinoise et la culture occidentale. Fruit de son extraordinaire parcours (nĂ© en Chine, rĂ©sidant en France depuis 1948, baptisĂ© en 1969, naturalisĂ© français en 1971âŠ), l’ensemble de son Ćuvre fait rĂ©fĂ©rence en ce qui concerne les liens que l’on peut dĂ©celer entre la Chine et l’Occident.
I – Quelques rappels biographiques.
Cheng est nĂ© en aoĂ»t 1929 Ă Nanchang dans la province du Jiangxi. Il est issu d’une famille de lettrĂ©s (le terme dĂ©signait une Ă©lite qui pratiquait plusieurs types dâĂ©criture du monde : calligraphie, poĂ©sie, peinture et, pour certains, musique). DĂšs son plus jeune Ăąge il est initiĂ© Ă la calligraphie par son pĂšre ; il pratiquera cet art jusqu’Ă ce que l’arthrose lâen empĂȘche. D’ailleurs, lorsqu’il deviendra membre de l’AcadĂ©mie Française, il fera graver une calligraphie personnelle sur son Ă©pĂ©e. La traduction-adaptation qu’il en donne est une phrase de lâĂ©vangile de Jean : « L’esprit souffle oĂč il veut ». Dans sa jeunesse, il sâextasie devant le Mont Lu, qui a inspirĂ© nombre de poĂštes et peintres chinois. Il est Ă©galement interpellĂ© par la beautĂ© fĂ©minine en regardant les cartes postales quâune de ses tantes avait ramenĂ©es du Louvre notamment « La Source » d’Ingres. Cette image sâinscrira au plus profond de la mĂ©moire de l’enfant. Peu aprĂšs, il connaĂźtra la guerre sino-japonaise et ses horreurs, ce qui le marquera profondĂ©ment.
Aussi, lorsquâĂ quinze ans il dĂ©couvre sa vocation de poĂšte, il sait que la beautĂ© et le mal sont les « deux bouts » quâil lui faudra tenir pour accĂ©der Ă sa vĂ©ritĂ© sur lâhomme â le fait est quâil cherchera toute sa vie Ă comprendre le fonctionnement du monde et, Ă lâintĂ©rieur de celui-ci, la destinĂ©e de l’Homme.
En 1948, il est arrachĂ© Ă son pays natal qui est alors en pleine guerre civile. Il arrive Ă Paris sans parler le français. Il va lâapprendre, avec la volontĂ© dâen faire sa langue dâĂ©crivain et, mieux, de poĂšte, ce qui est un vĂ©ritable dĂ©fi.
Or, en 1998 il reçoit le prix Femina pour son roman Le Dit de Tian-yi qui, sans ĂȘtre autobiographique, contient beaucoup de souvenirs et dâĂ©lĂ©ments de tĂ©moignage. Mieux encore : en 2002, il est Ă©lu Ă l’AcadĂ©mie Française et est reçu sous la Coupole, selon lâusage, en juin 2003. Il se plaĂźt Ă dire que câest Ă partir de ce geste de haute reconnaissance quâil sâest senti complĂštement enracinĂ© en France.
II – « Le dialogue » selon François Cheng.
Le sujet est complexe et on a longtemps cru que la relation entre Occident et Chine Ă©tait impossible Ă Ă©tablir. Pour Cheng, toute (vraie) rencontre implique un dialogue qui entraĂźne un enrichissement mutuel. En lâoccurrence, la rencontre n’Ă©tait pas simple car elle se confrontait Ă plusieurs difficultĂ©s, notamment le facteur temps et la diversitĂ© culturelle.
La spiritualitĂ© chinoise traditionnelle est basĂ©e sur l’observation qu’ont faite de la nature les maĂźtres taoĂŻstes. Pour eux l’univers est nĂ© du Souffle initial. De celui-ci sont nĂ©s trois souffles : le yin qui incarne la douceur (notamment le fĂ©minin), le yang qui incarne la force (notamment le masculin), et le vide mĂ©dian qui, se dĂ©ployant entre eux, leur permet de dĂ©passer leur antinomie pour se dĂ©velopper et crĂ©er en harmonie. La circulation de ces souffles nâaura pas de fin : elle est le Dao ou Tao, la Voie.
Tout en restant fidĂšle Ă son fond premier, F. Cheng a vu dans le sacrifice volontaire du Christ et dans sa rĂ©surrection une nouvelle promesse d’Ă©ternitĂ©. Câest ainsi quâil est parvenu Ă mettre en symbiose le taoĂŻsme et le christianisme. Cela lui a demandĂ© des annĂ©es de mĂ©ditation ; c’est ce qu’il appelle son « cheminement vers la vie ouverte », celle qui nâest pas entravĂ©e par la peur de la mort.
III – La peinture chinoise.
En 1979, Cheng consacre un essai Ă la peinture chinoise, essai qui deviendra une rĂ©fĂ©rence en la matiĂšre. La peinture chinoise a connu son plein essor sous les dynasties Tang (618-907) et Song (960-1279). Ensuite, Ă la fin de la dynastie Ming (1368-1644), allaient naĂźtre deux des plus remarquables peintres chinois, Shitao, Ă©galement nommĂ© le « Moine Citrouille-amĂšre » et Chu Ta. Shitao est lâauteur dâun traitĂ© devenu cĂ©lĂšbre : Propos sur la peinture du moine Citrouille-amĂšre. Cheng consacrera un ouvrage Ă chacune de ces deux grandes figures, Chu-Ta Le gĂ©nie du trait en 1986 et Shitao, la saveur du monde, publiĂ© en 1998.
Dans la peinture chinoise, le vide est trĂšs important et a une signification particuliĂšre. Le vide fait partie intĂ©grante de la peinture chinoise. « Le mont lointain » de Chu-Ta est une belle illustration de ce phĂ©nomĂšne. La coexistence du vide et du plein permet l’Ă©change entre les Ă©lĂ©ments. L’artiste doit entrer en communion avec la nature afin de pouvoir lâinterprĂ©ter. La nature n’est pas une entitĂ© passive : si l’homme lui parle, elle lui parle aussi, mais pour cela l’homme doit rester humble, savoir Ă©couter et observer. Câest pour atteindre Ă cette humilitĂ© que lâartiste sâastreint, avant de prendre le pinceau, Ă un travail de nĂ©antisation (« se dĂ©pouiller tel un arbre en hiver ») .
Autre caractĂ©ristique typique de la peinture chinoise, la pratique du trait. L’unique trait de pinceau est l’Ă©pine dorsale du tableau, comme on peut le voir dans lâĆuvre de Chu-Ta : Branche de prunus ou celle de Shitao : Paysage. Pour Cheng « il suffit d’un trait pour que tout recommence ».
Ă quoi sert cet art non figuratif ? Lâhomme venu de Chine rĂ©pond : « La peinture chinoise se donne l’air de montrer le monde ; en fait, elle cherche simplement Ă aider ceux qui lâhabitent à y vivre ».
IV – La rencontre avec la peinture occidentale.
Lorsque Cheng se trouve face aux Ćuvres du Moyen Ăge, qui sont fortement imprĂ©gnĂ©es de spiritualitĂ©, il ne se sent pas dĂ©paysĂ©. C’est encore le cas lorsquâil se trouve devant le tableau de Giotto Saint François d’Assises recevant les stigmates. En revanche, les Ćuvres de la Renaissance (le Quattrocento italien) provoquent de prime abord chez lui de la stupeur, voire de l’Ă©cĆurement. Il y voit une surcharge de couleurs et une absence quasi-totale du paysage. Ici, l’homme est mis au centre de la toile, dans sa volontĂ© de puissance.
Cependant, avec le temps et une rĂ©flexion proche de la mĂ©ditation, Cheng deviendra sensible aux traits communs entre peinture occidentale et peinture chinoise, le plus remarquable Ă©tant Ă ses yeux lâharmonie entre lâĂȘtre humain et la nature, telle quâil la cĂ©lĂšbre dans son commentaire de La Joconde et encore dans ses propos sur les Sainte Victoire de CĂ©zanne (autant de rencontres « entre l’esprit de l’homme et l’esprit du paysage », qui rappellent la Conversation avec la montagne de Shitao).
Il dĂ©couvrira aussi les particularitĂ©s de la peinture occidentale, qui sont autant de prĂ©cieuses qualitĂ©s : reprĂ©sentation du corps et particuliĂšrement du corps fĂ©minin, reprĂ©sentation du visage, art du clair-obscur. Parmi les exemples prĂ©sentĂ©s, on retiendra le commentaire de la BethsabĂ©e au bain de Rembrandt : câest le corps et lâĂąme du poĂšte qui sây font entendre.
CONCLUSION
Le cheminement de François Cheng dans sa recherche de dialogue lui a permis d’atteindre un Ă©tat de communion avec les Ćuvres observĂ©es. RĂ©aliser une symbiose entre la meilleure part de son fond natif et la meilleure part de la culture occidentale a toujours Ă©tĂ© le but de Cheng.

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