LES MILLE ET UNE NUITS, UNE LONGUE HISTOIRE …

Thèmes: Art, Histoire, Littérature                                                                                                               Conférence du mardi 27 mai 2025

LES MILLE ET UNE NUITS, UNE LONGUE HISTOIRE …

Par Madame Anne AMIOT DEFONTAINE, Historienne de l’art diplômée de l’Ecole du Louvre, guide conférencière

INTRODUCTION

Les contes des Mille et une nuits d’origine indienne sont apportés par les Perses à Bagdad autour du VIIIe siècle et sont à l’origine d’un imaginaire rêvé sur l’Orient qui commence avec la traduction des contes par Antoine Galland au XVIIIe siècle et qui atteint son apogée au XIXe siècle avec le courant orientaliste. Ce courant touche tous les arts : littérature, peinture, musique, sculpture et tous les arts décoratifs. Esthétique pittoresque, confondant les styles, les civilisations et les époques, l’orientalisme a généré de nombreux clichés que l’on retrouve encore aujourd’hui en littérature ou au cinéma.

I La genèse des Mille et une nuits.

D’origine indienne et de tradition orale, une partie des contes des Mille et une nuits tels que nous les connaissons aujourd’hui sont transmis via la Perse au monde arabe à la fin du VIIIe siècle ou début du IXe. Appartenant actuellement au patrimoine culturel de l’humanité, le texte des Mille et une nuits s’est enrichi considérablement au fil des siècles.

Une première mention des contes est faite par l’historien Al-Masudi au milieu du Xe siècle dans son ouvrage encyclopédique. Quelques années plus tard, un libraire de Bagdad, Ibn al-Nadim parle dans son Catalogue d’un ouvrage inachevé de 420 contes regroupant des contes arabes et persans. Le plus ancien manuscrit connu est un fragment du IXe siècle publié en 1949 aux Etats-Unis. Quant au manuscrit utilisé par Galland pour sa traduction, il date du XVe siècle.

Le prototype du livre est le recueil persan Hazar Afsana, aujourd’hui perdu, qui est traduit en arabe vers la fin du VIIIe siècle dans la Bagdad abbasside. A la même époque est traduit un célèbre recueil de fables animalières qui est destiné à l’éducation des princes alors que l’autre recueil est rattaché à la culture populaire. Ces fables animalières inspireront quelques siècles plus tard Jean de La Fontaine.

A Bagdad, tous ces contes originels prennent une couleur locale et des contes spécifiquement arabo-islamiques viennent s’insérer. Des personnages historiques comme le calife abbasside Harun al-Rachid (786-809) et son vizir Jafar apparaissent.

Aux XIe et XIIe siècles sous le califat fatimide au Caire, le recueil connaît de nouvelles transformations. Tandis que le petit peuple est dépeint de manière réaliste, de nouveaux contes merveilleux, où la magie tient une large place, apparaissent. Au gré des conteurs, le livre s’enrichit et de nouvelles histoires indépendantes s’incorporent à l’ensemble. C’est autour du conte-cadre d’origine indienne que s’organise le récit et que s’ajoutent les divers contes qui peuvent être des récits de voyages, des romans d’amour, des épopées guerrières ou des fables.

II Shéhérazade : Le roi Sharyar, découvrant que sa femme l’a trompé avec un esclave noir, décide de se venger de l’inconstance féminine en exécutant, chaque matin, la jeune vierge avec laquelle il aura passé la nuit. Au bout de trois ans, le vizir ne trouvant plus de vierge à offrir au roi, est obligé de donner sa propre fille, Shéhérazade. Cette dernière va inventer un stratagème qui va lui sauver la vie. Grâce à ses talents de conteuse, elle relate chaque soir une histoire dont elle ne dévoile pas la fin. Tenu en haleine durant mille et une nuits, le roi finit par tomber amoureux et gracier la jeune fille. Shéhérazade deviendra le symbole de l’intelligence féminine qui par sa parole sauve l’humanité du despotisme masculin.  Cet aspect reflète la nouvelle image de la femme au XVIIIe siècle en Europe notamment avec le phénomène des précieuses dont se moquera Molière. Il en est tout autrement dans le monde musulman.

II Les Mille et une nuits en Europe.

A la fin du XVIIe siècle, Gabriel de Guilleragues, diplomate de Louis XIV en poste à Constantinople, demande à son secrétaire Antoine Galland de collecter des informations sur l’Empire ottoman en réunissant le plus possible de manuscrits et de médailles pour le Cabinet du Roi et de Colbert. Parlant couramment arabe, persan et turc, Galland achète tout type de manuscrits dans toutes les langues orientales. De retour en France, la richesse de ses acquisitions est telle qu’il est nommé antiquaire du Roi afin de gérer ses biens. En 1701 il commence la traduction d’un recueil de contes. Il publie ces contes sous le titre Les mille et une nuits. Le hic est que le recueil s’arrête à la 282e nuit. Il s’inspire alors des récits contés par son assesseur, un chrétien maronite originaire d’Alep, Hanna Dyad, pour compléter l’ouvrage. Galland les adapte aussi à la mode occidentale en retirant certains passages. Il s’inspire de Madame d’Aulnoy et de la Marquise d’O, dame du palais de la Duchesse de Bourgogne. Certains récits parmi les plus connus de nos jours comme Les aventures de Sinbad ou Ali Baba ne faisaient pas partie de l’œuvre primitive, ce sont des ajouts de Galland. En 1704 est publié le premier volume qui aura immédiatement un grand succès, les volumes suivants, douze en tout, paraissent progressivement jusqu’en 1717.

Pour la première fois en Europe on accède à une vision de l’Orient décrite par les Orientaux eux-mêmes et non par les Occidentaux comme ce fut le cas avec les récits des Croisés.

L’œuvre de Galland connaît un tel succès que Les mille et une nuits sont traduites en plus de dix langues. Certains auteurs iront même jusqu’à inventer de nouveaux contes prétendant la découverte de nouveaux manuscrits. L’œuvre de Galland influencera de grands écrivains français comme Montesquieu (Lettres persanes) ou Voltaire (Zadig).

Au XIXe siècle, sont publiées plusieurs traductions en anglais dont celle de Richard Francis Burton de 1888 qui fera grand bruit car il détaille les mœurs sexuelles orientales et son contenu obscène est particulièrement choquant dans la société victorienne.

Au XIXe siècle un prince persan fait traduire en farsi la version arabe mais y fait ajouter de nombreuses illustrations. Cette version comporte tant d’enluminures qu’il faudra sept ans (1849-1856) au peintre Sani ol-Molk pour qu’elle soit achevée. Ces enluminures présentent de nombreux détails montrant l’influence européenne comme notamment les robes des femmes.

III Impact des Mille et une nuits dans les arts décoratifs.

Au XVIIIe siècle les échanges avec l’Empire ottoman s’intensifient. L’évocation du monde ottoman dans Le Bourgeois gentilhomme de Molière au XVIIe siècle et surtout la traduction des Mille et une nuits de Galland au XVIIIe donnent naissance aux turqueries. L’aristocratie donne de nombreux bals costumés, décore son intérieur avec des tentures colorées et des tapis, se fait réaliser des portraits habillés à la mode orientale comme c’est le cas de Madame de Pompadour dans le tableau de Charles André van Loo Sultane ou celui de Madame Elisabeth de France réalisé par Adélaïde Labille-Guiard la représentant avec une coiffe inspirée des turbans orientaux. Des cabinets turcs sont créés dans différents châteaux dont celui de Versailles. Ainsi le Comte d’Artois fait réaliser son cabinet turc en 1781. On trouve aussi le boudoir turc de Marie-Antoinette à Fontainebleau aménagé en 1777 et décoré par les frères Rousseau.

Si l’intérêt des Occidentaux pour le monde oriental trouve ses racines au XVIIe siècle, il prend toute son ampleur au XIXe siècle. L’orientalisme a donné lieu à des représentations d’un Orient complétement rêvé, d’autant plus rêvé qu’il s’applique à un espace très vaste – de l’Andalousie à l’Inde- et à une période historique floue. Après avoir pénétré la peinture comme le montrent les tableaux de Delacroix Femmes d’Alger ou de Ingres Bain turc et la littérature, dans la première moitié du XIXe siècle, l’orientalisme influencera dans la seconde moitié du XIXe les arts décoratifs et de l’architecture, encouragés par les Expositions universelles, qui puisereront leurs motifs et leurs techniques dans le monde oriental. Céramistes et verriers notamment, tels que Théodore Deck et Philippe-Joseph Brocard, tirent leurs techniques et leurs décors dans l’orientalisme. Ainsi Théodore Deck fait des céramiques aux motifs végétaux et au bleu turquoise, sa spécialité nourrissant le courant dit « Alhambra ». Ce courant sera aussi représenté dans les papiers peints et les tissus notamment. C’est également la mode des bains turcs avec des décorations orientales dans les salles de bains, l’exemple le plus extravagant étant la salle de bain de l’Hôtel de la Païva réalisée en onyx dans un style néo-mauresque avec une imposante cheminée à pied de lions.

Au XIXe siècle, quelques boutiques, notamment celle « Au Persan » à Paris vendent tout type d’objets orientaux très prisés et présents dans de nombreux intérieurs. Le paroxysme de cette passion pour l’orientalisme est atteint avec la maison de Pierre Loti à Rochefort.

L’Orientalisme touche aussi la mode vestimentaire à la fin du XIXe et début du XXe siècle avec des couturiers tels que Paul Poiret (1879-1944) qui utilise des turbans et des plumes comme accessoires et lance les manteaux caftans brodés de motif cachemire. Cet Orientalisme de la mode se retrouve dans les costumes de ballets des fameux ballets russes de Diaghilev qui mettent en scène des contes des Mille et une nuits sur une adaptation de Schéhérazade de Rimski-Korsakov. Les mille et une nuits ont été retraduites par Mardrus au tout début du XXe s, de façon plus sensuelle voire érotique.

CONCLUSION

Le recueil de contes des Mille et une nuits a connu maints ajouts et transformations avant d’être ce que nous connaissons aujourd’hui. La traduction de Galland a lancé la mode de l’Orient en France et en Europe et l’orientalisme touche bien des domaines surtout au XIXe siècle du fait de la multiplication des contacts : expédition napoléonienne en Egypte (1798-1801), guerre d’indépendance grecque dans les années 1820, débarquement en Algérie en 1830, voyages des peintres et des écrivains etc. L’orientalisme fait partie du climat ambiant voire d’un certain mode de vie. L’orientalisme avait atteint son apogée au XIXe siècle mais il continua d’inspirer des artistes d’avant-garde au début du XXe tels que Kandinsky et Klee. De nos jours, certains contes des Mille et une nuits sont connus de tous grâce aux nombreux films, dessins animés et jeux vidéo tirés de ce recueil.

 

+ de 1100 textes des conférences du CDI sont disponibles sur le site du CDI de Garches  et via le QRCode   

Un commentaire

  • Jean-Michel BUCHOUD

    Jun 19, 2025

    Reply

    Quelques jours après cette riche conférence la Grande Librairie de TV5 Monde avait invité Irène Frain pour parler de son dernier ouvrage "Les mille et une nuits, c'est notre mémoire commune", apportant un autre éclairage. L'actualité colle au CDI ;-)

Répondre

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués *

You may use these HTML tags and attributes: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.