SORTIE-VISITE : Institut National des Jeunes Sourds de Paris

Thèmes: Médecine, Sciences, Société
Visite du jeudi 6 novembre 2025

Nous avons été reçus par Madame Anne Picaud, responsable du patrimoine culturel et historique de l’INJS. Passionnée et passionnante, Mme Picaud n’a pas compté son temps et nous a donné explications et commentaires pendant près de 2 heures et quart. Mme Picaud parle la langue des signes, qu’elle a apprise dès 1981 et qu’elle parle couramment depuis 1987.

La biographie de l’abbé de l’Épée est extraite du site de l’INJS de Paris (écriture en italique).

« Issu d’une famille aisée, Charles Michel de L’Espée nait à Versailles le 24 novembre 1712. Il entre au Collège des Quatre-Nations en 1728 et suit les cours d’un philosophe janséniste. Cette rencontre influence profondément sa vie et ses convictions. Après des études de droit, Charles Michel de L’Espée se dirige vers l’Eglise. Ses opinions jansénistes lui interdisent l’accès à la prêtrise. Il est envoyé en tant que curé dans le village de Feuges près de Troyes en 1736. Cependant, l’abbé de l’Epée revient à Paris en 1739, après avoir finalement obtenu la prêtrise, afin de défendre les jansénistes contre la bulle Unigenitus (publiée par le pape Clément XI en 1713).

Entre 1760 et 1762, son destin bascule, il fait la rencontre de deux jumelles sourdes (en réalité, les deux sœurs ont un an d’écart) qui communiquent par signes et commence leur instruction. Il décide de créer un cours d’instruction générale par signes, rue des Moulins à Paris. Il enseigne alors à une trentaine d’élèves. Vivant dans une relative aisance due à l’héritage paternel, il ne demande aucune rémunération. Soucieux de se faire connaitre, il organise des exercices publics. Dès lors, son initiative a un énorme retentissement. De nombreuses personnes s’intéressent à lui, sa méthode se diffuse en Europe. En 1777, l’empereur d’Autriche Joseph II envisage de créer à Vienne une école semblable à celle de la rue des Moulins. Il envoie donc l’abbé Stork se former auprès de l’Abbé de L’Epée. Dès 1771, querelles et controverses s’élèvent entre les partisans de la méthode orale et de la méthode gestuelle de l’abbé de l’Epée.  Ce dernier meurt le 23 décembre 1789, il est placé « au nom de ceux des citoyens qui ont le mieux mérité de l’humanité et de la patrie ». En 1791, il est décidé que son école sera prise en charge par la nation. L’Institution des sourds et celle des aveugles sont réunies dans un premier temps au couvent des Célestins. Cependant, la cohabitation s’avère difficile. En 1794, l’Institut est transféré rue Saint-Jacques où il est encore aujourd’hui. ».

Un peu d’histoire : l’écriture en italique est la copie d’une plaque présentation de l’établissement de 2008.

• L’Institut National des jeunes sourds est bâti sur un lieu historique. Situé dans le quartier latin, il abrite un four gallo-romain, mis au jour lors de la construction des ateliers professionnels.
• En 1286, un hôpital y accueille les pèlerins qui se rendent à Saint Jacques de Compostelle. En 1572, Catherine de Médicis y transfère les bénédictins de l’abbaye de Saint-Magloire.
• En 1618, les Oratoriens y installent un séminaire, où Jean de la Fontaine fut élève.<

En 1760, l’abbé de l’Épée (1712-1789) ouvre dans sa maison, au 14, rue des Moulins (actuellement rue Thérèse à proximité de l’avenue de l’Opéra ; la maison sera démolie lors des travaux haussmanniens), une école gratuite pour enfants sourds et met en œuvre un enseignement basé sur les méthodiques. Issu d’une famille aisée, l’abbé de l’Épée hérite d’une grande fortune, qu’il mettra au service des autres. Ainsi, il financera entièrement cette école gratuite, avec internat. On estime que 1200 élèves sourds sont passés par cette école en 29 années. Les textes mentionnent souvent ses soutanes élimées et ses chaussures usées, preuves de son désintérêt pour les biens matériels.

En 1791, la Révolution française crée l’Institution des Sourds de Naissance et donne à l’œuvre de l’abbé de l’Épée la dimension nationale qui lui manquait. Son école est transférée sous la direction de l’abbé Sicard au couvent des Célestins, près de l’Arsenal. Après des études au collège des Doctrinaires de Toulouse, Roch-Ambroise Cucurron est ordonné prêtre : il prend le patronyme Cucurron Sicard et sera connu comme l’abbé Sicard (1742-1822). Il est directeur de l’école de sourds-muets de Bordeaux en 1786, avant d’être le successeur de l’abbé de l’Épée à la mort de celui-ci.

En avril 1794, l’institution vient s’installer rue Saint-Jacques. La première école publique, au monde, pour enfants sourds est née. L’abbé Sicard en est le premier directeur.

L’école est conçue dès le départ comme établissement de bienfaisance, école centre de formation professionnelle, lieu de vie et laboratoire de recherches.

De nombreuses personnalités y exercent au XIXème siècle telles le docteur Itard (1774-1838), spécialiste de la surdité et de l’éducation spécialisée, qui recueille l’enfant sauvage Victor de l’Aveyron et Bébian (1789 à Pointe-à-Pitre-1839 à Pointe-à-Pitre), premier censeur de l’école, auteur d’une mimographie de la langue des signes et inventeur de l’éducation bilingue. Une citation de Bébian : « …il est absurde de vouloir baser l’enseignement des sourds-muets sur la parole, de choisir directement la faculté qui leur manque pour principal instrument de leur instruction ».

L’histoire de l’enfant sauvage Victor de l’Aveyron fera l’objet d’un film de François Truffaut sorti en 1970, dans lequel François Truffaut interprète le rôle du docteur Jean Itard, et des liens forts ont été tissés entre François Truffaut et l’enfant qui a joué le rôle de Victor. Les élèves de l’INJS ont gardé un contact particulier avec celui qui « les a compris » ; ainsi la place devant les ateliers porte-t-elle le nom de Place François Truffaut.

De remarquables élèves sourds, devenus enseignants, marquent la vie de l’établissement et l’histoire mondiale des sourds : Laurent Clerc, brillant élève de l’abbé Sicard, part en [Amérique] en 1816, avec [le pasteur] Thomas Hopkins Gallaudet. Ils créent la première école du Nouveau monde à Hartford (Connecticut). Ferdinand Berthier, illustre militant de la cause des Sourds, professeur à l’Institut, auteur du Code Napoléon à l’usage des Sourds et ardent défenseur de la langue des signes, fonde en 1838 la Société Centrale d’aide et d’assistance pour les Sourds-Muets.

Ces personnalités sourdes illustrent l’impact considérable de l’œuvre de l’Abbé de l’Épée : accès des sourds à la formation, à la citoyenneté, à la vie associative, intellectuelle, artistique et développement de la langue des signes.

Aujourd’hui, 290 élèves (garçons, les filles sont à Bordeaux) sont inscrits à l’Institut ; les primaires sont dans l’écoles publiques avec un suivi par l’Institut, le secondaire et les CAP ont cours dans les locaux. 90 élèves sont internes du lundi au jeudi.

Outre les bâtiments, l’Institut cache un vaste jardin, arrangé à l’origine par Catherine de Médicis pour les moines bénédictions, en particulier un bassin central. Aujourd’hui, le potager et le verger ont disparu, à l’exception de 3 arbres témoins, dont un plaqueminier (arbre à kaki). Les élèves jouent dans une cour séparée.

Nous visitons également la bibliothèque de l’Institut où est conservée, entre autres richesses, l’édition originale de l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert. L’encyclopédie a été confiée à l’Institut par les révolutionnaires, ainsi que de nombreux ouvrages « empruntés » chez les nobles. Confier des livres aux sourds est une preuve que les révolutionnaires considéraient que les sourds avaient des capacités de compréhension à l’égal des entendants.

Le petit groupe sur fond d’Encyclopédie.

La langue des signes : la langue des signes est une véritable langue, avec un signe propre à chaque mot, un peu comparable aux idéogrammes du chinois. La langue se conjugue. Nous apprendrons que la langue des signes est propre à chaque pays, qu’il y a donc la langue des signes française, la langue des signes allemande ou japonaise, ou encore la langue des signes américaine, proche de la langue des signes française, conséquence de l’ouverture de l’école du Nouveau monde à Hartford (Connecticut) par Laurent Clerc et le pasteur Thomas Hopkins Gallaudet en 1816, et qui a essaimé dans de nombreuses villes des Etats-Unis, à la différence de la numération : on compte avec les deux mains en France, mais avec une seule main aux Etats-Unis.

La langue des signes fait intervenir les mains, mais aussi les mouvements de la tête, des bras, du tronc. Tout le haut du corps intervient dans ce langage.

La langue des signes a également son alphabet, avec majuscules et minuscules.

Petit exercice : combien de secondes mettrez-vous pour dire CDI !



La surdité : un enfant sourd ne nait pas muet. Dans les premiers mois après sa naissance, il babille comme tous les enfants, mais il ne s’entend pas et perd la parole : il devient muet.

Les enfants de parents sourds peuvent ne pas être sourds, sauf dans le cas très rare où ces derniers sont tous les deux porteurs d’un gène très rare.

Aujourd’hui, des interventions permettent de placer des électrodes sous le crâne qui permettent de communiquer les influx nerveux au cerveau. La méthode des signes devient moins nécessaire.

Jean-Michel BUCHOUD

A Garches, le 8 novembre 2025

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La visite se poursuivra pour quelques-uns par un déjeuner amical dans une brasserie à proximité de l’Institut, l’occasion d’échanges enrichissants.

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